FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Elizabeth HARDWICK Titre : Herman Melville (traduction de Geneviève Bigant-Boddaert) Lieu : Montréal Édition : Fides Année : 2003 Pages : 208 p. Cote : PS 2386 H3714.2003 Désignation générique : Aucune Bibliographie de l’auteur : Romancière et critique de renom, Elizabeth Hardwick a publié plusieurs romans (The Simple Truth, The Ghostly Lover, Sleepless Nights) et essais critiques (A View of My Own) qui ont connu un grand succès dans le monde anglophone. Elle est l’une des fondatrices de la célèbre revue littéraire américaine, New York Review of Books. Biographé : Herman Melville Quatrième de couverture : [Reproduction intégrale prise sur le site de la maison d’édition Fides] Boudé par le public à sa parution, Moby Dick fait désormais partie des incontournables grands classiques. Un siècle après sa mort, le regain d’intérêt pour Herman Melville a inspiré Elizabeth Hardwick qui livre ici une riche analyse de « l’ensemble de l’œuvre de Melville et du défi qu’est sa vie, […] l’histoire de la vie créatrice de cet extraordinaire génie américain. » Melville était un véritable personnage de roman, au moins aussi fascinant que les héros de ses livres. Qui mieux que la grande romancière et essayiste Elizabeth Hardwick pouvait tracer le portrait d’un être si exceptionnel ? Elle fait revivre l’ancien marin des navires baleiniers dont les voyages eurent ce caractère romantique propre à séduire le public. Dans une interprétation critique brillante, elle montre comment Melville, l’aventurier des mers, transposait dans ses écrits ce goût de la découverte en se faisant l’explorateur de « la vérité du cœur humain ». Ouvrage inestimable pour les passionnés de littérature américaine, voici une œuvre critique majeure qui dévoile une page captivante de l’histoire de cette littérature. Préface : Non, mais une courte postface et une courte bibliographie. Cette postface permet à l’auteur de situer son entreprise, beaucoup plus modeste par rapport au matériel biographique existant : «Ajouter à cette récolte mon propre grain arraché à mon propre arpent de terre est peut-être prétentieux.» (p.197) Elle commente brièvement le mystère entourant la figure de Melville et présente tout net son projet : «Ce livre est une lecture de son œuvre. Lire Mardi, Pierre et le très long poème Clarel est une lourde tâche, mais les critiques inspirés y ont trouvé beaucoup à puiser : des réflexions sur la famille et la carrière dans Pierre, sur la religion et Hawthorne dans Clarel. J’avoue ne pas m’y être attardée.» (p.198) Également, par rapport au biographique : «Quant à la biographie, j’ai fait la part belle à sa relation obsessionnelle avec Hawthorne ainsi qu’à ce “désir homosexuel” qui revient constamment dans toute l’œuvre. À notre époque, la réputation de Melville ne saurait souffrir de ce que l’on souligne ce thème récurrent. J’admets l’avoir trouvé intéressant et avoir insisté sur les passages où il affleure. Ce que cela veut dire, je ne sais.» (p.199) Dans la bibliographie, elle présente les principales sources qui l’ont servi dans son travail, dont une biographie titanesque d’Hershel Parker. Malgré sa reconnaissance à l’érudit, elle constate : «Dans le cas d’Herman, les comptes rendus de ses livres sont plus intéressants que les faits et gestes de ses proches en ce qu’ils nous donnent une idée des épreuves qu’il traversa. Hershel Parker a su exploiter tout ce qu’il y avait à tirer de la montagne de faits à sa disposition.» (p.202) Peut-on y voir là un épuisement possible de la biographie factuelle au profit de la richesse sémantique de l’interprétation biographique offerte par l’oeuvre ? Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Non. LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Narrateur hétérodiégétique qu’on associe aisément à l’auteur. Celui-ci a le plein contrôle des rênes du récit, se permettant même de mettre en relief la fonction de régisseur qu’il assume : «Par respect pour l’écoulement du temps romanesque, il paraît utile de rassembler tous les beaux jeunes hommes de son œuvre en un chapitre ultérieur, et d’y spéculer tout à loisir.» (p.43) Narrateur/personnage : Rapport mi-objectif mi-subjectif. Le narrateur n’a accès au personnage que dans sa dimension externe. Tout le reste ne peut être que conjectures : «Peut-être choisit-il ce nom par une ironie amusée alors qu’il écrivait à son bureau, au milieu des champs et des arbres du Berkshire. Ou peut-être pas.» (p.90) Ce n’est que lorsque le narrateur commente l’œuvre qu’on le sent plus près du personnage Melville. Biographe/biographé : On remarque souvent, dans les «petites» biographies, le sentiment de l’auteur de se livrer à une expérience biographique un peu à part, basée sur une relation admirative mais intellectuellement égale entre biographe et biographé et qui permet de se distancier des «biographes officiels» qu’on peut se permettre de juger amicalement. La portée relative de leur propre entreprise les place donc comme à l’abri, dans un espace sécurisant où ils peuvent dire ce qu’ils veulent (révéler et cacher tout à la fois), mais qui les oblige aussi à une sorte d’humilité puisque leur entreprise ne peut faire autorité. Le biographé, ici, n’a rien d’un héros en tant que personnage : «Les grandes lignes de la vie de Melville sont connues de beaucoup d’entre ceux qui n’ont pas lu ses livres. Sans le défi agressif de ses romans, il aurait assez le profil du perdant dans un film muet, dont chaque sourire, chaque courbette sont récompensés par une gifle ou le coup de pied d’un comparse – gros philistin moustachu à la dentition catastrophique.» (p.193) Il est par contre doté d’une auréole en tant qu’auteur : «Melville fut dans la littérature américaine comme la découverte d’une terre bénie pleine de promesses.» (p.197) Autres relations : L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Le synopsis suit l’ordre chronologique de la vie de Melville, entrecoupé par la rédaction de ses œuvres. À peu près chaque œuvre suscite son propre chapitre, c’est donc dire qu’elle occupe une place immense et que c’est la progression de celle-ci qui marque la progression du récit. Ancrage référentiel : L’Amérique du 19e siècle, tous les personnages (famille de Melville, gens qu’il côtoie) par opposition aux personnages des fictions de Melville. Indices de fiction : Pas d’indices de fiction. Rapports vie/œuvre : L’œuvre est expliquée par la vie et la vie par l’œuvre : «Ce que l’on pensait autobiographique pourrait bien s’avérer tout autre ; et par ailleurs certains faits nouveaux nous ramener à l`’interprétation autobiographique.» (p.198) Hardwick cherche Melville à travers son œuvre : «Mais c’est l’écrivain qui se remémore cette traversée et invente Redburn d’un coup de baguette magique pour les besoins d’une fiction et de ses souvenirs de Liverpool, sa première ville étrangère. Les accents personnels de chagrin et de désolation sont si pénétrants dès les premières pages du livre qu’on les lit comme les souvenirs du Melville de 13 ans, quand meurt son père.» (p.37) Mais l’auteur a également conscience que l’entreprise biographique favorise des rapports vie/œuvre qui sont peut-être de la fiction : «Avec le recul, les années d’expérience prennent aujourd’hui l’aspect trompeur d’une sorte d’assignation de chaque navire à un récit de Melville…» (p.51) Thématisation de l’écriture et de la lecture : La thématisation de l’écriture est au cœur de cette biographie. Melville semble entretenir un rapport étrange avec l’écriture, un rapport animal, physique, totalement dépourvu de la dimension romantique qu’on lui prête souvent : «Melville écrit inlassablement, avec une sorte de violente angoisse – c’est toute sa vie. Même pendant les années de “retrait”, il s’y attelle après ses journées à la douane. Il est amoureux de la langue, de la lecture, de la pensée ; il saisit chaque occasion de voyager pour s’échapper. Avait-il conscience de son génie dévastateur ? Dans l’Amérique d’alors, l’idée d’être un “artiste”, un être pourvu d’un don et d’un privilège particuliers, vint à quelques-uns : certainement à Whitman, mais sans doute pas à Melville, qui semble assumer son art contre son gré.» (p.77) La lecture est, à un niveau métanarratif, le moteur de la biographie puisqu’elle se veut une lecture de son œuvre. Thématisation de la biographie : La biographe insiste beaucoup sur l’impossibilité de saisir une figure plus grande que nature, la figure