FICHE DE LECTURE « Les postures du biographe »

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : François BOTT (1935- ) Titre : Mauvaises fréquentations Lieu : Paris Édition : Manya Collection : — Année : 1992 Pages : 164 Cote Université de Montréal : PQ2662069M3.1992

Biographés : Antoine Blondin (journaliste et écrivain français), Jorge Luis Borges (écrivain argentin), Alphonse Boudard (romancier français), Dino Buzzati (journaliste et écrivain italien), Henri Calet (écrivain et journaliste français), Chamfort (moraliste français), Raymond Chandler (écrivain américain), Cioran (écrivain et philosophe roumain), Madame du Deffand (épistolière et salonnière littéraire française), Fontenelle (écrivain français), Bernard Frank (écrivain et journaliste français), Jacques Laurent (écrivain et journaliste français), Michel Leiris (écrivain et ethnologue français), Simon Leys (écrivain et sinologue belge), Malcolm Lowry (écrivain britannique), Katherine Mansfield (écrivaine néo-zélandaise), Paul Morand (écrivain français), Roger Nimier (écrivain, journaliste et scénariste français), Joyce Carol Oates (écrivaine américaine), Jean Paulhan (écrivain français), Claude Roy (écrivain et journaliste français), Umberto Saba (écrivain italien), Madame de Sévigné (femme de lettres française), André Suarès (écrivain français), Roger Vailland (écrivain français) et Marguerite Yourcenar (écrivaine française).

Pays du biographe : France

Pays des biographés : Ils sont, pour la plupart, français.

Désignation générique : La couverture indique qu’il s’agit de « portraits littéraires ». (À première vue, cette notice semble être le titre d’une collection, mais après vérification, il s’agit bel et bien d’une désignation générique.)

Quatrième de couverture ou rabats : [Reproduction intégrale de la quatrième de couverture] : « “ Je fréquente”, disaient autrefois les jeunes filles, avec cet air discret, mais involontairement triomphal, qui laisse deviner la transgression des lois. Le verbe fréquenter n’avait pas besoin de complément d’objet. Il se donnait l’assurance des verbes intransitifs. Les demoiselles évoquaient de cette manière leur rendez-vous furtifs avec des jeunes gens. Rendez-vous que la morale réprouvait encore, dans une époque moins éloignée qu’il ne paraît. On n’imagine pas un lecteur de Proust dire de la même façon : “ Je fréquente”. Pourtant, la pratique des écrivains revêt toujours quelque chose d’illicite, car le rapport entre l’auteur et le lecteur se noue d’une manière clandestine, à l’insu de la société. La lecture rend tous ses droits et tous ses charmes à la solitude. Et l’on sait que celle-ci ne bénéficie pas d’une excellente réputation. Voici donc les écrivains que j’ai fréquentés, à diverses époques, dans ces mauvais lieux que l’on appelle les livres. »

Préface : Le livre ne comporte pas de préface, mais un «Avertissement ». Il est à noter que le texte figurant en quatrième de couverture consiste en la reproduction intégrale du chapitre liminaire « Avertissement ». [Voir la rubrique « Quatrième de couverture »]

Autres informations : —

Textes critiques sur l’auteur : Je n’ai trouvé aucun texte critique portant spécifiquement sur Mauvaises fréquentations, bien qu’il existe de nombreux articles (compte-rendus, textes critiques, etc.) portant sur d’autres œuvres de Bott [voir à cet effet le dossier sur François Bott]. Par ailleurs, je n’ai trouvé aucune entrevue, aucun article traitant de la pratique littéraire de Bott ou de sa conception du biographique.

