Table des matières

Le Quartanier

Informations générales

Lieu : Montréal

Année de fondation : septembre 2002

Fondateurs: Éric de la Rochellière et Christian Larouche

Direction actuelle : Éric de la Rochellière et Christian Larouche

Distribution : Dimédia (Québec), La librairie du Québec à Paris (France)

Mandat: Publier, diffuser et défendre la poésie contemporaine et la fiction (québécoises, mais aussi françaises, canadiennes, anglaises et américaines) dans leurs formes les plus exploratoires et singulières.

Première publication: Guillotine (Loge Cobalt, 2003)

Bons coups: Cité Selon (Daniel Canty et FEED, 2006); Morts de Low Bat (Patrick Poulin, 2006) ; Parents et amis sont invités à y assister (Hervé Bouchard, 2006) ; Quelque chose se détache du port (Alain Farah, 2004) Des fois que je tombe (Renée Gagnon, 2005).

Livre qu’ils rêveraient de publier: Une réédition intégrale de écRiturEs de Paul-Marie Lapointe (l’édition originale, partiellement reprise à L’Hexagone, est encore disponible — et alors?), ainsi que la traduction française du dernier Thomas Pynchon (Against the Day, 2006).

Nombre de publications par année: Entre huit et dix, en comptant la revue Le Quartanier

Nombre d’employés:Un (et quelques pigistes fidèles)

Ligne éditoriale

Au départ exclusivement orienté vers la poésie exploratoire, Le Quartanier publie maintenant des essais et des œuvres de fiction, dans quatre collections distinctes : « Série QR », « Phacochères », « Erres Essais » et « La table des matières ». Éditeur d'une revue éponyme de 2003-2007 (interrompue après sept numéros), Le Quartanier publie depuis 2008 OVNI Magazine, périodique consacré à la littérature, à l'art et au cinéma. (Source : Page Wikipedia… à défaut de trouver une ligne éditoriale clairement énoncée sur le site web de la maison d’édition) Dans une entrevue accordée à la revue P45, on apprend qu’on a: « déjà comparé Le Quartanier à la maison d’édition française P.O.L., en ce sens que les écrits bousculent le langage, le poussent dans des zones extrêmes, jusqu’à le casser, parfois.» (Julie Parent, «L’espace littéraire du Quartanier», P45, no. 18, 7 mai 2004.)

Bien que l’entrevue se soit déroulée au tout début de l’histoire du Quartanier, alors qu’ils ne publiaient que de la poésie «exigeante», Rochellière exprime ses intentions d’ajouter le roman à leur palette : « Mais du roman qui va travailler le langage, qui va avoir une exigence de forme, qui ne sera pas nécessairement le même type de roman qu’on trouve chez Lanctôt ou ailleurs […]»

Auteurs

J’ai compté 55 auteurs pour environ 80 ouvrages, toutes catégories confondues (c’est-à-dire y compris les ouvrages théoriques). Ceci exclut toutefois les auteurs ayant participé aux trois ouvrages collectifs publiés dans la collection «Table des matières». La moyenne d’âge des auteurs est de 37 ans et leur origine, bien que majoritairement québécoise et française, est variée. On y croise ainsi des Belges, des Canadiens anglais et des Américains. Le Quartanier propose également des rééditions d’œuvres parues initialement dans d’autres maisons d’édition, et des recueils de poésie en traduction.

Collections

Série QR : « Collection principale du Quartanier, la série QR regroupe des titres en fiction et en poésie» (source : site officiel de la maison d’édition)

Entre 2003 et 2011 : 20 « poésie »,1 « poème », 1 « prose et dramacule »,1 « poème-fiction », 1 « poème narratif », 1 « récit », 3 « carnet », 9 romans, 3 « fictions », 1« histoires et provocations », 1 « proses pour le théâtre et monologues », 1 « vie imaginaire », 1 « dessins », 1 « anthologie », 2 sans mention générique. Total en date du 26 septembre 2011 : 46

Collection OVNI : «Livres de poche (poésie, roman, essai) ; rééditions et éditions originales ; dix à douze titres par année.» (Source : site officiel de la maison d’édition)

Phacochères : «Collection de chapbooks qui regroupe des textes formellement hybrides, de genres divers, poésie ou prose narrative». Une douzaine de titres entre 2007 et 2009

Collection Polygraphe Romans et recueils de nouvelles, à raison de 3 à 4 titres par année. Polygraphe est dirigée par Éric de L. et Alain Farah.

Collection Erre Essais Dirigée par Jean-François Chassay et Bertrand Gervais, la collection regroupe des essais sur la littérature et l'imaginaire contemporains.

Tableau des publications

AnnéeTitreAuteurCollectionVaria
2011 Hongrie-Hollywood express Plamondon, Éric QR Roman
2011 Trépanés Brisebois, Patrick QR Roman
2011 Anthologie Liberté : l’écrivain dans la cité – 50 ans d’essais Lefebvre, Pierre, Keimed, Olivier et Richard, Robert QR
2011 Le livre noir de l’art conceptuel Gaulejac, Clément QR Dessins
2010 Les occidentales Roussel, Maggie QR Poèmes
2010 Mon nom est personne Leblanc, David QR Fictions, finaliste au prix littéraires des collégiens 2010
2010 Soleils suspendus Rioux, François QR Poèmes
2009 Autoportraits-robots Dimanche, Thierry QR Poèmes
2009 Ce qui s’embrasse est confus Schürch, Franz QR Poésie
2009 Carnets de désaccords Stephens, Nathalie QR Carnet
2008 La suite informe Bergeron, Mathieu QR Proses et dramacules
2008 Matamore nº29. Mœurs de province Farah, Alain QR Roman
2008 Téléthon de la grande surface K. Phaneuf, Marc-Antoine QR Poésie
2008 Chorégraphies (six espaces de danse-écriture) Lauzon, Mylène QR Poésie
2008 Lectodrome Laverdure, Bertrand QR Roman, finaliste au 10e Grand Prix littéraire Archambault – Prix du public
2008 La famille se crée en copulant Wren, Jacob QR Histoires et provocations
2008 Aïe ! Boum Amalvi, Gilles QR Poème-fiction
2007 Les perspectives changent à chaque pas Kerviler, Julien de QR Roman par contes sur le monde chinois
2007 Le génie des autres Wren, Jacob QR Proses pour le théâtre et monologues
2007 Tue Migone, Christof QR Entre le poème concret, l’anthologie trouée…
2007 Steve McQueen (mon amoureux) Gagnon, Renée QR
2007 Fashionably tales : une épopée des plus brillants exploits K. Phaneuf, Marc-Antoine QR Poèmes d’aventures
2007 Tubes apostilles Rochery, Samuel QR Poème-apostille
2007 Méduse Brea, Antoine QR Roman
2007 La descente du singe Leblanc, David QR Fictions
2007 Sept et demi Laverdure, Bertrand QR Poésie
2007 Morts de Low Bat Poulin, Patrick QR Fiction
2006 Comp Davies, Kevin QR Poésie
2006 Supporters tuilés : repas alternés d’épreuves Charron, Philippe QR Poésie
2006 Holeule Lauzon, Mylène QR -
2006 Parents et amis sont invités à y assister Bouchard, Hervé QR Roman, Grand Prix du Livre de Montréal 2006 et Prix du Roman 2006 au Salon du Livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean
2006 Mailloux. Histoires de novembre et de juin Bouchard, Hervé QR / OVNI Histoires
2006 Têtes à Claques Dauphin, Vincent QR Poésie
2005 Ju Bernier, Claude QR Poèmes
2005 Des fois que je tombe Gagnon, Renée QR / OVNI Poésie
2005 Pan-Europa Bothereau, Fabrice QR Poésie
2005 MEat Savage, Steve QR Poésie
2005 In memoriam Joseph Grand Robert, Joseph QR Poésie
2005 Scènes de la vie occidentale Bablon, Ludovic QR Roman
2005 Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige Lefranc, Alban QR Roman
2004 La première phrase et le dernier mot Migone, Christof QR Poésie
2004 Quelque chose se détache du port Farah, Alain QR Poésie, finaliste au prix Émile-Nelligan en 2004
2004 Furie Zéro. Bâtons Duchesne, Hugo QR Poésie
2003 L’Anna Clémens, Éric QR Roman
2003 2×2 Savage, Steve QR Poésie
2003 Guillotine Cobalt, Loge QR Poésie
2011 Atavismes Bock, Raymond Polygraphe Roman
2010 La ballade de Nicolas Jones Roy, Patrick Polygraphe Roman
2010 L’homme blanc Leblanc, Perrine Polygraphe Roman, Grand Prix du Livre de Montréal 2010, Gagnant du combat des livres 2011, Finaliste au prix du gouverneur général 2011
2010 La Pologne et autres récits de l’est Tholomé, Vincent OVNI Roman
2010 Turpidude – le grand complot de la collectivité Loszach, Fabien OVNI Roman
2010 Papillon Brea, Antoine OVNI Novella
2010 Fauv Brea, Antoine OVNI Novella
2010 Méduses Brea, Antoine OVNI Récit
2009 Pft! Pozner, Daniel OVNI Poésie, histoires
2009 Odes du Studio Maida Vale Rochery, Samuel OVNI Poésie
2007 Vie et opinions Gottfried, Gröll Phacochères Poésie
2007 Start-up : manuel d’anti-poésie primaire Braqué, Joël Phacochères Poésie
2007 L’égalité des signes Weinzaepflen, Gilles Phacochères Poésie
2007 Technique de pointe (tirez à vue) Bart, Ariane et Antoine Boute Phacochères Poésie
2007 Plasma / parallèle «X» Barrett, Warren, traduit de l’anglais pas Martin Richet Phacochères Poésie
2007 Le spectre des armatures Ménard, Pierre Phacochères Poésie
2007 À la bétonnière Calleja, Arno Phacochères Récit
2006 DHead XKI Zone Phacochères Poésie
2006 Sièges Sorka, Christian Phacochères Poésie
2005 Une fable humaine Amalvi, Gilles Phacochères Poésie / récit
2005 White trah Napoleon Meny, F.P. Phacochères Poésie, slam
2005 Sombre les détails Fayard, Guillaume Phacochères Poésie
2010 Les fictions hypermédiatiques : mondes fictionnels et espaces ludiques – des arts de la mémoire au cyberespace Bourassa, Renée Erre Essais Essais
2009 Le texte et la technique : la lecture à l’ère des médias numériques Archibald, Samuel Erre Essais Essai
2009 Réinventer le film noir : le cinéma des frères Cohen et de Quentin Tarantino Faradji, Helen Erre essais Essai
2007 Logiques de l’imaginaire, tome I. Figures, lectures Gervais, Bertrand Erre Essais Essai
2008 Logiques de l’imaginaire, tome II. La ligne brisée : labyrinthe, oubli et violence Gervais, Bertrand Erre Essai Essai
2009 Logiques de l’imaginaire, tome III. L’imaginaire de la fin : temps, mots et signes Gervais, Bertrand Erre Essais Essai
2008 Dérives de la fin : sciences, corps et villes Chassay, Jean-François Erre Essais Essai
2007 Ruptures : genres de la nouvelle et du fantastique Carpentier, André Erre Essais Essai
2009 Le livre de chevet Collectif Table des matières Grand Prix Grafika 2011 dans la catégorie livre
2007 La table des matières Collectif Table des matières Grand Prix Grafika 2008 dans la catégorie Livre
2006 Cité selon Collectif Table des matières Grand Prix Grafica 2007 dans la catégorie Livre

Résumés par collection

Série QR

« Collection principale du Quartanier, la série QR regroupe des titres en fiction et en poésie» (source : site officiel de la maison d’édition)

Entre 2003 et 2011 : 20 «poésie»,1 «poème», 1 «prose et dramacule»,1 «poème-fiction», 1 «poème narratif», 1 «récit», 3 «carnet», 9 romans, 3 «fictions», 1«histoires et provocations», 1 «proses pour le théâtre et monologues, 1 «vie imaginaire», 1 «dessins», 1 «anthologie», 2 sans mention générique. Total en date du 26 septembre 2011 : 46

2011

PLAMONDON, ERIC, Hongrie-Hollywood express, Montréal, Le Quartanier (Collection QR), 2011, 174 p.

Quand Gabriel Rivages raconte la vie de Johnny Weissmuller (1904–1984), c’est tout le patchwork américain qui s’anime, des exploits sportifs à l’underground littéraire, de la gloire cinématographique aux déclins obscurs. Burroughs vend des taille-crayons, Einstein croise un chasseur d’écureuils, on joue au golf à Cuba, JFK est devenu un aéroport, le record du monde du 100 mètres nage libre est brisé, Tarzan sauve Jane, un comptable véreux s’enfuit avec la caisse, la Seconde Guerre mondiale fait des vagues sur le lac Michigan et un mythe vivant finit placier dans un restaurant de Las Vegas.

Hongrie-Hollywood Express est le premier roman de la trilogie 1984. Les deuxième et troisième volumes, Mayonnaise et Pomme S, mettront en scène l’écrivain Richard Brautigan et Steve Jobs, l’homme d’Apple.

RÉCEPTION

« La trajectoire de l'étoile Johnny Weissmuller est à elle seule une démonstration de l'impitoyable loi de l'attraction universelle : tout ce qui monte doit évidemment redescendre. Et certaines déchéances, bien lentes, délicieusement pathétiques, gardent le même éclat que celui des réussites qui les avaient devancées. […] Sorte d'autobiographie accélérée, Hongrie-Hollywood Express profite aussi d'un narrateur alter ego de l'auteur, Éric Plamondon, qui a vécu, a bu, a lu (« surtout Brautigan ») et dont l'existence retentit de questions « encore brûlantes, non tranchées, non résolues ». À 40 ans, Gabriel Rivages, qui a fait 36 métiers, interroge son avenir et se souvient de son enfance lointaine et des films de Tarzan. Il en profite bien entendu pour exhumer le destin tortueux de Johnny Weissmuller : la comparaison peut parfois consoler. […] Un roman rapide, légèrement oblique et déjanté, qui porte haut la nostalgie des rêves d'enfant et le parfum des après-midis pluvieux à regarder Ciné-Quizz à la télévision. » — Christian Desmeules, Le Devoir, 28 mai 2011 [Lire l'article]

« Pour composite qu'il soit, l'objet dépasse l'élémentaire pied de nez aux conventions narratives en inventoriant les absurdités du vedettariat, qui seraient peut-être aussi celles de l'existence. Un roman pour la génération Wikipédia. » — Dominic Tardif, Voir, 19 mai 2011 [Lire la recension]

« Eh bien, malgré le fait que je commençais ce livre pour des mauvaises raisons, je dois dire qu'il m'a complètement happée pour les bonnes. Ce portrait par petites touches de Johnny Weissmuller est brillamment écrit. Ces morceaux épars qui se retrouvent réunis sans logique apparente sont savoureux. […]

BRISEBOIS, Patrick, Trépanés, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2011, 194 p.

Nouvelle version – édition définitive

Le Quartanier est fier d’annoncer la republication de la trilogie du romancier Patrick Brisebois, parue aux éditions de L’Effet pourpre au tournant du vingt et unième siècle : Que jeunesse trépasse (1999); Trépanés (2000) et Chant pour enfants morts (2003). Le style foisonnant de Patrick Brisebois porte un imaginaire vénéneux, qui entraîne le lecteur dans un monde où l’autodérision, l’amitié, l’érosion rapide des illusions de jeunesse, les visions de mort et les amours accidentés sont inséparables d’un sens du comique et du tragique dont on ne trouve pas la pareille chez ses contemporains.

Le Quartanier republie ces trois titres dans la Série QR, en trois temps, en commençant par Trépanés, qui passe dans un même creuset le fantastique, le tragique, le burlesque et le gothique, dont Brisebois tire un univers émouvant et hanté, en ne perdant jamais, c’est la marque d’un écrivain, cette faculté de faire éprouver le monde et l’époque, et une génération, ici celle qui a vécu sa vingtaine dans les années 1990, dans toute sa beauté trouble, d’une noirceur malgré tout vibrante de vie.

LEFEBVRE, Pierre, Olivier KEMEID et Robert RICHARD (dir.) Anthologie Liberté : l'écrivain dans la cité – 50 ans d'essais, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2011, 474 p. (Sans descriptif)

de GAULEJAC, Clément, Le livre noir de l’art conceptuel, dessins, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2011, 96 p. (Sans descriptif)

2010

ROUSSEL, Maggie, Les occidentales, « Poème », Avec une postface de Mathieu ARSENAULT « Nous manquons de démotivation », Montréal, Le Quartanier (Série QR) poème, 2010, 82 p.

Croyances partielles, feux de paille, mini orages électriques. On ne me confie plus de secrets. Ce qui rime est beau, ce qui ne rime pas est laid. Je creuse ma ressemblance avec mes parents. L’aube est une terreur prévisible. La régression souterraine gagne du terrain. Pseudo-recueil de vérités, échec total en vérité. Ça passe, repasse en rêve, relifté : amours, amourettes. J’aimerais savoir parler. Boulevard des chagrins : c’est encore trop joli. Requins, poulets, moineaux : ils sont libres. Exigences minimales les plus simples non respectées. Nous n’irons plus au bois.

LEBLANC, David, Mon nom est personne, «Fictions», Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2010. — (Finaliste au Prix littéraire des collégiens 2010), 348 p.

Livre foisonnant et labyrinthique, plein d’échos et de passages dérobés, Mon nom est Personne rassemble quatre-vingt-dix-neuf fictions brèves — certaines de plusieurs pages, d’autres de quelques lignes —, d’une prose inventive comme il y en a peu, maîtrisée et malicieuse. Ce deuxième livre de David Leblanc, après La descente du singe paru en 2007 au Quartanier, donne à lire un écrivain dont l’humour diabolique et le goût pour l’absurde laissent affleurer mélancolie et connaissance des gouffres, entre Charlie Chaplin et Les Mille et Une Nuits revus par Beckett et Woody Allen.

Par les moyens de l’imagination littéraire, de l’ironie et d’une distance salutaire à l’époque, ce livre est à la fois une critique de la vie quotidienne, une exploration de la littérature et de la culture populaire, et une mise à l’épreuve des puissances de l’écriture. En cela, David Leblanc confirme son affinité avec certains maîtres de la forme courte, aux ressources narratives et poétiques infiniment diversifiées — Daniil Harms, Donald Barthelme, Richard Brautigan… Ici, nulle séduction dramatique n’est à attendre des narrateurs, tous diables de lettres, êtres sans nom, improbables descendants de Gorgias, d’Ulysse et de Diogène le cynique, adversaires du consensus voués au langage et à l’imaginaire.

RIOUX, François, Soleils suspendus, «Poèmes», Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2010, 104 p.

Dans ces sept séries de poèmes, qui battent la campagne au milieu de la ville ou du lit défait, François Rioux, laissant cours à cet « esprit des verres chargé de lie » qui hante les bons vers et réchauffe le sang, propose des miniatures narratives fabuleusement prosaïques, dans un style qui passe par où bon lui semble. Scènes d’intérieur aspirées dehors; moments amoureux accélérés; natures mortes pas mortes ou ranimées; histoires où la mémoire décapsulée, les marées et les bêtes, la lumière et les choses disparues viennent en cavale éclair ajouter aux scènes esquissées, avec les chimères et les filles, et toutes les sortes d’amour.

Soleils suspendus se voue ainsi au monde immédiat de l’expérience et de la mémoire vive, à l’imaginaire, et à cette petite langue des puissances triviales et sensuelles – au langage non pas des oiseaux, mais de la poésie, battement des « rares et pauvres lettres ».

