FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : PUECH, Jean-Benoît Titre : Jordane revisité Lieu : Seyssel Édition : Champ Vallon Année : 2004 Pages : 168 p. Cote : Désignation générique : recueil Bibliographie de l’auteur : La Bibliothèque d’un amateur, Gallimard, 1979. Voyage sentimental, Fata Morgana, 1986. (nouvelle version 2000) Du vivant de l’auteur, Champ Vallon, 1990. L’Apprentissage du roman, Champ Vallon, 1993. (FICHÉ) Toute ressemblance…, Champ Vallon, 1995. Louis-René des Forêts, roman, Farrago, 2000. (FICHÉ) Présence de Jordane, Champ Vallon, 2002. Il a également publié plusieurs articles et études portant sur les biographies et le biographique. Biographé : Benjamin Jordane Quatrième de couverture : Puech parle de l’enquête qu’il a dû effectuer suite à la réception d’une lettre lui faisant remarquer une erreur porteuse d’incohérence dans sa dernière « biographie » de Jordane (Benjamin était-il ou non l’aîné des deux frères Jordane?); il a donc poursuivi ses recherches dans le but de « remonter le cours du roman de sa vie » et ainsi interroger les témoins de l’existence de Jordane. Annonce l’ambiguïté qui habite tout le recueil, et qui nous fait sans cesse hésiter entre croire en Jordane ou regarder derrière sa vie construite pour y découvrir le fantôme qui s’y cache. Note de l’éditeur : « Jean-Benoît Puech a précédemment publié plusieurs inédits de Benjamin Jordane chez Gallimard (1979) et chez Champ Vallon (1993, 1995, 2002) :notes de lecture sur des œuvres méconnues, journal intime ou littéraire, projets de roman, nouvelles achevées. Il prépare actuellement un choix de Lettres du même auteur. » Préface : Non Rabats : Non Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Page couverture : illustration de Pierre Le-Tan (qui a collaboré avec Puech à plusieurs reprises) qui représente une main tenant une photographie où l’on voit le derrière de la tête de quelqu’un, au-dessus d’un bureau où on reconnaît les instruments de l’écrivain : crayon, papier, livres, globe terrestre. Écrire la vie de quelqu’un qu’on ne peut voir que de dos, partiellement, de façon très incomplète puisque c’est le visage qu’on ne peut distinguer? LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Le narrateur et l’auteur sont une seule et même personne, même si les propos de Puech sont souvent chargés des contradictions les plus particulières. C’est toujours Puech qui parle, en son propre nom : « Dans la première partie de Présence de Jordane, sous le titre de « Jordane et moi », je donne un bref témoignage de mes relations avec Benjamin Jordane, l’écrivain dont j’ai publié plusieurs œuvres inédites. », mais ses propos sont remplis d’éléments fictieux (dont ici l’existence d’inédits de Jordane : Jordane n’a jamais existé et c’est Puech qui est responsable de tout ce qui est signé Jordane). Cette relation est toutefois moins complexe que dans L’Apprentissage du roman (voir fiche). Narrateur/personnage : Le narrateur est ici homodiégétique, il raconte sa propre histoire, le récit de son enquête sur la vie Benjamin Jordane. Il affirme ne connaître que ce qu’il voit et qu’on lui a dit, bien ce soit effectivement Puech qui est à l’origine de tout ce qui concerne la vie de Jordane, celui-ci étant une transposition de l’auteur véritable. Même si l’ouvrage se veut être une biographie de Jordane (l’auteur affirmant aussi souvent, de façon paradoxale, qu’il n’est pas biographe et qu’il prépare une biographie), on y retrouve plusieurs passages autobiographiques, même presque des chapitres entiers. Le narrateur devient personnage dans la mesure où il s’intègre dans un univers où se trouvent plusieurs personnages fictifs, dont le héros, Jordane, le frère de Jordane, ses amis, ses fréquentations, etc. Tout ce qui concerne la relation entre Jordane et Puech semble faire de ce dernier un personnage, puisque si le premier en est un, celui qui entretient une relation « vivante » avec lui ne peut