FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Jean-Michel Delacompté Titre : Et qu’un seul soit l’ami. La Boétie Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : L’un et l’autre Année : 1995 Pages : 186 pages Cote : Bibliothèque de Québec, cote 848.3 L122 Xd Désignation générique : Sans

Bibliographie de l’auteur : Madame la cour la mort, Gallimard, coll. L’un et l’autre, 1993. La mère et le courtisan. La Princesse de Clèves, Presses universitaires de France, 1991

Biographé : Surtout La Boétie. Montaigne

Quatrième de couverture : Rien

Préface : Sans

Rabats : Sans

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Narration opaque : le narrateur s’exhibe comme producteur du récit. Présence d’embrayeurs d’écoute : dans le texte même, le narrateur indique fréquemment ses sources, ce qui contribue à élargir la distance entre temps de l’écriture (révélé par une multitude de modalisateurs) et temps de l’époque représentée. Tout indique que le narrateur est l’auteur. Il n’y a d’ailleurs pas de préface à l’ouvrage. Le contenu que l’on retrouve habituellement dans le discours préfaciel se trouve ici intégré au texte. En effet, dès le premier chapitre (intitulé «Le disparu »), l’auteur présente le projet de son livre. Il n’y a donc pas de «porte d’entrée » à cet univers mi-fictif, mi-réel. On entre in limine dans le texte, accompagné d’un narrateur qui s’affiche comme étant l’auteur.

Narrateur/personnage : Et qu’un seul soit l’ami nous met en présence d’un narrateur qui tente de jeter la lumière sur cet écrivain encore trop méconnu qu’est Étienne de La Boétie. Bien qu’il s’exprime au «je», ce narrateur n’est toutefois pas un personnage. Il s’agirait donc d’une narration de type intradiégétique/hétérodiégétique. D’emblée, le narrateur rappelle combien il est difficile de cerner le personnage que fut La Boétie. Selon lui, «peu de noms célèbres cachent autant leur matière » (p. 10). C’est donc «par la bande » (p. 9) (à travers les Essais, mais aussi à travers Le discours sur la servitude volontaire) comme l’ont fait la plupart des chercheurs, que le narrateur entend traiter de La Boétie. La dimension intérieure du personnage est par conséquent quasi absente. En fait, La Boétie n’est pratiquement pas représenté en tant que personnage, c’est-à-dire qu’il est rarement montré en train d’accomplir une action. On se contente davantage de le décrire. Il partage les devants de la scène avec Montaigne, dont les Essais sont grandement mis à contribution. Il s’agit donc avant tout d’une focalisation externe : on tente de dévoiler l’existence de La Boétie par le biais de son œuvre et de celle de ses contemporains, mais cette existence reste toujours de l’ordre du factuel. Extrait : « Tout est là : La Boétie possédait l’énergique parole des gens de Gascogne, une parole aux tons secs et mâles, et quand Michel, dans sa dédicace de la Ménagerie à M. de Lansac leur ancien collègue au Parlement, écrit que notre Guyenne n’a eu garde de voir rien pareil à lui parmi les hommes de sa robe, que signifie-t-il, sinon que sous l’homme des lois rayonnait l’homme de la voix ? » ( p. 149).

Biographe/biographé : L’auteur endosse les propos de La Boétie. Il se porte même à la défense de celui-ci. Par exemple, il traite d’« exaspération gratuite » l’attitude de Sainte-Beuve à l’égard du Discours (Sainte-Beuve considérait ce texte comme étant «un chef-d’œuvre de seconde année de rhétorique » (p. 25)). Le narrateur s’emporte souvent contre des contemporains de La Boétie dont la conduite va à l’encontre de l’idéal d’égalité et de tolérance prôné par le Discours. C’est dire que le narrateur épouse le point de vue de La Boétie. Voir ce passage où il commente le propos du cardinal de Lorraine adressé à Henri II : « Mâle discours d’un chirurgien du corps social, pour qui la tolérance est une épidémie et les supplices un trait d’honneur » (p. 81-82). Admiration manifeste de l’auteur à l’égard de La Boétie, qu’il considère «remarquable et fameux » (p. 92).

Autres relations : Montaigne occupe une place importante au sein de l’ouvrage. Néanmoins le narrateur se montre-t-il beaucoup moins fasciné à son égard.

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Et qu’un seul soit l’ami est l’histoire d’une amitié, celle qui unit Montaigne à La Boétie. C’est également le portrait d’une époque, celle d’Henri II, celle du soulèvement de Guyenne et de la répression qui suivit, celle également où la Raison d’État commence à concurrencer les principes de la foi. Instants captés sur le vif, commentaire sur l’œuvre rendue immortelle par Montaigne, fresque historique, ce livre est en même temps le récit d’une quête : celle de Jean-Michel Delacompté pour saisir une des personnalités les plus fuyantes de l’histoire de la philosophie, mais aussi, et surtout, celle qu’accomplit Montaigne dans ses Essais pour faire entendre, à côté de l’ami disparu, sa propre voix.

