INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Daniel Oster Titre : La Gloire Édition : P.O.L, Paris Collection : (Aucune) Année : 1997 Appellation générique : (Aucune, mais l’ouvrage est néanmoins classé par Manitou au sein des œuvres littéraires d’Oster et non parmi ses essais critiques.) Bibliographie de l’auteur : -Fictions (Stéphane, toujours sur Mallarmé, ouvrage qui semble également (du moins selon ce qu’en dit le résumé) pouvoir faire partie de notre corpus; Des lieux inhabitables; On ne se refait pas; etc.). -Essais critiques (sur Cayrol, Apollinaire, Valéry, etc.; L’Individu littéraire, qui traite d’éléments directement liés à nos champs d’intérêt).

Quatrième de couverture : Des indications concernant le mélange critique/fiction à l’œuvre dans cet ouvrage, la «lecture de proximité» qui est celle que fait Oster de Mallarmé, lequel appelle généralement une manière plus objective, voire plus déférente. Oster tente ici de cerner la figure «exotérique» de Mallarmé plutôt que son côté «ésotérique», obscur, voire abscons, soit le côté le plus souvent abordé lorsqu’il est question de cet auteur et de son œuvre. Pour ce faire, le «biographe-portraitiste» se peint en quelque sorte lui-même à travers le portrait qu’il trace de Mallarmé. On précise à cet effet, en 4e de couverture : «Il convenait pour cela [pour effectuer cette «lecture de proximité»] de s’introduire soi-même dans cette histoire, de s’y rendre présent, quitte à ce que “l’ère d’autorité se trouble”». On n’est pas très loin ici de ce qu’indique Regard en ce qui concerne la biographie littéraire, précisant que celle-ci représente un «échange dialectique entre au moins deux vies et deux “autorités”» (Frédéric Regard (dir.), La biographie littéraire en Angleterre (XVIIe-XXe siècles). Configurations, reconfigurations du soi artistique, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1999, p. 16). Toujours en 4e de couverture : «Daniel Oster met à profit sa longue familiarité avec les gestes mallarméens — gestes écrits ou gestes de sa liturgie intime et sociale — pour faire vibrer Stéphane Mallarmé sur la corde tendue entre le journal intime et la fiction. Il en résulte un portrait cubiste, où l’humour et le jeu ont leur part […]».

Rabats : Sans

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES)

Auteur/narrateur : Il est clair que le narrateur est l’auteur, qui se présente justement comme un auteur qui veut écrire une biographie de Mallarmé : «J’essaie seulement de reconstruire mentalement quelque chose qu’on désigne par ces deux mots : Stéphane Mallarmé» (p. 144). Certains échanges entre les protagonistes provenant de l’entourage du narrateur et ce dernier nous incitent également à penser que celui-ci est bel et bien Oster lui-même. Ainsi en est-il de ce dialogue entre Hermann (personnage fictif ou appartenant véritablement à l’entourage d’Oster?) et le narrateur, dialogue rapporté dans un extrait du journal intime de celui-ci : «Juin 1993 Rencontré Hermann. Encore un qui a tout quitté. Mais ce n’est pas toujours la meilleure façon d’être quitte. […] -Que faites-vous aujourd’hui? -Je voudrais bien venir à bout d’une sorte de petit livre sur Mallarmé. -Encore un! -C’est un devoir que je m’impose, une manière de prendre enfin le tournant. De me sortir d’une affaire entre moi et moi. Affaire personnelle, en somme. Pas affaire de colloque. -Vous me rassurez!» (p. 15-16). Sachant qu’Oster s’est adonné à de multiples reprises à des travaux sur l’œuvre de Mallarmé, on ne peut manquer ici, par la teneur des propos échangés, d’associer le narrateur à la figure d’Oster. Le discours du narrateur va également dans ce sens : «Un jour il faudra régler de vieux comptes avec ce Mallarmé, ou peut-être est-ce ce que j’ai entrepris?» (p. 12).

Narrateur/personnage : L’auteur-narrateur se met ici en scène dans son propre rôle : celui d’écrivain.

Sujet d’énonciation/sujet d’énoncé : Une proximité en ceci : deux formes d’«incompréhension» (mais pas forcément négative). Pour le sujet de l’énoncé (Mallarmé), la figure de l’écrivain «incompris», «obscur» (que le narrateur s’emploiera à déconstruire); pour le sujet de l’énonciation (Oster), la figure de l’«[é]crivain du dimanche» (p. 87) plus ou moins à la recherche de sens : «La seule position possible pour écrire une biographie, c’est l’ignorance, le sentiment poignant et méticuleux de l’ignorance. Il faut donc un narrateur, et qui ne sache rien, qui ne sache que ce que le peu qu’il sait de lui-même, et que cette ignorance inspire » (p. 158-159).

