====== FICHE DE LECTURE « Les Postures du biographe » et « Figures d’écrivain » ====== === INFORMATIONS PARATEXTUELLES === Auteur : Kraxi (Marcel Bélanger) Titre : Le premier abécédaire de David Kurzy Lieu : Montréal Édition : L’Hexagone Collection : Écritures Année : 2009 Pages : 190 Cote BAnQ : 841.6 K919p 2009 (Grande Bibliothèque - Niveau 1) Biographé : David Kurzy Pays du biographe : Québec Pays du biographé : République Tchèque, Québec, Afrique Désignation générique : Aucune Quatrième de couverture : Une courte présentation : « Avec le personnage de David Kurzy, Kraxi rencontre l’un de ses doubles qu’il pourrait qualifier de rebelle. Oscillant entre l’errance et la sédentarité, Kurzy se refuse d’être l’écrivain qu’il est malgré lui. Si l’adolescence barbare alimente sa vie et son imaginaire, l’énergie d’une puberté exacerbée ne s’oppose en rien à la prétendue maturité de l’âge adulte qui, pour la plupart, va de reniements en résignations. Le narrateur, à la fois auteur et personnage, demeure hanté par la venue d’un être humain nouveau. Ainsi, ce premier abécédaire lui permet de s’engendrer de texte en texte. » La quatrième de couverture comprend également le nom de la collection, ainsi qu’une présentation biographique de Kraxi Préface : La très longue préface va de la page 11 à la page 60. Kraxi lui-même y présente la vie et l’œuvre de Kurzy. Il s’agit en fait de la véritable portion biographique de ce texte, celle qui fait l’objet de cette fiche. Autres informations : Huit citations figurent en épigraphe au livre. Elles sont d’Arthur Rimbaud, de William Shakespeare, de Michelangelo Buonarroti, de Walt Whitman, de Frederico García Lorca, de Cesare Pavese, de Thomas Mann et d’Allen Ginsberg. Il y a, de plus, une citation de Julius Mordecaï Pincas, dit Jules Pascin, qui précède la préface. Le premier abécédaire de David Kurzy est le premier volet d’un triptyque annoncé par l’auteur et qui comprendra Le second abécédaire de David Kurzy, poèmes, ainsi que Carnets de Kurzy, roman. Textes critiques sur l’œuvre et/ou l’auteur : BISSONNETTE, Thierry (2004), « Poésie – La quatrième personne du singulier », Le Devoir, LIVRES, samedi, 22 mai, p. f4. MÉNARD, Jean-Sébastien (2009), « Toute une vie à dévouloir », Tera Nova Magazine, no 60 (août), http://www.terranovamagazine.ca/60/pages/livre.html (page consultée le 29 novembre 2009 [En ligne]) === SYNOPSIS === Résumé ou structure de l’œuvre : La première partie du texte est une longue préface à l’abécédaire de Kurzy, et qui est divisée en trois sections. Signée par Kraxi lui-même, qui se présente comme un ami de Kurzy, et intitulée « l’œuvre-vie », ce premier texte mêle considérations biographiques et littéraires. Dans la première section, « L’écart », le narrateur parle de sa relation avec Kurzy, des circonstances nébuleuses de la disparition de celui-ci, et de la manière dont ses cahiers lui sont parvenus. Il raconte ensuite la vie de Kurzy, son enfance en Moravie, la mort de sa mère juive à Auschwitz-Birkenau, sa fuite avec son grand-père à travers l’Europe en crise, leur passage en Afrique et leur immigration au Québec, dans une communauté anarchiste et adamite. Kraxi raconte aussi l’adolescence rebelle de Kurzy, son errance et sa venue à l’écriture. Dans la seconde section, « L’hydride », il est question de l’intérêt de Kurzy pour l’hybridité : celle de son identité propre, surtout, mais aussi l’hybridité sexuelle, l’hybridation littéraire (celle des genres, mais aussi du langage lui-même), l’hybridité de la vérité. Cette obsession pour tout ce qui relève de l’hybridité mène Kurzy à une passion pour l’incohérence, le contresens, le contretemps, les espaces d’entre-deux. La dernière section, « L’aboli », poursuit dans la même veine. Kraxi y raconte sa dernière rencontre avec son ami, où celui-ci lui avait parlé de la souffrance intérieure qu’il vivait. Il est aussi question du rapport entre la vie et l’œuvre, et de la manière dont Kurzy se mettait constamment en scène comme un personnage de sa propre vie et entremêlait toujours une part de fiction lorsqu’il parlait de lui. La deuxième grande partie de l’œuvre est l’abécédaire, qui se décline en quatre sections intitulées selon les quatre premières lettres de l’alphabet. Les textes, qui