FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : BEAULIEU, Victor-Lévy Titre : Jack Kerouac. Essai-poulet Édition : Montréal, Éditions du Jour Collection : Aucune Année : 1972 Appellation générique : Essai-poulet Bibliographie de l’auteur : De nombreuses biographies (ou peut-être davantage autobiographies?) plus ou moins imaginaires sur des écrivains. Quatrième de couverture : Reproduction (en négatif) d’une photo de Kerouac. Rabats : Sans Cote bibliothèque UQAR : PS3521 E735 Z58 Nombre de pages : 236 pages LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) Auteur/narrateur : VLB assume la narration en son propre nom, ne la déléguant pas à l’alter ego Abel Beauchemin comme il le fera dans quelques ouvrages subséquents, comme le Melville ou le Ferron. Narrateur/personnage : Le narrateur (et auteur) entretient, comme toujours chez VLB, une relation privilégiée (du moins pour lui!) avec le personnage biographé, en l’occurrence Kerouac. S’il ne s’agit plus de louer la grandeur d’un écrivain national (comme cela avait été le cas dans l’essai sur Hugo en 1971), VLB entre néanmoins en symbiose encore plus complète, me semble-t-il, avec cet écrivain de l’échec qu’est Kerouac. Sujet d’énonciation/sujet d’énoncé : Relation non pas véritablement d’admiration de VLB à l’endroit de Kerouac, mais néanmoins de fascination pour ce « modèle raté ». Ancrage référentiel : Très marqué. On suit le parcours de Kerouac (mais pas nécessairement de façon linéaire) en même temps que celui de VLB, un va-et-vient continuel s’établissant en fait entre les deux hommes comme entre les deux auteurs, entre la lecture et l’écriture. Indices de fiction : L’ouvrage se distingue d’abord de l’essai biographique traditionnel dans la mesure où il se présente sous forme de fragments et d’anecdotes qui mettent (le plus) souvent en scène l’auteur lui-même. Par ailleurs, VLB imagine certaines scènes, comme des dialogues entre Kerouac et sa mère (chapitre XXIX). Du point de vue de l’argumentation, on a par ailleurs reproché à VLB de donner avec son essai-poulet sur Kerouac « more the chronicle of a personal obsession than a systematic inquiry » (= extrait d’une critique en provenance du Canada anglais dont je n’ai pas noté la référence exacte, cf. DOLQ V, p. 442), tant VLB met tout en œuvre pour « arranger » les éléments biographiques sur Kerouac de manière à conforter sa thèse, selon laquelle Kerouac essaie de retrouver ses racines canadiennes-françaises, son « passé canuck » (p. 67). Topoï : Kerouac considéré comme « le meilleur romancier canadien-français de l’Impuissance » (p. 231) et le lien qui se crée de ce point de vue entre lui et son « (auto)biographe » VLB, qui soutient ressembler terriblement à Jack dans ses mauvais jours (p. 233). Biographé : Jack Kérouac (toujours orthographié avec un « é », d’ailleurs, ce qui peut contribuer à accentuer les topoï qui viennent d’être évoqués : celui de l’appartenance primordiale de Kerouac au Québec francophone, et le lien établi avec VLB qui va, d’une certaine façon, jusqu’à « s’approprier » son nom [et donc ce qui constitue l’élément premier d’une identité] pour le modifier à sa guise). Pacte de lecture : Donner à lire Kerouac (sa vie et son œuvre) en dehors de la stricte biographie et de l’essai critique conventionnel. VLB rejette d’ailleurs d’entrée de jeu les méthodes biographiques et critiques traditionnelles (voir rubrique suivante : « Thématisation de l’écriture et de la lecture »). Thématisation de l’écriture et de la lecture : Très marquée, surtout du point de vue du biographe. Une réflexion sur le genre se met d’ailleurs en place dès la longue parenthèse du début de l’ouvrage, où Beaulieu laisse entendre qu’il veut dépasser le genre de la thèse (« faire un plan disséquer le cadavre scientifiquement », p. 9), refusant également le genre de la biographie, nécessairement chronologique, linéaire, avec son lot de notes, fiches et étiquettes (« On se dit : c’est facile, y a qu’à broder autour de quelques thèmes traditionnels et universitaires, soit l’enfance de Jack, puis ce qui vient après ça, l’adolescence avec les points noirs dans le visage, les boutons et les premières démangeaisons sexuelles […] — Cela bien établi, tu n’as plus qu’à continuer sur ton air d’aller : comment Jack est devenu écrivain et ce qu’il met de son homme dans l’écriture », p. 9. […] « Puis, une fois tout cela noté, fiché, étiqueté, linéairisé, que faire d’autre sinon marcher jusqu’à Lowell, chaussé d’espadrilles à vingt piastres, et déposer, en versant une larme, la couronne de fleurs rituelles [entendre ici le ridicule de la chose, comme si la larme, les fleurs sur la tombe étaient des symboles obligés] sur la tombe de vieux Jack? », p. 10). On sent également une certaine dérision à l’endroit de quelques genres de la critique littéraire : la thématique et ses ambitions centralisatrices (tout rattacher à un thème) est complètement tournée en ridicule (« relever tous les détails qui paraîtraient insignifiants, les assembler comme des bâtons de popsicle [allusion à une certaine culture cheap, kitsch, artisanale?], en faire une Tour Eiffel thématique, asthmatique et électrique pour que tout soit clair, précis et tranchant comme une lame de rasoir » [entendre ici l’effet « punch », acéré à tout prix], p. 9); la psychanalyse (ou psychocritique) est aussi mise à mal, son symbolisme porté à son comble et ridiculisé (« sortir tout le fillage [sic] de cette boîte à mots qui s’appelle Jack Kérouac : les fils rouges seraient-ils paternels?, les noirs maternels? les verts religieux? les mauves sexuels? les blancs alcooliques? », p. 9). Paradoxalement, VLB donnera dans ces divers genres après les avoir vertement critiqués, avouant notamment, à propos du genre de la critique psychanalytique : « j’ai beau me défendre contre M’Sieu Freud, je glisse parfois » (p. 64). Attitude de lecture : Convient si on prend l’expression « biographie imaginaire d’écrivain » au sens large, c’est-à-dire si on considère que la fiction peut non seulement trouver à émerger dans la narration, mais également dans l’argumentation. Si on a affaire ici à un ouvrage fragmenté et hybride, et si on y trouve bel et bien quelques passages où l’auteur « imagine », « fabule » (voir par exemple sa mise en scène de supposés dialogues entre Kerouac et sa mère [qu’il appelle d’ailleurs « Mémère »] dans le bungalow de Saint-Petersburg, au chapitre XXIX) l’aspect « imaginaire » de l’ouvrage est surtout perceptible dans le fait que Beaulieu sélectionne dans la vie de Kerouac toute une série de données biographiques qui doivent concourir à valider sa thèse (cf. Indices de fiction). Hybridation, Différenciation, Transposition : Différenciation : Assurément présente du point de vue du questionnement générique, puisque VLB propose un nom de genre qui thématise déjà son appartenance (ou peut-être davantage sa non-appartenance) à certains genres, différenciation qui se poursuivra d’ailleurs à l’intérieur de l’ouvrage (voir, notamment, l’incipit). En procédant de la sorte à l’instauration d’une nouvelle désignation générique, VLB se trouve en fait à se dissocier des genres établis, à braver jusqu’à un certain point les classifications génériques traditionnelles en proposant la sienne, fortement teintée d’ironie. Faire fusionner, dans une mention générique, un genre somme toute assez noble, l’essai, avec un banal objet de consommation, le poulet, auquel il menace d’ailleurs de tordre le cou (!!! p. 94), témoigne bel et bien d’une ferme volonté de différenciation. Hybridation : Divers genres sont ici convoqués, quoi qu’en dise VLB : essai critique, biographie, autobiographie, « fiction », etc. Autres remarques : L’ouvrage est dédié « à Jacques Ferron, avec qui commence les pays québécois », écrivain auquel VLB consacrera un pèlerinage en 1991. Lecteur/lectrice : Caroline Dupont