qu’être également fictif : « Benjamin Jordane. Notre première rencontre eut lieu en octobre 1977, à Orléans. (…) C’est à Orléans que m’est apparu Benjamin Jordane, sur la terrasse supérieure de l’École de la Chambre de commerce et de l’industrie du Loiret, au-dessus du large fleuve aux courants transparents mais aux sables mouvants, non loin du pont de Vierzon. » p. 16 Biographe/biographé : La relation première entre Jordane et Puech est hétéronymique, le premier étant d’abord et avant tout la version transposée du second, un double qui est à la fois même et autre. (p. 135) Il y a ensuite cette relation enquêteur-enquêté, puisque Jordane est le sujet d’une enquête biographique de Puech, qui cherche à se fixer sur un premier point : Benjamin Jordane était-il ou non l’aîné de sa famille? Jordane est aussi souvent considéré comme une véritable personne (si on en croit Puech, Jordane et lui se serait connu et côtoyé durant plusieurs années, peut-être jusqu’à la mort de Jordane en 1994 (rien n’est moins sûr puisque Puech ne donne aucun détail sur la fin de leur relation). Puech serait alors devenu le commentateur (et non pas le biographe!) de la vie et de l’œuvre de Jordane, l’œuvre étant ce qui l’a d’abord intéressé. Puech raconte des événements de la vie de Jordane, parle de ses parents, etc) que comme un personnage inventé de toutes pièces : « Il est temps d’avouer tout haut ce que tout le monde pense tout bas : je ne l’ai pas connu, il n’existe pas, il n’a jamais existé. » p. 149. Le lecteur balance incessamment entre ces deux pôles, Puech prenant continuellement plaisir à se contredire lui-même, ce qui le fait introduire une partie « descriptive » (biographique) de Jordane tout de suite après un passage analytique où il a déconstruit la composition de son personnage. On se retrouve à la fois devant un ouvrage à teneur biographique et un traité sur l’impossible existence du personnage concerné. Parler de la biographie pour expliquer son incapacité à rendre compte d’une vie véritable, tout en démontrant implicitement, à l’intérieur d’un récit plutôt cohérent, comment se fait la construction d’un personnage biographique (ici à teneur également autobiographique). La relation entre le biographe et le biographé est ici particulièrement complexe et intéressante. Tout de même plus originale qu’une simple relation de maître à élève! Autres relations : Relation de familiarité avec le lecteur auquel il s’adresse à de nombreuses reprises. Le lecteur est pris à partie et semble mis au courant d’un immense secret chaque fois qu’un peu du mystère de Benjamin Jordane est dévoilé. Le lecteur semble faire partie intégrante du récit, l’auteur étant conscient que rien de toute cette fabulation n’aurait été possible sans l’attachante crédulité du public, un des buts premiers de l’ouvrage étant de faire voir la construction langagière derrière chaque récit de vie. L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Le recueil ne s’annonce pas comme une biographie, mais comme le récit d’une enquête voulant déterminer qui de Benjamin ou de son frère était l’aîné de la famille Jordane. Le narrateur va ainsi relater sa première rencontre avec B. J., qui va lui permettre d’expliquer comment il a pu ainsi se tromper : c’est Benjamin lui-même qui aurait induit Puech en erreur en lui faisant croire qu’il était le cadet, ce qui aurait semble-t-il conforter son sentiment d’injustice envers son frère, puisque c’était Benjamin que le père préférait. Puech va d’abord rencontrer le frère de Benjamin, Laurent, un garagiste qui démontre très peu d’intérêt pour ses recherches, puis de nombreuses connaissances de Jordane alors qu’il était en vie, jusqu’à comprendre que Jordane s’était lui-même construit quelques biographèmes afin répondre à certaines exigences littéraires et existentielles qu’il s’était formulé. Jordane voulait choisir ce qu’on allait retenir de lui, et c’est en devenant un personnage biographique