fuyante de Melville, mais sur l’impossibilité surtout de saisir une figure dans sa dimension biographique, quelle quel soit : «Qui était-il ? Sans Dieu ou à sa quête ? Mystique ou réaliste ? Mari et père instinctif ou nageur baignant dans un océan de désir homosexuel ? Déçu, insatisfait, au bord de la folie ? Moby Dick, somptueuse fantasmagorie : qui peut vraiment prétendre connaître l’intention profonde de Melville lorsqu’il créa ces farouches gladiateurs que sont le capitaine Achab et la Baleine blanche ? Il est insaisissable, tant les éléments biographiques ne forment qu’un simple cadre, comme c’est peut-être toujours le cas pour ces morts que nous étudions et honorons avec tant de respect aussi bien que pour les gens ordinaires» (p.16) Commentaires sur le biographe de Melville : «Hershel Parker, son intrépide et imaginatif biographe, lui fait rendre visite au vertueux juge Shaw, occasion pour lui de mieux faire connaissance avec l’infortunée Elizabeth, qu’il épousera par la suite. Parker écrit des pages très vivantes sur ce qui c’est [sic] censément passé dans les élégants salons de la maison de Mount Vernon Street. Cette scène plaisante nourrit les maigres témoignages à propos d’une cour qui conduira trois ans plus tard au mariage.» (p.57) / «Hershel Parker, l’infatiguable et encyclopédique biographe de Melville…» (p.173) Sur le «plaisir» et les «opportunités» que peuvent saisir les biographes : «Les deux familles sont au moins riches de descendants. Toute une kyrielle de frères et sœurs, cousins, petits-enfants et conjoints qui – grâce au génie d’un seul – donnent aux spécialistes l’occasion d’exhumer des vies, de la naissance à la mort, des mariages, des disgrâces spectaculaires, des correspondances – trésors découverts souvent des décennies plus tard.» (p.58) Topoï : L’écriture, l’aventure, le voyage, l’univers marin («La mer, sa terrible et provocante infinitude, le baume apaisant et hypnotique de son doux roulis par beau temps – il semble, à lire Moby Dick, que cette ambivalence de l’océan mena Melville au bord de la folie.» p.110), l’œuvre de Melville, ses combats intérieurs, son énergie créatrice qui ne se dément jamais, même en situation de crise, etc. Hybridation : S’applique peu, mais pour reprendre l’hypothèse présentée dans la section «biographe/biographé», je me permettrais de dire entre biographie et essai, l’essai étant entendu ici dans sa forme subjective. Différenciation : Ibid. Différenciation d’avec la biographie «magistrale» qui tend vers la complétude de la vie. Celle-ci en souligne l’incomplétude, mais, surtout, s’intéresse davantage à l’œuvre qu’à la vie. Transposition : 1) Transposition de l’œuvre, mais sans réelle transformation. Seulement, elle devient le centre de la biographie, le moteur de l’entreprise. 2) Transposition du discours de la critique : Dans la postface : «Les œuvres de Melville font l’objet d’une surinterprétation extravagante, même s’il faut reconnaître que son génie est tellement singulier, insistant, discursif […] qu’il mène à maintes significations.» (p.198) 3) Transposition du discours critique : «Les étudiants avec leurs thèses ou les érudits scrutant ses livres à la recherche de passages soulignés, les critiques, les biographes de longue ou de courte haleine ne le savent pas davantage. On peut dire de Melville qu’il a mérité le mystère de sa vie intérieure.» (p.167) Autres remarques : LA LECTURE Pacte de lecture : Plutôt simple, pacte référentiel quoique la complexité des rapports vie/œuvre que l’auteur dresse, ainsi que les nombreux métacommentaires qu’elle émet sur l’entreprise biographique brouillent le confort de la lecture traditionnelle. Attitude de lecture : Les deux premiers chapitres sont magnifiques, écrit sur un ton essayistique mais dans un langage poétique qui refuse la linéarité contraignante de la chronologie en résumant la vie en quelques grands coups de plume : «Voilà donc l’auteur de Moby Dick contemplant l’Hudson à 47 ans, non plus jeune homme rêveur mais employé aux entrepôts de pesage des marchandises, calculant le montant des taxes.» (p.18) Malheureusement, la suite est plus «scolaire» que poétique, ce qui fait que ce texte convient partiellement au projet. Lecteur/lectrice : Manon Auger