FICHE DE LECTURE COLLECTION « L’UN ET L’AUTRE »

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Martine Bacherich

Titre : La passion d’être soi (cinq portraits)

Lieu : Paris

Édition : Gallimard

Collection : « L’un et l’autre »

Année : 2008

Pages : 184 p.

Cote : BNQ 844.92 B121p 2008

Désignation générique : Aucune

Préface : Une forme de préface intitulée « Mes autres vies ». Dans celle-ci, l’auteur explique son projet, son rapport aux biographés qui seront mis en scène, la part autobiographique qu’implique le travail biographique, etc., toutes choses qui rejoignent très bien le programme de la collection. Je retiens les passages les plus pertinents :

« En composant un petit inventaire de caractères majuscules, pourquoi avoir choisi telle ou telle plutôt qu’une autre parmi ces grandes personnes vraiment très grandes, elles, Pozzi, Manet, Blixen, Nabokov ? Il y a ce que je sais de mon lien à ces fastueux personnages et surtout ce que je méconnais tandis que je m’éprends d’eux. Ils m’éblouissent par leur talent autant qu’ils m’attendrissent par leur entêtement, donc leur vulnérabilité, plutôt qu’ils me fascinent. […] Au fond Manet est mon premier peintre, comme on dit mon premier flirt, et qu'ai-je cherché à démontrer si ce n'est que Manet, comme mon père, n'était pas celui qu'on croyait ? Blixen et Pozzi, quelles qu’aient été par ailleurs leurs formes d’accomplissements, n’ont pas réussi l’essentiel, brûler à deux d’une même flamme et s’attacher leur enchanteur. Comment ne pas les rejoindre dans leur conviction que seul l'amour vaut dans l'existence, si belle soit la vie et Dieu sait si elle peut l'être ? Pnine et Oblomov sont inséparables de l'homme de mes pensées et, bien qu'ils soient nés de l'obscurité du monde et de la fibre du peuple végétal, personne ne m'ôterait l'idée que j'ai soupiré, en chair et en verbe, plusieurs décennies déjà à leurs côtés. (2008 : 11-12)

Mais toutes ces trajectoires sont avant tout mes vies immobiles. […] Elles sont secrètes, elles sont folles, mes vies d'en haut. (2008 : 12-13, souligné dans le texte)

Si je m’intéresse à leur œuvre, à leur aventure, leur univers se déplie, se déroule, s’enroule autour du mien et, ce faisant, peintre, écrivain s’en rapportent à moi. Ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient pour moi. Pour d’autres aussi, mais, c’est ce qui me captive, pour moi. Car ce qu’ils ont créé, et de quel prix ils l’ont souvent payé, ils l’ont conçu pour cet un, plus un, plus un, lecteur ou spectateur, desquels je suis. Un jour, on me propose de réunir des personnages originaux, asociaux, excentrés, davantage qu’excentriques. Qu’ils soient des individus pour de vrai ou pour de faux, je sais déjà que ce ne seront qu’éclats autobiographiques. Qui me lira en train de les lire, de les voir, saura l’intime et peut-être tout de moi. À leur humble service, devenue invisible, voilà que je deviens transparente. Plus je parle d’eux, plus je me dévoile. Y a-t-il initiative plus délibérément narcissique, appropriation plus cannibale ? Mes pas dans les leurs, je m’enfonce millimètre par millimètre dans leur parcours, mais si je semble me gaspiller tandis que je me disperse et me fragmente dans leurs diversités, mieux je travaille à étoffer et densifier mon propre portrait. Il m’est aisé de justifier que ce qui lie ces êtres à part est ce qui les possède. En commun, leur intransigeance. Ce sont des insoumis, j’aime ce mot intraitable, voluptueux, qui passe les lèvres en déposant dans les oreilles une traînée de soie. Hommes, femmes, ils se doivent de résister, que l’on pense à l’inscription indélébile de la Tour de Constance, et si leur corps chancelle tôt, leur passion y est chevillée, toujours plus. Il leur faut être soi. Leurs vies ou rien ! (2008 : 13-14, souligné dans le texte)

« Lire un livre est le réécrire. On peut parler des spectacles qu’on n’a pas vus, des livres qu’on n’a pas lus, qu’on a oubliés, commenter le commentaire d’un commentaire, ou, en assemblant à sa manière des morceaux écrits par d’autres, les mettre en forme et, authentiquement, au monde. » (2008 : 15) « C’est parce que, fort heureusement, nous ne sommes pas notre vie, une seule, au singulier, de simple mortel, que nous pénétrons la leur, que leur histoire est notre histoire d’eux ou encore celle de l’écart entre nous et nous. De vous à moi, soyons eux, d’ailleurs ils nous en prient. N’oublions pas que le sens de leur œuvre est remis à nos soins. Restons simples, mais si j’osais, je suggérerais que nous en sommes l’ombilic. » (2008 : 16)

Rabats : Deux rabats : extrait de la préface et programme de la collection.

Image de la couverture : Dessin de John Schilling représentant un ange avec lauriers sur la tête et crayon et pinceau à la main, se tentant devant un livre ouvert.