alors qu’il était encore en vie qu’il aurait réussi ce tour de force. Qu’il repose en paix, s’il veut bien nous livrer quelques-uns de ses secrets ! Ce récit linéaire est entrecoupé d’un autre où Puech va exposer la véritable relation qu’il entretient avec Jordane, n’étant pas biographe, puisque Jordane n’existe pas, ni même écrivain, puisque c’est sa propre vie que recèle celle de Jordane, mais simple commentateur d’une vie qu’il connaît pour l’avoir inventée. Beaucoup de théorie biographique entre les lignes, même si le recueil ne se veut surtout pas un prétexte pour démontrer un savoir. Contient aussi plusieurs passages autobiographiques, mais qui sont là pour servir l’enquête première. Ancrage référentiel : Ce qui concerne personnellement Puech, sa vie à Orléans, sa compagne (Agnès), ses amis, ses publications. Plusieurs œuvres et auteurs auxquels il se réfère pour appuyer son propos (Blanchot, Proust, Genette, Jacky Couratier, Kafka, Jacques Borel, etc). « J’avais eu, sur ces questions [enquête biographique] de précieux échanges avec Daniel Oster, Daniel Madelénat, Dominique Rabaté et Alexandre Gefen. » p. 77 (Tous des théoriciens de la biographie!) Indices de fiction : D’abord, tout ce qui concerne de près ou de loin Benjamin Jordane : ses œuvres, ses amis, sa vie, etc. Plusieurs mentions de Stefan Prager, autre hétéronyme de Puech (qu’il cite à plusieurs reprises!), à qui il attribue également des commentaires et des critiques de l’œuvre de Jordane. « Ce n’est pas moi [Puech] qui ai choisi cette photographie, c’est mon collègue, Stefan Prager. » p. 56 « Si j’avais été Prager [!], j’aurais mis cette phrase en tête de mon édition de Toute ressemblance… » p. 118 « Il était temps que je comprenne que je n’étais pas le seul (Prager excepté) à connaître à la fois l’homme et l’écrivain. » p. 136-137 « Prager? Stefan Prager? Ce n’est plus mon collègue et nous sommes brouillés. » p. 139 Mention de « Frédéric Lestrade » (entre guillemets dans le texte), qui est en réalité G. Genette transposé, Pierre-Alain Delancourt, qui est Louis-René des Forêts, de nombreuses personnes imaginaires (Raymond Sandé, Jean-Charles Mornay – Raymond sans la lettre D - maître Jacques Marcilly) et œuvres imaginaires (œuvres de Delancourt, p. 120) Comme dans ses recueils précédents, Puech présente sur le même pied des œuvres réelles et des livres inventés, mais cette particularité est ici mise en scène puisque ces ouvrages sont trouvés sur les tablettes de la bibliothèque de l’amateur, Jordane : « Les quatre premiers [ouvrages de Pierre-Alain Delancourt], Manuel, L’Indiscret, Longs courriers, Les Sablières, étaient ornés de beaux envois. Je n’en vis pas sur les derniers, Mirage des sources et Le Mauvais Pas. À côté d’eux, le lecteur [Jordane] avait rangé les œuvres qu’il a recensées dans La Bibliothèque d’un amateur (par exemple Vampires dans un miroir du comte Podolski) et ses propres livres. » p. 120 (Il serait important de mentionner que La Bibliothèque d’un amateur regroupe des commentaires sur des ouvrages qui n’existent pas!) Rapports vie-œuvre : Ce rapport est ici très complexe puisque Jordane est l’œuvre; il est la construction romanesque la plus susceptible de nous faire connaître l’auteur, Puech, quoique ce dernier soit justement celui qui met les mots dans la bouche de Jordane! Puech expérimente de façon très convaincante sa théorie sur « L’auteur comme œuvre » (En coll. avec Nathalie Lavialle, L’auteur comme œuvre (l’auteur, ses masques, son personnage, sa légende), Presses Universitaires d’Orléans, 2000.), sur l’auteur qui construit sa vie en sachant fort bien qu’elle pourra un jour faire l’objet d’une biographie, ce qui l’entraîne à vivre en fonction de l’image qu’il projette plutôt qu’avec la « sincérité naïve » de celui qui ne s’en préoccupe pas. Puech fait dire à Jordane, grâce au malentendu premier (à savoir qui est l’aîné entre les deux frères Jordane), que celui-ci avait fait