font tous moins d’une page, sont des poèmes en vers libres ou en prose, où l’on retrouve la plupart des idées annoncées dans la préface de Kraxi, en particulier le langage et la sexualité. Topoï : Hybridité, marginalité, refus, adolescence, sexualité, identité, inachèvement. Rapports auteur-narrateur-personnage : Kraxi signe la préface, donc il semble y avoir adéquation entre lui et le narrateur. Cependant, puisque la quatrième de couverture nous apprend que Kurzy est un double de Kraxi, et que par conséquent il n’existe pas, cette signature implique un acte de fiction (qu’elle comprend déjà, en quelque sorte, puisque Kraxi est un pseudonyme). Dans l’univers fictionnel de Kraxi, le narrateur de la préface et le personnage sont deux amis. ==== POSTURES DU BIOGRAPHE ==== === I. ASPECT INSTITUTIONNEL === Position de l’auteur dans l’institution littéraire : Notice biographique de Kraxi par Katia Stockman, tirée du site Internet L’île : « (Berthierville, le 5 juin 1943 - ) Poète, Marcel Bélanger obtient une licence en lettres de l'Université Laval en 1968 et une maîtrise et un doctorat de l'Université d'Aix-en-Provence en 1972. Il enseigne à l'Université Laval de 1972 à 1980 tout en étant directeur de la revue Livres et Auteurs québécois de 1975 à 1978 et de la revue Estuaire à partir de 1980... Il a également fondé et dirigé les Éditions Parallèles de 1976 à 1980 et été recherchiste et animateur à Radio-Canada à partir de 1978. Il a participé à des rencontres d'écrivains et à quelques récitals de poésie ainsi qu'à de nombreuses émissions de radio, au Québec et à l'étranger. Il a aussi écrit pour les revues Liberté, Le Magazine littéraire, Incidences, Études littéraires, Prism Review et pour les journaux Le Soleil et Le Droit. Il vit actuellement en France. [La note biographique qui figure en quatrième de couverture de L’abécédaire mentionne au contraire qu’il habite dans un petit village de Lanaudière.] Marcel Bélanger a été finaliste au Prix du Gouverneur général du Canada en 1980 pour son recueil Migrations. Certains de ses poèmes ont été traduits en anglais, en espagnol, et en hongrois. » Référence : http://www.litterature.org/recherche/ecrivains/belanger-marcel-61/ (page consultée le 29 novembre 2009 [en ligne]) Position du biographé dans l’institution littéraire : David Kurzy est un écrivain imaginaire, mais dans l’univers fictionnel de l’œuvre, il n’a pas réellement de position dans l’institution littéraire, puisqu’il n’a jamais rien fait lire à quiconque de son vivant, se refusant lui-même à toute posture et à tout rôle social définitif, même celui d’écrivain, car sa pensée est faite d’une perpétuelle quête identitaire qui ne doit pas être résolue. Dans la préface, Kraxi s’interroge sur la raison pour laquelle Kurzy lui a fait parvenir ses écrits plutôt que de les détruire, sans parvenir à trancher : soit qu’il souhaitait que son ami se charge de leur publication, soit qu’il espérait trouver en lui son seul et unique lecteur. Transfert de capital symbolique : Aucun, autant parce que Kurzy n’a pas réellement de capital symbolique que parce que Kraxi ne cherche pas vraiment à s’associer à son ami et à son œuvre. === II. ASPECT GÉNÉRIQUE === Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : L’auteur a publié une dizaine recueils de poésies, ainsi que quelques essais et récits. Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : Kraxi se donne pour mission de présenter, dans sa préface, autant l’œuvre de Kurzy que sa biographie, puisque le lecteur ne connaît évidemment rien de lui. Il ne semble pas procéder de manière vraiment systématique, mais plutôt intuitive, ou vaguement thématique (vaguement parce que ce sont, dans toute la préface, les mêmes thèmes qui reviennent constamment). Kraxi emprunte donc la posture du préfacier, qui suggère un angle d’approche pour mieux comprendre l’œuvre. Mais il rapporte aussi la biographie de Kurzy (en spécifiant toutefois que, le rapport de celui-ci à la vérité étant ambigu, tout ce qu’il peut en dire relève essentiellement de la conjecture et, par conséquent, il utilise fréquemment le conditionnel) en tant qu’ami ayant eu accès aux confidences de l’écrivain – même s’il met celles-ci en doute –, mais aussi en tant que témoin de sa vie