SYNOPSIS

Résumé ou structure de l’œuvre : L’ouvrage est divisé en vingt-six portraits d’écrivains qui prennent parfois l’allure de chroniques ou de petits essais. Quelques écrivains portraiturés sont issus de nationalité et d’époque variées (par exemple, Chamfort, auteur du dix-huitième siècle, ou Borges, écrivain argentin) mais la plupart d’entre eux sont d’origine française et ont vécu au vingtième siècle. Les chapitres, de longueur similaire, sont ordonnés d’après l’ordre alphabétique des noms des biographés. La plupart des portraits contiennent des données factuelles (dates, mise en contexte littéraire, références aux œuvres des écrivains portraiturés) mais on trouve parfois des chapitres qui octroient une large part à la fiction. Par exemple, dans l’un de ces chapitres, un écrivain récapitule sa propre existence, ce qui donne lieu à une autobiographie fictive. Dans un autre cas, Bott invente une entrevue imaginaire avec un écrivain réel. Mais, de manière générale, Bott s’emploie plutôt à cibler quelques aspects de la personnalité, de la vie ou de l’œuvre d’un écrivain pour en faire le portrait.

Topoï : écrivains, écriture, œuvres littéraires, cosmopolitisme en littérature, etc.

Rapports auteur-narrateur-personnage : La narration est clairement assimilable à l’auteur : Bott apparaît ici dans la posture d’un portraitiste qui, entre deux descriptions, se laisse parfois aller à la critique ou à l’interprétation de la figure sur laquelle il travaille. La narration est donc la plupart du temps hétérodiégétique, sauf dans les portraits d’Alphonse Boudard et de Malcom Lowry : dans le premier cas, l’auteur se met dans la peau de son biographé pour livrer une autobiographie imaginaire; dans le second cas, l’auteur intègre le récit aux côtés de Lowry pour mener avec lui un entretien imaginaire. À ces moments, la narration devient donc homodiégétique. Ainsi, les degrés de la focalisation changent également selon les chapitres – bien que la focalisation zéro soit prédominante.

I. ASPECT INSTITUTIONNEL

Position de l’auteur dans l’institution littéraire : François Bott est l’ancien directeur/rédacteur en chef du «Monde des livres » (cahier littéraire du journal Le Monde). Il a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages, obtenu le prix Paul Léautaud en 1986 pour son livre Lettres à Baudelaire, Chandler et quelques autres ainsi que le grand prix littéraire de la Ville d’Antibes Jacques-Audiberti pour l’ensemble de son œuvre en 2004. (Il a forcément dû recevoir d’autres prix au fil de sa carrière littéraire, mais je n’ai pu, pour l’instant, les retracer. À suivre, donc.)

Position du biographé dans l’institution littéraire : Les écrivains portraiturés dans cet ouvrage occupent différentes positions dans l’institution littéraire. Plusieurs d’entre eux sont des écrivains qui jouissent aujourd’hui d’une reconnaissance internationale mais, à l’exception de Borgès et de Yourcenar, aucun d’entre eux n’est à proprement parler un monstre sacré de la littérature. Pour avoir une idée du statut de chacun, se reporter à la rubrique « Biographés ».

Transfert de capital symbolique : Il m’apparaît difficile, dans le cas de Mauvaises fréquentations, d’établir s’il y a ou non transfert de capital symbolique entre Bott et ses biographés. D’une part, le grand nombre d’auteurs portraiturés complexifie beaucoup l’analyse de cet aspect; d’autre part, la diversité qui caractérise la sélection des biographés (diversité d’époque, de culture, de carrière) brouille l’accès à une analyse concluante. Je crois que la relation qui unit Bott à ses biographés tient beaucoup plus d’une élection affective que d’un choix (même «inconscient») visant à rehausser sa propre image sur la plateforme littéraire. L’ « Avertissement », en début d’ouvrage, va en ce sens : « Voici donc les écrivains que j’ai fréquentés, à diverses époques […] ». D’ailleurs, bien des auteurs auxquels Bott destine un portrait sont très peu connus sur la scène littéraire : Roger Vailland, Alphonse Boudard, Antoine Blondin… Mais, outre l’élection affective qui a mené Bott à choisir certaines figures plutôt que d’autres, j’ai pu remarquer que bien des auteurs portraiturés (sept au total) partageaient un point en commun avec Bott en étant à la fois écrivains et journalistes. Je ne sais s’il pourrait y avoir là une stratégie visant à mettre en valeur la double fonction d’écrivain et de journaliste…

II. ASPECT GÉNÉRIQUE

Oeuvres non-biographiques affiliées de l’auteur : [voir la fiche de lecture portant sur l’ouvrage Faut-il rentrer de Montevideo?]

Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : [voir la fiche de lecture portant sur l’ouvrage Faut-il rentrer de Montevideo?]

Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : Mauvaises fréquentations est une oeuvre largement hybride en ceci qu’elle met en scène plusieurs dynamiques génériques, souvent très éloignées du portrait traditionnel. J’ai déjà relevé plus tôt quelques-unes de ces manifestations, notamment l’autobiographie fictive et l’entrevue imaginaire, mais j’aimerais aussi souligner l’importance qu’occupe le genre de l’essai dans diverses parties de l’ouvrage. Ainsi, Bott consacre un chapitre entier à la biographie fictive de Napoléon écrite par Simon Leys et un autre chapitre à l’essai écrit par Joyce Carol Oates sur la boxe. Par ailleurs, de nombreux autres chapitres comportent des passages à tendance essayistique. Dans un autre ordre d’idées, j’ai aussi découvert dans cet ouvrage une stratégie d’écriture qui me semble fort intéressante : il s’agit de la « filature », de la transposition de la vie d’un écrivain comme parcours, que l’on pourrait résumer par le topos « marcher sur les traces de ». Cette stratégie se trouve à l’œuvre dans le chapitre dédié à Madame de Sévigné : Bott parcourt l’itinéraire de vie de Madame de Sévigné à travers Paris, comme s’il ne fallait que « quelques minutes de trajet pour l’accomplissement d’une existence! » (127).

Thématisation de la biographie : La biographie est souvent thématisée dans cet ouvrage, sous divers points de vue. Il semble que Bott soit au fait des problématiques contemporaines qui entourent le genre : « Pour ressusciter son personnage, Claude Arnaud s’est dérobé à la querelle thématique où s’enferment les biophobes et les biophiles, les premiers assurant que la vie n’explique pas l’œuvre, et les seconds disant le contraire. Dans le cas de Chamfort, l’écrit régente le vécu autant qu’il s’en inspire » (32). En témoigne aussi cet exemple : « Voici un biographe, Pietro Citati, qui trace de son modèle – Katherine Mansfield – un portrait subjectif, commandé par le souci de comprendre et l’envie d’admirer […] j’imagine que des professeurs pointeront sévèrement le doigt : “Un biographe n’a pas le droit d’aimer autant son modèle!”» (78). Cet autre extrait m’apparaît également intéressant, dans la mesure où il nous laisse entrevoir la perception de Bott vis-à-vis de la biographie : « La biographie est un genre périlleux où le mieux apparaît souvent comme le complice du pire. Les biographes anglo-saxons en offrent l’exemple quand ils accumulent ces “petits faits vrais” qui enfouissent plus encore le mystère d’une vie » (77). En outre, Bott fait souvent référence à des biographies écrites sur les sujets qu’il portraiture, parmi lesquelles figurent celle de Chamfort par Claude Arnaud, celle de Madame du Deffand par Benedetta Craveri, et celle de Katherine Mansfield par Pietro Citati. Il s’intéresse aussi particulièrement à ceux, parmi ses sujets portraiturés, qui ont écrit des portraits et des autoportraits littéraires, tels Madame du Deffand et André Suarès. Enfin, Bott consacre tout un chapitre à la biographie fictive qu’a écrit Simon Leys à propos de Napoléon.

Rapports biographie/autobiographie : L’Avertissement semble nous annoncer la prégnance de cette relation, puisque Bott nous y confesse d’emblée l’intimité qui le lie à ses biographés en employant l’expression « les écrivains que j’ai fréquentés », mais elle ne ressort finalement à aucun moment de l’ouvrage. Il arrive, certes, que le narrateur-auteur fasse irruption dans le texte pour nous livrer ses impressions ou ses idées à propos de l’un de ses sujets portraiturés, mais il ne s’investit jamais dans le récit en tant qu’écrivain réel. Ainsi, dans le seul chapitre où il apparaît en tant qu’écrivain-biographe, il se met en scène par le truchement de la fiction (voir le chapitre consacré à Malcom Lowry, où Bott intègre la fiction pour mener une entrevue fictive avec son biographé).