Ancrage référentiel : Tout ce que l’on retrouve habituellement dans la biographie traditionnelle est là : ancrage spatio-temporelle (Paris ; le Parlement de Bordeaux ; la rue Saint-Antoine, là où Henri II fut tué ; le 1er novembre 1530, année de naissance de La Boétie ; le 18 août 1563, année de la mort de La Boétie ; l’édit de janvier 1562, etc.) ; personnalités littéraires et politiques (Sainte-Beuve, Starobinski, Gide, Montaigne, Henri II, Louis XIV, etc.) ; œuvres littéraires et philosophiques, revues (Le discours sur la servitude volontaire, les Essais, le Moniteur universel, etc.)

Indices de fiction : Malgré le fort ancrage référentiel, on a l’impression de lire un roman. Une certaine conjugaison des registres contribue à cet «effet de fiction ». Mentionnons d’abord la présence d’un registre polémique : « Le thème de la solidarité civile, traduction sociale de la liberté, de l’égalité et de la fraternité naturelles, hante l’hymne d’Étienne comme il n’a cessé de hanter la France, et comme il la hante aujourd’hui, plus que jamais, derrière l’indolence de l’esprit civique et les égoïsmes bouffis d’une prospérité inégale » (p. 83). S’ajoute à cela le caractère prosaïque du texte: « Moi j’aime le bruit des pas sur le sol toilé, celui des pages tournées, des cartables qu’on ouvre […] » (p. 19). La récurrence de termes convoquant l’imaginaire ou l’hypothétique (du genre :« j’imagine la conversation » (p. 92), «on peut conjecturer » (p. 98)) constitue une autre marque importante de fictionalité. Soulignons enfin la présence d’un régime ludique qui vient briser avec le sérieux de la biographie traditionnelle : «[…] le docteur Payen […] rédigea […] une Notice sur M. le Dr. Souberbielle, chirurgien lithotomiste (1846), et même, plus prosaïque, plus rébarbatif encore, une Observation nouvelle sur la guérison des fissures à l’anus traitées par le monésia (1840).

Rapports vie-œuvre : Très marqués, puisque c’est principalement à travers les Essais et Le discours sur la servitude volontaire que l’auteur tente de saisir La Boétie. Montaigne est également envisagé à travers le prisme de son œuvre.

Thématisation de l’écriture : Très marquée également. Delacompté relate les circonstances entourant l’écriture du Discours, s’intéresse aux différents remaniements du texte puis aux autres travaux de La Boétie.

Thématisation de la lecture : Le thème de la lecture est omniprésent. On trouve plusieurs allusions à la lecture des œuvres de La Boétie par Montaigne. En outre, le narrateur fait souvent état de ses lectures.

Thématisation de la biographie : Marquée. D’entrée de jeu, le narrateur déplore l’absence de biographie «digne de ce nom » (p. 9) sur La Boétie. Il rappelle également le caractère hypothétique de toute biographie : « D’autres contributions viennent et viendront, puis d’autres ; la machine va son train. Et de la sorte, par degrés, à pas comptés, se forme une connaissance de La Boétie qui à terme se convertira en la biographie qui nous manque aujourd’hui. Sous quelles vérités sera-t-il exposé ? Couturé de lacunes, de conjectures et de doutes, ou reconstruit de pied en cap malgré les réserves d’usage ? Dans tous les cas, hypothétique » (p. 10). Delacompté avance en outre plusieurs hypothèses quant à l’absence de biographie «épaisse, érudite et grave » (p. 186) sur La Boétie. Il est également question de toute une série d’études à caractère biographique sur La Boétie, que l’auteur critique, dénonce ou louange.

Topoï : la rencontre entre La Boétie et Montaigne, les amours d’Étienne, sa laideur, l’amitié, l’homosexualité présumée des deux écrivains, la corruption du pouvoir, la répression, la religion, l’écriture, le délire, la mort, etc.

Hybridation : Plusieurs genres sont convoqués aux côtés de la biographie : l’essai (commentaire, critique et analyse de textes, expression de la subjectivité de l’auteur, etc), le roman (voir dans les indices de fiction), le journal intime («C’est ainsi que Montaigne et La Boétie, je les ai lus au plus creux d’une ornière, et je me souviens que les ayant lus, je me suis senti remis à hauteur de ma selle […] : p. 32), la chronique nécrologique, la maxime (« L’amour se transmet par les yeux ; il lui faut les traits et le teint, la silhouette et les gestes, la présence. L’amitié, au contraire, néglige le regard : elle préfère l’ouïe » : p. 91)

Différenciation :

Transposition : - Transposition d’un univers référentiel dans un univers fictif (le contexte politique au 16e siècle, l’Inquisition, etc.) - Transposition de la mémoire savante (documents d’époque retranscrits, citations d’auteurs, etc.) - Transposition de l’œuvre : de longs pans du Discours et des Essais sont cités - Transposition/juxtaposition de plusieurs genres littéraires - Transposition/recréation d’un vécu individuel - Transposition générique (jeu sur les clichés de la biographie : voir tous ces passages où l’auteur, en retraçant les liens de parenté, complexifie la structure de ses phrases au point de rendre certains passages pratiquement illisibles). - Transposition d’ordre herméneutique : interprétation de l’œuvre et du vécu. Et donc transposition du discours de la critique. - Transposition de divers registres : du sérieux (surtout dans les commentaires de textes) au ludique (voir dans les indices de fiction). - Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture : Encore un de ces pactes flottants où la biographie convoque crédulité et incrédulité.

Attitude de lecture : Lecture fort intéressante. Ce texte semble très pertinent eu égard à la problématique de départ.

Lecteur/lectrice : Marina Girardin