FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Dominique Noguez Titre : Le grantécrivain & autres textes Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : « L’infini » Année : 2000 Pages : 116 p. Cote : UQAM : Désignation générique : aucune

Bibliographie de l’auteur : Biographie fictive d’écrivain : Les trois Rimbaud. Autre : Les martagons, amour noir, Ouverture des veines et autres distractions, Tombeau pour la littérature, Les derniers jours du monde, Les trente-six photos que je croyais avoir prises à Séville, Derniers voyages en France, Les plaisirs de la vie.

Biographé : le grantécrivain… Gide, Duras, Sartre…

Quatrième de couverture : « L’exemple de Gide ou Sartre suggère que le grantécrivain (dont on propose ici le portrait sociologique et littéraire) a été longtemps une spécialité française. Est-ce encore vrai aujourd’hui? Pour que cette question ait un sens, il faudrait que l’existence de la littérature soit assurée. Or elle ne l’est plus. Surtout quand on a reçu en lot d’écrire dans l’une des grandes langues littéraires que la généralisation de l’anglo-américain menace de mort. / C’est égal : faisons volontaristement comme si de rien n’était. Peignons le grantécrivain comme il pourrait être demain : nouveau moraliste ou autoparodiste, traquant, au prix même du malheur et de l’immolation, une certaine vérité sur la société et sur lui-même. / L’auteur paye in fine de sa personne en donnant un concentré de littérature et un centon d’aphorismes sur ce “polygraphe superbe”, voleur de feu dévoré par un aigle mais faisant don de son foie à la postérité, que peut être tout écrivain, grand ou petit. » - Dominique Noguez. Habile quatrième de couverture, car elle donne l’impression d’une suite logique, d’une cohésion entre les textes, alors que dans les faits, Le grantécrivain & autres textes est, comme son titre l’indique, très hétérogène.

Préface : aucune

Rabats : aucun

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Texte théorique (bien qu’imprégné d’humour et d’imagination), par conséquent : A = N.

Narrateur/personnage : N ≠ P

Biographe/biographé : Le grantécrivain est l’objet des éloges de Noguez; surtout Gide, grand parmi les grands selon Noguez : « Les Nourritures terrestres – ce livre sublime et sous-estimé, à relire d’urgence […] » (p. 40.)

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Le grantécrivain est une sorte de dissertation sur la nature de cet oiseau rare qu’est le grantécrivain. Qu’est-ce qui fait d’un écrivain qu’il est un grantécrivain? Noguez donne des éléments de réponse, des définitions : « Non, je veux parler du “grand écrivain” en un seul mot, si je puis dire, et ce que cet artifice typographique, ce syntagme figé, veut désigner, c’est un individu dont la “grandeur” a été reconnue – et non seulement reconnue, mais utilisée et même mythifiée, au sens de Barthes – de son vivant même. Le grantécrivain, c’est cet acteur non seulement de la scène littéraire, mais de la scène culturelle et de la scène publique en général, qui se promène sur terre non seulement – comme tout écrivain – en représentant de commerce de lui-même, mais aussi en incarnation de la conscience universelle, non seulement en élégant phénomène de foire invité dans les dîners en ville, mais en sombre demi-dieu tombé du ciel des idées, préposé tout aussi bien aux “J’accuse” solennels qu’aux interviews dans Marie-Claire, aux éloges funèbres sur la place Rouge qu’aux prises de parole sur vieux tonneaux de fuel à la sortie des usines Renault. » (p. 13.) Plus loin, Noguez avance également que « [l]e grantécrivain est un trans-écrivain » (p. 21), c’est-à-dire qu’il traverse les disciplines et les divers champs de la culture et de la société en général. Il est aussi un « méta-écrivain » (p. 21.) : « Il n’est pas de ces génies obscurs repliés sur eux-mêmes, dégustant leur propre ego jusqu’à la soûlerie et jusqu’à la fin des temps. » (p. 21-22.) La définition la plus synthétique que donne Noguez est sans doute la suivante : « Ainsi, trans-écrivain, méta-écrivain, théoricien ou éthicien, bon connaisseur des Anciens, traducteur des Modernes – aussi bon, en somme, en histoire, en philosophie, en langues anciennes ou vivantes qu’en français –, le grantécrivain est comme un khâgneux supérieur – ou, tout somplement, c’est un khâgneux qui a réussi. » (p. 25-26.) Près du terme de son « portrait sociologique et littéraire » (4e de couverture), Noguez « risquera l’hypothèse que le grantécrivain est la forme la plus intellectuelle de l’écrivain. » (p. 31.)

Les autres textes portent les titres suivants : « Portrait de l’écrivain en conseilleur », « La voix de l’écrivain », « La littérature existe-t-elle encore? », « Écrire dans une langue qui meurt », « Éloge des Nouveaux Moralistes », « La littérature comme autoparodie provoquée », « Concentré de littérature », « Autocenton sur l’écrivain ».

Ancrage référentiel : Texte très ancré dans le référent, et bourré de références (à des auteurs, des philosophes, etc.)!

Indices de fiction : Noguez avoue que son portrait du grantécrivain n’est pas calqué sur la réalité quand il écrit : « Il s’agit là d’un modèle construit par induction et par collage plus que d’un portrait réaliste. Tentons cependant cette description. » (p. 15.)