croire à son entourage une version de la réalité : « Ce qu’il voulait, comme tant d’autres, c’était dicter l’Histoire qui ne ferait valoir que son meilleur profil (…). » p. 88 De façon plus conventionnelle, Puech va interroger les œuvres de Jordane lui-même et celles auxquelles il s’intéressait afin de les faire « parler » de l’homme et de l’écrivain qu’il était. Dans son enquête, il va se rendre dans la dernière demeure de Jordane, et fouiller son passé ainsi que sa bibliothèque à la recherche d’informations : « […] il me semblait que je découvrirais encore quelques secrets de l’écrivain si je pouvais marcher dans ses pas le long de la rivière [la Jordanne!], dans les allées bordées de buis d’un jardin dont les terrasses surplombaient la vallée verdoyante, et surtout gravir les degrés du perron de granit, franchir le seuil, monter à l’étage, entrer dans sa chambre, m’asseoir à sa table de travail, prendre son stylo, voir l’ombre de sa main sur une page blanche, à la lueur de sa lampe. Écrire à sa place. S’il est possible, par ailleurs, que la bibliothèque d’un amateur [c’est moi qui souligne : titre du premier recueil publié de Puech (1979) où il présentait les notes de lecture d’un certain Benjamin Jordane qui s’intéressait particulièrement aux mystifications littéraires et autres supercheries, à des œuvres et auteurs inventés…] constitue son autobiographie par procuration (n’était-ce pas l’hypothèse du premier livre de Benjamin? [Encore La bibliothèque d’un amateur]), j’espérais obtenir de nouvelles informations en découvrant ce versant de sa vie, cette version indirecte en apparence et plus révélatrice peut-être, en réalité, que des bavardages sans rigueur ou des aveux trop étudiés. » p. 101-102 Le propos est ici savamment entremêlé, apparemment au grand plaisir de l’auteur véritable ! Thématisation de l’écriture et de la lecture : Abondamment. Beaucoup d’annonce aux lecteurs et de réflexions : « Cette fois je suis obligé de corriger mes erreurs passées. Et je voudrais le faire en journaliste appliqué. Comme je vais surtout transcrire des conversations et que je n’ai pas l’habitude du style direct qui est l’apanage des romanciers ou des dramaturges chevronnés, je préviens mon lecteur que j’utiliserai surtout, convention pour convention, un style indirect plus ou moins libre. J’entends par là que je vais sûrement mêler les tics de mes interlocuteurs et les miens, ou bien pire : les cumuler. » p. 24-25 Puech parle beaucoup de son insatisfaction face à sa propre écriture, qu’il trouve bâclée, lacunaire, et de ses propres lectures qui alimentent sa réflexion. Voir surtout le dernier chapitre où Puech délaisse quelque peu le récit premier pour exposer ses réflexions critiques et pragmatiques sur sa propre création littéraire et sa pratique du langage : « Je me reproche souvent mon écriture à la syntaxe, aux figures et aux rythmes trop étudiés, à peine allégés par une pointe d’humour, moi qui voudrais pourtant réduire le langage à un simple instrument (la poésie n’est pas mon fort). Comme j’aimerais m’exprimer par écrit avec le naturel qu’il m’est donné d’avoir quand je n’ai qu’à parler. Bien des livres, et des plus élaborés, sont beaucoup plus simples que ma dissertation. » p. 143 Sur sa pratique de l’écriture : « Je m’efforce toujours de faire de la fiction un moyen au service de l’autobiographie. » p. 153 (Voir Toute ressemblance… pour comprendre comment cela se manifeste dans l’écriture.) Décrit en toutes lettres son rapport à la biographie de Jordane, fait son propre commentaire : « Maintenant je voudrais éviter, dans la conclusion du présent récit, l’excessive ambiguïté de mon précédent témoignage, « Jordane et moi ». […] Certes je me mettais en scène et je parlais de ma vie quotidienne avec Agnès ou à la faculté, ainsi que de mon invention de Jordane, le tout au premier degré, comme dans une autobiographie, ou même, plus immédiatement, dans un journal intime. Mais souvent