Comme chez Savitzkaya, Desbiens, O’Hara ou Godin, ces poèmes disent entre autres que la seule foire d’empoigne qui vaille, ce n’est pas celle opposant anciens et modernes, mais celle qui surgit entre amis ou amants, lecteur et auteur, passé et présent, vie et langage, et qui par l’art de dire vire à la fête secrète, au conciliabule avec le temps et nos doubles.

Avec ce premier livre au ton déjà distinctif, François Rioux contribue à ce grand art simple d’une poésie narrative et lyrique résolument nord-américaine. Poèmes élusifs et flottants, qui chantent bas et déchantent, cantent et ravissent, comme des soleils vissés à la main, parce qu'il faut bien voir ce qu'on éprouve.

2009

DIMANCHE, Thierry, Autoportraits-Robots, Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2009, 80 p.

Autoportraits-robots constitue une nouvelle étape dans un parcours poétique travaillé par les mutations et les permutations. Envisageant l’identité comme une contradiction dynamique entre l’image et son impossibilité, ce livre trace le portrait d’une sorte de négociant en dépossession, qui ne reste pas spectateur de sa propre vie ni victime de son impropre nom, redécouvrant de fait une histoire personnelle et impersonnelle, intime et commune. L’ambiguïté du travail poétique engage ici une liberté identitaire, où le sujet se tourne vers lui-même en tant que double absenté dans le monde. L’enquête menée au travers de cette ambiguïté, en elle, serait une constante de chacun de ces portraits.

Supposons que prendre une douche efface chaque matin le visage, qu’il faut ensuite retracer de mémoire ou en recourant aux traces diverses échappées dans la culture. Par où commencer? Sur quel faciès de référence s’appuyer pour recomposer l’apparence familière? Et si quelqu’un, quelque chose avait légèrement trafiqué cette moustache ou cette bouche avant qu’on ne les essaie sur soi? Dans un premier temps, d’ailleurs, on aurait choisi ses yeux à l’aveugle. On voit la marge que l’opération laisse à l’erreur.

SCHÜRCH, FRANZ, Ce qui s’embrasse est confus, Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2009, 104 p.

Ce qui s’embrasse est confus est le dernier livre d’une série de quatre, publiés chez quatre éditeurs différents. Leur forme, que l’auteur nomme essaim, se construit autour d’un vers thématique, comprenant lui-même quatre thèmes, qui sont développés tout au long du livre – essaim parce que les thèmes sont appelés à sortir d’eux-mêmes, construisant leur unité dans l’expansion progressive. Ce qui s’embrasse est confus cherche à établir dans la différence les conditions nécessaires à l’expression d’un maximum de sens dans des poèmes minimaux, resserrés mais ouverts par l’écart. La question à laquelle il s’attaque est aussi, de manière corollaire, celle de l’insignifiance – du sens comme travail d’apparition à relancer, qui se réalise dans une distance inquiète dont la détresse est la force. Trouver du sens à quelque chose, c’est le trouver important, être capable de s’y attacher. Or, qui tient trop à soi ne peut plus attacher d’importance à rien d’autre, tout ce à quoi il tiendrait risquant de le mettre en péril. Ce problème est le point de départ – et le cœur – de la série des essaims. La dernière partie, publiée ici, souhaite constituer l’aiguillon d’un renversement.

STEPHENS, Nathalie, Carnets de désaccords, Montréal, Le Quartanier (Série QR) carnet, 2009, 120 p.

« Je suis née d’un rapt. Indigne et indignée. Il va sans dire que l’escalier en colimaçon menant à l’étage prenait déjà feu au moment où l’une de nous se penchait par-dessus le balcon. Dubravka Ugreši? affirme que le retour de l’exilée dans son pays d’origine revient à une mort; mais que la demeure — l’implantation — est de l’ordre de la stagnation. Tout espoir tient dans le mouvement de départ, la traversée de seuils. Personne n’atterrit sur le trottoir en bas de l’immeuble. Les gens rentrent, sortent, montent, descendent. Voici la chronologie infecte des événements : un billet recueilli à la réception, une chute dans les escaliers, une fausse couche salement évitée, trois départs successifs, dix-huit mois de séparation, un amant quitté, un viol ou plusieurs, trois villes, deux vols, un incendie, deux recommencements, une fille, un deuil excessif, un dédoublement. Il y a là de quoi faire une dénonciation magistrale. À présent, le livre est complice du même mensonge qu’il tente de ne pas recouvrir. Seulement voici, le corps implanté là-dedans a perdu sa voix. »

2008

BERGERON, Mathieu, La suite informe, Montréal, Le Quartanier (Série QR) proses et dramacules, 2008, 120 p.

Premier livre d’un écrivain déjà hors norme, qui s’attaque à la fiction et à la poésie, au langage, avec les outils communs à l’inventeur, au dramaturge et au saboteur. Narration, dialogues et notes d’observation se croisent dans ces pièces de résistance écrites dans une langue calibrée comme un engin en apesanteur, explorant un monde aux lois paradoxales. Ici règnent, comme excitées par le vertige d’un mouvement perpétuel, l’intelligence et l’imagination, qui se relancent mutuellement. Proses à facettes rapides, courts-métrages pour la page, dramaticules tournant comme des engrenages, divertissements que sapent des Deus ex Machinas sardoniques, illusions mécanistes et machines imaginaires – à mi-chemin entre la routine comique et le théâtre absurde, Henri Michaux et Harry Houdini.

QUATRIÈME DE COUVERTURE

Le texte informe : possibilité d’un assemblage où se trouver, en effraction aux lois du sens.

L’informateur se dissimule sous une forme d’emprunt. On sait par exemple que la mort impliquée dans la mise en garde n’a rien à voir avec la fin de l’existence. Le vérificateur est encore dans sa boîte étiquetée : en cas d’ouverture, il agit, et les conséquences tapissent les murs. Rien n’indique que son assemblage, qui demeure à ce stade une pure hypothèse (une fiction, un poème), ne constituera pas la source véritable du problème.

L’information, comme d’ailleurs la suite dont on l’extrait, implique ces passes closes dont on fait les salles d’interrogation. L’invitation à entrer pourrait se formuler comme suit : si on vous parle, à vous de trouver la suite.

FARAH, Alain, Matamore no 29. Mœurs de province, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2008, 224 p.

L’agent Mariage est envoyé en mission sentimentale. Matamore suractif, il s’éprend d’une grande blonde polonaise et finit par assassiner Kennedy une seconde fois, à l’aide d’un canon étrange. Du Caire à Paris en passant par Dallas et Los Angeles, voici les aventures d’un écrivain à qui tout arrive, et dont l’alter ego, lancé sur la piste de sa propre vie, se bat sur tous les fronts, réactive le passé, accélère le présent.

En déplacement entre la province et la métropole, galvanisé par des injections de supervitamines, Mariage rencontre une championne de tennis, tombe de Charybde en Scylla, fait la leçon à son employeur (sur la volaille, sur le poisson — grands sujets), retrouve ses ancêtres phéniciens, se planque dans les cinémas, et disserte sur Joyce et Hamlet — tout ça en combattant l’ennemi intérieur.

Par le caractère autobiographique de ses obsessions, par son imaginaire et son inventivité formelle, Matamore no 29 n’est pas sans connivence avec les œuvres de David Lynch et d’Olivier Cadiot, de Thom Yorke ou de Woody Allen.

LA CRITIQUE

« Alain Farah montre que le roman peut, encore aujourd'hui, être remis en question, bousculé dans ses mécanismes, sans que l'affaire ait nécessairement des relents de nostalgie ni que le bonheur de lecture en fasse les frais. […] Le premier roman d'Alain Farah, qui nous avait donné en 2004 Quelque chose se détache du port, un recueil de poèmes, est une œuvre puissante et singulière. Dans un espace où présent et passé dansent joue contre joue, où la trame romanesque est souple à tel point que le protagoniste, Joseph Mariage, échappe à la vigilance de son narrateur, nous assistons à l'étonnante conjugaison d'une histoire d'amour, d'une leçon de tennis, d'une réflexion sur l'écriture et l'architecture de la fiction, et bien d'autres choses encore. Un livre qui, en outre grâce à une intelligente et méthodique percolation d'éléments autobiographiques, dépasse et de beaucoup l'aspect “gadget” — le terme est de l'auteur — si fréquent dans les entreprises d'expérimentation. Le coefficient de difficulté était élevé, la réussite n'en est que plus éclatante. ★★★★ » — Tristan Malavoy-Racine, Voir, jeudi 18 septembre 2008

« Matamore n° 29 réussit avec talent et fanfaronnade à être ainsi hilarant et rude, aigu et grave, léger et pesant, et toujours URGENT. Oui, ce livre est un livre urgent. À lire urgemment, avec attention. Alain Farah a 29 ans, c’est un matamore, et un sombre écrivain brillant. » — Julien D'Abrigeon, Libr-critique, novembre 2008

« Matamore n° 29 évoque parfois les mauvais traitements infligés au roman “moderne” par Gombrowicz (“Je crache dans la soupe, concasse le pain, rajoute du citron”, rappelle une scène fameuse de Ferdidurke), mais le gombrowiczshow est peu à peu éclipsé par les soleils de questions bien plus sombres (filiation et génération, mort et maladie). Leur fouille systématique construit une sorte d’archéologie, expérience des choses anciennes reconstituée par une littérature toujours trop dépassée par les événements pour pouvoir se constituer en science et assez sage et triste ici pour le reconnaître. Drôle au départ, Matamore… devient de plus en plus poignant — et cela ne tient pas qu'aux pages consacrées à Thomas Braichet, l’ami mort à trente ans, même si là cristallise à l’évidence ce qui a donné la dernière impulsion au livre. C’est que le “narrateur” a lui-même affaire avec ce qu’il nomme LE-SOMBRE, “Peu importe où je vais, je le transporte avec moi.” » — Nathalie Quintane, Sitaudis, octobre 2008

« Un roman à la narration détraquée, autobiographie électrique et collage délirant, hanté par la maladie, la mort, par une histoire personnelle et familiale tissée de migrations. Servi par une forte autodérision et un penchant léger pour la métempsycose. À coups de digressions, d’intuitions, de références assumées ou cryptées, Alain Farah assemble donc avec Matamore no 29, sous titré Mœurs de province, une complexe machine à explorer les possibles en 29 chapitres. Le jouet d’une sorte de savant fou aux ambitions démesurées: « Je racontais pourtant une histoire simple : il aimait une joueuse de tennis; ses parents étaient du Croissant fertile. Il y eut des complications. » Des complications historiques, digestives, poétiques. » — Christian Desmeules, Le Devoir, samedi 18 octobre 2008

« Alain Farah a le mérite de ne pas récrire un roman qui existe en mille versions, sous autant de signatures. Les formes narratives connues, pas nécessairement vaines, très peu pour lui. Il fonce dans la fiction en s’y inscrivant lui-même, et aussi la chronique du temps qui passe, sans se soucier qu’on le suive ou non. » — Réginald Martel, La Presse, dimanche 21 septembre 2008

« Malgré tous les détours utilisés pour en venir à ses fins, l’auteur ne s’essouffle jamais et son style évoque même celui de Tristan Tzara dans sa chanson dada. Il serait logique de croire qu’avec un style si éloigné de celui des romans québécois contemporains et une trame principale complètement déconstruite, Alain Farah perdrait l’intérêt du lecteur. Pourtant, il est difficile de refermer Matamore no 29 avant de l’avoir terminé. » — Marie-Dominique Asselin, Montréal Campus, 24 sept. 2008

PHANEUF, Marc-Antoine K., Téléthon de la grande surface, Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2008. 200 p.

Le vaste monde tel que découvert et inventorié avec désinvolture par le dandy Marc-Antoine K. Phaneuf, auteur du recueil de poèmes Fashionably Tales : une épopée des plus brillants exploits, paru au Quartanier en 2007.

Téléthons de la Grande Surface est une sorte d’encyclopédie nonchalante qui élude les définitions, et qui classifie, d’une manière capricieuse mais non dépourvue de logique, tout l’univers connu (par l’auteur, entendons-nous – et encore, on n’est pas chez Diderot).

On y trouvera – catégorisées, comme l’annonce le sous-titre – des listes : de belles femmes, célèbres ou pas, d’équipes sportives défuntes, d’artéfacts redneck, d’actrices pornos, de jokes usées à la corde, de recueils de poésie de Denis Vanier, de villes canadiennes avec un nom bizarre, de designers de mode et de sauces italiennes, et bien d’autres encore, aussi essentielles – de « noms comportant une initiale ou plusieurs » et de « gens qui habitent dans Hochelaga-Maisonneuve », etc.

Voilà un livre qui devrait, pendant quelques heures au moins, réconcilier les amateurs de Borges et ceux de Monty Python, les autistes et les archivistes, les banquiers et les encyclopédistes. Il s’adresse de fait à tous ceux qui croient que le monde peut «finir en un livre». Chez Phaneuf – peu enclin aux plaisirs subtils de la grande syntaxe –, le monde peut en tout cas finir en une liste de listes. Plaisirs vertigineux de la Grande Surface.

QUATRIÈME DE COUVERTURE — Liste partielle des sources citées dans ce livre : Les aventures de Tintin, un atlas, Google, Wikipedia, les Exercices de style et Zazie dans le métro de Raymond Queneau, Morts de Low Bat de Patrick Poulin, les personnages de Boris Vian, Les miscellanées de Mr. Schott de Ben Schott, Jappements à la lune de Claude Grauveau, Rock et Belles Oreilles, « Hitler Robert » de Mononc’ Serge, « Deliver the Goods » de Pete Seeger, « We Didn’t Start the Fire » de Billy Joel, les chansons de The Cure et d’Indochine, Trainspotting, Requiem for a Dream, Dr. Strangelove, Grindhouse, Un Prince à New York, les films des années 80, le « Monty Python’s Flying Circus », les paroles et gestes de Didier Wampas, Robert Charlebois, mes listes d’épicerie, les classiques de l’histoire de l’art et mon premier livre. — MAKP

LAUZON, Mylène, Chorégraphies (six espaces de danse-écriture), Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2008, 224 p.

Travail poétique et réflexif à partir de la danse contemporaine, autour de six œuvres chorégraphiques.

Préface de Jean-Marc Adolphe, directeur de la revue Mouvement.

Chorégraphies explore, en les conjuguant, écrire et danser. Il va à la rencontre, dans l’écriture, des trois étapes principales que traverse toute œuvre chorégraphique: la recherche et la création; la performance devant spectateurs; et ce qui suit la performance et la prolonge, l’effet d’une chorégraphie dans la durée – ce que la mémoire réactive ou transforme. Chorégraphies s’interroge sur les relations entre la pensée, les états de corps, la dépense d’énergie, la représentation, tout en éprouvant la manière dont s’entrelacent, dans la création comme dans la réception, la mémoire, les affects et le sensible.

Six pièces sont l’objet et la matière même de cette écriture de la danse : One to One de Nabih Amaraoui et Matthieu Burner; (Not) a Love Song d’Alain Buffard; (H)AND(S) de Clara Cornil; Not I & Others de Karine Denault; Le Sacre du Printemps de Xavier Le Roy; et Hadid de Laurence Rondoni et Mohamed Shafik.

LAVERDURE, Bertrand, Lectodome, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2008, 324 p.

QUATRIÈME DE COUVERTURE — Je règne en illuminé sur les fantômes du monde des lettres. Je ne porte pas de nom de famille. Je n’ai pas de famille. Comme vous, je suis un lecteur anonyme. Je suis Ghislain le lecteur. J’ai des amis qui parlent (personnages malencontreux!), mais les livres et la Grande Bibliothèque sont mes seuls réconforts. Entre Bartleby, Le Grand Khan et Zazie, j’invente en lisant de tout – vie et réalité saisies en mode lectodôme. Ce qui veut dire dans les faits qu’on trouve ici Chicago et Montréal, quelques habitants des deux villes, un dépanneur Couche-Tard, un perroquet, et des dialogues de toute sorte : cinématographiques, épistolaires, théâtraux et socratiques. Voici en somme un roman sur la communauté burlesque des lecteurs.

Finaliste au 10e Grand Prix littéraire Archambault – Prix du Public [Lauréat non dévoilé encore]

LA CRITIQUE

« Roman sans complexe, hautement décloisonné – on zigzague entre le récit à tiroirs, la correspondance, le scénario de film… –, Lectodôme est réjouissant d’intelligence et de fantaisie. Bertrand Laverdure frappe un grand coup, faisant de nouveau la preuve que le poète a eu raison d'aller fureter du côté du roman. ★★★★ » — Tristan Malavoy-Racine, Voir, jeudi 27 novembre 2008

« Penseur de circonstance, digressif de haut vol, bavard littéraire intarissable, Laverdure démontre encore une fois sa maîtrise parfaite de la phrase. Ironique et bondissant, son nouveau roman est une leçon de style et un exercice impeccable de littérature du commentaire façon Vila-Matas, rempli d'intuitions excitantes et d'une liberté d'esprit et de ton qui se fait trop rare. « Vénérer la liberté comme nous le faisons révèle par la négative notre désarroi », nous rappelle-t-il d'ailleurs. Alors? « C'est une histoire de perroquet, c'est un livre de plus? » Bertrand Laverdure, c'est une évidence, a pour sa part depuis longtemps dépassé le stade du lecteur. Brillant, ludique, péremptoire à souhait, Lectodôme a tout pour installer Laverdure dans l'aile sécurisée des « grands malades » de littérature. » — Christian Desmeules, Le Devoir, samedi 18 octobre 2008

WREN, Jacob, La famille se crée en copulant «Histoires et provocations», Montréal, Le Quartanier (Collection (QR), 2008, 164 p.

La famille se crée en copulant pourrait être le roman fragmenté d’un esprit inquiet et paranoïaque. Or ces histoires où tout ne va pas (ou va vers le pire) nous font croire, contre toute attente, que tout n’est pas perdu. Ou alors, on dira que la colère et le rire noir sont plus forts que la résignation pour nous garder en vie, et que les gens devraient peut-être cesser de procréer (le monde n'est plus ce qu'il était) et monter aux barricades. C’est pourquoi il est possible, mais pas très sain, d’imaginer que la folie, la peur, la paranoïa, la CIA, les théories du complot, le capitalisme, le mauvais rock et les camionnettes blanches en maraude n’auront pas raison de nous – on peut l’imaginer, à condition de faire preuve, comme Wren, de pas mal d’autodérision et d’espoir.

AMALVI, Gilles, Aïe! Boum, «poème-fiction», Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2008, 136 p.

Un futur inquiétant, d’où toute trace de souffrance a été éliminée, et l’écran du présent, sur lequel défilent crimes, enquêteurs ventriloques et paranos. Un historien est assassiné, des laboratoires anonymes sont le théâtre d’expériences secrètes, des identités d’emprunt chantent la joie de la marchandise. Il en faut plus pour décourager le commissaire : l’enquête suit son cours. Il cherche à comprendre les dessous de l’affaire, alors que se trament de nouvelles machinations. Et très vite l’intrigue se dilue, et le scénario s’emballe. Le « rapport » du commissaire devient suspect. Chacun de ses éléments en est scruté et ré-agencé, dans l’espoir que sera découverte quelque logique clandestine. Lui-même bientôt en cavale, le commissaire prête l’oreille au bruissement des indices, aux battements de son cœur. Son image n’en disparaît pas moins, et la mémoire des témoins se décompose. Les pièces à conviction ne dévoilent plus qu’une chose : le générique de fin, même si rien n’est fini.