qui, à défaut de l’avoir beaucoup côtoyé, l’a au moins compris de manière particulièrement aiguë. Si on laisse de côté le pacte de lecture qui nous est proposé par Kraxi, on découvre une forme de parallélisme entre son propre projet et celui de son personnage. Alors qu’il nous est dit que Kurzy a refusé d’assumer son statut d’écrivain, en se refusant à la publication de ses écrits de son vivant, Kraxi procède en quelque sorte au même type de refus : s’il signe bel et bien la préface, il attribue toutefois l’abécédaire à un tiers. Il ne va pourtant pas jusqu’au bout de ce projet, comme le fait par exemple Jean-Benoît Puech, puisque c’est son nom qui figure sur la couverture du livre, ce qui empêche le lecteur d’être vraiment dupe et de souscrire au pacte de lecture autrement que sur le mode de la connivence avec l’auteur. Thématisation de la biographie : Il est davantage question dans la préface de l’autobiographie que de la biographie. En effet, Kraxi revient à plusieurs reprises sur l’incompatibilité de Kurzy et de l’autobiographie, puisqu’il se percevait lui-même de manière infiniment changeante – la question de l’identité est d’ailleurs au cœur des réflexions mises en œuvre dans cet ouvrage –, mais aussi parce qu’il se racontait à travers la fiction, non seulement la sienne, mais aussi celle des œuvres qu’il avait lues. Dans la même optique, Kraxi écrit ceci : « De la biographie de David Kurzy, on l’aura déjà compris, je ne puis parler qu’au mode conditionnel, car tout chez cet homme relève de la conjecture, et particulièrement ces confidences toujours suspendues sur des aveux qui, sitôt évoqués, au dernier instant retournaient dans l’ombre et le mutisme. » (2009 : 20) === III. ASPECT ESTHÉTIQUE === Oeuvres affiliées du biographé : Kraxi affirme que les seules œuvres de David Kurzy sont le premier et le deuxième abécédaire, et les carnets. Cependant, lorsqu’il parle de l’œuvre, c’est le plus souvent de manière générale, sans spécifier exactement où il puise telle ou telle idée. Échos stylistiques : Autant au niveau du style que des thèmes, il n’y a pas réellement de rupture entre la préface et l’abécédaire, au point où je n’ai pas vraiment eu l’impression que c’étaient deux voix différentes qui énonçaient chacune de ces parties. Cette impression vient surtout du fait que même dans l’abécédaire, le narrateur non seulement n’utilise pas le « je », mais emploie les formules qui servaient à l’auteur de la préface à décrire un tiers. C’est donc apparemment le même « il » qui sert à Kraxi à décrire Kurzy que celui que Kurzy semble employer pour se décrire lui-même. Cette absence de clivage semble justifiée dans le texte par le fait que Kraxi évoque sa fraternité intellectuelle avec Kurzy, mais cette explication n’est guère convaincante. Échos thématiques : La préface aborde tous les thèmes qui sont dans l’œuvre. Les principales différences consistent dans l’importance accordée à chacun d’entre eux, ainsi que dans la présence d’éléments biographiques, absents de l’abécédaire, mais convoqués par Kraxi dans la préface. Kraxi et Kurzy, selon ce qu’on peut conclure en comparant chacune des parties, se rejoignent surtout par leur goût de l’exotisme et de tout ce qui, en général, relève de la marginalité. === IV. ASPECT INTERCULTUREL === Affiliation à une culture d’élection : Les cultures africaines et orientales, connues autant par Kraxi que par Kurzy, occupent une place assez significative. Il est aussi question dans la préface de la culture juive, d’où Kurzy tire ses origines, ainsi que de la sous-culture anarchiste dans laquelle son grand-père l’a élevé. Apports interculturels : Le livre se situe en entier du côté de l’interculturalité : Kurzy n’appartient tout à fait à aucune des cultures auxquelles il est lié. Il est plutôt « défini » par le tourbillon culturel où il se trouve. ==== FIGURES D’ÉCRIVAIN ==== Résumé du projet : Devant la multiplication de ces figures, nous faisons l’hypothèse que l’articulation de la vie et de l’œuvre est devenue pour les auteurs contemporains un enjeu majeur de l’écriture qui renvoie à un enjeu capital de la critique. Nous serons ainsi amenés à examiner la manière dont les productions contemporaines jouent sur la frontière qui tantôt unit, tantôt sépare un