FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : JORDANE, Benjamin (PUECH, Jean-Benoît) Titre : L’apprentissage du roman Lieu : Paris Édition : Champ Vallon Collection : Année : 1993 Cote UQAM : PN149J67 Désignation générique : Recueil Bibliographie de l’auteur : La Bibliothèque d’un amateur, Gallimard, 1979. Voyage sentimental, Fata Morgana, 1986. (nouvelle version 2000) Du vivant de l’auteur, Champ Vallon, 1990. Toute ressemblance…, Champ Vallon, 1995. Louis-René des Forêts, roman, Farrago, 2000. (FICHÉ) Présence de Jordane, Champ Vallon, 2002. Jordane revisité, Champ Vallon, 2004. (FICHÉ) J.-B. Puech a également publié plusieurs articles et études portant sur les biographies et le biographique. Biographé : Benjamin Jordane Quatrième de couverture : Court texte de Puech qui, en principe, ne fait que présenter et annoter le texte. On y annonce l’« édition critique » du journal intime de B. Jordane, où la plus grande part est consacrée à la relation de ce dernier avec l’écrivain Pierre-Alain Delancourt (PAD). Brève présentation des deux écrivains et de la relation qu’ils entretenaient. Exposition de quelques faits et thèmes abordés dans le journal, qui vont graduellement imposer à Jordane de transformer son journal en roman. Plus bas, « Jean-Benoît Puech, l’éditeur de ces pages choisies du Journal de Jordane, est chercheur au C.N.R.S et maître de conférences à l’Université d’Orléans. Il prépare actuellement l’édition d’un roman inédit de Benjamin Jordane, Toute ressemblance… » Préface : Puech annonce le travail qu’il a effectué sur une masse d’inédits de Jordane, dont il a tiré L’App. du roman : plus de 10 000 pages actuellement retrouvées « dont le journal constitue l’ensemble le plus important ». Puech explique comment son travail a été facilité par le classement que Jordane avait déjà effectué dans la masse de ses écrits dans le but de les publier, tout juste avant d’y renoncer. Puech explique grossièrement le parcours littéraire de Jordane, les pages qu’il présente racontant « la naissance de la vocation littéraire de Jordane » et l’influence de PAD sur celle-ci, lui qui agit comme catalyseur de cette vocation en train de s’affirmer. P. explique les différentes transformations qu’a subies le journal avant sa publication (réticence de Delancourt et de sa famille, incertitudes de l’écrivain, etc.), tout en conservant le fond que Jordane avait voulu lui donner avant qu’il renonce à sa publication. Le journal doit être considéré comme l’état préparatoire d’un roman de Jordane. Cette préface sert évidemment à faire croire au lecteur que Jordane existe bel et bien et qu’il est effectivement l’auteur de ce livre (pacte de lecture). Illustration de couverture : En bleu, deux silhouettes : manifestement un maître et son élève, dont les habits et coiffures font référence au XIXe siècle (manteaux longs, souliers à boucles). Le plus grand pointe le jeune, tous les deux debout, le dernier penché au-dessus d’un livre ouvert qu’il tient dans ses mains. L’image, par son anonymat, exprime l’intemporalité de l’apprentissage de l’écriture, qui suppose toujours l’influence d’un plus grand avant d’être prise en main par l’individu. Rabats : Aucun Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : En page couverture, au-dessus de l’illustration, on annonce « Texte établi, présenté et annoté par Jean-Benoît Puech » alors que celui-ci est le véritable auteur de l’œuvre entière. LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Le recueil étant fait sous forme de journal intime, on suppose évidemment (et c’est là tout l’art de Puech) que Jordane est à la fois auteur et narrateur de sa propre existence. C’est précisément ici que réside le canular, puisque Puech fait passer sa propre écriture pour celle de Jordane, fruit de son imagination. Afin de rendre son subterfuge acceptable au lecteur, Puech se fait le commentateur externe de l’œuvre de Jordane, discutant allègrement des sujets traités par le supposé écrivain dans d’abondantes notes de bas de page. Les écrits autobiographiques ne posent habituellement pas de problème en ce qui concerne la personne réelle qui parle, mais on doit ici se méfier de l’apparente sincérité de l’écrivain, dont la parole est plus construite (par un auteur présent sous les traits d’un commentateur) que vraie. Narrateur/personnage : Cette relation est tout aussi complexe à étudier que la précédente, puisque chaque intervenant dans le texte ne joue pas vraiment le rôle qu’il affirme, d’autant plus qu’une grande quantité de personnages évoqués ne sont là que pour faire croire à la vraisemblance ce la vie de Jordane. Si Jordane est narrateur, la relation est banalement autobiographique. Si Puech est auteur