FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Roberto Bolaňo Titre : La littérature Nazie en Amérique [La literatura nazi en America, traduit de l’espagnol par Robert Amutio] Lieu : Paris Édition : Christian Bourgeois Année : 2003 [1996] Pages : 279 p. Cote : PQ 8098.12 O53 L5814.2003 Désignation générique : Aucune Bibliographie de l’auteur : Des putains meurtrières ; Étoile distante ; Nocturne du Chili ; Amberes ; Les détectives sauvages, etc. Biographé : Une série d’écrivains imaginaires de l’Amérique, surtout de l’Amérique latine et quelques écrivains des Etats-Unis (pas d’écrivains canadiens). Quatrième de couverture : Description de l’ouvrage sous le mode mi-sérieux mi-ludique : «La littérature nazie en Amérique est un recueil qui rend compte d’un certain nombre d’ouvrages […] qui établit une suite de biographies d’écrivains du XXe siècle et du début du XXIe siècle, liés par le goût qu’ils ont eu pour le nazisme, le fascisme dans ses versions italienne et espagnole et le négationnisme contemporain. Sans cet ouvrage, que saurait-on de la vie d’Edelmira Mendiluce (1894-1993) et de sa fille Luz (1928-1976), l’auteur de Heureuse avec Hitler ?» etc. Un des seuls indices de fiction est signalé ici : «La littérature nazie en Amérique est une œuvre de fiction de Roberto Bolano !» Préface : Aucune LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Comme ce récit de fiction mime en tous points les procédés du récit factuel (en l’occurrence, de la notice biographique), on pourrait associer spontanément auteur et narrateur. Toutefois, l’inscription «œuvre de fiction» en quatrième de couverture oblige à instaurer une distance entre ces deux instances, bien qu’elle ne semble pas nécessaire pour la compréhension du texte puisque le narrateur demeure toujours neutre et fait montre de l’implacable objectivité nécessaire aux narrateurs d’œuvres encyclopédiques. Il faut toutefois faire une exception du dernier portrait, soit celui de Ramirez Hoffman qui met en scène un narrateur homodiégétique, témoin privilégié des exploits aériens de Ramirez et qui, bien qu’identifié comme poète, ne peut être associé à l’auteur. Narrateur/personnage : relation essentiellement descriptive (si je puis dire…) Biographe/biographé : Évidemment difficile à saisir ici puisque les biographés sont légions. Le plus intéressant est sans doute de mesurer la façon dont l’auteur met en scène leur rapport au nazisme et semble se situer par rapport à cela. Je remarquerai seulement que Bolano, après avoir fui le régime dictatorial de Pinochet et bien qu’ayant milité durant sa vie contre les politiques dictatoriales de plusieurs pays d’Amérique, fait montre d’un talent extraordinaire pour présenter ces «monstres» sous un jour ambigu, dépourvu d’une vision manichéenne du monde. Mais sous l’apparente objectivité du biographe se cache une ironie et un humour très noir faisant de ces personnages des monstres presque sympathiques… Par exemple : un de ces écrivains, dans une œuvre de science-fiction, crée un «berger allemand mutant et vagabond, doté de pouvoirs télépathiques et de tendances nazis» (p.123) ; un autre trouve dans le nazisme le secret de la longévité : «Une leçon claire comme de l’eau de roche. Il faut en finir avec la démocratie. Pourquoi les nazis vivent-ils si vieux ? Prends Hess, s’il ne s’était pas suicidé, il arrivait à cent ans. Qu’est-ce qui les fait vivre si longtemps ? Qu’est-ce qui les rend presque immortels ? Le sang versé, le vol du Livre, la conscience qui a exécuté le saut ? » (p.170) ; un autre fait passer des messages à travers des acrostiches que l’on peut recomposer en prenant la première lettre de chacun des chapitres d’un de ses livres pour obtenir «VIVA ADOLPHE HITLER», puis, avec les deuxièmes lettres «JE CHIE SUR CE PAYS», et ainsi de suite «BIENVENU LES USA», «MERDE À QUI LE LIRA» (p.69-70) ; etc. L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Le recueil est composé de trente courtes biographies sur différents auteurs, essentiellement des auteurs de l’Amérique latine, et ces biographies sont regroupées par deux, trois ou quatre sous divers titres : «Les héros mobiles ou la fragilité des miroirs», «Poètes maudits», «Lettrées et voyageuses», «Poètes nord-américains», «La fraternité aryenne», etc. Certaines de ces biographies suivent la chronologie de la vie de l’auteur, d’autres s’attardent à une période plus particulière ou plus spécifiquement à donner les grands traits de l’œuvre. Ce qui détonne ici c’est à la fois la nature des œuvres répertoriées (romans, nouvelles, essais, bien sûr, mais aussi articles de magazine de prison, jeux de rôle, écrits de science-fiction, cartographie imaginaire de camps nazis, littérature sur le football et fumée d’avion écrivant des poèmes en latin dans les airs) et leur importance toute relative ; souvent des œuvres obscures ou très mineures, disparues des anthologies, ces œuvres sont parfois si complexe dans leur élaboration qu’elles sont fermées au commun des lecteurs, presque illisibles… Ces biographies sont également suivies d’un «épilogue pour monstre», soit une importante bibliographie tout aussi fictive ou on retrouve, outre les ouvrages, les maisons d’édition et les lieux importants, des notices de plusieurs personnages mentionnés. Ancrage référentiel : Un certain nombre de personnages réels (de «grandes» figures) côtoient ses imminents personnages fictifs : Eva Perón, Charles Olson, Charles Manson, etc. Il est fait référence à quelques événements historiques (mais, curieusement, jamais la deuxième guerre) en rapport plus ou moins direct avec le nazisme (la guerre civile en Espagne, la guerre des Malouines, etc.). Mon manque de familiarité avec l’histoire et la politique de l’Amérique latine m’a empêché de comprendre les allusions au nazisme dans ses formes espagnoles et qui sont souvent très subtilement décrites. Indices de fiction : Les indices de fiction sont minces parce que l’auteur mime le récit factuel. Les seuls que nous possédons sont l’indication en quatrième de couverture, ainsi que les dates de naissance et de mort qui sont attribuées aux auteurs (plusieurs d’entre eux meurent après 2005…). Les éléments «comiques» de la notice contribuent à faire pencher la lecture du côté du ludique (voir «thématisation de la biographie»). Notons la présence d’une scène (p.99-101) Rapports vie-œuvre : Très marqués, on s’en doute, puisque ces écrivains ont en commun leur appartenance aux thèses nazies, ce que reflètent parfois leurs œuvres (mais pas systématiquement). Thématisation de l’écriture et de la lecture : Telle que mentionnée plus haut, la lecture est souvent thématisée pour affirmer que les œuvres des auteurs en question sont souvent destinées à un lecteur averti. L’écriture est évidemment thématisée à la façon d’une encyclopédie. Thématisation de la biographie : - Pas thématisée explicitement, mais il m’apparaît que l’importante démarche inférentielle que préconise l’auteur pour cerner ses personnages fait partie, implicitement, d’une thématisation de l’entreprise biographique. Il s’agit, en fait, d’une sorte de parodie un peu grinçante non pas de l’entreprise même mais d’une certaine réalité sud-américaine. La dénonciation ou la subversion qui s’opère ici procède d’une importante équation entre le fond et la forme. - On retrouve dans la partie «Quelques personnages» des notices qui méritent attention parce que s’y trouvent, au milieu des références sérieuses, de petites pointes d’humour pas toujours subtiles et, qu’à leur façon, elles thématisent la biographie pour s’en moquer. Notons que ce ton goguenard ne