Enquête policière ? Récit d’anticipation ? Poème lyrique ? Tout cela à la fois : AïE ! Boum mélange les genres, les discours, les intrigues et les voix. Poème qui retentit de coups de feu, de rires préenregistrés, de sonneries de téléphone ; récit qui se construit de bribes de slogans, de mots d’ordre et de narration parasitée, AïE ! Boum éprouve les contours flottants d’un moi sans repères. À travers les mailles de l’imper du commissaire filtrent les voix multiples d’un sujet en proie à l’éclatement – où viennent résonner les murmures du monde contemporain. p.

KERVILER (DE), Julien, Les perspectives changent à chaque pas, Montréal, Le Quartanier (Série QR) Roman par contes sur le monde chinois, 2007, 360 p.

Comment vivre, quand on vit à l'autre bout du monde? Comment apprendre à survivre, quand on ne comprend rien? Qui est Onoff? Qu'est-ce que je fais en Chine?

Autant de questions fugitives auxquelles le narrateur, obsédé par les jardins, croit pouvoir répondre en transcrivant récits, souvenirs et observations. Au fil des événements parfois contradictoires, les histoires se multiplient, les personnages et les rêves se croisent, les intrigues se complètent jusqu'à former une collection de rencontres et d'éclipses, ouvrant chacune à l'interprétation d'un monde élusif, d'un paradis équivoque où s'enchevêtrent lieux, femmes et jardins — du Maître des filets à la Politique des simples. Et c'est toute la vie du narrateur qui s'infléchit, faisant apparaître de nouvelles perspectives qui le mènent sur les traces d'un pavillon dans le vide, depuis toujours érigé au milieu de lui-même.

WREN, Jacob, Le génie des autres, Montréal, Le Quartanier (Série QR) proses pour le théâtre et monologues, 2007, 112 p.

Traduit de l'anglais (Canada) par par Christophe Bernard et Éric de Larochellière

Le génie des autres, série de propositions théâtrales — à répéter, rejeter, jouer simultanément et/ou recombiner de toutes les façons possibles et imaginables — toutes vaguement reliées à la considérable ambivalence morale de l'auteur.

Le génie des autres s'attaque à l'éthique sous des angles étranges. Il éprouve les choses qu'on pense et qu'on fait, celles qui sont manifestement douteuses ou inadmissibles mais qu'on pense et fait quand même. Des choses qui rendent la vie intolérable et qui en même temps font qu'elle vaut la peine d'être vécue. Pathétiques, incisives, candides et acharnées, les proses du Génie des autres tirent parti de leurs contradictions inhérentes. Elles prennent le monde pour ce qu'il est : un lieu où reconnaître sa paranoïa, où l'angoisse politique, l'autodérision et la lucidité viennent en lots désordonnés d'expériences et d'idées.

MIGONE, Christof, Tue, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2007, 208 p.

Tue est fait, pour l'essentiel, de tu; de t-u.

Tue explore l'interlocution, le jeu des pronoms, des personnes et des noms.

Christof Migone a relevé, dans un corpus varié (d'Althusser à Tarkos), tous les mots où se trouvent t et u, devenus le matériau du livre. Voici donc une œuvre simple et simple d'esprit, à prendre au pied de la lettre, qui converse en monologuant; parler au tu revient à parler à tu tout en parlant à sa place; disparaissant, le je joue tous les rôles. Sorte de Machine-Brisset monomaniaque, le livre recentre son alphabet autour de cette unité significative minimale (qui lui donne sa note, son ut) : il poursuit de l'autrui caché, traduit du je en autre et tutoie les mots. Par prélèvements systématiques et coutures arbitraires, Tue produit des textes où la seule personne est le constant locuteur-lecteur interpellé, à la fois présent et occulté. Cela donne des textes immédiats, plastiques, sculpturaux — et néanmoins sensés, à leur façon têtue.

Christof Migone est, comme dans La première phrase et le dernier mot (2004), lecteur littéral, commis-classeur et transcripteur. Imposture poétique où le je de l'auteur-lecteur s'avance masqué, Tue pousse son idée fixe dans ses derniers retranchements. Résultat : une œuvre qui oscille entre le poème concret, l'anthologie trouée, l'objet conceptuel et l'essai fumiste

GAGNON, Renée, Steve McQueen (mon amoureux), Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2007, 112 p.

Steve McQueen (mon amoureux) dit et raconte comment un homme, une icône, un homme d'action et de cinéma, devient tous les hommes pour une femme. Comment par Steve McQueen une femme qui aime se multiplie. Comment les images, et à travers elles l'écriture qui défile, produisent le récit de cet amour en métamorphose, celui qui va vite et dure toujours. Dans un style au débit sans temps mort, l'écriture traque le mouvement des péripéties — vols, cavales, ruses, enquêtes ou guerres — qui est celui du désir, de la vitesse pure et du danger. Steve McQueen est un poème fait homme, un poème de femme qui réinvente tout McQueen dans une vie américaine accélérée par le verbe. Vie où un seul amour fait mille images et autant d'aventures.

K. PHANEUF, Marc-Antoine, Fashionably tales : une épopée des plus brillants exploits, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2007, 200 p.

Ces poèmes d'aventures de bas étage racontent le monde en pillant l'infini répertoire de la culture populaire, de la mode et de la porno. Vulgaires et comiques, épiques et glauques, ces “contes” dépeignent une époque débile en piteux état. Poésie vacharde à l'humour volontiers crétin, aux vers nourris de hits pop, de fibre optique et de presse à potins duchampienne, Fashionably Tales vole en rase-mottes au ras des paillettes, faisant de la vie le meilleur art brut qui soit. Album d'or qui transmue le toc en vrac fou, il est le livre vide-poche d'un auteur qui mixe champagne et poutine pour votre bon plaisir.

ROCHERY, Samuel, Tubes apostilles, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2007, 96 p.

PRÉSENTATION — Le livre est le montage des personnages qui vont par tours, relances et appels, dans les vers. Le poème-apostille est fait pour le lecteur qui veut apprendre quelque chose en notant, sachant qu'il n'apprendra rien sans ses propres notes, si le livre lu et la conversation et les paysages – la vie tout court – ne le comblent pas. Le poème-apostille annote des intrépides modernes. Les vers découvrent leur scène commune, la boîte sonnante. Ils s'y accordent, font des accords qu'ils passent dans les mêmes tubes, avec le même instrument publique. Les intrépides sont les prénoms de poèmes que tout noteur contient : éponge, écouteur, puis mythologue extérieur dans le relais courant des coopérateurs – les personnages. Le livre est aussi un montage des connaissances, passées au tamis du discours : comme le coach, le tamis révèle un tube dans la personne, des possibles 45 tours promotionnels. Dans tous les cas, il est une traduction pour « morale rythmique par provision ». Un petit art de la recherche live. Les urgences de la parole s'exposent souvent dans le posé; dans une lenteur à virages pour se rappeler comment aller, comment on va.

BREA, Antoine, Méduse, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2007, 152 p.

Méduses n'est pas un roman, je n'ai pas écrit de roman. Méduses est une descente. S'il faut définir, c'est ça que je dirais. C'est comme ça que j'ai conçu les choses. Une descente dans l'intérieur du cœur.

Un jour, je me suis levé d'entre mes draps, me suis tourné vers la grande glace pendue au mur, j'ai vu que du noir au fond. J'ai mis du temps à m'en remettre. Je me suis dit : « Il faut sentir les choses, les personnes qui existent, qu'on ne voit jamais mais qui sont là! » Et j'ai fait mes valises ; j'ai pris quelques rechanges et je suis descendu en bas, tout en bas, au fond de villes humides où la tête se défait, sous des climats irréparables, pour en ramener les écritures, quelques griffures sur le papier.

Là, je suis tombé sur ce tordu de Jimmy Namiasz, dont la barque a coulé, dont je ne dirai plus rien. Et j'ai vu ces bêtes aussi, dont il a bien fallu parler. Les méduses, je les ai observées dans le courant du voyage, ondoyantes et amoureuses, têtes sans figure, stagnant dans l'eau démente et prodiguant la mort sous les étreintes, bleues comme des noyées, mortes elles-mêmes enfin, délavées vivantes dans la lumière quand on les remontait. Ce sont des fantômes que je livre, des peaux de gélatine arrachées au profond du coeur.

LEBLANC, David, La descente du singe «fictions », Montréal, Le Quartanier (Série QR) fictions, 2007, 200 p.

PRÉSENTATION — La descente du singe est une bibliothèque portative – un recueil de fictions brèves, de poèmes interludes, de contes équivoques. David Leblanc ourdit des micromondes où personnages, actions et raisonnements progressent et digressent par la force d'une narration librement déréglée. Ces déportements débouchent sur des impasses métaphysiques pleines de dérision, des nœuds logiques, des résolutions ambiguës comme des koans zen, des issues dérobées par où s'insinuent ses mathématiques invisibles. Logicien de l'absurde, narrateur syllogique, l'auteur découvre un quotidien ouvert aux bifurcations drastiques, aux rêves littéraux, aux délices de la déraison minutieuse. La descente du singe démontre que la pensée est source de fiction quand elle glisse, explore, s'égare – pour reprendre pied à côté d'elle-même. Livre inclassable où se côtoient fabulations mutantes et poésie à contraintes, La descente du singe pourrait avoir pour voisins d'espèce les œuvres de quelques écrivains hors norme : Georges Perec, Donald Barthelme, Jorge Luis Borges ou Richard Brautigan, ou encore le Russe Daniil Harms – auteur de prédilection dont David Leblanc a traduit un recueil de contes et de proses diverses pour Le Quartanier.

À lire du même auteur au Quartanier : Mon nom est Personne

CRITIQUE

David Leblanc balaie un large spectre, dans des textes brefs et travaillés : le conte philosophique moderne, la fiction fantastique ou vraisemblable, la note de soi à soi, la lettre, le poème, l’essai, et bien d’autres choses encore dont la caractéristique principale et sans doute recherchée est de rester réfractaires à une taxinomie poétique quelconque. Sans nulle pesanteur pourtant, et sans expérimentations prétendument révélatrices de sens que le lecteur se sentirait coupable de ne pas saisir. Car le livre est surtout ludique; la lecture se déroule dans le plaisir et cette donnée certes impressionniste n’est pas à négliger, d’une part parce qu’elle paraît correspondre en miroir au plaisir de l’écriture, de l’autre parce que le plaisir est à peu près tout ce qui s’ensuit, tellement David Leblanc est vierge de toute velléité, généralement fondatrice d’un surplomb propre à un écrivain, de « communiquer » ou de « faire comprendre » ou encore de « s’exprimer ». […] — Marta Krol, Le matricule des anges, 2007

Dans La descente du singe, le loufoque et les dépaysements incongrus n’empêchent jamais la recherche exacte d’une phrase qui ne cesse de se dédoubler. […] Textes aphoristiques ou humoristiques, portraits ou narrations inopinées composent le paysage formel de ce recueil que n’aurait pas renié l’auteur des Petits poèmes en prose, à cause de sa diversité formelle justement. Bien sûr, l’esthétique phrastique de Leblanc doit certainement plus à celle de Daniil Harms, dont elle retient la précision, le laconisme et l’ironie pour s’affranchir des conditionnements logiques du langage. À cause de l’ironie, on pensera aussi à Donald Barthelme, dont la tentation épiphanique des « short-short stories » n’est pas étrangère à une conception poétique de la fiction. Chez Leblanc, le réel n’existe pas comme condition mimétique, parce que la poésie oblige à le penser autrement. Et « poème en prose » n’y est que le nom d’un espace générique où la liberté des transactions formelles permet à l’écrivain de se situer dans un espace où les formes diverses n’excluent finalement pas le mot poésie qu’elles redéfinissent constamment. […] — Luc Bonenfant, « Lire sous tous les angles », Canadian Literature, 2008

Si La descente du singe a l’air d’explorer différents sujets, lieux et situations qui s’interpellent d’un fragment à l’autre (l’intelligentsia, l’« âme russe », les rapports de l’auteur avec les femmes, la ville universitaire de Bordeaux…), la littérature en constitue le propos central, avec de fréquents appels aux grands écrivains dont on retrouvera plusieurs traces avouées. À travers tout cela, quelques égratignures amusantes : au professeur obsédé par les théories psychanalytiques, au postmodernisme derridien, au végétarien (« parangon de la non-pensée » et « degré zéro de l’évolution ») et au scientifique qui croit bêtement qu’une même cause a toujours le même effet et qui s’empêche d’apprécier « l’irrationnelle et merveilleuse gratuité du monde ». Pour répondre à tous ces gens, Leblanc use délibérément d’arguments fallacieux et de raisonnements pervers, excellant dans l’usage détourné de la citation et de la note de bas de page. […] — Éric Paquin, Voir, 2007

LAVERDURE, Bertrand, Sept et demi, Montréal, Le Quartanier (Série QR)poésie , 2007, 87 p.

Voici un livre de poèmes qui examine la vie moderne mélancolique. Instrument et méthode ? Déplacements inopinés, prose poétique-postale, métaphores accélérées, objets détournés de leur usage, impératifs moraux lancés comme des didascalies motrices – lancés au double de l'auteur comme au lecteur, tous deux acteurs à la même adresse, poste restante.

Sept et demi déclenche une heureuse mutinerie dans la langue et la logique, parmi les œuvres et les êtres aimés. La phrase y est cinétique, phonographique, buissonnière, bordéliquement rhétorique. Le livre présente toute une gamme de stars montantes, filantes, en déclin, sans scènes ni répliques, dont l'auteur joue comme d'un piano à cocktails dans les ombres du décor. Les métaphores et les noms-personnages (bonjour Nelly ! salut Scarlett ! bye Dennis !) produisent un imprévisible cinéma du verbe, créant pour l'esprit de nouveaux raccords : la pensée dans ses rythmes découvre tous les panoramas – comme quoi en restant ici on peut aller partout.

En ascèse suractive dans sa culture totale, le poète mi-figue mi-raisin note des ballades, remplit des cartes postales, rassemble son amour et concentre son époque : tout cela vous est adressé.

QUATRIÈME DE COUVERTURE — « Je ne suis pas un égosilleur ni un fellinien. J'accepte les cartes postales, je reçois. Je suis un film vivant. Rien ne se transforme, rien ne se défait, tout rencontre une résistance. C'est l'essence. La bille du spectre. La valse. Sissi n'est pas là sous les lustres. Jim Carey s'est retiré. Phil Spector ne répond plus et Pierre Lapointe nous traite en arbres. Je me retire, je m'assieds. Si vous êtes Mathieu Arsenault et que vous copiez encore des DVD, reposez-vous. Ma philosophie fabrique ses pochoirs, plante ses mousquetons dans les algorithmes moraux. Vous êtes un lecteur réticent. Une vacuité caractérielle. Si ce livre mouille votre paume, vous êtes candidat à la carte postale. Il s'agit de boire le lecteur avant qu'il n'ouvre la bouche. De malmener l'inconséquence avec des viscères de mouton, des raquettes coûteuses. Une certaine Florence Mennessier parcourt le monde ; d'autres Daniel, d'autres Mélanie farfouillent dans les villes. Je donne mes virgules aux jours de la semaine, prête ma bouche aux films à venir, marque mon poumon de bonheurs-Mouret. »

POULIN, Patrick, Morts de Low Bat «fiction», Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2007, 152 p.

Évoquant les toiles de Jérôme Bosch ou quelque version perverse et roussie de Walt Disney, mythologisant par la farce et le picaresque l'Amérique des banlieues, convoquant mythes et figures aztèques, le monde de Morts de Low Bat est peuplé d'un panthéon instable, d'une sorte de Marvel Comics psychédélique revu par Harpo Marx filant sous les radars de l'intrigue, très loin à l'écart de toute logique causale.

Fiction et poésie tout ensemble, livre des transformations, Morts de Low Bat doit autant à Rabelais qu'au ugly art, à Lautréamont qu'à Bugs Bunny, à Novarina qu'aux jeux vidéo, à la Tentation de Saint-Antoine qu'aux fanzines les plus naïvement cheaps et déjantés. La prose avance ici dans un parler ouvert, tourneboulé, élastique, pâteux ou baroque (c'est le style-essaim, le bagou-cluster polymorphe), tombant de lissés rapides en noeuds de sens, de séquences narratives en tirades au désert, et qui affole imaginaire, corps, pensée, matière. De ces embrouilles, le français ressort transfiguré par le bas et les flancs, armé, chargé, halluciné, prêt à ne pas taire tout ce dont il faut parler.

Patrick Poulin, à bonne distance du roman réaliste où règnent drame, intrigue et personnages, déploie un monde qui fait flèche de tout bois pour se constituer, dévoilé au fil d'épisodes fantasques par lesquels le livre devient un précipité bâtard où sont tissés ensemble tall tales et contes psychédéliques, orgies de dieux minables et oisifs, bestiaires du lundi matin, gravures anciennes animées au joystick, textes fondateurs, barbecues mystiques et « devoir de recettes en édito ». Tirés du côté de l'épique à plat, de l'humour noir et du sacré « toonesque », ces emprunts, ces images en acte font le beurre et l'or de Morts de Low Bat.

2006

DAVIES, Kevin, Comp, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2006, 120 p.

Comp. dresse un portrait acide de l'Amérique au tournant du XXIe siècle. Dans le prolongement critique de la poésie L=a=n=g=u=a=g=e, Kevin Davies tire son matériau lyrique des discours qui font la sphère publique nord-américaine. Livre-poème en cinq parties, Comp. désarçonne et relance la lecture par une composition libre, qui sélectionne, assemble, remixe. Ruptures de ton, glissements de sens, syntaxe et vers combinatoires emportent cette comédie de langage, où se profile l'homo economicus moderne en pleine surproduction agitée.

S'écrivant depuis des points de vue toujours mobiles, Comp. se construit en reprenant à son compte les thèmes, les préoccupations et les rhétoriques du pouvoir, du militarisme, de l'obsession de la gestion, des combats idéologiques, de l'automatisation, du corporatisme triomphant, du consumérisme comme mode de vie, de la médiation à tout prix et en tout.

Au-delà de la vigueur critique des textes, la composition rythmique et visuelle de chaque page, de chaque poème confère au livre une beauté indéfinissable, en porte-à-faux, où résonnent, flottant, les échos d'un feuilleton collectif que tous les langages traversent d'office : Comp. les éprouve et les ausculte à l'écoute de vérités pliées.

Délicieuses erreurs de communication, les phrases et les vers se font ici en se défaisant, et leur force est de réaliser le potentiel poétique du bruissement continu des discours qui nous entourent – qui constituent le véritable landscape américain d'aujourd'hui, qu'il est encore possible d'investir et de transformer.

CHARRON, Philippe, Supporters tuilés : repas alternés d'épreuves, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2006, 104 p.

Poésie comme mode d'emploi, comme recherche d'exactitude, comme élucidation narquoise des systèmes qui conditionnent l'expérience commune, Supporters tuilés est un compendium déplaçant, sabotant et recomposant en poèmes les mondes de la technique, des loisirs, des sports et de l'alimentation. Le livre, posément, sans flou artistique, fait un usage comique des logiques de production (d'objets, de sens, de capital, de désir) qui organisent loisirs et besoins modernes.

Philippe Charron jette ainsi son dévolu sur les courses de chevaux, l'automobile et ses accessoires, l'organisation (délicate) des réceptions, le goût du poulet, la charpente des maisons, la décoration intérieure, les matchs et les uniformes sportifs, et la danse sociale.

Anti-catalogue, Supporters tuilés travaille à rebours de tout produit fini, de toute situation achevée. En un sens, il procède par rétro-ingénierie, soulignant processus et pedigree, et par simulation en milieu contrôlé. Aussi traque-t-il des fonctionnements plus que des choses, des comportements plus que des émotions. Il décline ses épreuves et ses tests dans une variété de tons et de formes, qui vont de l'aphorisme dense à l'exposé limpide, du dialogue didactique à la liste – parfois dans un même poème.