j’attribuais à Jordane un certain nombre de biographèmes, tantôt en disant que je procédais en auteur imaginant un personnage, tantôt en faisant comme si Jordane existait et comme si ces biographèmes le caractérisaient effectivement, ce qui n’était déjà plus si simple. Quoiqu’il en soit, on croyait alors comprendre qu’il s’agissait en réalité d’événements de ma propre vie. […] que c’était une façon de me raconter par procuration, pudiquement, en attribuant à un tiers, et sans tromper personne, ce qui me revenait en réalité. On croyait que je donnais comme imaginé par moi à propos de Jordane ce qui dans le fond était ma propre vie. » p. 162-163 Puech continue sur sa lancée, mais en retrouvant cette chère ambiguïté qui caractérise si souvent ses écrits et qui l’empêche de fonder une fois pour toute son écriture : « Mais rien ne prouvait que je n’inventais pas et le personnage et la personne (moi) à laquelle il aurait emprunté ses caractéristiques physiques, psychologiques, sociales, culturelles, linguistiques… Le tout était peut-être un procédé rhétorique pour accréditer une biographie de l’auteur réel (moi) tout aussi fictive que celle de Benjamin Jordane, peut-être même plus fictive, qui pouvait le dire d’autre que lui (moi)? Et moi-même, le pouvais-je? » p. 163 Probablement son commentaire le plus lucide, qui englobe l’œuvre entière : « En relisant ceux de mes livres qui sont consacrés à mon auteur imaginaire, on relèverait certainement d’autres incohérences, puisque la vie de Jordane est une œuvre « in progress ». » p. 164 Comme c’est le cas pour la vie elle-même, l’œuvre se transforme, évolue, se construit sans cesse. Thématisation de la biographie : À de nombreuses reprises, Puech affirme qu’il n’est pas biographe et qu’il est en train d’écrire tout sauf une biographie (enquête, récit, reportage, chronique, article, roman, témoignage, tentative de biographie, rapport public, etc) « Je ne suis pas biographe. [C’est moi qui souligne.] C’est pourquoi aujourd’hui, le 29 mai 2003, j’entreprends simplement le récit de mon enquête sur la vie de Benjamin Jordane. » p. 9 Enquête qui s’avère toutefois être un récit biographique, ce dont Puech est évidemment au courant ! « À tort ou à raison, et par modestie, l’apprenti biographe que je suis [C’est encore moi qui souligne] figure en effet cet embryon de Vie, parce qu’elle était, dans mon esprit, et devait rester, sur le papier, tout le contraire d’une biographie objective, irrécusable, définitive. – Je vous comprends. Il y a vérité et vérité. Vérité historique et vérité personnelle. » p. 140 Sur sa pratique de la biographie (même si ce n’en est pas une et qu’il n’est pas biographe !) « Est-il nécessaire de préciser que pour rédiger ce reportage, je m’efforce toujours, à présent, d’imiter le travail d’un historien de métier et que je m’aide des notes que j’ai prises presque sur le vif dans mon journal intime ? Mais ces notes sont lacunaires, une année s’est écoulée depuis le début de mon enquête et ma mémoire est plus fidèle à mes perceptions, elle-mêmes déformées par des préoccupations trop personnelles, qu’à la réalité souvent insignifiante. » p. 25 Considère donc, en théorie, le travail du biographe comme très près de celui de l’historien, bien que dans la pratique, la fiction vienne toujours s’interposer entre le biographe et la vérité ; à tout le moins chez Puech, qui veut peut-être démontrer ici que cet effet de fictionnalisation est également présent dans le cas de biographie plus « sérieuse » (ou concernant des personnes réelles !). À propos du malentendu premier, Puech démontre brillamment qu’on peut faire dire presque n’importe quoi à des sources apparemment fiables. Rejoint également l’idée de L’auteur comme œuvre, de l’auteur qui se construit comme personnage pour ses lecteurs (et peut-être pour ses futurs biographes) à travers ses œuvres : « Un instant, le soupçon me revint que Jordane avait prévu ma tournée de visite