Ancrage référentiel : Très marqué. Nous sommes presque du côté de l’essai critique. Référence (mais sans appareil de note imposant) à de nombreux textes authentiques (plusieurs de Mallarmé ou sur Mallarmé) dont, par exemple, Vers de circonstance (p. 8), Divagations (p. 14), ou l’étude de Thibaudet sur l’écriture de Mallarmé, évoquée dès l’ouverture du texte (p. 7).

Indices de fiction : Assez ténus, somme toute. -Des personnages dont on ne sait trop s’ils sont fictifs ou s’ils appartiennent à l’entourage réel d’Oster, notamment un certain Thomas et un certain Hermann (tous deux liés au monde des lettres, l’un par l’enseignement puis par l’écriture, l’autre par «une sorte de carrière» dans Jakobson et Greimas, p. 15). -La forme du «collage» (un peu à la Sollers), qui nous éloigne de la manière critique traditionnelle, pourrait peut-être nous rapprocher d’une certaine forme de «fiction», mais au sens le plus large du terme, concernant davantage l’usage fait des matériaux (c’est-à-dire l’arrangement désordonné des éléments de contenu) que les matériaux eux-mêmes, quoique tous les matériaux ne soient pas ici factuels, et que même ceux qui semblent l’être peuvent se révéler fictionnels : «En réalité, il faut envisager des niveaux de fiction, la correspondance étant aussi fictive que les sonnets, les Tombeaux et que Divagations. Et d’ailleurs aussi fictive que l’appartement de la rue de Rome, les soirées chez Méry Laurent ou le retirement à Valvins. La totalité des lieux de la théâtralité littéraire sont des imaginaires» (p. 160). -Les suppositions, les hypothèses, relèvent de la fiction. -Le projet d’écriture relève lui-même explicitement d’une certaine forme de fiction : «Écrire pour n’être pas ce qu’on est, non pour “s’exprimer”. Écrire pour se créer comme auteur fictif capable à son tour de créer des fictifs […]» (p. 71).

Topoï : Justement, l’absence du topos du «mythe» de Mallarmé ésotérique. Si topoï il y a, il s’agirait donc davantage de ceux de la rupture, du déconstruit, de l’événementiel, de l’anodin, de l’aléatoire… : «Je suis absolument partisan de l’insondable parce que j’ai un esprit mathématique. L’idéologie du vérifiable est une couillonnade. Vous ne pourrez jamais vérifier ce qui fut dans l’esprit, à plus forte raison dans le corps, à telle minute, tel soir, telle nuit d’insomnie» (p. 158). «Si j’étais biographe, j’aimerais mieux écrire une chose tout à fait désordonnée, aléatoire. Plus de chances de tomber juste» (p. 159).

Biographé : Il s’agit bien sûr de Stéphane Mallarmé, mais non plus strictement selon son image de poète obscur.

Pacte de lecture : Sans équivoque, bien que le texte présente une forme très particulière. Concernant le pacte de lecture proprement dit, mentionnons que le texte d’Oster s’ouvre sur une critique des études «à la Thibaudet» (comme de celles «à la Blanchot»), qui s’intéressent surtout au côté obscur du poète, qui interprètent ses textes en termes d’«intelligence lucide», etc. Notre biographe se place d’un tout autre point de vue, refusant également la tâche du «biographe ordinaire», qui s’ingénie à adoucir les aspérités et qui «feint que “la vie” soit chose claire» (p. 11). Il soutient par ailleurs que «[f]aute de se poser des questions spécifiques, propres à l’auteur qu’on biographie, on ne retrouvera à la fin que ce qu’on aura mis : ce récit préfabriqué dont on a rempli les cases» (p. 11). Ce que tente Oster, c’est une «lecture de proximité» où le biographe s’implique en tâchant de saisir et de faire voir le biographé sous un éclairage renouvelé. «Admettons donc comme principe de lecture simple : l’événement, la circonstance. (Et non pas : la Littérature, la Poésie, le Langage.)» (p. 33). La méthode d’Oster est celle du collage, qui consiste notamment à faire fusionner la vie (entre autres par l’utilisation du journal intime (surtout chez Oster), de la correspondance…) et l’œuvre du biographé (par le biais d’une lecture qu’on pourrait qualifier de «fiction critique») . Sa «poétique de la biographie», si je puis dire, est la suivante : «Il faut parvenir à embrasser la totalité des gestes de l’écrivain» (p. 112), car «[t]out ce qu’il écrit est tressé dans ces jours» (p. 109). Oster ajoutera plus loin : «[…] Mallarmé peut apparaître comme le premier écrivain qui ait fabriqué d’une manière aussi systématique et fourni avec autant de profusion un corpus (textes et gestes) qu’il nous contraint à lire dans sa totalité, dans le moindre détail, sans privilégier quoi que ce soit, sans hiérarchiser, sans nous soumettre à la séparation du vécu et de l’écrit, puisque précisément il a vécu avec le sentiment constant qu’aucune chose, aucun fait, quoi que ce soit de réel, n’est perceptible ou concevable hors du langage, hors de la fiction» (p. 161).