Autres (note, épigraphe, etc.) : Courte note à la fin pour signaler que le « portrait » de Karen Blixen reprend la « Préface » du volume Afrique de Karen Blixen et que celui de Manet s’inspire pour une part d’un livre de l’auteur, Je regarde Manet.

INFORMATIONS SUR LE BIOGRAPHE :

Pays d’origine : information non disponible.

Profession : Elle est psychanalyste de formation.

Bibliographie : Elle a publié « Qu’est-ce qui vous amène ? » (2006), sorte d’essai autobiographique sur la psychanalyse. La passion d’être soi est son premier livre plus proprement littéraire.

Autres informations :

INFORMATIONS SUR LE BIOGRAPHÉ :

Identification du biographé : Il y a les biographés qui sont des « individus pour de vrai » : Catherine Pozzi et Paul Valéry, Karen Blixen, Édouard Manet ; et les « individus pour de faux » : Le barine Ilia Ilitch Oblomov, personnage mythique d’un roman de l’écrivain russe Ivan Gontcharov appelé Oblomov et Timofeï Pnine, personnage de Vladimir Nabokov.

Brève biographie du biographé :

1/ Pozzi et Valéry : Couple mythique de la littérature française. Tous deux se sont connus en 1920 et leur relation, qui dura 8 ans, fut tumultueuse et donna lieu à une importante correspondance (en partie détruite). Si Catherine Pozzi est aujourd’hui moins connue que Valéry, elle faisait à l’époque partie des Cercles littéraires et culturels importants et fréquentait les grands salons de Paris. L’essentiel de son œuvre est ainsi sa correspondance avec Valéry, mais aussi Jean Paulhan et Rainer Maria Rilke.

2/ Oblomov : Personnage d’un roman russe

3/ Karen Blixen : Née au Danemark, Karen Christentze Dinesen écrit un peu dans sa jeunesse avant d’épouser le baron Blixen-Finecke et de partir en Afrique avec lui pour exploiter une ferme, de 1912 à 1931. À son retour au Danemark, divorcée et son amant étant décédé, elle se met alors à écrire. Elle est surtout connue pour La ferme africaine qui relate son expérience sous forme de roman autobiographique.

4/ Édouard Manet : Peintre français majeur du 19e siècle.

5/ Pnine le Grand : Au sujet de ce personnage, Nabokov écrit : « Lorsque j'ai commencé à écrire Pnine, j'avais un projet artistique précis : créer un personnage comique, pas séduisant physiquement – grotesque, si vous voulez – et le faire ensuite apparaître, par rapport aux individus soi-disant “normaux”, comme, et de loin, le plus humain, le plus important, et, sur un plan moral, le plus séduisant. Quoi qu'il en soit, Pnine n'a vraiment rien du bouffon. Ce que je vous offre, c'est un personnage tout à fait nouveau dans la littérature – un personnage important et intensément pathétique – et en littérature, il naît des personnages nouveaux tous les jours. » (Vladimir Nabokov, 1955)

Époque du biographé : 1/ Années 20 et 30 2/ 19e siècle 3/ 1885-1962 4/ 1832-1883 5/ Début 20e siècle

Pays d’origine : 1/ France 2/ Russie 3/ Danemark 4/ France 5/ Russe émigré aux États-Unis

Autres informations :

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : L’auteur est le narrateur. Dans certains portraits (1, 3, 4), elle n’est pas présente, mais dans le deuxième, où il s’agit d’une forme d’explication de texte, elle parle en son propre nom en se mettant, au départ, directement en scène.

Narrateur/personnage : Rien de particulier à dire sur cette relation.

Biographe/biographé : La relation très étroite dont Bacherich parle dans sa « Préface » ne me semble pas si explicite que cela. Il y a, bien sûr, un intérêt palpable pour les figures qui sont mises en scène (autrement elle ne les aurait pas choisies), mais l’ensemble demeure malgré tout assez froid et, surtout, assez « impressionniste ». On en apprend finalement assez peu de ceux dont elle parle dans la mesure où elle s’attarde sur des éléments disparates qui, une fois mis ensemble, forment des portraits plutôt flous.

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : 1/ Réflexion sur la relation Pozzi-Valéry à partir des lettres et du Journal de Pozzi, suivant relativement la chronologie de cette relation. 2/ Réflexion sur le personnage d’Oblomov et sur l’ « oblomovisme » inspiré de ce personnage apathique vivant de ses rentes et qui ne voulait rien faire, parvenait à une certaine félicité dans le seul confort de sa maison là où, servit par tout un chacun, il pouvait en quelque sorte vivre comme un enfant. 3/ Récit du rapport de Karen Blixen à l’Afrique, récit qui s’inspire de La ferme africaine et de la correspondance de Blixen. C’est aussi sa venue à l’écriture qui semble fasciner Bacherich avant toute chose. 4/ Bacherich ne suit pas la chronologie de la vie de Monet, mais va de peinture en peinture, commentant, racontant les diverses thématiques présentes dans les toiles de Manet et les liant à certains épisodes ou éléments de sa vie. 5/ Description du personnage de Pnine, de sa complexité, de son intérêt. Cela sert dès lors à établir des parallèles avec Nabokov.