Pour y arriver, l'auteur tire profit de circonstances quotidiennes et de qualités assez répandues. Il n'est pas inutile – dans l'esprit d'une sorte de making-of – d'en lister quelques-uns : — reconnaissance des principes; — rythme dans le sang (en forme de tapis roulant); — craie, ardoise et interrupteur on/off; — usinage et lubrification; — nonchalance (mollesse, souplesse, bonheur); — pétrin dans l'auditorium; — mariage heureux avec la cousine; — self-control et self-inductance; — assortiment de sandwichs et de boissons fraîches, pour tenir en prolongation; — et une aisance, mûrement acquise, à danser au milieu des schémas en s'adressant à la cantonade.

LAUZON, Mylène, Holeule, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2006, 96 p.

Holeulone explore la relation conflictuelle entre deux êtres se définissant l'un par l'autre, violemment tendus par une polarité qu'ils cherchent à dépasser. Duel à la sensualité crue, dans un espace de fiction minimal (maison, pièce, océan, plage, table), l'un dans l'autre ils s'affrontent, sur la scène cruelle d'une rencontre monstrueuse où tout l'autre se coule en soi, sans que l'on cesse pour autant d'être tout seul dans son trou, assailli, assaillant, bataillant vers l'issue – descendu soi-même dans le trou qu'est aussi l'autre.

Holeulone a pour point de départ la chorégraphie éponyme signée par la chorégraphe belge Karine Ponties (Compagnie Dame de Pic).

QUATRIÈME DE COUVERTURE — J'aurais aimé qu'il soit de ceux qui savent sortir du bruit. Mon intention est que dans le bruit il réussisse à se créer une allée. Que cette allée soit protégée de murs. Que dans ces murs il n'y ait aucun trou. Que le seul trou qui soit soit l'entrée dans l'allée. Qu'il puisse avancer dans le trou d'un bruit qui signifierait vraiment sortir, partir. Pour que je l'en empêche.

BOUCHARD, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister – drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, 2006, 248 p.

Deuxième roman de Hervé Bouchard, Parents et amis sont invités à y assister fait entendre, par le recours à la forme dramatique, un chant collectif : un clan livre ses tribulations dans des lamentos funambulesques et « bassement comiques ». Figure centrale de cette polyphonie, la veuve Manchée, femme sans bras dans sa robe en bois, s'adresse à ses soeurs, à ses fils les chiens à tête de veau, à « l'épisodique Laurent Sauvé » joué par un fils de dieu – et à elle-même.

Faite de monologues entrecroisés, cette oeuvre fonde un monde tout à la fois labyrinthe et scène de théâtre, où la parole a force de mythe et fait corps avec les choses et les êtres qu'elle produit ; où l'angoisse est un « orphéon » de fils chiffrés qui joue fort pour les « spectatrons » ; où les tirades sont autant de lieux, cave, coin, voiture et kiosque… Où chaque vivant, « en Hamlet qui magasine », a des morts et des pères qui lui remplissent la voix d'histoires.

Parents et amis sont invités à y assister a remporté

Le Grand Prix du Livre de Montréal 2006 et
Le Prix du Roman 2006 du Salon du livre du

Saguenay-Lac-St-Jean.

LA CRITIQUE

« Avec quelque chose de bâtard et de joyeusement transgressif, Hervé Bouchard renverse par la puissance de sa voix. » — Christian Desmeules, Le Devoir, samedi 8 avril 2006

« Hervé Bouchard nous convie à un impitoyable dîner de têtes qui n'attendent que le dessert pour tomber. Il y a de ces romans qui font le pont entre l'histoire et l'horreur, entre les tueries imaginaires et l'amour invincible des familles décomposées. Des romans où il faut mourir pour faire partie de la famille. Où les prêtres zozotent à cause d'une langue (de serpent ?) coupée en deux, comme autrefois Dieu avait puni Maldoror en le frappant en plein front d'un éclair. Et il n'y a pas que le comte de Lautréamont qui hante les pages de ces récits incantatoires d'Hervé Bouchard, illustre citoyen de Jonquière. On sent toutes sortes de spectres rôder sans cesse autour de nos têtes, l'un après l'autre, dans une danse magnifique de la langue, mariant avec une aisance désarmante la voix d'orphelins tapageurs vivant dans les sous-sols, celles de belles-soeurs aux manigances sordides, comptant les morts comme les coupons d'épicerie, et surtout, d'une mère manchote enfermée d'avance dans le cercueil de sa mort future. » — Maxime Catellier, Ici, du 15 juin au 21 juin 2006

BOUCHARD, Hervé, Mailloux «Histoires de novembre et de juin», Montréal, Le Quartanier, 2006, 192 p.

Mailloux décline en une suite de courts chapitres la chronique vaillante d'une vie de boue.

Porté par une drôlerie du désastre qui transmue l'existence en jeux de ballon et de vilains, en noyade épique et en listes de noyés, en « mouillade » picaresque, le récit de Jacques Mailloux enfant raconte un Jonquière où tout passe et coule avec les flots et les flots. Il y a Ouelle, Payne, Busse et l'Africain Pouque et ses koumba de Pouque pour montrer aux autres l'Afrique en feu dans une canisse; l'équipée de Noël en Citroën sacrante; le « suicidé en bois » qui conduit une « japonaise à bâton »; et les figurants qui roulent en Plymouth et en Dodge. Et il y a la grosse roche, où Jacques Mailloux découvre la honte, avec le Démon de Baudelaire qui s'agite à ses côtés.

L'histoire de Mailloux, « comédien de naissance, dehors tout le temps », est de celles qui mêlent joie et brutalité, honte et burlesque. Par-delà l'étrange maladie boueuse qui coule dans son « tuba long », Mailloux dit dans une langue riche ses contes de novembre calciné et de juin qui fume, avant de muer pour de bon dans le faramineux chant des « Quand j'aurai ». Surgissent alors en vies compactes tous les Jacques Mailloux que Jacques Mailloux sera quand le ciel aura déchargé « ses eaux de clous sur la petite ville de tous les mondes. »

Publié à l'origine à L'Effet pourpre, en 2002 (édition maintenant épuisée), ce roman de Hervé Bouchard reparaît au Quartanier en même temps que Parents et amis sont invités à y assister, son deuxième roman.

Extrait en couverture

« Mailloux t'allé se baigner dans l'eau verte à la piscine publique, sèche maintenant son corps enfant sur la grosse roche en face comme les autres phoques sous le couchant, une serviette sur le dos. Croit pas pouvoir se lever de la roche à cause d'une motte de merde plus dense que la roche qui tient son bout et force Mailloux à l'immobilité sinon elle sort. De toute façon elle sort, Mailloux l'a bien chaude dans le maillot. Rabaisser un peu la serviette et penser à une façon d'affronter les autres phoques au moment du lever. Baudelaire serait parti. Mailloux courant en larmes sur le chemin de la maison, serviette autour de la taille, courant pieds nus sur l'herbe puis sur l'asphalte, croisant un cousin Perron étonné, où est le drame ? Un heurque retentit sans cesse entre les oreilles de Mailloux s'éloignant en larmes de la grosse roche où l'enfant grand Gagnon voit sans croire ce que Mailloux laissa, la motte luisante sous le couchant. Mailloux courant en larmes voit demain l'heure venue d'aller au pavillon paroissial comme chaque jour mais demain pas comme chaque jour et l'enfant grand Gagnon à sa vue sûrement prononcer son mot d'heurque une fois de plus. Premier mot merde allez.

La merde sortie de Mailloux, comment diable est-elle sortie du maillot ? »

DAUPHIN, Vincent, Têtes à Claques «poème narratif», Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2006, 80 p.

Poème en vers et en prose, conte faussement tragique, Têtes à claques met aux prises les frères Jonche et Jobant Cordiers, cordiers de leur état, têtes de noeuds s'il en est.

Jobant naît comme les démons, par voie illégale au fond d'une arrière-boutique — du coupe-chou d'un barbier. Ce sera son problème dans ce monde puritain, sa tare absurde, son secret honteux, que finira bien par dévoiler Jonche, par pure malfaisance ou sottise incontrôlable : voilà à quoi tient cette chanson de lest.

S'attachant au destin des deux frères, Têtes à claques fait remuer, dans le récit de Fanton le marionnettiste, une galerie de fantoches secondaires, dont une sorte de parrain local fantomatique, une caille fantasque du nom de Cochère Sautelle, un anti-Cordiers fabricant de chaînes, qui tous escortent nos lascars vers leur perte réjouissante.

Diction rapide, syntaxe chantournée ou staccato, personnages-marionnettes aux motivations opaques et aux gesticulations vaines, ce conte à la langue goulue reprend l'usé canevas des frères antagonistes, lesquels valsent ici dans un monde insolite et familier à la fois, sorte de Nouvelle-Hollande de Pacotille où l'on parle un sabir haut que nourrissent les tournures de Villon mêlées d'expressions québécoises et une comique affectation cornélienne. Tout cela, coupé en vers courts cascadant, donne grotesquement sens aux ébats et débats des Cordiers — entre trahison, torture, filouterie, bondage, pendaison et jeux de poulies.

2005

BERNIER, Claude, Ju, Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2005, 112 p.

Ju télescope l'expérience quotidienne et la technicité contemporaine dans un idiome funambulique. Portrait du poète en noteur paranoïaque qui combat des formulaires, trouve ses métaphores dans les langues techniques et perd son «moi» dans des confessions trouées.

La rhétorique du réconfort clinique et commercial fournit à l'auteur les outils de sa fabrique de comprimés, de sa clinique d'«exercices à merveilles» où il pratique une «autoguérison par le bas».

Thématiques ou simplement obsédés, les poèmes de Ju prospectent divers «objets» : la santé et sa vraie couleur (elle est verte), l'économie et le commerce de détail, la vie de bureau, l'expression de soi et «l'amour dans son coeur». Livrant ces obsessions à des théories candides, Bernier s'emploie à une alchimie qui, côté effets secondaires et spéculation, n'est pas en reste devant la pharmacopée ou le cours de la bourse.

Reprenant lexiques spécialisés et langues de bois, soldant une époque de transactions et d'angoisses chiffrées, le poète crée de nouveaux produits, ceux-ci sans usage, dont il tire zéro profit, démontrant ainsi que «la poésie en santé n'a pas de prix». Ratiboisé à la mesure de ses dépenses, troublé comme il se doit devant la «caissière lourde», il paye ses dettes avec une poésie légère qu'il «livre sur une couche de grosse joie». La jubilation qui emporte ses déraisonnements découle d'un style retors, pataphysiquement administratif et naïf, où rien ne tient longtemps, mais d'où il ressort que l'émotion s'exprime aussi sous forme de jus acide et la sincérité sous forme de comprimés cachés sous la langue. On ne se soigne pas si aisément.

Inclassable, loin de l'ironie à laquelle seraient tenues l'intelligence et la sensibilité modernes, Ju ne fait pas mystère de ses émois: ils sont mis à plat et démontés comme autant de coeurs modélisés auxquels Bernier donnerait la parole – et la réplique! – tout en les vivisectant avec amour : c'est tout ensemble son ratio «choses/moi», son théâtre de soucis, sa cure de Juvence.

GAGNON, Renée, Des fois que je tombe, Montréal, Le Quartanier (Série QR), poésie, 2005, 88 p.

À noter : cette édition du livre est épuisée. Voir la RÉÉDITION EN POCHE dans la collection OVNI.

Séries de poèmes tendus et cassés, de blasons comme grattés, gravés sur l'os, Des fois que je tombe éprouve le processus de scarification d'un corps chancelant dont la parole progresse par secousses, dans une connivence inquiète entre mouvement et conscience.

Des fois que je tombe esquisse un monde élémentaire, fruste, qu'irradie un noyau de douleur en constant éveil. Les poèmes, héritiers du laconisme beckettien, sont les signes rétifs d'un corps puni, émotionnellement vidangé, sacrifié autant que scarifié, en sursis.

Proche de l'oeuvre de Danielle Collobert par sa diction hachée et minimale, Des fois que je tombe extirpe du corps cru une parole vive, offrant à la conscience volatile la possibilité de se refaire dans le corps symbolique du langage. Si les affects sont bruts et le sens inchoatif, les poèmes réussissent à tirer de cette passion décharnée un chant de piste sensible – chuchotis rapides, à fleur de nerfs, volés au ressenti informe.

BOTHEREAU, Fabrice, Pan-Europa, Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2005, 136 p.

Pan-Europa plonge dans le futur ancien de la poésie et en remonte groggy avec une langue trouée dont la mémoire est réactivée par de la fiction pensante – par la « science-fix » des wordswordswords. « Les questions auxquelles tente de répondre Pan-Europa sont celles-ci : comment construit-on une histoire ? quelle histoire nous est-il permis ? Pan-Europa est une tentative poétique de répondre à cette impulsion narrative, là où, il faut bien le dire, la fiction du monde a échappé à la poésie – le fait journalistique a triomphé de son ancienne rivale haïe, la littérature. » — F. B —

Pan-Europa : Histoire du Continent Arraché

Cataclysmal, Pan-Europa fouille et récrit l'histoire pacifiée du vivant et de ses figures, en examine le tissu même – depuis l'atome jusqu'au langage. De leur érosion forcée par l'exercice du Capital s'arrache ce livre, un isthme : Pan-Europa télescope mythes et langage, s'emploie à la mise au jour d'un présent violemment immémorial. Continent et bras de mer sont récrits, refaits de sens, et le présent est ici critique et création, friction et fiction. Dans ce mouvement, le livre tente de saisir et de formuler les conditions d'un mythe pour le contemporain qui soit à même de dire, de miner symboliquement les formes réjuvénées de sa violence, qui est aussi celle faite sur la pensée. Chaque poème invente ainsi sa forme irrégulière, se forge dans « l'âtre qui crache » et relance le continu heurté du livre. Pan-Europa triture une Histoire en transit, déjetée, restitutoire, parce qu'elle est impliquée dans l'arrivée de la suite: l'avenir de la fiction, qui fait l'Histoire aussi.

Avec ce livre poétiquement engagé contre toute méprise narrative (historique, culturelle, sociale), Bothereau cherche à faire du poème le moyen d'arracher un peu de réel au monde, par le jeu et la friction des «phrases contre les phrases». L'écriture y opère comme depuis un fond tellurique irrité; elle s'inquiète, inquiète la lecture et l'emporte vers le paradoxe supérieur: la «normalité» des dégradations humaines – devant lesquelles ne pas se pacifier. Sous la scène du monde en représentation, le poète guette et refuse de pactiser. Fixant «l'horizon des événements», fixant le temps hors de ses gonds qui arrive, il rejoue et déjoue, par l'écart critique du langage, ce qui est joué sur scène – les fantasmes du récit collectif. La discorde que crée le poète est le début d'un sens autre, elle est la base véritable d'une interprétation du monde – du carbone aux clones –, de celle qui est questions, recréation, histoires.

Texte de 4e de couverture

«Pan-Europa essaie de donner à lire de la poésie. à donner à lire et à penser de la poésie. persuadé que la poésie se pense au moment où elle s'écrit, et se donne à lire. cependant, pensée et moments s'étirent dans le temps. ainsi, la première idée du livre remonte à 1995, me semble-t-il. un certain temps pour écrire quelque chose. comme une histoire. commune histoire. une tentative de restitution d'une histoire. les questions auxquelles tente de répondre Pan-Europa sont celles-ci: comment construit-on une histoire? quelle histoire nous est-il permis? Pan-Europa est une tentative poétique de répondre à cette impulsion narrative, là où, il faut bien le dire, la fiction du monde a échappé à la poésie – le fait journalistique a triomphé de son ancienne rivale haïe, la littérature. tandis que rien, du même coup, ne peut échapper de la littérature – il suffit de lire. lisez donc une histoire dans Pan-Europa qui raconte comme une chronologie du poétique. et une chronique de certains faits. où tout est merveilleusement poétique, pendant que deux ou trois catastrophes; au sens propre: cata-strophe si étymologiquement – kata-strephein signifierait bouleversement, ce qui tourne en dessous. il arrive alors que, tandis que nous coulons des jours heureux consuméristes, des tourbillons infernaux tournent sans cesse sous nos pieds. et c'est de ceux-là dont on parle. dans le même temps, des tourbillons aériens – hertziens, électromagnétiques, ne cessent de propager la destruction parousiaque du langage. dont acte. je dis que la poésie a en charge cela, d'un double point de vue/mire: critique, et créatif. il faut être plus beau que la bête, et ne pas se complaire dans le fumier qu'elle ratisse sans cesse pour nous. mais ce qui est beau est rare autant que difficile, a dit Baruch. c'est pour cela que la fin du recueil cite la destruction du langage, son appauvrissement inéluctable – une autre victoire du totaotalitarisme – et, en quelque sorte, son ornement, son archaïsme, qui fait retour sur la scansion. fabrice bothereau. à Byssale. 07042005»

SAVAGE, Steve, MEat, Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2005, 120 p.

L'actualité, c'est ce qui arrive parfois aux événements. Mais si le poème est lui-même événement, qu'est-ce qui arrive au poème? mEat veut savoir. Pour chaque article de journal, lu par l'auteur jour après jour, un poème du jour: écrit en réponse, récrit en écho et, dans le livre, placé en regard de l'article qui est à son tour traité, formellement ramené à son fond de spectacle tragique: unité de temps, de lieu et d'action.

Deux livres en un, mEat traverse l'actualité de la presse écrite, lui reprend ses événements et en tire des poèmes, ensuite récrits, réduits – du français lié au français plié, dactylographie et plomberie incluses: Capote et Beckett désapprouvent.

mEat, États, state : poèmes coïncidents

Chaque jour qui passe déverse son lots d'événements prévisibles susceptibles de devenir des drames, des nouvelles: politiques, économiques, sociaux, humains. C'est la matière que l'actualité transmue et calibre pour la lecture du matin, le journal télévisé du soir. C'est l'actualité extérieure, c'est maintenant qui téléphone, qui sonne sans arrêt: les journaux en sont le cadran de choix et le récit mondain incontournable.

À côté, ou devant cette prose journalistique, chargée d'événementialité répétitive, que peut retenir, traduire et transmettre une poésie pensante et assidue? Cette question fournit le motif de départ de mEat.

Steve Savage a entrepris de répondre à des articles par des poèmes – un article par jour, un poème par jour: maintenant + maintenant. Cette première étape a été suivie par plusieurs autres, échelonnées sur un an, lors desquelles l'auteur a traité, analysé et déployé – puis resserré – toute la substance aussi bien des articles que des poèmes initiaux.

Il en résulte, en phase avec la poétique distome que S. Savage développe depuis 2 x 2, deux livres en un, ou plutôt un livre divisé, qui voit double et se parle en regard - un texte bilingue en français dans le texte. Le monde actuel y est écouté et parlé à la fois. S'en délivre alors ce qui, justement, échappe à l'actualité téléphonée des médias. L'auteur vise ici à atteindre le monde à travers la masse de discours qui, nous le donnant, le formate et le formalise aussi. Le poème doute de l'évidence des explications, procède à une enquête sur le terrain, mais celui d'une éthique du sens: multiple, changeant, ouvert à sa propre négativité.

Le tout se donne à lire consécutivement et par «strates». Un texte après l'autre; un dans l'autre. Un livre après l'autre; un dans l'autre. Comme dans le recueil précédent, Savage explore et expose dans mEat une poétique du processus et de la (re)formulation. La présence de l'anglais y dénote entre autres l'influence des sources documentaires consultées (mais non référencées). C'est aussi une question sensible: une autre façon de jouer de la distance et du rapprochement.