Thématisation de l’écriture et de la lecture : -De nombreux épisodes où l’auteur-narrateur réfléchit sur sa propre pratique scripturale, souvent à la suite de supposés commentaires provenant de personnages de son entourage : «À votre place, conclut Thomas, si je tenais vraiment à écrire encore une fois sur ce héros, je m’arrangerais pour placer dès le début ces phrases de Baudelaire sur son texte de Poe […]» (p. 13). -De multiples passages de « critique », assumés par le narrateur ou par un personnage. Ainsi, par exemple, le narrateur rapporte les propos de Thomas qui interprète les Vers de circonstance de Mallarmé comme «des biographies rapides comme l’éclair, des épitaphes qu’on fait transporter par le facteur» (p. 8) et se prononce également sur l’interprétation qu’en donne Thibaudet (p. 8). -Des considérations sur la poétique du signifiant ouvrent sur des jeux sur le signifiant (p. 18-19), l’écriture, l’œuvre devenant ainsi, de façon extrêmement tangible, la matière privilégiée du biographe, qui soutient d’ailleurs que «les mots sont des événements biographiques» (p. 12).

Attitude de lecture : Convient, mais aux limites de l’essai.

Hybridation, Différenciation, Transposition : -Hybridation, surtout des matériaux qui servent à la construction de l’ouvrage (genres et modes discursifs variés : extraits de journaux intimes et d’œuvres littéraires et critiques, lettres authentiques et (probablement) apocryphes (celles que dit recevoir l’auteur-narrateur de Thomas, d’Hermann…), dialogues qui donnent souvent dans la critique littéraire, narration souvent plus critique et argumentative que «romanesque»…). -Différenciation : Oster semble vouloir se distinguer, par son ouvrage, des travaux de ses prédécesseurs concernant Mallarmé. Il entend proposer une image de l’auteur plus «humaine» en quelque sorte, créée par le biais de points de vue multiples, une image qui sortirait enfin du cliché «Mallarmé, poète obscur». C’est ainsi qu’il faut entendre ce passage : «On voudrait bien pourtant pouvoir réduire la vie de Mallarmé à une sorte de “biographie intellectuelle”. Tant qu’on s’obstinera, en vertu du mythe proustien des “deux moi”, à ne pas voir comme également événements les gestes et les écrits, on se complaira dans ces énigmes de surface. La vraie énigme consiste dans le tissage serré et lacunaire de la totalité des événements d’une vie. Y compris ce qui ne laisse pas de traces» (p. 94). La fiction lui semble également offrir une avenue intéressante au biographe : «Il faudrait sans doute sortir du discours positif (“scientifique”) qui fonde son objet à sa ressemblance, pour entrer dans la fiction qui seule est en mesure de percevoir et de rendre la fiction. J’irais même jusqu’à dire : qui seule est en mesure de faire entendre la mélodie de la fiction. Ce qui fait la valeur de L’Idiot de la famille, c’est que c’est un roman. Non?» (p. 146). -Transposition : le fait d’intégrer, dans une œuvre littéraire à mi-chemin de la critique et de la fiction (quoique plus près de la critique que de la fiction…), des extraits de journaux intimes et de donner dans le «collage» en intégrant une foule de citations d’œuvres diverses provenant d’auteurs variés peut-il relever d’un phénomène de transposition en plus de témoigner (il va de soi) d’une forme d’hybridation?

Autres remarques : Un «roman du biographe», selon l’expression de Daniel Madelénat, qui me semble pouvoir figurer au sein de notre corpus de biographies imaginaires (sans pour autant ressembler à aucune autre des biographies que j’ai lues jusqu’à présent), et qui pourrait également être analysé sous l’angle de la narrativité critique, la critique (se déployant selon la forme particulière du collage) ayant toutefois tendance ici à prendre le pas sur la narrativité proprement dite… Un cas limite?

Lecteur/lectrice : Caroline Dupont