écrivain (réel ou fictif) et son œuvre (avérée ou inventée). Objectif : Dégager un portrait d’ensemble du rapport vie-œuvre tel qu’il est mis en scène dans la littérature contemporaine (entendre, depuis 1980). Porter une attention aux points suivants : 1) Les schémas argumentatifs au fondement des métadiscours qui envisagent le rapport entre la vie et l’œuvre, l’étayant ou le contestant selon les cas : inventaire et interprétation des divers schèmes argumentatifs qui arriment la vie à l’œuvre. L’objectif est de cartographier et systématiser les topoï et les visées qui sous-tendent l’argumentaire contemporain du rapprochement vie-œuvre, de façon à pouvoir identifier nettement quelles conceptions de ce rapport migrent vers la fiction et la déterminent. Kraxi ne fait pas réellement appel à un métadiscours liant vie et œuvre. Néanmoins, on retrouve dans son texte des réflexions qui touchent le rapport qu’avait Kurzy face à la littérature. Par exemple, il parle de la fascination qu’avait son ami pour les œuvres d’écrivains et d’artistes qui ne réussissaient pas à terminer, « apparemment incapables de finir ce qu’ils ne cessaient de commencer » (2009 : 20) (il cite en exemple Vinci, Proust et Musil). L’idée d’inachèvement, qui est reconduite tout au long du texte et qui se décline de multiples façons, autant liée à la vie de Kurzy qu’à son œuvre, se trouve donc au cœur de son rapport à la littérature, au point où cet inachèvement le conduit à favoriser des écrivains moins en fonction de leurs œuvres que par rapport à leur manière de la produire. 2) Les stratégies diégétiques qui font apparaître la figure de l’écrivain en tant que point d’ori¬gine de l’œuvre ou, à l’inverse, pure manifestation de celle-ci : spécification des modes d’in¬carnation de la figure d’écrivain, selon qu’on a affaire à un écrivain réel ou fictif, dans une biographie imaginaire ou dans une fiction. Donc, d’abord : Identifier le « dispositif structurant » (s’agit-il d’une biographie imaginaire d’un écrivain réel, d’un texte mettant en scène un écrivain réel dans une fiction ou d’un texte mettant en scène un écrivain fictif?); ensuite voir comment l’histoire (la diégèse) et la forme (le genre, entre autres) interprètent le rapport vie/œuvre et le mettent en scène. La préface du Premier abécédaire de David Kurzy parle d’un écrivain ouvertement fictif (la quatrième de couverture s’ouvre sur ces mots : « Avec le personnage de David Kurzy », et les informations sur la couverture suggèrent que Kraxi est l’auteur du livre). La forme de la préface, et en particulier la préface d’un ouvrage que personne n’a lu, écrit par un écrivain que personne ne connaît, laisse à l’auteur le champ libre pour dire tout ce qu’il sait à la fois de cette œuvre et de cet écrivain. Ces deux éléments sont donc imbriqués, et l’auteur y va souvent de réflexions générales dont on a du mal à déterminer si elles concernent en premier lieu l’homme ou l’œuvre. C’est surtout le cas lorsqu’il parle des idées de Kurzy, parce qu’il lui arrive souvent de ne pas spécifier comment ces idées se manifestent concrètement, ni dans la manière de vivre de son ami, ni dans sa manière d’écrire. Kraxi semble donc considérer l’œuvre et son auteur comme un tout organique dans lequel se jouent une quête et un mouvement perpétuels : l’inachèvement identitaire de Kurzy est à l’image de l’inachèvement de son œuvre. À travers la représentation que faisait Kurzy de sa propre vie, tant dans ses carnets que dans ses confessions à son ami, Kraxi insinue que l’œuvre empiétait sur la vie, parce que le récit que Kurzy en faisait était systématiquement contaminé par la fiction. Kraxi écrit même : « Il ne croyait d’ailleurs pas à ces notions de vérité et de réalité, inventées à des fins idéologiques, mais dangereusement efficaces à cause de la crédulité généralisée dont est affectée la nature humaine qui ne demande qu’à croire dans son incapacité à faire face au vide et au néant. Tout relevait de la fiction. » (2009 : 42) Kurzy étendait donc cette conception radicale à sa propre histoire. Cependant, par son refus d’être vu comme un écrivain, Kurzy crée également une subordination de l’œuvre à la vie. Il y a donc un mouvement contraire, ou plutôt une abolition réciproque qui se joue dans le rapport entre l’œuvre et la vie chez Kraxi : la vie est abolie par la fiction, puisque Kurzy substitue celle-ci aux faits, et l’œuvre est abolie par la vie, puisque Kurzy a refusé d’être lu de son vivant. 