Le poème, chez Savage, est tenté par cette forme de mise en jeu du langage (ici, celui de la communication), et par la mise en forme des jeux de proximité, d'hybridité et de transformation qui l'incarnent.

ROBERT, Jocelyn, In memoriam Joseph Grand, Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2005, 120 p.

« Par une belle matinée du mois de mai, une élégante amazone parcourait, sur une superbe jument alezane, les allées fleuries du Bois de Boulogne. »

Poème combinatoire, art textuel, In Memoriam Joseph Grand est le livre d'une phrase qui mute.

La phrase de Grand

Le manuscrit trouvé: dans une valise, dans une baignoire, à Saragosse – sous un lit ou au milieu de nulle part –, a généré son lot de récits. Ces manuscrits perdus puis retrouvés semblent toujours le fait de narrateurs prolixes, de romanciers chevronnés. In Memoriam Joseph Grand est l'exception, une sorte de dérisoire anti-Quichotte. Première singularité, le manuscrit est trouvé directement dans un livre – dans La Peste de Camus – avant d'être réellement découvert à l'Hôpital d'Oran, en Algérie, par le professeur David Hannah, spécialiste de Camus de l'Université de Stanford. Ce manuscrit, de Joseph Grand, ne contient qu'une seule phrase. Joseph Grand n'écrira jamais la deuxième, ne la dépassera pas; il épuisera par contre sa langue et sans doute sa sanité à en trouver des variantes. Au final: que la première phrase, transformée de manière de plus en plus outrée, allant de la syntaxe classique au galimatias, passant du récit de «l'amazone» sur son «alezan» à la confession confuse d'un homme laminé, juché dans sa tour de babil. Mort à l'oeuvre, Joseph Grand, employé de l'Hôtel de Ville d'Oran, ne publia rien de son vivant.

Jocelyn Robert, enseignant à Stanford en arts médiatiques, s'est passionné pour le jeu de ce texte, et il livre ici une première édition partielle, contenant les variantes «intelligibles» laissées par Joseph Grand de cette phrase sans suite.

Des matins de Djakarta à la hache du plus fort

Que ce soit dans son travail en art audio ou dans ses installations combinant éléments techniques, technologiques et visuels, Jocelyn Robert s'intéresse entre autres aux processus de traduction et de recontextualisation. Ici, pour son premier livre, il poursuit cette recherche, prenant prétexte du personnage de Camus et de la phrase que celui-ci lui attribue dans son roman. In Memoriam Joseph Grand, de fait, s'il est fiction, l'est périphériquement; le langage lancé dans ses variations comptées semble avoir à coeur de ne laisser advenir aucune cohérence référentielle ou narrative, pour élusivement désigner autant de fictions possibles, ou une seule qui ne serait que permutations des vocables et fugues de sens.

Évoquant les poèmes-processus des auteurs L=A=N=G=U=A=G=E, l'art textuel improbable de Kenneth Goldsmith ou les poèmes combinatoires de Christian Bök, semblant proche par moment de quelque langue impossible à la Kurt Schwitters et ailleurs se désagglutinant et se désagrégeant en bribes balbutiantes, In Memoriam Joseph Grand invente l'aphasie dynamique, la stagnation spiralée, jouant d'une surdétermination formelle mi-figue mi-raisin - qui l'éloigne des oulipiens plus qu'il n'y paraît à première vue. Robert propose une oeuvre d'invagination où l'on va du sens à l'outre-sens en passant par le non-sens, dont la «méthode» de composition elle-même est rapidement visible, et comptable: la lecture a tôt fait d'en repérer le processus élémentaire, qui n'est pas sans lien avec la manière dont les amateurs de mots croisés cherchent le «mot juste», ou de scrabble le mot juteux.

Impassible fugue chiffrée, In Memoriam Joseph Grand est, si l'on veut, le roman d'une phrase sans futur ou l'aveu d'un auteur sans livre. Pas le silence ni la page blanche; pas la parole non plus. Plutôt le langage lui-même qui raconte via un incipit machiniquement recommencé l'échec d'une vie fictive appelée Joseph Grand. Ou la disparition progressive d'une amazone élégante.

BABLON, Ludovic, Scènes de la vie occidentale, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2005, 176 p.

Un roman meurt dans une voiture, le 10 juillet 2002, à 23 h pile, à Lille. Rencontre, accident, dénouement, et vice-versa.

Une tendance insistante à la négation, au déni et au refus marque l'univers de Scènes de la vie occidentale. Le roman raconte dans un style à la grandiloquence cassée le choc de la rencontre que chacun fait avec les désillusions de la modernité : tu ne comptes pas; tu hérites d'une histoire personnelle et collective meurtrière; pour toute injustice commise envers toi, tu en es réduit au relativisme moral. Tu as pour nom Arnaud Villeneuve, happé lors du crash par Radio vivant et Radio mort. Ou Estelle-Irène Huck, Anna Ash, Paul Appelbaum ou encore Alice Mathieu, desquels la biographie, des documents que diffusent les Radios, dresse des constats d'absence et d'insatisfaction aiguë et hargneuse.

Folie, misère amoureuse, haine, anonymat des vies, claustration, déréalisation médiatique, les thèmes s'intriquent et, pour actualiser le drame, revendiquent jusqu'au miracle fabriqué des objets modernes, des immeubles et du mobilier, des «cubes communs» où l'on subsiste minablement, où l'on tire des plans sur la comète en épluchant des pommes de terre. D'un rythme ample mais angulaire, coupé de la largesse épique dont il fantasme maladivement la possibilité, le roman déconstruit l'espace où nous habitons. Dans une chambre close, on part pour Oulan-Bator. Le même espace est multiplié : cube habité qui est chez toi, moi, lui et elle. À travers ces séries de pièces, le roman avance avec un pied de biche, un micro, un téléphone, revient, se cogne aux murs et se poste aux fenêtres, écoeuré de nos moeurs immobilières anonymes et indifférentes, de notre misère locative et paralysée. Ce faisant, il sonde l'étrangeté terne de notre façon d'abdiquer et nos trajectoires absurdes, examine la confusion ordinaire et les moments de crise de jeunes citoyens qui ne savent pas qu'ils sont cernés, que l'issue de la lutte est connue, diffusée à heure de faible écoute après les hits et les scoops. Le roman débouche sur une prise de parole autobiographique qui fait office de pamphlet politique utopiste, dédaignant le baume d'un narcissisme qui se donnerait le prétexte d'une fictionnalisation de soi - pamphlet qui n'est pas dupe et s'annule lui-même; au final, le décret primitiviste d'une victoire de Sparte sur l'opulence de Persépolis trahit le désarroi à l'oeuvre: la posture de l'ermite orgueilleux, de l'énième refus ne tient pas davantage que le reste. Du coup, le roman pourrait bien constituer un portrait à charge d'une génération désespérée, dont le seul et premier luxe serait de pouvoir se détruire sans y mettre les formes, par lassitude ou crispation.

Scènes de la vie occidentale recourt au schème du fait divers accidentel, qu'il traite en sourdine comme un récit de crime obsessionnel. Un accident de voiture a lieu à un carrefour, à Lille: départ enfoui du livre, ce drame, sa substance - choc éclair, coma, Radio mort – hante tout son déroulement, charge sa surface narrative. 23 h : 23 h est le moment auquel on ne cesse d'arriver, et qui ne passe pas. Ce noeud fait spiraler tout le roman. Il le diffuse, le déploie formellement en reportages de Radio vivant et Radio mort, hypernarrateurs scrutant les vies pour trouver des causes profondes à l'accident (trop hasardeux pour ne pas être le jouet d'une autre détermination), et scrutant ces éventuelles causes pour trouver du sens : captant, filmant, montant – diffusant du vide en lieu et place de quelque résolution. Sur le plan du récit, la violence du crash est secondaire, éludée. La vacuité des vies qui s'agitent et se dissocient dans des cuisines glauques est plus violente: elle prime, se remplissant comme votre frigo de n'importe quoi. Le drame n'a pas besoin d'épisodes chocs. Il prolifère et dure, tout simplement, dans un climat d'angoisse passionnelle, dans une odeur de steak, au milieu du plastique et de la précarité banale et déshéroïque.

Habitué des formes poétiques, courtes ou atypiques (évangile, faux récit historique, anciennes formes prosaïques japonaises), Ludovic Bablon signe ici un roman polyphonique halluciné, qui marque le début d'un intérêt devenu majeur pour l'intrigue – intérêt à l'oeuvre par exemple dans Kidnapping d'un junkie, feuilleton qui paraît depuis le début 2005 dans le magazine Matricule des Anges – en attendant que Kinski, roman en cours d'élaboration, approfondisse ce tournant narratif. Sous l'impulsion des Jean Genet, Pierre Michon et Don DeLillo, il donne avec Scènes de la vie occidentale une oeuvre ambitieuse, dont le nihilisme est dépassé de l'intérieur par une écriture à vif et versatile, qui fait entendre, avec le désespoir, le rire tragique de la lucidité.

LEFRANC, Alban, Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2005, 96 p.

1969-1982. Fassbinder lâche ses films à la gorge du miracle économique; La Fraction Armée rouge introduit la guérilla urbaine en Allemagne occidentale; Mohammed Ali invente la boxe funambule: trois pratiques, trois voies vers la félicité.

Dans ce roman lapidaire, la «machine Fassbinder», machine à fabriquer des films, à terroriser la bonne conscience allemande, est saisie à travers trois moments-clés: 1) Un documentaire impudique sur la Fraction Armée rouge, réalisé au coeur même des événements, à l'automne 77, après l'assassinat du patron des patrons et le suicide des fondateurs de la bande à Baader; 2) Une méthode de travail, et les quelques objectifs simples d'un jeune homme inconnu à la fin des années 60: massacrer le spectateur, battre Hollywood sur son propre terrain; 3) Un dernier anniversaire, le 31 mai 82, alors que le cinéaste allemand décide de jeter tout son corps dans les dix jours qui lui restent pour terminer les deux films qui convaincront le monde.

Vie imaginaire qui évoque l'oeuvre de Pierre Michon pour son écriture, sa rudesse baroque, Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige traverse avec une focale extrêmement mobile le matériau documentaire, biographique et esthétique où l'on voit le bouffi épuiser son regard et son corps alors qu'il travaille à ce cinéma critique et outré que n'attendait pas l'Allemagne. Sorte de conscience refaite à la console de montage, la substance du livre est constituée d'impasses, de bifurcations vocales, d'accélérations dépensières, par lesquelles le texte devient fassbinderien, avec un corps raide et souple, mais lardé, halluciné, qui va à sa perte porté par le fantasme final d'un film sur Mohammed Ali.

LA CRITIQUE

« L'écriture sobre et nerveuse de Lefranc restitue cette Allemagne du déni et de l'oubli et le refus que lui oppose un artiste (RW Fassbinder) indigné et indigne. […] Il mêle et permute éléments historiques et éléments biographiques en un chaos rageur où l'envie de destruction de Rainer le dispute à son désir d'autodestruction. »

André Roy, 24 images

Édouard Guinet Le Monde libertaire n°1407, 15 septembre 2005

« Pas de glose cinéphilique donc, dans ce court roman d'Alban Lefranc, pas de tartine jargonnante sur la discursivité filmique, mais la volonté de retrouver, avec le matériau des mots, l'énergie monstrueuse de cet homme qui réalise quarante-trois longs métrages avant de mourir, épuisé, à trente sept ans. L'alcool, les drogues, le sexe éperdu, les hurlements ne sont que les carburants somme toute contingents d'une énergie qui aurait pu se dépenser en pure perte, ne se donnant que la destruction pour objet, s'il n'y avait eu, malgré tout, la rage de filmer.“Ce seront des histoires simples, de pauvres mélos. Une vieille femme et un travailleur immigré, un marchand de fruits et légumes qui pousse son cri dans les cours, un prolo exploité jusqu'à l'os par le milieu bourgeois où il s'est introduit par effraction. (…) Il faudra que le spectateur s'impatiente un peu, trouve tout cela un peu trop théâtralisé, un peu trop systématique, vous ne trouvez pas? Que sa méfiance se relâche (…) et que sur l'écran soudain sans crier gare des suppliciés fassent des signes sur leurs bûchers.” Pas besoin d'avoir vu l'intégrale Fassbinder, ce roman se suffit à lui-même, donnant à voir la trajectoire d'un météore, sa chute, et tous les points de frottement avec l'époque qui ont causé son embrasement. On en ressort lessivé et électrisé; ce portrait d'un écorché vif nous a mis, à nous aussi, les nerfs à vif. »

Assurément fassbindérien par Bruno Portesi paru sur parutions.com

« C'est un récit étrange que celui proposé par Alban Lefranc, ni biographie ni roman: le parcours d'un cinéaste dit dans une focalisation éparpillée, et un style violent, mimant la rage du provocateur allemand, le sulfureux Fassbinder

Hommage posthume au corps bouffi du Cinéma Frédéric Vignale, Le Mague, juin 2005

« […] Alban Lefranc est ici autant metteur en scène de ses propres obsessions qu'admirateur posthume, digne et respectueux de la figure de Fassbinder, brouillant les pistes, mêlant subtilement le documentaire, la critique, l'imagination et l'autofiction poétique.

Nous sommes dans un laboratoire de la pensée sensible qui fait le point sur une adoration positive. À la fois exercice de style et délivrance pour se réaliser seul ensuite loin du regard de ce maître envahissant.

L'écriture de Lefranc est une assertion magnifique, implacable pour ceux qui ne savent plus aimer avec respect les morts de l'Art. Un cri lancé aux dépouilleurs de cadavres. […] »

Le corps du bouffon en sa chute Serge Meitinger, remue.net, mai 2005

«[…] Le style parfaitement maîtrisé d'Alban Lefranc, la constante fluidité des transitions, l'alternance des rappels historiques et biographiques avec des moments d'introspection portés par une invention qui échappe à la psychologie pour promouvoir l'étude scanographique et spectrale d'une destinée d'artiste font de ce petit livre un texte prenant qui incite à réfléchir sans jamais disserter et qui émeut sans sensiblerie. Le ton d'ensemble et la fermeté du propos dégagent, malgré la noirceur de cette trajectoire et le supplice d'un corps et âme perpétuellement en souffrance, une intensité qui est simplement celle de la vie vivante.»

2004

MIGONE, Christof , La première phrase et le dernier mot, Montréal, Le Quartanier (poésie), 2004, 128 p.

Entre août et décembre 2003, Christof Migone extrait, de chaque livre en français de sa bibliothèque, la première phrase et le dernier mot, qu'il réutilise pour écrire son livre, sans ajouter ni retrancher un mot. Il s'emploie à les réassembler dans des proses qu'il appelle lectures. Travail performatif poursuivi dans une écriture libre et angulaire, comique dans son agrammaticalité dyslexique, et pas si insensée, La première phrase et le dernier mot donne à lire des textes qui tiennent du récit de pensée impromptu, de la pantalonnade hyperventilée, de la poésie tour à tour naïve, narrative ou lyrique. Du recours systématique aux mots prélevés dans des livres, Migone tire des textes endommagés, lunatiquement érudits, une œuvre de dé-lire très exactement sonnante et trébuchante.

Né inlassablement, par abandon, n'ouvrant sur rien, de corps pur et atroce, mais qu'ensuite on ne veut plus quitter. La chair irrésistible des lettres transformée en épilepsie, l'habitude de manger ouvrages, le passage de la logique à la tache, l'impure qui jouit. On dirait des continents coupés depuis le début de la raison. D'un pas bien nerveux m'm'n'n'a d'n'd'n's'l'objet langage a sa consécration clandestine lorsque son irruption écrit la communauté. Votre vie est ces heures d'ennui où la faute travaille. Réduire ma bibliothèque à la première phrase et au dernier mot de chaque livre. L'élan et la finalité. Être texte : tel est le stimulateur. Aucun mot n'est de moi, et je n'ai rien retranché. Le pouvoir de glisser dehors du couloir moi. Le jeune homme, un bougre difficile, suscite aujourd'hui la force de l'impouvoir, sans y mettre quelques « » et quelques « ». L'Idée produit un Je ne sais plus. Un J'ignorais, un ni, un vrai ni. Pour que mes prétentions d'écrivain soient s'insère, je sacré la littérature d'encre sales. Rideau à votre Histoire. Souffrir la langue est une sorte de porte. Si tu as peur de la civilisation, lis ce livre. Un livre de moins. — C. M.

FARAH, Alain, Quelque chose se détache du port, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2004, 80 p.

À noter : cette édition du livre est épuisée. Voir la RÉÉDITION EN POCHE dans la collection OVNI.

Les poèmes de Quelque chose se détache du port, loin de la limpidité douteuse du sens commun, fonctionnent sous l'impulsion d'une série de stratégies obliques, qui traversent l'expérience et la transforme selon divers axes : ceux de l'aphorisme autiste, d'une narration angulaire et minimale, de la spéculation et de l'inventaire. D'un lyrisme narquois, ils se lisent comme l'énonciation énigmatique d'un problème : de vie, de langage, de pensée.

L'écriture de Farah s'occupe de sens; de fait, elle en délivre, mais du sens irrésolu et rusé, effectif, qui oriente et désoriente à la fois, invite à jouer de la lecture. C'est dire que l'auteur pratique un art tendu, celui de l'esquive qui expose – par charges et recharges, touches et retouches - dans des phrases-traits où la légèreté de ton est l'habit de la précision. Ce langage calibré n'est pas celui de la quête de soi, mais le chant littéral dubitatif, étranger aux sirènes métaphysiques, d'une enquête sur ce que le soi absorbe. Sorte de traduction d'une langue par elle-même dans elle-même, de «translation» procédant par sauts qualitatifs, Quelque chose se détache du port est une circumnavigation en bassin de synthèse où des éléments biographiques, des allusions politiques ou historiques constituent le fond à traiter, d'où «se détachent» des poèmes. Trickster pudique et combatif, Farah adresse à l'époque une lettre de malaise carabiné – lettre dont il est le simple et timbré porteur.

QUATRIÈME DE COUVERTURE. — « La Quatrième Propagande me dit Àristide vends ton objet, alors magnanime je dégringole en sourates: ta piastre investit bien dans ma plaque! Mange ta laitue, lecteur! Tarabiscote ton derrière de livre avec ce siège abscons! Deux pouces levés, ça parle de pyramides! Moitié Alexandrin, moitié Phénicien, moitié Laurentien, je lis la Bible tous les soirs, vecteurs-fermiers, cheptels-ponction, je te complote une fable sur les tuyaux, un herbier qui ne recueille rien, l'histoire d'une table qui tourne mal, la Grand-mère des barbes, quittant Nasser en bateau elle perd ses lunettes chez Castro, ça pèse: Àl-gèbre! Àl-ambic! Àl-Alamein! Un abécédaire à rebours! L'arithmétique? pour me curer les dents! La poésie? pour cirer mes planchers! Alors Sidon récure, mais n'aie pas peur: mes carabiniers sont amicaux, lecteur. » — A.F.

« À la manière d'un Christophe Tarkos, Alain Farah se plaît à défendre une parole jubilatoire et chercheuse. Dans Quelque chose se détache du port, on entre en contact avec des bouts d'histoire familiale, du cabotinage théorique, une réflexion éparpillée, de même qu'un goût pour l'humour qui grince au bon endroit. Plus près du Paul-Marie Lapointe d'écRiturEs que d'un Claude Gauvreau, Farah s'amuse à dresser le constat d'un réel qui bouscule les codes et les normes. […] Quelque chose se détache du port révèle une voix des plus étonnante. » David Cantin, Le Devoir

DUCHESNE, Hugo, Furie Zéro, Bâtons, Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2004, 88 p.

ZÉRO Prêt pas prêt je joue Furie go je tourne.

FURIE Prête pas prête / j'ai donneur d'organes pour / une lame / glisse de ma paume fend un cil / vois roses mes lèvres / ça tient de la bave / carne / j'ai la canicule / j'ai l'humide index pour étaler ma plaie / applaudis / le repas de moi on l'a fait correct.

ZÉRO De moi on a fait un repas correct rond et marocain un foetus s'attache pan mourir pan mourir dans son bain détraque la mousse laisse aux tranches de citrons la place quand elle dit petit je suce des boussoles on voit trente-deux obus dans une bouche c'est mourir au parterre.

« Hugo Duchesne s'aventure dans une rythmique particulière et risque un parti pris narratif assez audacieux. Avec un “je” féminin emprunté avec succès, il adopte un ton se rapprochant des poètes français Olivier Cadiot ou Christian Prigent, en ce sens qu'il combine recherche formelle et oralité. Le débit s'impose, crée une ambiance et avance un langage, un univers personnel, près du monde de l'enfance tout autant que des jeux plus adultes de la jalousie ou de l'érotisme. » Stéphane Despatie, Voir

« Dans Furie Zéro, bâtons, Hugo Duchesne s'applique à mettre à l'épreuve les dérives formelles du poème. Le vers court bascule, sans cesse, d'une idée à l'autre. Qu'on apprécie ou non une telle démarche, on ne peut que suivre avec curiosité cette course contre le temps éphémère et plausible. À la manière de cinq variations à partir du même thème (une furie émotive!), un dialogue mêle l'érotisme à la vulnérabilité, l'audace à la rencontre. » David Cantin, Le Devoir

2003

Clémens, Éric, L’Anna, Montréal, Le Quartanier (Série QR) roman, 2003, 210 p.

Tout roman se devait d'exposer un (petit) moi aux aléas de la (grande) Société : comment raviver ça? comment ne pas céder sur l'écriture, la langue à façonner, l'exigence poétique jusque dans la narration? L'Anna s'attache à saisir une femme prise dans l'enchaînement de la violence qu'elle nomme vengeance, un homme qui s'efface dans la poursuite de son désir et une révolte massive face aux images qui les emportent tous deux parmi tous jusqu'aux dessaisissements des paroles. — É.C.

«Éric Clémens ne ménage aucunement la langue tout au long de L'Anna. Sous des allures de roman, cette fiction poétique dresse le portrait obsessionnel d'une jeune femme énigmatique. Divisé en trois parties, l'enquête amoureuse n'est que prétexte pour ainsi mettre à l'épreuve une écriture des plus fascinantes. […] L'exploit de L'Anna est justement de suivre cette silhouette à travers l'urgence qu'elle provoque. La narration devient kaléidoscopique, tant elle se casse afin de mieux surprendre le lecteur qui guette à chaque page le dévoilement de ces états passionnels.» David Cantin, Le Devoir

«Les premières lignes de L'Anna, dans leur inquiétante violence (qui n'est pas sans rappeler l'ouverture célèbre du Bruit et la Fureur de Faulkner), sont exemplaires et nous entraînent dans un véritable maelström romanesque où se mêle de façon puissante histoire individuelle et Histoire “avec une grande hache”, comme le disait Georges Perec.» Stéphane Lépine, Paysage avec figures

«Éric Clémens revient en littérature avec un roman, L'Anna, somptueusement baroque, de cette baroquie qu'il célèbre, toute violence dehors en fin de texte. Un roman, soit! l'auteur le dit, mais toutes les règles connues du genre font l'objet d'effractions répétées, joyeuses ou colères. Plus attentif à miner les formes établies qu'à les respecter en leur état, il les bouscule ou les “remballe” et leur substitue la profusion inventive de ses séries langagières. À la chronologie linéaire, il préfère l'entrechoc du passé et du futur - “elle se nommait Anna, elle me donnera des fleurs…”, mais il s'attache à raconter le présent dans ce qu'il a de plus infime, l'hors temps. Tantôt “il”, tantôt “je”, le narrateur (encore là) est ce Protée Arlequin qui mène le récit de sa langue éclatée. Jouant des personnes grammaticales, il réassigne les nombres et les genres: au masculin, par exemple, répond la féminine. Quant aux sexes, ils les laisse pour ce qu'ils sont mais avec corrections et en sus cette belle détermination à l'italienne qui donne à l'Anna toute sa force, elle qui par ailleurs est nombreuse et à qui il restitue la violence. L'érotomanie universelle voulant que “les corps se subordonnent au masculin”, il faut bien s'élever contre cette imposition d'un seul sexe. Serait-on tenté, à la lecture des métaplasmes et métataxes qui foisonnent dans la diversité, de dire que les mots priment sur les choses qu'on se tromperait. Car la figure fait sens à son tour: on voit bien que l'incision concise, par exemple, est un collage phonique, mais le syntagme qui en résulte est productif. C'est franchement l'inventivité qui s'impose et génère une langue démultipliée en jouant de l'expansion - ainsi incoupable s'avère nécessaire - ou de la contraction - le pousavoir est une merveille. Deux pages, entre autres (163-164), démasquent par le détail l'infinité des rapports entre les mots et les choses. Mais l'intérêt de ce texte ne se limite évidemment pas à un formalisme sainement perturbateur. À côté du catalogue de désinences amoureuses, de portraits grandeur nature ou cisaillés de l'Anna, contingente et éternelle, on lira d'étourdissantes variations sur le rasage quotidien ou sur d'étonnantes puanteurs de bleu marine. Faisant le procès de l'Histoire - Mai 68 revient fort et en rafales -, Éric Clémens s'en prend aussi aux histoires. Celle d'Anna est l'occasion de dérouter le lecteur impatient ou soucieux de suivi, éclatant ci et là, en dépit de toute logique circonstancielle, la dénégation rivalisant avec l'avalanche des énonciations. L'un et l'autre personnage, celui qui désigne parfois le nous, ne pourraient être entiers ou tout à fait cohérents dans une société dont un seul mot, moderdélocaconcentralisation, semble bien exprimer tous les maux. L'essentiel, au demeurant, est de signifier, comme l'indique l'auteur obstiné. Au demeurant, quelle vigueur et, pour nous, quel plaisir!» Jeannine Paque, «Vive la baroquie!», Le carnet et les instants, no 132

SAVAGE, Steve, 2×2, Montréal, Le Quartanier (Série QR) Poésie, 2003, 120 p.

Homme | Home. Y entre. Y être.

2 x 2. Coupe | Couple. Comment l'entamer?

Pas qu'une simple forêt de symboles, qu'on déchiffre, qu'on défriche - où saisir n'y serait réduire ni retrancher. Pas qu'un simple amas d'arbres - ce pourrait être le livre, sa définition.

De l'espace; du mouvement: du jeu. Fixe | Fix. J'y suis. Hésite & prends position.

«Forêt» le perce & le pousse ainsi.

S.S.

« On devine chez ce poète dans la trentaine un besoin de défendre une parole qui s'éloigne le plus possible du discours quotidien. Il ne s'agit pas d'être simplement nostalgique d'une avant-garde périmée, mais bien de remettre en question les enjeux de la poésie contemporaine au sens le plus large. À bien des niveaux, S. Savage laisse entendre une voix qui surprend dans sa quête des plus ambitieuses. » David Cantin, Le Devoir

2 x 2 a été finaliste au prix Émile-Nelligan 2003.

Le livre s'est mérité le Grand prix Grafika 2004 dans la catégorie «couverture de livre». (Conception graphique: Élise Cropsal.)

COBALT, Loge, Guillotine, Montréal, Le Quartanier (Série QR) poésie, 2003, 168p.

Polygraphe

« Romans et recueils de nouvelles, à raison de 4 à 6 titres par année. Polygraphe est dirigée par Éric de L. et Alain Farah. » (Source : Site officiel de la maison d’édition)

BOCK, Raymond, Atavismes, Montréal, Le Quartanier (Polygraphe), 2011, 240 p.

Les personnages qu’on croise dans Atavismes ne sont pas des héros, même si on a pu dire le contraire de certains dont les noms sont passés à l’histoire. Découvreurs de pays et d’archives, têtes brûlées révolutionnaires, petits intellectuels désœuvrés, jeunes parents inquiets devant l’inconnu, coureurs des bois ou voyous de ruelle, tous devront trouver, chacun à leur manière, une issue hors d’un carrefour d’impasses.

Réalistes, fantastiques ou spéculatives, les histoires d’Atavismes, reliant les voix contemporaines à celles du passé, redessinent la carte d’une Amérique où la sauvagerie des forêts millénaires se mêle aux vertiges isolés de la grande ville. Dans ces nouveaux mondes, il n’est plus certain que la culture l’ait emporté sur la nature, et on ne sait plus si un héritage tient de la bonne ou de la mauvaise fortune, si on a eu raison de faire taire les chamans, si le temps est une ligne droite, une boucle ou une mèche où sifflent des étincelles.

ROY, Patrick, La ballade de Nicolas Jones, Montréal, Le Quartanier (Polygraphe), 2010, 224 p.

Nicolas Jones a la trentaine noire et une peur bleue des rapports humains : le passé l’a laissé dans un sale état. Il est aussi vaguement poète, ce qui n’arrange pas les choses. Une femme l’attend, mais lui se coupe chaque jour davantage de ses semblables, d’un monde qu’il éprouve par le prisme d’une mythologie échevelée où se croisent le hockey, les cow-boys et le rock qui rit jaune. Un soir de vapes, où Jones est au plus bas, un vieux paria un peu ours, couturé de défaites lui aussi, le relèvera. Sans se connaître, ils se reconnaîtront frères de déglingue.

Western métaphysique où les duels avec soi conduisent à enjamber le garde-fou des ponts, La ballade de Nicolas Jones raconte en parallèle les amours ratés, les humiliations et les violences qui ont fait ces deux déclassés magnifiques — jusqu’à l’épreuve d’une mort annoncée. Mais il raconte aussi les échappées où tout à coup plus rien n’est joué d’avance.

Si La ballade de Nicolas Jones, par son style cinétique, dessine un monde où la beauté naît dans l’âpreté et la hantise, on reste du côté des vivants, du côté de ceux que la vie touche jusqu’à l’os mais qui, contre toute attente, tiennent jusqu’à la vingt-cinquième heure.

Porté par une fièvre narrative qui fait du récit une spirale où réminiscences et présent se transforment, l’art de Patrick Roy réside dans la puissance des images et la justesse des émotions, qui donnent à cette histoire une intensité farouche, à fleur de peau, qui n’est pas sans évoquer les films de John Cassavetes ou de Robert Morin, les livres tardifs de Réjean Ducharme, et les univers de Johnny Cash ou de Patrice Desbiens.

LA CRITIQUE

« Il y a chez Patrick Roy un langage unique, une manière de décrire avec beauté l’ordinaire et le glauque. Des fois, on a l’impression, même si on est en ville, de traverser un village fantôme, ou encore de franchir les portes battantes d’un saloon quand Jones entre dans un bar, où les solitudes se frôlent à peine, où elles se convoquent en duel. » — Julie Laferrière, Club social, TV5, 23 déc. 2010

« Bien servi par la plume forte et intimiste de Patrick Roy (ailleurs on parlerait d'un beau coup de patin), La ballade de Nicolas Jones est un roman original et envoûtant. » — Christian Desmeules, Le Devoir, 20 nov. 2010

LEBLANC, Perrine, L’homme blanc, Montréal, Le Quartanier (Polygraphe), 2010, 184 p.

Grand Prix du livre de Montréal 2010

Gagnant du Combat des livres 2011
Finaliste aux Prix du Gouverneur général 2011
L'homme blanc paraîtra en novembre 2011 en France chez Gallimard, dans la collection Blanche, sous le titre Kolia.

L’homme blanc, c’est Kolia, né dans les monts K. en Sibérie orientale, élevé dans les prisons de Staline. Là-bas, enfant encore illettré s’habituant à la faim et au froid, il fait la rencontre de Iossif, un prisonnier originaire d’Europe de l’Ouest qui le prend en charge et lui donnera le goût de l’art, du français, du monde libre. Relâché des camps à la fin de l’adolescence, Kolia découvrira l’URSS des années cinquante pour bientôt intégrer un cirque à Moscou et devenir clown. Mais le souvenir de Iossif, disparu dans des circonstances inconnues, le hante, l’accompagne, comme tout son passé qui marque sa drôle de gueule et que recouvrira la blancheur du clown muet.

Dans un style où se conjuguent sens du rythme et art du détail, Perrine Leblanc déploie ici un imaginaire riche, nourri par une passion de longue date pour la culture russe, et recrée le mouvement d’une vie qui fait parler les silences et les gestes.

LA PRESSE

« La force de ce récit est sans doute ce personnage pathétique de clown muet marqué par son passé, loyal dans ses amitiés et fidèle à ce maître disparu qu’il recherchera jusqu’à la fin. Un très beau roman qu’imprègne l’amour de l’auteure pour la culture et l’âme russes. » — M. Lepage, La semaine, 9 octobre 2010

« Un personnage qui nous fait rêver, qui nous fait pleurer aussi. Un roman qui m’a beaucoup touchée. Un livre sur la liberté. Je vous suggère de le lire, c’est vraiment magnifique. » — Lorraine Pintal, Radio-Canada, Vous m’en lirez tant, 5 sept. 2010

« un roman aux rudes abords, mais dont la lecture révèle une histoire poignante, étrangement fascinante. » — Hugo Prévost, Pieuvre.ca, 14 sept. 2010

Collection OVNI

«Livres de poche (poésie, roman, essai) ; rééditions et éditions originales ; dix à douze titres par année.» (Source : site officiel de la maison d’édition)

4 «poésie», 1 «poèmes», 1 «récits», 2 «novella», 3 romans.

FARAH, Alain, Matamore no 29, réédition, Montréal, Le Quartanier (OVNI), 2010, 224 p.

Édition revue par l'auteur

Avec une postface de JEAN-FRANÇOIS CHASSAY « Spectres de la filiation »

EXTRAIT DE MATAMORE NO 29 EN PDF EXTRAIT DE LA POSTFACE EN PDF

L’agent Mariage est envoyé en mission sentimentale. Matamore suractif, il s’éprend d’une grande blonde polonaise et finit par assassiner Kennedy une seconde fois, à l’aide d’un canon étrange. Du Caire à Paris en passant par Dallas et Los Angeles, voici les aventures d’un écrivain à qui tout arrive, et dont l’alter ego, lancé sur la piste de sa propre vie, se bat sur tous les fronts, réactive le passé, accélère le présent.

En déplacement entre la province et la métropole, galvanisé par des injections de supervitamines, Mariage rencontre une championne de tennis, tombe de Charybde en Scylla, fait la leçon à son employeur (sur la volaille, sur le poisson — grands sujets), retrouve ses ancêtres phéniciens, se planque dans les cinémas, et disserte sur Joyce et Hamlet — tout ça en combattant l’ennemi intérieur.

Par le caractère autobiographique de ses obsessions, par son imaginaire et son inventivité formelle, Matamore no 29 n’est pas sans connivence avec les œuvres de David Lynch et d’Olivier Cadiot, de Thom Yorke ou de Woody Allen.

LA CRITIQUE

« Alain Farah montre que le roman peut, encore aujourd'hui, être remis en question, bousculé dans ses mécanismes, sans que l'affaire ait nécessairement des relents de nostalgie ni que le bonheur de lecture en fasse les frais. […] Le premier roman d'Alain Farah, qui nous avait donné en 2004 Quelque chose se détache du port, un recueil de poèmes, est une œuvre puissante et singulière. Dans un espace où présent et passé dansent joue contre joue, où la trame romanesque est souple à tel point que le protagoniste, Joseph Mariage, échappe à la vigilance de son narrateur, nous assistons à l'étonnante conjugaison d'une histoire d'amour, d'une leçon de tennis, d'une réflexion sur l'écriture et l'architecture de la fiction, et bien d'autres choses encore. Un livre qui, en outre grâce à une intelligente et méthodique percolation d'éléments autobiographiques, dépasse et de beaucoup l'aspect “gadget” — le terme est de l'auteur — si fréquent dans les entreprises d'expérimentation. Le coefficient de difficulté était élevé, la réussite n'en est que plus éclatante. ★★★★ » — Tristan Malavoy-Racine, Voir, jeudi 18 septembre 2008

« Matamore n° 29 réussit avec talent et fanfaronnade à être ainsi hilarant et rude, aigu et grave, léger et pesant, et toujours URGENT. Oui, ce livre est un livre urgent. À lire urgemment, avec attention. Alain Farah a 29 ans, c’est un matamore, et un sombre écrivain brillant. » — Julien D'Abrigeon, Libr-critique, novembre 2008

« Matamore n° 29 évoque parfois les mauvais traitements infligés au roman “moderne” par Gombrowicz (“Je crache dans la soupe, concasse le pain, rajoute du citron”, rappelle une scène fameuse de Ferdidurke), mais le gombrowiczshow est peu à peu éclipsé par les soleils de questions bien plus sombres (filiation et génération, mort et maladie). Leur fouille systématique construit une sorte d’archéologie, expérience des choses anciennes reconstituée par une littérature toujours trop dépassée par les événements pour pouvoir se constituer en science et assez sage et triste ici pour le reconnaître. Drôle au départ, Matamore… devient de plus en plus poignant — et cela ne tient pas qu'aux pages consacrées à Thomas Braichet, l’ami mort à trente ans, même si là cristallise à l’évidence ce qui a donné la dernière impulsion au livre. C’est que le “narrateur” a lui-même affaire avec ce qu’il nomme LE-SOMBRE, “Peu importe où je vais, je le transporte avec moi.” » — Nathalie Quintane, Sitaudis, octobre 2008

« Un roman à la narration détraquée, autobiographie électrique et collage délirant, hanté par la maladie, la mort, par une histoire personnelle et familiale tissée de migrations. Servi par une forte autodérision et un penchant léger pour la métempsycose. À coups de digressions, d’intuitions, de références assumées ou cryptées, Alain Farah assemble donc avec Matamore no 29, sous titré Mœurs de province, une complexe machine à explorer les possibles en 29 chapitres. Le jouet d’une sorte de savant fou aux ambitions démesurées: « Je racontais pourtant une histoire simple : il aimait une joueuse de tennis; ses parents étaient du Croissant fertile. Il y eut des complications. » Des complications historiques, digestives, poétiques. » — Christian Desmeules, Le Devoir, samedi 18 octobre 2008

« Alain Farah a le mérite de ne pas récrire un roman qui existe en mille versions, sous autant de signatures. Les formes narratives connues, pas nécessairement vaines, très peu pour lui. Il fonce dans la fiction en s’y inscrivant lui-même, et aussi la chronique du temps qui passe, sans se soucier qu’on le suive ou non. » — Réginald Martel, La Presse, dimanche 21 septembre 2008

« Malgré tous les détours utilisés pour en venir à ses fins, l’auteur ne s’essouffle jamais et son style évoque même celui de Tristan Tzara dans sa chanson dada. Il serait logique de croire qu’avec un style si éloigné de celui des romans québécois contemporains et une trame principale complètement déconstruite, Alain Farah perdrait l’intérêt du lecteur. Pourtant, il est difficile de refermer Matamore no 29 avant de l’avoir terminé. » — Marie-Dominique Asselin, Montréal Campus, 24 sept. 2008

THOLOMÉ, Vincent, La Pologne et autre récits de l’est, Montréal, Le Quartanier (OVNI), 2010, p. 96.