s’applique qu’à cette courte section de l’œuvre dont le ton est totalement différent que celui du recueil lui-même. Pour le plaisir de la chose, en voici quelques-unes : «Ses amants (platoniques) se comptèrent par centaines. Problèmes urinaires et anorgasmiques. Bonne jardinière, sur le tard.» (p.243) / «Commença par le stalinisme et finit par le salinisme.» (p.243) / «Affirma que Macedonio Fernandez ne valait pas un pipi de chat.» (p.244) / «Acteur de cinéma pornographique, remarquablement doté par la nature, son pénis mesurait 28 cm.» (p.244-245) / «Ce qu’il y a de plus ressemblant à un rat, selon certains de ses contemporains. Croisement de rat et de dindon, selon d’autres. Un pauvre type, selon ses proches.» (p.245) / «Il fréquentait les bas-fonds et les personnes de mauvaise vie comme une forme de suicide. D’autres fument trois paquets de cigarettes par jour.» (p.245-246) / «Son membre viril, en érection, mesurait exactement 30 cm, deux de plus que l’acteur pornographique Dan Carmine.» (p.246) / «Il mourut dans la misère, chantant des tangos à tue-tête, pleurant et se chiant dans les pantalons dans une rue perdue de Villa Devoto.» (p.246) / «Il se suicida après avoir été violé par trois soldats ouzbeks ivres.» (p.247) / «Réalisateur et producteur de cinéma pornographique. Œuvres : Chauds lapins, Mets-le-moi dans le cul, […].» (p.249), etc. Topoï : les relations qu'entretiennent l'art et le mal ; l’Amérique latine ; le milieu carcéral ; l’originalité ; l’horreur ; «À travers leurs productions, Bolaño trace des portraits psychologiques qui font ressortir créativité, médiocrité, barbarie, haine, mais surtout contradictions. Il n'explicite pas leurs dérives, évoque surtout leurs relations à la solitude, à la mort, à la folie, au désir, à l'amour, à la reconnaissance.» (www.lmda.net) Hybridation : On pourrait qualifier cet ouvrage d’essai encyclopédique imaginaire ou de faux manuel de littérature ; donc, entre récit fictionnel et récit factuel. Différenciation : Se différencie de l’entreprise biographique traditionnelle en reprenant ses procédés pour créer une œuvre de fiction. Transposition : Étant donnée le caractère fictif de cette biographie, le procédé de transposition à l’œuvre ici est sans nul doute de nature générique (transposition des formes de la biographie documentaire). Donc, la démarche inférentielle de l’auteur, sa fausse érudition, l’appareil bibliographique qui encadre le texte servent ici de subversion du code biographique. Autres remarques : Selon les commentaires de Bolano lui-même : «Bolaño remonte le fil de sa pelote : "Ce livre est lui-même inspiré par L'histoire universelle de l'infamie de Borges. Lequel est inspiré par les Portraits réels et imaginaires d'Alfonso Reyes. Lequel est inspiré par les Vies imaginaires de Marcel Schwob."» (www.bibliomonde.net) LA LECTURE Pacte de lecture : Les indices de fiction étant assez subtils le pacte de lecture offre une certaine ambiguïté ; par exemple, si le lecteur n’a pas accès à la quatrième de couverture, il pourrait entamer sa lecture sous un mode factuel. Toutefois, comme d’autres indices de fiction finissent par se présenter dans le texte (les dates et les commentaires dans la rubrique «Quelques personnages»), la lecture doit s’opérer sous le mode fictionnelle pour être efficace. Attitude de lecture : Ficher un recueil comme celui-là demande une certaine habilité de lecture, comprendre les jeux de Bolano également. Le parcours qu’il nous offre est assez hétéroclite mais ne manque pas d’intérêt. Il serait intéressant de conjuguer cette biographie «fictive» avec les quelques autres du même genre (Sir Andrew Marbot de Wolfgang Hildesheimer). Ces œuvres ne semblent pas s’intégrer directement au corpus mais elles en offrent un autre point de vue. Lecteur/lectrice : Manon Auger