et qu’il avait soufflé à ses proches certaines de leurs réponses. Mais à quoi bon mettre dans la bouche de ses amis des biographèmes imaginaires puisque je n’en avais même pas douté lorsque je les avais reçus de la sienne [Jordane]. » p. 144 p. 148 : passage théorique sur les formes et degrés de biographiques qui ont recours à la fiction (1- roman, 2-mensonge, 3-affabulation, 4-mythe). Puech ne semble pas croire, malgré un intérêt manifeste pour ce genre, à la biographie : « Pour moi, le roman n’a pas la valeur que l’on dit, d’un élargissement réfléchi du réel ; c’est le réel, au contraire, qui n’est qu’une laborieuse et triste imitation, une limitation, un rétrécissement ultérieurs utilitaires, rien qu’une des versions, pas toujours réaliste, du rêve universel. »p.152-153 Il justifie ses choix par rapport à Jordane par une seule phrase mise en évidence par l’italique : « […] parce que cela va davantage dans le sens de ma propre histoire. » p. 153 Topoï : vérité / mensonge, biographie, écriture, voyage, recherche Hybridation : Biographie, enquête, autobiographie, aveu, fiction. Différenciation : Transposition : La transposition se situe au niveau des personnages plutôt que du genre (même si l’hybrité de l’œuvre lui confère nécessairement une part de transposition au sens strict) ; comme dans les œuvres précédentes de Puech, il se dédouble habilement pour devenir à la fois l’auteur, le personnage, son commentateur, son biographe, etc. Autres remarques : À propos de la correspondance : en quatrième de couverture, on annonce la publication prochaine des Lettres de Benjamin Jordane. « […] la correspondance est essentielle pour moi [Puech]. Même Proust, lui qui distinguait si ardemment la création et la conversation, a écrit à son ami Stephen Hudson, dont je parlais tout à l’heure avec Lawrence, que certains écrivains se sont mieux exprimés par la correspondance avec un interlocuteur privilégié que par la fiction. » p. 62. Désir manifeste de Puech d’avouer son « crime » et d’en faire connaître toutes les facettes aux lecteurs : « Quoiqu’il en soit, voici donc dès maintenant ce qui m’est arrivé en réalité. Je veux dire : voici ce que tout le roman qui précède, ou plus justement, tout le déploiement d’affabulations qui précède s’est efforcé de cacher. […] Lorsque l’auteur d’une fiction la considère et la donne comme un « réalité », on dit que cet homme est un mythomane et qu’il s’agit d’une affabulation, voire d’un délire (on le dit aussi parfois d’un lecteur qui prend une fiction pour la réalité). […] le roman n’est qu’un type de fiction parmi d’autres et l’invention verbale est à l’œuvre bien au-delà de son contrôle par le roman. Je dis « le roman », et non « la littérature », parce que je crois que la littérature est à l’œuvre bien au-delà du roman et même des autres formes de fiction envisagées. Je l’apprécie d’ailleurs autant dans les discours vérifiables, d’histoire collective ou individuelle notamment, comme les biographies et les témoignages. » p. 148-149. LA LECTURE Pacte de lecture : Le pacte n’est pas clairement annoncé, mais il est évident que Puech veut transmettre ses idées par rapport à la biographie et à cette pratique de plus en plus courante qui mérite qu’on y réfléchisse, étant souvent plus problématique qu’on ne peut l’imaginer (nous sommes bien placés pour le comprendre !). Peut-être veut-il faire comprendre aux lecteurs que la biographie pure n’existe pas ? Enfin, mille et une réflexions riches et originales à l’intérieur d’un récit qui mérite toute notre attention. Attitude de lecture : Oeuvre vraiment très pertinente pour notre étude puisque conjugue avec brio biographie et fiction, avec une touche d’autobiographie qui n’est pas à dédaigner. Lecture enrichissante et passionnante, surtout lorsqu’on connaît d’autres œuvres de l’auteur, puisqu’elles se répondent toutes entre elles. Œuvre fascinante, comme toujours avec Puech! Lecteur/lectrice : Catherine Dalpé