III. ASPECT ESTHÉTIQUE

Oeuvres non-biographiques affiliées du biographé : Les sujets portraiturés sont ici trop nombreux pour que cette question soit étudiée.

Œuvres biographiques affiliées du biographé : Idem.

Échos stylistiques : Il m’est difficile d’étudier cet aspect puisque je n’ai presque rien lu des écrivains portraiturés dans cet ouvrage. J’ai eu l’impression, par exemple, que Bott effectuait une transposition stylistique en écrivant l’entrevue imaginaire qui le mettait en scène auprès de Malcom Lowry, mais comme je n’ai rien lu de Lowry, je n’ai pu vérifier dans quelle mesure mon intuition s’avérait.

Échos thématiques : Tout ce que j’ai pu remarquer, à cet égard, tient au fait que Bott met souvent en relation la vie et l’œuvre des écrivains qu’il portraiture. Par exemple, si ce sont des écrivains qui ont beaucoup voyagé et qui ont traité du voyage dans leurs œuvres, Bott intégrera le thème du voyage dans les portraits qu’il consacre à ces écrivains. Ainsi, il dira d’Henri Calet qu’il était un « voyageur nonchalant » (29), et de son œuvre, qu’elle appartenait à une « littérature flâneuse » (28). Par ailleurs, il notera, à propos du cosmopolitisme qui traverse l’œuvre de Marguerite Yourcenar, que l’écrivaine se livrait au « rallye des cultures et des civilisations » (145), tant dans sa vie que dans son œuvre.

IV. ASPECT INTERCULTUREL

Affiliation à une culture d’élection : J’aurais tendance à dire que Bott ne s’associe à aucune culture en particulier, sinon à la sienne propre (ceci transparaît notamment dans le choix de ses biographés, tant dans cet ouvrage que dans les autres). Cependant, il accorde beaucoup d’importance aux écrivains cosmopolites, qu’ils soient français ou étrangers. Pour Bott, on peut aisément mettre en relation « le voyage et la littérature : écrire, c’est aussi franchir des douanes où l’on discute de votre identité » (160).

Apports interculturels : Le texte ne comporte pas d’apports interculturels bien précis, mais rejoint certaines problématiques qui sont loin d’être insignifiantes pour l’étude de cet aspect. Je songe, notamment, à l’intérêt que porte Bott aux écrivains cosmopolites : Henri Calet, Marguerite Yourcenar, Michel Leiris, Malcom Lowry et Borgès (dont « les voyages s’accomplissaient dans le Temps comme dans l’Espace » (14). De plus, Bott s’intéresse à la question de la langue à travers la figure de Cioran, lequel était d’origine roumaine et avait pour langue d’adoption le français (voir, à ce sujet, la page 44). Enfin, quelques passages isolés ont retenu mon attention. En commentant la Brève vie de Katherine Mansfield écrite par Citati, Bott fait le constat suivant : « Aussi, le livre de Citati nous suggère de croire à l’internationalisme des affinités, nous montrant comment un auteur italien s’est entiché d’une dame originaire de Nouvelle-Zélande, et nous invitant à réviser la géographie des sentiments » (79). Par ailleurs, en présentant une anthologie intitulée Italies, qui regroupe les récits de soixante-quinze voyageurs français des 18ième et 19ième siècles, Bott laisse entrevoir un certain parti pris pour l’Italie : « La plupart des enfances françaises ont fait un rêve italien. La preuve, c’est que, lorsqu’ils pratiquent le métier d’écrire, nos compatriotes vont, un jour ou l’autre, vérifier la légitimité de leur entreprise à Rome, Florence ou Palerme » (159). Ce passage me paraît fort intéressant, dans la mesure où, auparavant, Bott s’est montré très élogieux à l’égard de la biographie de Citati, en plus de consacrer deux chapitres à des écrivains italiens (Umberto Saba et Dino Buzzati). L’Italie serait donc la culture étrangère privilégiée par Bott dans cet ouvrage, mais ces apports culturels me semblent trop infimes pour que l’on puisse croire en un véritable désir d’affiliation culturelle de la part de Bott.

Lecteur/lectrice : Audrey Lemieux