Ancrage référentiel : Dans l’ensemble, tout est basé sur des données biographiques réelles. On peut toutefois s’interroger sur le prisme que représente la lecture de la vie par le biais de l’œuvre (qui est la posture dominante, voir : « Thématisation de l’œuvre du biographé »), mais je ne doute pas – du moins n’ai-je pas de raison de le faire – que tout soit bien documenté et que l’œuvre contribue surtout à enrichir la lecture de la vie.

Indices de fiction : On ne peut pas vraiment parler d’indice de fiction. Peut-être la narration qui a davantage la forme de l’essai peut-elle créer un certain flou, mais cela reste minimal.

Indices autobiographiques : L’auteur parle directement d’elle dans la Préface, mais c’est tout.

Rapports vie-œuvre (l’œuvre pose-t-elle un questionnement intéressant par rapport à cette question ?) : Une remarque, à propos de Blixen, me semble intéressante. Il s’agit de la déconvenue de celle-ci fasse à son « rêve africain » : « Et ce n’est pas le moindre paradoxe de La ferme africaine que, vers la fin, culminent son désespoir et notre jubilation : le dénouement heureux n’est pas dans le livre, il est le livre même que nous tenons entre nos mains. La chute a valeur de réalisation magique, c’est un peu comme si le lecteur, prenant part à l’œuvre, offrait enfin la solution de l’énigme à son héroïne en la sacrant grand écrivain. Et en effet si, pour Karen Blixen, de tout temps était fixé un prix élevé à payer au destin, il lui est encore indéchiffrable, lorsqu’elle prend la plume. Reconnu comme un chef-d’œuvre, le livre lui donnera un statut dans son pays et au Panthéon des lettres, ironise-t-elle. Plus grave, se retournant sur le passé, elle ajoutera : Personne n’a payé plus cher que moi son entrée dans la littérature. » (2008 : 68-69) Sinon, les rapports vie-œuvre peuvent être intéressant concernant Manet, mais comme il ne s’agit pas d’un écrivain… Les liens que l’auteur établit entre Nabokov et son personnage (ou vice-versa) participe aussi d’une relation de la vie à l’œuvre intéressante et qui plus est, un peu plus originale.

Thématisation de l’œuvre du biographé : Les œuvres des biographés (entendre cette expression au sens large, incluant toutes les formes d’écrits qui subsistent), ainsi que de leurs proches, sont constamment mises en scène à travers l’écriture. En effet, les citations abondent et ne sont signalées que par l’italique et sans la moindre référence. L’auteur s’appuie beaucoup sur les œuvres pour commenter la vie – c’est même le premier accès à la lecture biographique (Journal et lettres de Pozzi, roman et lettres de Blixen, Peinture de Manet, etc.). Ce procédé est un des seuls qui relie vraiment les cinq portraits ; dans les deux portraits de personnage, on devine que l’auteur reprend de nombreux extraits tirés des œuvres dont ils sont issus.

Thématisation de l’œuvre elle-même (métadiscours à l’intérieur de l’œuvre) : À part la préface (et c’est la raison pour laquelle je l’ai recopié longuement), l’auteur ne parle pas de sa démarche.

Rapport entre le texte et le programme de la collection : Cette œuvre me semble cadrer tout à fait avec le programme de la collection. Par contre, en dehors de la préface, elle ne soulève pas d’enjeux intéressants. Je n’ai pu m’empêcher de trouver le tout un peu vide, la passion de l’auteur ne passant pas vraiment, malgré une écriture parfois intéressante. Peut-être, justement, parce qu’elle fait un peu trop de style…

Topoï :

Hybridation : Mélange de biographie et d’essai, donc essai biographique, mais il est plus juste de parler de « portraits » puisque c’est ainsi que l’œuvre se désigne. On retrouve, de loin, l’idée des « vies minuscules », mais, bien sûr, vues ici comme des « vies majuscules », même si, à part Manet, les « personnages » choisit peuvent paraître relativement obscurs.

Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture : Œuvre qui se donne comme une collection de portraits ; c’est tout à fait cela.

Remarques générales sur la collection : Il s’agit de la première œuvre que je lis dans la perspective de la recherche. À vue de nez, comme ça, je reste avec l’impression que bien peu de choses ont changé dans la collection depuis le début. Comme le proposait Robert dans sa proposition de communication, il est bien possible qu’un « modèle, un format s’est mis en place, et que les nouveaux titres se contentent de perpétuer ». Dans ce cas, il y aurait peut-être, pour reprendre encore ses propos, une « banalisation de la formule ». Une autre question qu’il pose, soit : « Une nouvelle esthétique de la relation biographique se met-elle véritable¬ment en place et se trans¬forme-t-elle après 2000? » me semble intéressante. Peut-être pourrait-on la creuser en suivant certaines sous-formes qu’on retrouve dans les œuvres, par exemple les « portraits », les « essais biographiques », les « essais autobiographique » (romans familiaux) ou encore les espèces de « romans transfictionnels » (où « l’autre » est davantage un personnage qu’un être réel) ?

Lecteur/lectrice : Manon Auger