Fiche de lecture
1. Degré d’intérêt général
Malheureusement pour l'auteur et le lecteur, 29, rue Couillard tend davantage vers la perte de temps que vers l'exaltation que susciterait la découverte du roman de l'année. C'est une chance que le nombre de pages soit limité à 158, ce qui n'avait toutefois pas suffi, à l'époque, pour empêcher Réginald Martel de tenir des propos plutôt cruels : “M. Dubé, qui a publié il y a une dizaine d'années deux romans, la Mariakèche et Damnée Aimée, chez Leméac et VLB, nous montre une fois encore que la bonne volonté ne saurait pallier une totale absence de talent”(La Presse, 15 mars 1992). Dans ce roman qui tend vers la veine historique, la voix narrative est unique et tout ce qu'il y a de plus classique (extra- et hétérodiégétique), sauf lors de quelques occasions qui relèvent davantage, à mon avis, d'erreurs de la part de l'auteur. Quelques caractéristiques formelles me laissent tout de même songeur (voir point 4).
2. Informations paratextuelles
2.1 Auteur : Laurent Dubé
2.2 Titre : 29, rue Couillard
2.3 Lieu d’édition : Sillery
2.4 Édition : Septentrion
2.6 (Année [copyright]) : 1992
2.7 Nombre de pages : 158
2.8 Varia :
3. Résumé du roman
Dans la ville de Québec des années 50, époque pendant laquelle la figure de Duplessis n'est encore que peu contestée, trois jeunes adultes vivent ce qui correspond plus ou moins à un triangle amoureux auquel se greffe un épisode judiciaire qui clôt le roman. L'histoire d'un des protagonistes, qui se voit quasiment forcé de partir travailler sur la terre de Baffin pendant une dizaine de mois, semble se détacher de l'intrigue principale qui continue de se dérouler à Québec, mais on sent que cet éloignement n'a lieu que dans l'objectif de nourrir l'intrigue principale et non pour amorcer un nouveau récit autonome ou même semi-autonome. De toute façon, j'ai l'impression que cette branche du récit est trop peu développée pour valoir la peine d'être étudiée avec attention.
4. Singularité formelle
Comme je l'ai dit plus tôt, quelques caractéristiques formelles sont particulières à ce roman, bien qu'elles ne soient pas majeures ou révolutionnaires. D'abord, le roman est divisé en cinq chapitres, eux-mêmes fragmentés en de multiples segments narratifs assez courts (environ 1 à 3 pages chacun). Toutefois, cette fragmentation de la narration de crée pas de discontinuité autre qu’événementielle ou temporelle, c’est-à-dire que ces segments ne servent qu’à diviser la narration en événements ou à signifier un intervalle temporel plus ou moins long, sans pourtant atténuer le fil conducteur principal que constitue le triangle amoureux entre Simon, Catherine et Marcel.
Ensuite, les citations placées en exergue de chaque chapitre ne proviennent pas de l'extérieur du roman, mais sont plutôt des phrases attribuées à des personnages du roman. Attribuées, mais pas nécessairement prononcées. Au premier chapitre, une chanson gaillarde entonnée par certains personnages ; au deuxième, une citation de Monsieur Mortan, dont le nom sera évoqué à quelques reprises par les personnages sans que le lecteur puisse apprendre quoi que ce soit de concret à son propos ; au troisième, une phrase que Maria Thibeault, une personnage très secondaire qui apparaît au quatrième chapitre, ne prononcera jamais dans le cadre du récit qui nous occupe ; aux quatrième et cinquième chapitres, les citations proviennent de deux personnages que le lecteur connaît depuis le début, mais qui ne prononcent ni se semblent penser ces mots. Cette constatation à propos des exergues pourrait peut-être rejoindre la question de la complétude et de l'incomplétude de la fiction, soulevée notamment par Richard Saint-Gelais dans “Fictions transfuges” (il me semble), le récit de 29, rue Couillard s'inscrivant alors dans un univers plus large. Ça reste à voir.
Enfin, dernier phénomène formel suspect, entre les pages 110 et 119, la typographie diffère de l'ensemble du roman. L'italique est utilisé et les trois petites astérisques qui marquaient le début d'un nouveau “fragment” ont disparu. Cependant, aucune justification ne m'apparaît. Ce procédé ne rajoute pas la moindre couche de sens, ne révèle aucun nouvel élément (en tout cas, je n'en ai pas trouvé…), ce qui me pousse à croire qu'au vu des trois derniers aspects formels, l'auteur de 29, rue Couillard, plutôt que d'intégrer à son roman des éléments formels qui auraient été véritablement producteurs de sens, s'est contenté d'ajouter quelques artifices qui donnaient à son roman une apparence plus contemporaine. C'est peut-être un peu dur comme jugement, mais c'est vraiment mon impression…
5. Caractéristiques du récit et de la narration
Narration extra- et hétérodiégétique qui s'intéresse également à chacun des trois personnages principaux. Quelques brèves analepses “fugitives” (au sens où elles apparaissent sans prévenir et surprennent le lecteur, le laissant quelque peu désemparé devant un de ces courts retours en arrière insérés au milieu de scènes en apparence anodines…) surgissent entre autres aux pages 76-77 et 85-86. De plus, le narrateur fait occasionnellement preuve d'ironie à l'égard du contexte historique (p.57-58) ou de certains personnages (p. 109 « Quelques noms de femmes sur une feuille de papier, certainement d’honnêtes citoyennes » alors qu'il s’agit fort probablement de prostituées) et pose des jugements sur ses personnages, en particulier sur Simon (p. 69 “Le fils indigne”, p. 71 “ mécréant”).
6. Narrativité (Typologie de Ryan)
6.1- Simple 6.2- Multiple 6.3- Complexe 6.4- Proliférante 6.5- Tramée 6.6- Diluée 6.7- Embryonnaire 6.8- Implicite 6.9- Figurale 6.10- Anti-narrativité 6.11- Instrumentale 6.12- Suspendue
Justifiez : Simple - une seule intrigue qui unit trois personnages autour autour d'un certain contexte, un seul narrateur ; facture classique.
7. Rapport avec la fiction
Rien de pertinent.
8. Intertextualité
Rien à signaler.
9. Élément marquant à retenir
J'imagine que le plus marquant est ce que j'appellerais la volonté de démonstration formelle de l'auteur et que j'ai présentée à la fin du point 4. Néanmoins, un travail sur la complétude/incomplétude de l'univers fictionnel pourrait tout de même s'intéresser à la question des “fausses” citations en exergue de chaque chapitre.
[Sébastien Hogue, 31 janvier 2012]