Quoi de commun entre des guerres cosmicomiques et le délire d’un auteur draguant les filles dans les cafétérias? Entre le monde contemporain en prise à ses frissons médiatiques paranoïaques et les errances immorales d’une tribu en Sibérie? On l’aura compris : La Pologne n’est ni un carnet de voyage ni un roman historique. La Pologne dresse plutôt, dans des fictions postréalistes, la carte d’un vaste espace intérieur. Résolument à l’est (pour ne pas dire à l’ouest) et dans un ton très bédéesque, La Pologne met en scène, de façon drôle et énigmatique, nos frousses à tous, nos angoissantes questions existentielles à nous, humains sans foi ni loi, sortis de terre dans la seconde moitié du XXe siècle.

LOSZACH, Fabien, Turpidude –Le grand complot de la collectivité, Montréal, Le Quartanier (OVNI), 2010, 72 p.

Turpitude est l’œuvre d’un poète amateur qui, loin de la complexité formelle des poésies modernes, combine portraits et anecdotes, critiques et satires, et n’hésite pas à recourir, comme dans n’importe quelle chanson pop, à la rime, usant d’une métrique plus ou moins régulière, plus ou moins défectueuse. Si elles datent, ces contraintes poétiques sont partout présentes dans la culture populaire sous leurs manifestations les plus simples, et Loszach en fait ses choux gras.

Turpitude fait donc la part belle à ce qu’on pourrait appeler des mirlitonnades, poèmes pas très savants ni subtils, poèmes du dimanche sans mélodie ni rythme, dépourvus de toute virtuosité linguistique. À leur manière comiquement acide, ces poèmes sont de leur époque, même s’il s’agit d’en épingler les travers. Oscillant entre autodérision et mauvaise foi, croisant quelques thèmes éternels (les relations éclair, les filles, le désir, le sexe, la consommation, la culture, l’idée de l’amour, etc.), Loszach croque ses contemporains en quelques vers dans la lignée des nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon et des dessins de Pierre La Police.

BREA, Antoine, Papillon «novella», réédition, Montréal, Le Quartanier (OVNI), 2010, 72 p. (Sans description)

BREA, Antoine, Fauv, «novella», réédition, Montréal, Le Quartanier (OVNI), 2010, (? p.) (Sans description)

BOUCHARD, Hervé, Mailloux, Histoires de novembre et de juin, réédition, Montréal, Le Quartanier (OVNI), Montréal, 2010, 200 p.

Mailloux est la chronique aventureuse de la vie du jeune Jacques Mailloux. Portées par un sens du désastre qui transmue l’existence en angoisses et en jeux de vilains, les aventures de Mailloux se déroulent suivant le désordre d’une mémoire où s’entrelacent épisodes funestes ou joyeux, dans un Jonquière où tout passe et coule avec les flots et les flots : il y a Ouelle, Payne, Busse, Bène, et Pouque avec ses koumba pour montrer aux autres l’Afrique en feu dans une canisse. Il y a aussi les puissants premiers émois sexuels. Il y a l’équipée familiale de Noël, en Citroën sacrante et glacée. Il y a le suicidé en bois et les noyés en série. Et il y a la grosse roche, où Mailloux découvre la honte, avec le Démon de Baudelaire à ses côtés. Ce monde inouï mais presque familier dans son étrangeté même, Mailloux sait le rendre par la grâce d’une écriture fiévreuse et physique, toute traversée de mélancolie, de fantasmes et de mort.

Ce premier livre de Hervé Bouchard, d’une rare puissance émotionnelle, ne départage pas le burlesque et la honte, la peur et l’humour. Paru à l’origine à L’Effet pourpre en 2002 et réédité au Quartanier en 2006, Mailloux est de ces œuvres qui marquent l’imaginaire et la littérature.

BREA, Antoine, Méduses, Montréal, Le Quartanier (OVNI), 2010, 144 p.

Récit d’une errance dans un demi-monde hanté d’êtres incertains, Méduses suit le narrateur au long d’une lente descente aux abîmes affective et sexuelle, où s’entend en écho, dans une langue magnifique et bâtarde, le rire de l’ennemi qui l’accompagne.

D'une noirceur distanciée, Méduses fait éprouver l’isolement mental du narrateur et la truculence inquiétante, insane, hilare, des quelques relations qu’il noue et dénoue avec des filles fantomatiques, avant qu’elles ne deviennent autres – disparues, parties, tuées? – et que lui-même ne soit plus tout à fait lui-même, dans une conclusion du meilleur grotesque dont la charge fait mouche.

Les distorsions, le rictus boschien qui animent le style de Brea font de Méduses un livre étrangement captivant, où la conscience malade du monde et de soi, et la puissance des obsessions, se jouent à chaque phrase.

Ce printemps, Le Quartanier republiera aussi, dans la collection OVNI, les premières novellas de Brea, Papillon et Fauv, parus d’abord en France aux éditions Hache, en 2000 et en 2001 respectivement.

ALAIN FARAH, Quelque chose se détache du port, réédition, Montréal, Le Quartanier, 2009, 88 p.

Avec une postface de l'auteur : « Tout ce qui monte redescend »

Quelque chose se détache du port se déplace à travers les expériences, souvenirs et obsessions du narrateur et les transforme en quelque chose qui, sous l’action d’un métabolisme voué au dérèglement et à l’invention, trouble joyeusement ce qui dans le passé fige la vie présente. Ce parcours prend diverses formes : aphorismes autistes, récits éclair et disjoints, spéculation, littéralité, lyrisme saboté où le je s’emporte et s’égare. Au long d’une enquête sur ce qu’écrire déplace pour faire aller mieux, le narrateur va par glissements, par vagues analogiques, par dérives hors de soi, hors du pathos et des maux, mû par le démon du rébus et de la dérobade. Pas de grande prose, pas de bonne poésie ici. Plutôt, quelques notes maniaques en vue d’une petite santé, quelques pages de ce qui sera au besoin carnet d’ordonnances ou journal de bord. Aux sirènes de la révélation et du silence poétiques, cet art mineur préfère les métaphores du traitement, du troc, du passage et du leurre.

Quelque chose se détache du port a été finaliste au prix Émile-Nelligan en 2004.

GAGNON, Renée, Des fois que je tombe, réédition, Montréal, Le Quartanier (OVNI), 2009, 96 p.

Avec une postface de l'auteure : « Le bourdon »

Séries de poèmes tendus et cassés, de blasons comme grattés, gravés sur l’os, Des fois que je tombe éprouve l’avancée d’un corps chancelant mais rapide, dont la parole progresse par secousses inquiètes, dans une diction hachée et minimale. Les poèmes esquissent un monde élémentaire, fruste, qu’irradie un noyau de douleur en constant éveil. Ils sont les signes rétifs d’un corps puni, émotionnellement vidangé, en sursis, sacrifié autant que scarifié. Si les affects sont bruts et le sens inchoatif, Renée Gagnon réussit à tirer de cette passion décharnée un chant de piste sensible – chuchotis vifs, à fleur de nerfs, volés au ressenti informe.

Des fois que je tombe s’est mérité le prix Émile-Nelligan en 2005.

POZNER, Daniel, Pft!, édition originale, Montréal, Le Quartanier (OVNI) poésie, 2009, 80 p.

Ils passent dans la rue. Pft ! Ombres déjà, bambins encore. Entre les gouttes ? Pft ! Chaque vers est une flèche. Tirez ! Tirez ! La pointe aiguë — c’est-à-dire insolente, c’est-à-dire dans l’œil, c’est-à-dire intime. Pft ! Chacun dans la main un polyèdre inattendu : aucun n’est semblable, tous ont une forme, la leur. De la couleur, pour mieux comprendre, pour se perdre. Pft ! Histoires impromptues, (im)personnelles, prochelointaines. — D. P.

ROCHERY, Samuel, Odes du Studio Maida Vale, Montréal, Le Quartanier (OVNI) poésie, 2009, 80 p.

Les odes envisagent une technique de chant sous l’angle de la commandite. On y célèbre des gens. On y fait de la pub pour une vie qui ressemble à ce qu’elle peut dire – pensée, aimée, inventée, jouée. L’ampli d’un studio, varié sur le nom possible de « poème », sert à filtrer le son et le sens que produit une versification – essayiste, fictionnante – électrifiée par quelques consciences actuelles. En marge, peut-être, des concerts du monde. — S. R.

Phacochères

«Collection de chapbooks qui regroupe des textes formellement hybrides, de genres divers, poésie ou prose narrative». Une douzaine de titres entre 2007 et 2009

GOTTFRIED, GRÖLL, Vie et opinions, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2007, 32 p.

OK OK dit Gröll la poésie c'est balancer des pavés d'émotion dans la langue à coups de pioche sans préoccupations de blabla. C'est exprimer des pensées qui ne sont pas celles du putois ou du kakatoès mais se rapprochent plutôt de l'homme qui se cache derrière l'homme. On débite d'amour de mort de flic de fric et d'un tas d'autres trucs très chouettes qu'on trouve en observant le monde à l'aide du regard et ça fait danser le neurone de tête en rythme. Mais sur quel pied qui le sait ? Gröll a de la poésie plein les chaussettes qui lui remonte jusqu'à la casquette et ça lui procure des scintillations de jovialité. C'est mieux que de s'asticoter le bas du slip avec des pincettes.

BAQUÉ, Joël, Start-up : Manuel d’anti-poésie primaire, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2007, 32 p.

Start-up comme une somme d'explosions retenues, de stratégies boiteuses, d'élans à l'état brut, de cruautés maigres, d'accélérations déçues, de blocs opératoires troués, d'anti-poésie primaire, d'obsessions de petit format tiraillées entre l'amour du formulaire et le strabisme d'une pellicule 36 poses mal engagée.

WEINZAEPFLEN, Gilles, L’égalité des signes, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2007, 32 p.

Quand tout amour disparaît apparaît la loi, qui vient se substituer à la carence. L'égalité des signes peut alors se muer en légalité… Alors même que la loi s'instaure et que l'amour disparaît, il subsiste un creux où s'abriter, au coeur même du fonctionnement déviant. C'est dans ce creux que sont nés ces poèmes. Chacun porte la trace d'un matériel momentané : il signe la prolifération des signes, donne en modèle de multiples états de conscience poétique. Mouvement de la perception plurielle, que l'enchaînement des poèmes tente de simuler, moments d'acuité ou de brillance, livrés à la seule incertitude, au phrasé de la conscience. — G. W.

BART, Ariane et Antoine BOUTE, Technique de pointe (tirez à vue),Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2007, 32 p.

Signée Bart et Boute, Technique de pointe (tirez à vue) est une sorte de pastorale ordurière tracée par deux mains gauches et féroces, maniant le crayon gras d'une langue gorgée d'humeurs. Deux obsédés se démantibulent dans « la pampa de la viande » parmi les mouches et les guêpes, dans un monde pestilentiel qui crépite et coule, vidangé en rivières noires, mouliné en farce indigeste.

QUATRIÈME DE COUVERTURE — on se touche d'œil en nerf dans nos écritures qui se touchent c'est la fine équipe de la mort en viande nous ici dans la vase avec l'œil qui touche à l'autre œil on débloque de l'embrouille dans la farce qu'on vous fait là ici on s'insulte le cerveau et on plaque des farces à votre œil façon les insectes dégénèrent leur technique pour mieux voir mieux palper la traction qui nous pulse la cervelle oui fine équipe des guêpes ici à nos canicules tactiles crues mais tirez à vue s'il vous plaît tirez à vue on a la guêpe au moteur qui déraille déraille et s'accélère la pulsion oui les guêpes dégénèrent en bande ça nous explose tact à l'intime allez tirez à vue dans la vase la nuit et c'est ça le poids de tout ça de nos corps qui vous pèse dans les mains. — A. B. & A. B.

BARRETT, Warren, Plasma/Parallèle/ « X », traduit de l’anglais par Martin Richet, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2007, 32 p.

Traduit par Martin Richet, Plasma / Parallèles / « X » réunit trois longs poèmes du poète américain Barrett Watten, parus en chapbook chez Tuumba en 1979 (Plasma / Parallels / “X”).

Extrait en QUATRIÈME DE COUVERTURE :

« Un paradoxe est mangé par l'espace qui l'entoure.

Je répéterai ce que j'ai dit.

Faire d'une ville une saison, c'est porter des lunettes de soleil dans un volcan.

Il n'oublie jamais les rêves qu'il fait.

L'effet du manque d'effet.

La main dit à l'oeil ce qu'il faut voir.

Je réprime d'autres attachements inutiles. Les chances de survie sont d'une sur dix.

Je vois une tortue traîner une tête coupée vers le radiateur. »

MÉNARD, Pierre, Le spectre des armatures, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2007, 32 p.

Le spectre des armatures est un défaut d'aspect de la peau d'un béton dû à la présence d'armatures trop proches de la surface, ou à leur mise en vibration. Ce phénomène se traduit par le dessin visible des armatures sous le béton.

PRÉSENTATION — Dans l'évidence et le vif de l'éclat ou de l'épars, Le spectre des armatures est le travail d'une réparation unifiante, de liaisons nouvelles. Une palpitation, un mouvement encore immobile, un espace de sursis dans la dissolution. Des fragments mobiles, une armature apparaît. Toute une série de signes, d'allusions disparates. Des histoires affleurent, filigranées, morceaux d'un roman, récits à demi-mot, microfictions, nouvelles en devenir. Une succession d'instantanés scintillent, en vrac. Les tableaux fissurés se refont ailleurs. Et les scènes enfuies le sont dans le mouvement qui les tisse.

QUATRIÈME DE COUVERTURE — C'est une question de tour de main. Je ne peux m'empêcher de venir ici, d'aller là, j'ai oublié d'ailleurs le froid et l'humidité ces dernières semaines. Je parle comme une paysanne qui est sombre, duveteuse, tachetée, striée d'or. Comme une aile de papillon. Je sais ce que vous voulez dire. Il n'y a que cela. Les chemins désertés. Le soleil s'est caché, le vrai ciel est gris. Les ombres terribles au milieu de ce qu'elles ont été. Le vide inhumain de la forêt désaffectée. D'ailleurs on ne revient plus que très tard. Traverser la rue dans un état incertain de chagrin aboutit beaucoup plus loin. Les incidents sont juxtaposés en une interminable série. On commence à construire. Le monde verdoie au milieu de la ville grisâtre, presque devant chaque porte, comme un défilé pratiqué par un tailleur d'images gothiques à même la pierre.

CALLEJA, Arno, À la bétonnière, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) récit, 2007, 32 p.

QUATRIÈME DE COUVERTURE — la beauté monte et elle tourne dans légen et la beauté dégen est dans le corps dégen la beauté est dans le parler disent légen la beauté est dans les gestes de creusement de creuser la beauté est de creuser à la truelle sa propre rigole et légen creusent à la truelle légen creusent une rigole pour voir s'écouler la beauté car légen disent que la beauté est de voir le monde s'écouler dans la rigole du chantier la beauté est dans le parler séparé dégen et chacun creuse sa rigole et ça toumonde i le sait que la beauté s'élève la beauté s'élève dans le gosier et sort la beauté sort du parler disent légen et ça les filles et les garçons le savent bien car bien avant de sortir de naissance les filles et les garçons savent que la beauté est de vomir son parler dans la bétonnière de l'autre et alors la beauté tourne elle tourne dans le corps de l'autre disent les filles et la beauté se réalise dans le désir qui est désir de corps qui est désir de langue disent les garçons et il serait plus conforme dit l'enfant il serait plus conforme à la réalisation du désir d'être délivré de la différence des sexes et il serait plus conforme à la réalisation du désir d'être délié de son sexe / et c'est dans l'impouvoir qu'on attend le dégel de l'époque et qu'on désire la fonte de l'os de la pensée dans une phrase qu'on désire une phrase à variation monopulse d'une ligne de choses dites par un enfant (criture, Inventaire-Invention, 2006), dites par une famille (à la bétonnière, 2007), dites par une fille (le présent, en cours).

XKI Zone, DHead, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2006, 32 p.

Et vox in tabula rasa, échos, symptômes, et vox en coulée gargouille, vous dit, vous dit, tout ce que le skull-être vomit de dB, de pathos, de délires, en dolby technicolor. Et le gore ne suffit pas, ni le stupre, ni la haine de soi, in vitro pourriture de l'ego gâchis, vous dit, vous dit, tout ce que les trépans ont foré, profond de profundis dans les tranchées nerveuses, jusqu'au bulbe en extinction, jusqu'aux neurones en friture, alors on comprend mieux le sens de cette mort cérébrale, dégorgée et scénarisée ici sous le nom de code DHead. — X. Z.

ZORKA, Christian, Sièges, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2006, 32 p.

Cela pourrait se passer dans une salle d'opéra ou de ballet, entre une saillie de princesse et la survenue de bergers. Une annonce diffusée par les haut-parleurs interrompt la pièce: le roi, qui faisait la guerre chez les voisins pour leur voler des dragées, a été assassiné. Bref, c'est le désordre, mais aussi le retour de l'ordre. Les spectateurs, affolés, montent sur scène et renversent les comédiens pour gagner les cintres et voir la rue par un oeil-de-boeuf. — Chr. Z.

AMALVI, Gilles, Une fable humaine, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2005, 32 p.

Récit pour plusieurs voix dit par un narrateur désinvolte, Une fable humaine procède autant de l'enquête policière et du mythe révisé que de l'écriture dramatique ou de la science-fiction rétro. Tout est décalé, accéléré, dénoué puis renoué; les enjeux du récit prennent la tangente; l'enquête part en vrille. En ordre d'apparition : Prométhée, puis le commissaire Épiméthée.

Prométhée applaudi sur scène disparaît dans son scaphandre argenté. Épiméthée court après des ombres : des portes claquent dans sa tête, des fantômes hantent ses raisonnements. Il s'en fout, il est serein : dans le miroir, ses reflets se mettent en ordre de bataille.

MENY, F.P., White trash Napoleon, Montréal, Le Quartanier (Phacochères), 2005, 32 p.

White Trash Napoléon est constitué d'une série de monologues rapides et allitératifs. Malaxant des matériaux hétérogènes (maximes, ritournelles, aphorismes, micro-récits autobiographiques, associations d'images, lambeaux de publicité, citations non identifiées, phrases trouvées ou entendues dans la rue), ces cinq proses au débit infatigable privilégient le faux raccord. Elles prennent la forme d'un débat interne houleux dont l'objet se déplace à chaque phrase, évoquant des raps schizophrènes où la parole s'invente, se divise et se dissout dans ses rythmes. Une écriture désordonnée, sous pression, colérique, puérile, joueuse, populaire et critique – d'un mauvais goût souvent inspiré. On ne trouvera pas dans White Trash Napoléon de narration suivie ni d'intrigue romanesque, et pas davantage de structures élaborées: plutôt une parole qui circule à tombeau ouvert, de plain-pied avec le trop-plein de signes de la rue et de la vie sociale, dans une prose qui ne hiérarchise pas, mais qui absorbe tout, passe et revient et insiste.

FAYARD, Guillaume, Sombre les détails, Montréal, Le Quartanier (Phacochères) poésie, 2005, 32 p.

Un plan générique (la peau?), un sujet mobile. Marseille défile: les reliefs, les surfaces, les façades – flux de faits sensibles, d'échos divers, qui sont dans un même temps saisis et dits. Sombre les détails met en forme la subjectivité dans la perception, en une longue suite d'instantanés « parlés » : des situations sont traversées, dont le sujet serait un « on » générique engagé dans un mouvement continu.