3) Les modèles explicatifs qui viennent spécifier le rapport vie-œuvre, qu’il s’agisse de la psychanalyse, de l’histoire (générale ou littéraire), de la sociologie, etc. : analyse des modèles explicatifs qui amalgament, dans une figure d’écrivain, l’œuvre et la vie. Dans ce volet de la recherche, il faudra analyser plus avant les modèles explicatifs qui, entre les unités discrètes que constituent une œuvre et une vie, réalisent l’amalgame qu’incarne, au final, toute figure d’écrivain. Une certaine part de la préface semble envisager le rapport entre la vie et l’œuvre selon une perspective qui se rapproche de celle de la psychanalyse. C’est le cas en particulier en ce qui concerne la manière dont Kraxi envisage le rapport de Kurzy face à son enfance. Kraxi semble inspiré par l’idée du refoulement lorsqu’il écrit que « [c]hez Kurzy, les souvenirs de cette traversée panique d’une Europe en crise avaient fini par se fondre aux effets de clair-obscur d’une fiction, de toute évidence provoqués par la volonté d’enfouir au plus creux des scènes qu’il n’aurait jamais voulu vivre. » (2009 : 21) Plus loin, Kraxi ajoute que c’est par « l’enfance enfouie dans ses tripes qu’il vint à l’écriture » (2009 : 25) L’Histoire permet également de comprendre la vie de Kurzy et cette impulsion qui l’a mené à l’écriture, puisque l’histoire de son enfance, si importante dans son rapport à la fiction et à l’écriture, est liée à un des événements les plus marquants du XXe siècle, soit l’extermination des Juifs. D’ailleurs, si Kraxi revient souvent sur la judéité de Kurzy et sur la mort de sa mère, il n’en est pas directement question dans l’abécédaire, ce qui confirme également l’idée de refoulement suggérée par l’auteur. Globalement, toutefois, le modèle de pensée adopté autant par Kraxi que par Kurzy est celui du rejet de toute certitude. Ainsi, le biographe et le biographé perçoivent les vérités trop affirmées comme des entraves à la liberté. Il n’y a donc pas de modèle explicatif principal, puisque l’usage d’un tel dispositif intellectuel conduirait l’auteur à énoncer avec trop d’assurance, et à délaisser la perpétuelle incertitude qui entoure ses propos. Pour Kraxi, émule intellectuelle de Kurzy, le sens n’est jamais fixé ; il est plutôt l’objet d’une quête qui se renouvelle sans cesse. 4) Les déterminations éthiques reliées à l’évocation ou à la création d’une figure d’écrivain, et plus particulièrement les valeurs axiologiques qui se trouvent au principe du rapport établi entre la vie et l’œuvre : mise au jour des fondements axiologiques au cœur des réhabilitations comme des démythifications. Ce volet s’applique plus particulièrement aux textes qui entendent justifier les « erreurs » de la vie de l’écrivain par son œuvre ou, inversement, les textes qui cherchent à réhabiliter certaines figures d’écrivains et/ou leurs œuvres. Il s’agit de voir sur quelles bases (engagement politique, moralité douteuse, ambition démesurée, etc.) on dresse la vie contre l’œuvre (et inversement). Bien qu’il n’y ait rien à réhabiliter à proprement parler (puisque personne n’a évidemment eu l’occasion de dévaloriser Kurzy), l’empressement avec lequel Kraxi justifie les mœurs de Kurzy laisse croire à une forme de réhabilitation. Kraxi semble suggérer que ce mode de vie allait de pair avec les idées de son ami sur la liberté. Autres commentaires : Bien que ce livre présente des caractéristiques qui pourraient le rendre pertinent dans le cadre du projet de recherche, j’éprouve néanmoins quelques réserves. Notamment, le fait que l’auteur ne permet pas réellement au lecteur d’adhérer au pacte de lecture que le livre semble proposer : le paratexte indique clairement que Kurzy est un personnage fictif. De plus, même si la préface est écrite en prose et que l’abécédaire est constitué de textes poétiques, il semble tout à fait évident que les deux parties ont été écrites par le même auteur. On n’a donc pas vraiment l’occasion de croire à l’existence de Kurzy, ce qui rend le livre très décevant. Lecteur/lectrice : Mariane Dalpé