et narrateur (ce qui est suggéré à la toute fin et ce qui est la vérité), le personnage de Jordane devient un prétexte pour parler de lui-même, de ses propres intérêts et expériences de la littérature, de son propre apprentissage et de ses propres idées sur la biographie et l’autobiographie. Il camoufle ainsi, derrière le visage d’un autre, des parties de sa propre biographie. Biographe/biographé : Jordane semble exposer lui-même son autobiographie, puisque ce sont ses écrits intimes qui nous sont livrés. Puech, qui ne se pose nullement comme biographe de Jordane (refuse même ce titre dans ses écrits ultérieurs), assumerait uniquement le rôle d’organiser, de présenter et de commenter le texte original, même celui-ci aurait été modifié par Jordane. Puech ne semble que présenter un intérêt particulier pour cet écrivain dont il souhaite faire connaître l’œuvre, bien que tout cela n’est que son œuvre propre. L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Le recueil est présenté comme le journal intime de Benjamin Jordane, portant sur l’élaboration de son œuvre, qu’un universitaire, Puech, a tenté de reconstituer. Le jeune Jordane débute son écriture en févier 1971, alors qu’il s’apprête à rencontrer pour la 2e fois l’écrivain célèbre qu’il admire tant, PAD, qui demeure silencieux depuis plusieurs années. Ils commencent à se côtoyer plus régulièrement et Jordane raconte leurs rencontres et conversations, qui portent plus souvent qu’autrement sur la littérature et la vision que chacun s’en fait. J. expose ses intérêts particuliers face à la littérature, dont le silence de l’auteur qu’il considère toujours idéologique, ainsi que les écrits et études qu’il a entrepris. À travers les vingt années relatées dans le journal, J. évoque ses différents projets littéraires (qu’il délaisse le plus souvent), ses conquêtes amoureuses, ses regrets, etc., jusqu’à son projet de publier son journal personnel. Après en avoir fait lire une ébauche à PAD, celui-ci décourage J. de le publier, ne trouvant pas très flatteuse l’image que J. présente de lui, alors que ce dernier ne voyait pas là l’intérêt principal de publier le journal. À la toute fin, bouclant la boucle, J. annonce son idée de transposer (p. 239) ses écrits, de changer les noms des personnages présentés afin de préserver l’anonymat de son entourage. Il donne un exemple de ce que ça pourrait donner : il reprend textuellement les propos qu’il avait tenu à la première entrée de son journal, mais en changeant uniquement les noms mentionnés au début par d’autres, en transposant donc. On peut alors comprendre que tout le texte qu’on vient de lire a déjà subi ces modifications / censures, cette transposition. J. s’étant d’abord forgé une idée fausse à propos de PAD, il décide d’en faire un personnage réellement faux, inventé. On peut alors supposer qu’il en est de même pour tous les autres personnages ainsi que pour le narrateur, ce qui est plutôt inhabituel dans une autobiographie. Le protagoniste principal de cette autobiographie n’est donc pas celui qui a vécu les événements racontés, mais bien un personnage auquel on les a attribués. Ancrage référentiel : La préface où Puech expose sa découverte du Journal de J. et l’intention première de l’écrivain de le publier (existence de plus de 10 000 p. d’écrits retrouvés à ce jour) p. 5 Tout pour faire croire à la vérité de J. et de ses écrits. Très nombreuses références à des œuvres et articles dont Puech commente, en notes de bas de page, l’influence sur l’écriture de J. Aussi nombreuses mentions d’articles publiés par J. lui-même, ce qui ajoute à la vraisemblance du personnage. Toutes les fois où Puech mentionne en note un article, une nouvelle ou un recueil publié par J., le « présentateur » cherche à ancrer J. dans la réalité. Cela sert d’ancrage référentiel, mais se trouve en fait être (lorsqu’on connaît le subterfuge en jeu ici) une preuve supplémentaire de la complexe invention de J. par Puech. Indices de fiction : La conclusion de Jordane, où celui-ci expose son projet de transposer ses écrits pour les rendre anonymes et en donne un exemple en se servant du début du recueil, comme pour suggérer que cette transposition était déjà effective dès le début de notre lecture, que tout ce qui a été lu n’était en fait que censure et transposition. Plus encore, la postface signée Puech où celui-ci commence par « L’Apprentissage du roman n’existe pas. » p. 245. Certaines allusions de J., dans le corps du texte (ironiques lorsqu’on connaît la vérité de son identité inventée de toutes pièces) sur le fait qu’il n’existerait pas sans l’écriture (p.58, 67) ou qu’il a « du mal à concevoir l’existence sans témoin extérieur de cette existence », p.75. (Un personnage n’existe que s’il a des témoins!) Rapports vie-œuvre : L’œuvre étant un journal d’apprentissage, c’est la vie racontée, elle-même, qui constitue l’œuvre. C’est un journal de l’œuvre qui devient également une œuvre en soi, où J. mentionne différentes influences importantes (lectures, rencontres, événements de sa vie) qu’il a subies au cours des années de sa rédaction. On peut noter que J. s’identifie beaucoup à Kafka, dans sa relation à son père, dans son désir de reconnaissance contrarié par le fait qu’il n’arrive pas à se considérer comme un écrivain. Thématisation de l’écriture et de la lecture : Plusieurs réflexions à propos des silences d’une œuvre, d’un écrivain (p. 67, 75). p. 200 : Puech rapproche cet intérêt de J. à celui qu’avait L-R Des Forêts à propos du même thème (Des Forêts représente la même chose pour Puech que PAD pour J.). p. 218 : Sur le journal de J. : il serait la « chronique de gestation » de l’écriture, l’histoire d’une « conception littéraire. » J. parle beaucoup de sa difficulté à communiquer, avec la parole, mais aussi par écrit, où il voudrait rejoindre son destinataire directement comme dans la parole (très fort désir de reconnaissance par ses écrits, p. 50, 67). Les nombreuses lectures et des discussions qu’elles ont initiées avec PAD ou d’autre, J. montre souvent l’importance de celles-ci dans son processus d’écriture; il privilégie « les échanges sur l’écriture dans ses conversations. » p. 43 J. affirme que son écriture comporte toujours des traces autobiographiques voulues (normal pour un journal!), mais qu’il refuse de se livrer complètement. p. 45-46. Thématisation de la biographie : Sur le biographique: longue bibliographie où Puech semble vouloir exposer la masse de son savoir sur la biographie (p. 197) et l’autobiographie (p. 235-6-7). p. 246 : mention de Marcel Schwob. Postface : réflexion sur le récit de vie. Le recueil en soi est une thématisation de la biographie puisqu’il reprend plusieurs éléments classiques de l’autobiographie et de la biographie, mais en les pervertissant par l’invention du personnage principal qui est d’abord présenté comme un personnage ayant réellement existé. Topoï : Solitude, apprentissage de l’écriture, fausseté des apparences, reconnaissance littéraire et existentielle, fiction. Hybridation, différenciation, transposition : Remarque sur la transposition (son utilisation) p. 239-240. Tout le texte est une gigantesque transposition! Autres remarques : Chaque extrait est daté, ce qui fait croire à la succession logique des événements relatés. Première date : 5 fév. 1971, puis les dates sont de moins en moins précises (novembre 1989, Début 1988) et, vers la fin, on retrouve plusieurs extraits « Sans date ». La dernière entrée est datée du même jour que la première (5 fév. 1971), comme si on revenait à la case départ, ce qui est totalement absurde dans les cas d’une vie réelle où on ne peut revenir en arrière. L’aspect romancé du recueil apparaît ici, et on en comprend la construction après coup, la reconstruction des écrits autobiographiques pour en faire un roman. On peut alors admettre que la plupart des faits présentés relèvent de la fiction et ont été trafiqués afin de faire croire à leur vérité. LA LECTURE Pacte de lecture : Le projet de Puech, en publiant L’Apprentissage du roman, semble d’abord se limiter à un désir de faire connaître l’œuvre d’un écrivain qui avait renoncé à faire paraître son œuvre. En sachant que J. est un écrivain fictif, on comprend bien que L’App. du roman est davantage une étude sur les différentes possibilités qu’offre le genre biographique lorsqu’on se permet une sortie en dehors des normes habituelles de vérité historique, imposées depuis toujours aux écrits biographiques, montrant bien que cette vérité ne peut être que factice et illusoire. Il est également évident que Puech semble faire un petit pied de nez à ceux qui s’opposaient à la publication de son journal. Une fois transposés, les faits n’impliquent plus personne en particulier, tout en sous-entendant qu’on doit lire entre et derrière les lignes, où l’histoire véritable de la relation entre Puech et des Forêts est demeuré presque intacte. Attitude de lecture (par rapport à un corpus de « Biographie imaginaire ») : Très intéressant puisque le recueil se présente comme un journal autobiographique, mais se révèle en fait être une invention pure autour d’un personnage principal et de personnages secondaires aussi inventés de toutes pièces, quoique inspiré des personnes et de faits réels. Le problème pour notre corpus est que cette œuvre touche de plus près l’autobiographie que la biographie, même si ces deux genres sont questionnés. Lectrice : Catherine Dalpé