Texte fluide et rugueux à la fois, Sombre les détails tisse dans son énonciation des motifs urbains, des souvenirs, des détails fugaces captés lors d'une journée de déplacements. Une prose discontinue, arrangée sur la page en presque-vers, est travaillée de reprises et de sauts logiques. Elle génère deux défilements parallèles, simultanés: celui de la pensée au sens large, et celui du dehors, des textures qui arrivent, du ruissellement de choses et de gens, qui donnent au livre sa forme turbulente et ambulatoire, sa langue micro-sismique.

RECENSION

Sombre les détails : LE texte hyperbare Antoine Hummel

« […] Sombre les détails est le texte instruit d'un lecteur de poésie attentif (on retrouve un usage de la majuscule comparable à celui de Philippe Beck : elle sert de relais syntaxique, c'est à la fois l'instrument du détail et de la confusion; quelques traces du mentisme pennequinnien, aussi). Toujours en alerte, ouvert sur Circonstance, Sombre les détails, texte hyperbare, densifie le déjà-dense (la ville, la mer, la foule) entasse et comprime dans le même tissu sédimentaire tout ce que son errance citadine rencontre. […] »

Erres Essais

«Dirigée par Jean-François Chassay et Bertrand Gervais, la collection regroupe des essais sur la littérature et l'imaginaire contemporains.» 8 titres entre 2007 et 2009.

BOURASSA, Renée, Les fictions hypermédiatiques : mondes fictionnels et espaces ludiques — des arts de mémoire au cyberespace, Montréal, Le Quartanier (Erre Essais), 2010.

Cet essai traite des formes émergentes de la fiction issues des technologies numériques, en relation avec leurs précurseurs et leurs avenues prospectives. Il explore la rencontre entre la fiction, le récit et la narrativité dans les environnements hypermédiatiques, pensés en fonction de la spatialité. Il examine, de manière comparative, diverses formes — de l’hyperfiction textuelle aux fictions encyclopédiques, du cinéma au jeu interactif et aux dispositifs de réalité virtuelle ou mixte.

Les fictions hypermédiatiques ne construisent pas des formes du récit à l’état pur : dans la tension entre la base de données et le récit, le principe narratif se conjugue avec des traits encyclopédiques, performatifs ou ludiques, tels qu’ils se révèlent dans les mondes fictionnels de certaines œuvres littéraires ou cinématographiques, dans les jeux interactifs, les dispositifs environnementaux ou le cyberespace. Les fictions hypermédiatiques naissent de leurs hybridations.

L’hypermédialité manifeste une forme de pensée millénaire que cet essai met au jour. Afin d’éclairer les dispositifs contemporains, quelques précurseurs conceptuels sont convoqués : arts de la mémoire, cathédrales médiévales ou théâtres encyclopédiques de la Renaissance côtoient les mondes virtuels du cyberespace et les parcours narratifs dans les environnements urbains.

ARCHIBALD, Samuel, Le texte et la technique : la lecture à l'heure des médias numériques. Montréal, Le Quartanier (Erre Essais), 2009.

Cet ouvrage a pour objet les nouvelles formes de textes apparues au cours des vingt-cinq dernières années, sous la pression concertée des nouvelles technologies médiatiques — livres hybrides, littérature hypertextuelle, fictions hypermédiatiques et interactives. Il s’attache à les comprendre, à les situer dans une histoire longue des pratiques de lecture et à développer des techniques permettant de les analyser.

La partie théorique de l’essai traite trois grandes problématiques réactualisées par la « révolution numérique » : la notion de textualité, la question de la matérialité des supports d’écriture, le rôle de la manipulation dans la lecture. En cours de route, les théories du texte, de la lecture et du récit sont mises à l’épreuve des nouvelles formes textuelles.

Cette réflexion se poursuit dans une seconde partie, où sont proposées des lectures d’œuvres nées des potentialités des technologies médiatiques : l’hypertexte de fiction pour Patchwork Girl, de Shelley Jackson ; le roman La maison des feuilles, de Mark Z. Danielewski ; et la fiction hypermédiatique La disparition du général Proust, de Jean-Pierre Balpe.

Il s’agit au final d’en arriver à une définition du concept de texte par et pour le numérique, capable d’accompagner le passage des contenus textuels vers de nouveaux supports et d’interroger l’ensemble de nos pratiques culturelles.

FARADJI, Helen, Réinventer le film noir : le cinéma des frères Coen et de Quentin Tarantino, Montréal, Le Quartanier (Erres Essais), 2009.

Marqués par l’imagination et le plaisir, les films des frères Coen et de Quentin Tarantino manifestent une nouvelle façon de faire du cinéma, originale et stylisée. Au-delà de leur impact, ils sont les représentants les plus cohérents d’une tendance importante traversant le cinéma des années 1990. Cette tendance, nommée ici post-maniériste, fait revivre le film noir avec dynamisme et singularité, dans des œuvres aussi diverses que Fargo, The Big Lebowski, Barton Fink, Miller’s Crossing, Reservoir Dogs, Pulp Fiction, Jackie Brown et d’autres, à partir desquels est construit cet ouvrage.

Fondé sur l’hypothèse d’un maniérisme du film noir classique, cet essai montre comment les films des Coen et de Tarantino ont renouvelé ce genre primordial du cinéma moderne en y imprimant une sensibilité d’auteur. Hantés par une perfection cinématographique déjà atteinte — condition même du maniérisme —, ces cinéastes ont néanmoins opté pour une solution peu banale pour revivifier le film noir : la distanciation ludique, qui ne vise pas à épuiser les possibilités génériques du noir, mais permet au contraire un voyage à l’intérieur du genre, celui-ci devenant un espace de réflexion sur l’Amérique, le cinéma et l’art.

GERVAIS, Bertrand, Logiques de l'imaginaire, tome III L'imaginaire de la fin : temps, mots et signes, Montréal, Le Quartanier (Erres Essais), 2009.

Logiques de l'imaginaire, tome III

La fin du monde. Comment imaginer ce qui, par définition, résiste à toute perception? Car la fin n’est jamais qu’un fantasme. Elle est un événement dont on ne peut faire l’expérience puisqu’elle annihile celui qui l’anticipe. Imaginer la fin du monde semble être la façon la plus efficace de se venger à l’avance de sa propre mort et de refuser le scandale d’un réel qui échappe à tout contrôle et qui perdure, intact, au-delà de la fin.

Les formes que prend l’imaginaire de la fin sont étudiées dans cet essai à partir de trois principes. Il s’agit d’un imaginaire fondé sur le temps, son passage et ses apories. C’est aussi un imaginaire qui repose sur une crise promue au rang de loi ou de principe de cohérence. Et c’est enfin un imaginaire tourné vers l’interprétation et la recherche de sens, vers la lecture des signes d’un monde sur le point de s’effondrer.

Le temps, la loi et le sens. Ces trois principes guident une exploration de la littérature contemporaine. S’il s’ouvre sur une lecture de l’Apocalypse de Jean, abordé en tant que texte fondateur, l’essai porte avant tout sur les textes de Paul Auster, Gaétan Soucy, Normand Chaurette, Antoine Volodine, Will Self, Don DeLillo, Douglas Coupland et Serge Lamothe. Ces textes nous montrent que l’imaginaire de la fin n’a cessé de se transformer et que sa version contemporaine en impose une nouvelle définition.

GERVAIS, Bertrand, Logiques de l'imaginaire, tome II La ligne brisée : labyrinthe, oubli et violence, Montréal, Le Quartanier, Erres Essais, 2008.

Logiques de l'imaginaire, tome II

Imaginons un oubli qui ne soit pas un simple revers de la mémoire, mais une modalité de l’agir. Un oubli positif. Un oubli en acte, in præsentia. Peut-on habiter un tel oubli ? Peut-on le mettre en récit ? Si la mémoire est une ligne ininterrompue qui rattache le présent au passé, l’oubli est assurément une ligne brisée, et le tracé qu’il dessine est fait de segments disjoints, d’instants sans continuité, comme dans un labyrinthe.

La ligne brisée traite du labyrinthe en tant que théâtre de l’oubli. Le tracé du labyrinthe suscite, par la multiplication des choix qu’il requiert, la désorientation et la perte de repères. Mais l’oubli de soi n’y est pas qu’un effet superficiel, il en est un trait fondamental, ce que le mythe de Thésée nous enseigne. Au cœur de ce récit se déploie une scène d’une grande portée symbolique : le héros grec se rend dans le labyrinthe pour y tuer le Minotaure. Or, lorsqu’il en émerge victorieux – et les versions traditionnelles du mythe le confirment –, il ne se souvient de rien. Ce qui s’est produit dans le labyrinthe est l’objet d’un effacement radical. La mise à mort du monstre est d’une telle violence qu’elle provoque l’oubli.

La figure du labyrinthe permet ainsi de penser l’oubli et de représenter la désorientation et la violence qui lui sont indissociables. À partir d’un corpus littéraire et cinématographique contemporain (de Paul Auster à David Lynch), La ligne brisée montrera l’importance de cette figure, utilisée dans les œuvres de façon récurrente pour représenter la complexité de notre monde, et la conception du sujet qu’elle implique, aux antipodes du sujet œdipien au cœur même de notre modernité.

CHASSAY, Jean-François, Dérives de la fin : sciences, corps et villes, Montréal, Le Quartanier (Erres Essais), 2008.

Porté par un intérêt pour l’Histoire et le politique, le temps et la mémoire, les sciences et la mort, cet essai traite essentiellement de la fin, ou plus largement d’un imaginaire de la fin.

Si l’approche de l’an 2000 a provoqué une résurgence de cette « crise de la fin », où foisonnaient les scénarios apocalyptiques, chaque époque révèle ses craintes devant les transformations du monde. La société occidentale actuelle a ses propres hantises, qui traduisent une situation de tensions extrêmes, politiques, économiques et religieuses. S’énonçant sur un mode alarmiste ou au contraire étrangement euphorique, ces tensions sont peut-être bien les symptômes d’une obsession pour la fuite en avant. C’est cet univers qu’approfondit Dérives de la fin, à travers trois figures : la science, le corps, la ville.

Les catastrophes dont on rend science et scientifiques responsables, à tort ou à raison, signalent des problèmes d’éthique nombreux, exacerbés depuis deux décennies. Au-delà des traditionnels désastres appréhendés par les ouvrages de science-fiction, cette critique se manifeste dans la littérature et l’art, où la capacité d’autodestruction de l’humanité par la science apparaît de manière révélatrice. L’exhibition contemporaine du corps, avec ses scarifications, son narcissisme et sa tendance vers le « corps-objet », n’est d’ailleurs pas sans rapport avec le développement des sciences. Obsédant, puisque malade, morbide, métamorphosé ou hybride, le corps se présente comme la métaphore d’une mort qui s’impose dans l’annihilation du temps, y compris celui du récit. Quant à la ville, elle est depuis longtemps perçue comme l’espace par excellence de crises et de changements. De la chute du mur de Berlin à l’effondrement du World Trade Center, les manifestations d’un imaginaire de la catastrophe se multiplient dans des métropoles toujours en expansion. La ville devient plus que jamais l’espace des contradictions : expansion et transformation, violence et euphorie.

CARPENTIER, André, Ruptures : genres de la nouvelle et du fantastique, Montréal, Le Quartanier (Erres Essais), 2007.

Les genres de la nouvelle et du fantastique partagent une esthétique de la rupture : rupture de continuité dans un cas, de raison dans l'autre. Le nouvellier et le fantastiqueur, chacun à sa manière hanté par la dispersion et le mystère des signes du monde, ont en commun de dénier toute prétention à une totalité rassurante, qui leur apparaît comme l'avatar du faux, et de privilégier la réfutation féconde de la rupture.

La pratique nouvellière est ici envisagée comme reprise infinie du bref et comme névrose de discontinuité ; le nouvellier s'y trouve en effet engagé dans un processus continûment interrompu et relancé, qui sera observé par référence à la rupture fragmentaire. Le fantastique, de son côté, à la source duquel figure moins la déraison que des ruptures de rationalité, trace la représentation d'un monde hétérogène, mi-partie réaliste et empreint d'étrangeté. Son énonciation, par disjonctions et hiatus, insinue des ruptures de logique et des perturbations de référents de réalité objective. C'est ainsi que le fantastique scandalise la raison. Ce motif de la rupture est examiné dans quelques corpus choisis, comme thème, mais surtout comme exigence de forme. Il est également considéré comme ferment d'une posture d'écrivain.

Le présent essai fusionne des pans d'une réflexion et d'une recherche qui, au long des années, ont évolué, chez André Carpentier, en parallèle de la production d'oeuvres nouvellières et fantastiques. Cela justifie que l'écriture y prenne ses coudées franches et alterne entre une certaine distance requise par la théorie et un « je » plus appropriatif, qui à l'occasion adopte le ton du témoignage. Un tel ouvrage postule donc qu'avec à peine de perspicacité, on extraira des généralités là où il y a cas d'espèce.

GERVAIS, Bertrand, Logiques de l'imaginaire, tome I Figures, lectures, Montréal, Le Quartanier (Erres Essais), 2007.

Logiques de l'imaginaire, tome I

Figures, lectures est le premier tome d'une série de trois essais sur les logiques de l'imaginaire. Le pluriel, incongru quand il est question de logique, vient signifier le caractère ouvert et multiforme des manifestations de l'imaginaire. Il ne s'agit pas de dire que l'imaginaire a une logique propre, mais bien que ses modes de déploiement connaissent de multiples registres, aussi variés que les formes culturelles qui en expriment l'action.

Cet essai traite des figures et de leurs modalités d'apparition, s'intéressant moins à la description de figures déjà établies qu'aux situations précises où des figures émergent et s'imposent à l'esprit. Qu'est-ce qui caractérise la figure comme signe ? Dans quel contexte apparaît-elle ? Quelles relations s'engagent à son contact ?

À partir d'analyses de textes contemporains (américains, français et québécois) sont examinées les diverses étapes de cette apparition : ce qu'elle présuppose (la première partie : préfigurer), ce qu'elle engage (la deuxième : figurer) et ce qu'il advient des formes ainsi générées (la troisième : défigurer). L'essai entend de la sorte tracer l'arc entier par lequel on se donne des figures.

La table des matières : «Série de trois livres collectifs réalisés par Daniel Canty entre 2006 et 2009, et qui réunissent écrivains et illustrateurs autour d'un thème.»

COLLECTIF, Le livre de chevet, Montréal, Le Quartanier (Table des matières), 2009.

Grand Prix Grafika 2011 dans la catégorie Livre.

Le Livre de chevet est un ouvrage collectif d’une facture graphique unique, proche de l’album, qui rassemble de la fiction, de la poésie et des images autour du thème du sommeil. Vingt-six auteurs et deux artistes ont été invités à « dormir ensemble » et à composer des textes capables d’altérer ou de peupler le sommeil des lecteurs.

Les auteurs rassemblés ici sont, en ordre d’apparitions, Christophe Bernard, Salvador Alanis, Éric Giraud, Nathalie Bachand, J. R. Carpenter, Angela Carr, François Turcot, Annie Lafleur, Dauphin Vincent, Oana Avasilichioaei, Simon St-Onge, Charles Simic, Bertrand Laverdure, Dessavage, Erin Moure, Mathieu Arsenault, Jacob Wren, Stephanie Bolster, Franz Schürch, Renée Gagnon, Marc-Antoine K. Phaneuf, Patrick Poulin, Louis-Philippe Hébert, Nathalie Stephens et Mélisandre Schofield.

Le livre de chevet donne à lire des contes, des nouvelles, des poèmes, des méditations, des protocoles hypnotiques ou expérimentaux, des lettres et des récits de rêves. On y croise l’inventeur du sommeil, les membres d’une société secrète qui n’existe qu’en rêve, plusieurs variétés d’insomniaques, un obsédé sexuel, un glacier et des animaux parlants, et le contenu de bien des sommeils paradoxaux.

Ouvrage nocturne à luminosité variable, Le Livre de chevet est imprimé dans un violet foncé, couleur du plein minuit qui s’estompe au fil des pages et des heures puis s’approfondit de nouveau quand la nuit revient. Le livre comprend vingt-quatre textes, répartis en quatre quarts de sommeil, ponctués par des retours à un « Hôtel de la mer » imaginé par Daniel Canty, maître d'œuvre du livre. Le tout est augmenté d’une « vingt-cinquième heure », un cahier noir dissimulé au centre du livre, où se déploie une fantaisie pornographique signée Bertrand Laverdure.

Le premier et le dernier quart de sommeil sont illustrés par les collages d’ANNIE DESCÔTEAUX, jeune artiste montréalaise qui détourne à coups de ciseaux les motifs des contes de Charles Perrault. Les deuxième et troisième quarts sont hantés par les dessins de l’illustrateur POL TURGEON, qui emprunte de multiples visages à Ingres pour donner corps à de nouvelles chimères. L’ouvrage comprend aussi des photographies et des schémas de Daniel Canty, et des intitulés dessinés par LÉON LO.

Le livre de chevet est réalisé, comme les deux ouvrages précédents de la collection «La table des matières», par Daniel Canty, avec la complicité graphique de Studio Feed. Notons que Cité Selon (2006) et La Table des matières (2007), tous deux parus au Quartanier, ont été reconnus pour leur excellence graphique par deux Grands Prix Grafika, un prix Lux, un Graphex et une mention du magazine torontois Coupe.

COLLECTIF, La table des matières, Montréal, Le Quartanier (Table des matières), 2007. Grand Prix Grafika 2008 dans la catégorie Livre.

La table des matières présente La Table des matières

Avec, en ordre de service, des textes de :

Karine Hubert, Mylène Lauzon, Philippe Charron, Salvador Alanis Luebbert, Karoline Georges, Daniel Canty, Christophe Tarkos, Thierry Dimanche, Claude Bernier, Alain Farah, Erin Mouré, Steve Savage et Jacob Wren

Ornée de nombreuses illustrations de Stéphane Poirier et agrémentée d'un index exhaustif des ingrédients

Conception graphique FEED [Raphaël Daudelin & Anouk Pennel]

Livre-repas, banquet, agape exceptionnelle qui réunit convives et denrées singulières, et qui dévoile des habitudes alimentaires mêlant bouchers et bouchées, poissons et poisons, pelures et poêlons.

Douze auteurs ont été conviés, autour d'un centre de table signé par le poète français Christophe Tarkos, à préparer un festin littéraire qui a pour vaste sujet, je vous le donne en mille, « manger ».

On trouvera :

une table (Karine Hubert) — de la tourtière (Mylène Lauzon) — de la chicorée et/ou du café (Philippe Charron) — un Allemand (Salvador Alanis Luebbert) — un verre d'eau et du sérum (Karoline Georges) — un sentier de miettes (Daniel Canty) — des champignons, dont de rares matsutake (Th. Dimanche) — de nombreuses variétés de pelures (Claude Bernier) — des pâtisseries politiques (Alain Farah) — des féculents qui évoquent l'Europe (Erin Mouré) — des voyelles anglaises (Dessavage) — un cadavre (Jacob Wren)

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La table des matières est une collection dirigée par Daniel Canty. Une fois l'an, elle propose un ouvrage collectif rassemblant poésies, fictions et images autour d'un thème.

Un premier volume, Cité selon (2006), passeport bleu, était consacré à l'expérience de la ville. Le livre de chevet (2009), troisième volume de la collection, vise pour sa part à accompagner, à hanter, à troubler le sommeil.

COLLECTIF, Cité selon, Montréal, Le Quartanier (La table des matières), 2006. Grand Prix Grafika 2007 dans la catégorie Livre.

Cité Selon est une action citoyenne qui prend la forme d'un passeport passe-partout pour tous. Avec Cité Selon en poche, le lecteur-citoyen pourra, où qu'il soit et en tout temps, exercer son droit démocratique et prétendre être ailleurs.