Rapports vie-œuvre : Le grantécrivain se caractérise par le fait qu’il œuvre dans la société; sa « grantoeuvre » (si j’ose dire) ne peut être advenir que s’il est engagé, dans sa vie. Mais Noguez réfléchit davantage au rapport vie œuvre dans son texte « La voix de l’écrivain » : « C’est que la voix enregistrée est comme l’image photographique (en tous cas celle d’avant l’ère du virtuel) : non pas un simple simulacre, mais quelque chose de l’être même. / Du coup, par cette espèce de contagion biographique, par ce glissement de l’œuvre à l’auteur que Proust reprochait à Sainte-Beuve, on est heureux d’avoir, en plus de l’œuvre, un morceau, fût-il invisible et comme immatériel, de son auteur. Fétichisme. » (p. 45.) Noguez remarque ce fétichisme généralisé et ne s’en dissocie pas : il aurait aimeé, par exemple, posséder l’enregistrement de la voix de Rimbaud. Même que selon lui, le secret de l’œuvre doit se dissimuler dans la « voix de l’écrivain » (au sens propre) : « C’est là et uniquement là qu’il faudra chercher désormais, en écoutant mieux, le secret que l’œuvre n’a pas encore révélé, l’aveu de remords ou de duplicité, comme parfois chez Aragon, que n’offre pas l’écrit. » (p. 49.) En somme, Noguez adopte la conception de l’écriture comme « filtrage » : « L’écriture est une série de filtrages. Filtrage du concret, du réel, du biographique. » (p. 43.)

Thématisation de l’écriture et de la lecture : Noguez parle du devenir écrivain dans le texte « Portrait de l’écrivain en conseilleur » : « Entrer en littérature – ou, plus généralement, en création –, revient en quelque sorte à se retirer du monde, de ce monde de « journalistes » et du « gros public » […] et à rejoindre, par-delà l’espace et le temps, un monde de beaucoup préférable. » (p. 41.) Il y a aussi plusieurs intertextes, et même un qui se rapporte à une autre œuvre de Noguez : « le grantécrivain est un poète maudit qui fait de vieux os, de même que le poète maudit, Rimbaud, par exemple – d’aucuns se sont plu à l’imaginer –, est peut-être un futur grantécrivain mort trop tôt). » (p. 28.)

Thématisation de la biographie : Dès les premières pages, Noguez fait référence à la mort de l’auteur : « En rappelant cela, je ne suis pas si loin de on sujet qu’on pourrait le croire : car cette mise au rancart du poète par le philosophe, aux Ve et IVe siècles, obéit à des motivations très différentes mais constitue “ethnologiquement” un événement du même type que l’éclipse, en France, dans les années soixante, de l’écrivain par ceux qu’Yves Buin a appelés, depuis, les “crapules structuralistes” – ou, pour dire cela de façon plus aimable, le remplacement partiel de l’homme de la littérature par l’homme des sciences humaines. » (p. 11.) Par ailleurs, dans « Portrait de l’écrivain en conseilleur », partant du constat que Gide est au purgatoire, Noguez écrit : « De là, de son petit nuage gris, à l’abris des feux de la mode ou des exagérations de l’hagiographie, et connu, aimé, cependant, de quelques-uns (dirons-nous des meilleurs? disons-le), penché vers la terre avec une curiosité gourmande, le grand homme peut continuer, en toute impunité, de se livrer discrètement à son jeu favori : l’influence. » (p. 37.) Autrement dit, les louanges biographiques bloquent la filiation littéraire. Celle-ci est d’ailleurs un thème important du Grantécrivain et autres textes : « Barrès lance Mauriac qui lance Sollers qui lance, etc. » (p. 23.) Noguez parle même de « la famille d’élection des plus éminents esprits du passé et de l’avenir » (p. 42.)

Topoï : L’écrivain, la renommée, l’engagement, la langue, l’hégémonie de l’anglo-américain, l’influence, la tradition, la filiation, la voix, les moralistes, l’autoparodie, etc.

Hybridation : Le grantécrivain & autres textes sont avant tout des essais sur la figure de l’écrivain et sur la littérature. À cela se greffe des fragments biographiques (et même psychobiographiques : « La remarque, c’est qu’ il y a un côté jusqu’ici peu observé chez Rimbaud […], qui est son rapport au père […] » (p. 71)), plusieurs fragments humoristiques (chez Noguez, l’humour est une marque de commerce, et presque un genre), beaucoup de fragments critiques aussi, et des analyse sociologiques, linguistiques; bref, Noguez est un trans-écrivain!

Différenciation :

Transposition :

Autres remarques : Dire que Le grantécrivain & autres textes constitue une biographie fictive d’écrivain serait inexacte, il me semble. Mais il peut très bien servir de texte théorique, en quelque sorte, sur la figure de l’écrivain que notre groupe de recherche tente de théoriser dans le corpus des biographies fictives d’écrivains. Pertinent, donc, mais à mettre dans un corpus à part.

LA LECTURE

Pacte de lecture :

Attitude de lecture : Drôle, pertinent, modeste, ouvert, stimulant : j’en recommande la lecture.

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage