FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Jean Marcel Titre : Jérôme ou de la traduction Lieu : Montréal Édition : Leméac Collection : aucune Année : 1990 Pages : 241p. Cote : UQAM : PS8575A688T79.1989.V2 Désignation générique : roman (mais dès l’incipit, le narrateur dit : « Or ce livre sera son tombeau. » (p.13) Cette désignation sera souvent réitérée.) Bibliographie de l’auteur : Rina Lasnier (1965), Jacques Ferron malgré lui (1970), le Joual de Troie (1973), le Chant de Gilgamesh (1979), le Québec par ses textes littéraires (1979), Poèmes de la mort : de Turold à Villon (1979), la Chanson de Roland (1980), Tristan et Iseut (1982), l’Anneau du Nibelung de Wagner (trad. et intro, 1990); Triptyque des temps perdus : 1- Hypatie ou la fin des dieux (1989), 2- Jérôme ou de la traduction (1990), 3- Sidoine ou la dernière fête (1993). Biographé : saint Jérôme Quatrième de couverture : « Jérôme (341-420). Né en Dalmatie (Yougoslavie d’aujourd’hui) dans les temps qui précèdent l’effondrement de l’Empire romain, il fut le premier à s’interroger sur la validité des textes sacrés dont il se fit le traducteur dans la Vulgate devenue texte officiel de l’Église d’Occident. Il fut aussi le premier à donner à la femme une place prépondérante dans la vie intellectuelle de la chrétienté naissante. » Préface : aucune Rabats : aucun Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : épigraphe : Au point où nous en somme dans nos civilisations exténuées et forcenées à la fois, jetées avec férocité dans les plus immédiates apparences, on ne peut plus guère articuler une vérité authentique sans avoir l’air de professer un paradoxe. Armel Guerne Il semble que cet épigraphe actualise le discours du roman : il s’applique encore mieux à notre époque, marquée par le relativisme de M. Dertyphish (cf. MOLINO, Jean. 1989. « Interpréter », in C. Reichler (dir.), l’Interprétation des textes. Paris : Minuit, p.9-52.), qu’à l’époque de Jérôme. LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : L’auteur n’est pas le narrateur, loin de là, car en fait, le narrateur est un lion! Il s’agit du lion de la légende de Jérôme. Le traducteur aurait enlevé une épine de la patte d’un lion, qui ensuite l’aurait suivit et servit docilement le reste de ses jours. Or ici, c’est un lion pictural qui raconte l’histoire. En effet, il s’agit de ce lion représenté aux côtés de Jérôme dans des centaines de peintures. Il dit qu’il a appris à lire, à écrire et à parler diverses langues (sa langue maternelle étant le léonais!) pendant que son maître étudiait – Jérôme étant presque toujours représenté étudiant. Au fil des siècles, il a ainsi acquis la connaissance nécessaire pour écrire ce tombeau de Jérôme. Le temps et les lieux de l’énonciation sont mentionnés : « Dès que l’aube a dissipé les taches cinglantes que font les ramures dans la nuit, à Leningrad j’ouvre ma paupière – toutes mes paupières peu à peu dans la direction de la marche de l’aurore de Tokyo à Amsterdam, tous mes yeux arrondis jetés sur tous ces siècles entassés dans ces millénaires dans la marche du temps – et il me faut dire quel jour je suis : le 17 juillet 1989 – mais là-bas, qui est mon premier ici d’ailleurs, c’est encore le 16 : premier mensonge qu’il me faut ensuite métamorphoser en vérité. » (p.163) Narrateur/personnage : La figure léonaise du narrateur se profile parfois dans la diégèse. Par exemple, au début, il est en train d’enterrer la dépouille de Jérôme avec ses pattes de derrière. Il apparaît ainsi ponctuellement. Parfois aussi, l’action se déplace dans le temps de l’énonciation, et alors, le lion se décrit et décrit ce qu’il voit depuis les peintures qu’il habite (voir l’excipit). Biographe/biographé : Si la relation entre Jean Marcel et son biographé est difficile à définir, on peut dire que la relation entre le lion et Jérôme est d’ordre laudatif : celui-là admire celui-ci, qui est son maître d’ailleurs. Autres relations : L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Le narrateur léonin raconte la vie de Jérôme depuis ses premiers écrits (hagiographiques), comme sa Vie de Paul, premier ermite, jusqu’à sa déchéance dans sa grotte, en passant par toute sa vie d’ermite, de moine chrétien. Jean Marcel ne semble oublier aucun épisode de la vie de Jérôme (sa fuite d’Antioche, son pieux compagnonnage avec Paula et ses filles, Julia et Blésilla, son escapade dans le désert, etc.). Mais à travers Jérôme, c’est l’histoire érudite de l’époque précédant le déclin de l’Empire romain que Marcel écrit. C’est cela qui est le plus important. Ancrage référentiel : Malgré la fictionalisation narrative due à la figure du lion pictural, la biographie tente d’accéder à une vérité historique – sans en avoir la prétention. L’érudition et la recherche de Marcel sont impressionnantes : des flots de dates, des détails biographiques, géographiques et politiques, d’événements historiques, de noms d’évêques, d’empereurs, de sénateurs, de consuls, patriciens, etc., sont déversés dans la biographie. Le lion lui-même se pose la question de la vérité historique à plusieurs reprises : « Ce que l’on a pu raconter par la suite de la pauvre vie qu’il vivait là peut-il être tenu pour quelque trait s’approchant de la vérité? Je ne sais. Les jours et les nuits d’un solitaire de cette sorte tiennent à si peu de choses, quelques gestes minuscules aux sempiternels circuits, des rythmes que l’on croirait immémoriaux […] » (p.21) Ici, Marcel pose la difficulté de biographier un écrivain – ou un traducteur –, celui-ci exerçant son métier dans la solitude. Comment écrire le privé, voilà la question. Par ailleurs, n’ayant pu se faire témoin de tous les événements de la vie de Jérôme, le lion dit combler cette lacune par l’emploi d’écrits personnels, « par ce qu’il dit dans sa centaine d’épîtres ou dans ses commentaires, toujours prompt à parler de lui-même. Et puis, les nombreux écrits que j’ai consultés ont fait le reste. Vous comprendrez aussi que, voué à ne point reconnaître de frontière entre moi-même et mes autres moi, franchissant sans escale le temps comme on franchit une porte et l’espace comme on va en avion, j’aie souvent peu d’aptitude pour distinguer à loisir l’invisible jointure qui soude entre eux le réel, son reflet dans l’histoire et sa dilatation dans les brouillards de l’imagination. » (p.64) Indices de fiction : Comme vient de la montrer la citation ci-dessus, le narrateur reconnaît ne pas toujours distinguer le réel du fictif. En fait, ce voyage dans le temps et l’espace à la base de sa confusion est celui que fait tout biographe; toute biographie a donc sa part de fiction, c’est d’ailleurs connu. En choisissant de faire parler le lion de Jérôme, Marcel assume cette part de fiction. Il aborde la vie de Jérôme d’un point de vue littéralement artistique – c’est bien à partir de peintures que le lion envisage la vie du saint. Pourtant, comme je l’ai dit, les précisions historiques ne manquent pas. Mais Marcel n’est pas dupe de l’« illusion biographique ». Rapports vie-œuvre : L’œuvre hagiographique et traductologique de Jérôme est au centre de sa vie d’ermite. Sa vie est consacrée à son œuvre et sacrée par elle. « Et c’est ainsi qu’en moins de quinze années, Jérôme eut raison de son gros livre, qui eut raison de lui. Il y avait mis sa substance, le Livre l’avait ingurgité. » (p.165) Eucharistie apocalyptique inversée… Thématisation de l’écriture et de la lecture : Si la production de Jérôme est évoquée, on ne la voit que peu s’accomplir. Par contre, le lion, après avoir lu les ouvrages apparaissant dans les bibliothèques représentées sur les tableaux, écrit son tombeau en trempant une de ses griffes dans l’encrier! Thématisation de la biographie : Topoï : Traduction : ce topos est fort important. Jérôme est un truchement dans un époque charnière. Il apparaît entre l’ancien monde (représenté par Hypatie et ses dieux païens) et le nouveau monde barbares (que nous verrons dans Sidoine ou la dernière fête). « Vanité des vanités, tout n’est que traduction! […] Tout agit comme s’il n’était que passage, que truchement d’un langage qui est le chaos à un autre langage qui est plus que le sens : la recherche entêtée et la quête du sens. » (p.163) Autres topoï : la déchéance, l’apocalypse, la fin du monde, la légende, la vie d’anachorète, la religion, la peinture, etc. Hybridation : Hagiographie : autant Jérôme fut lui-même hagiographe, autant Jean Marcel écrit la vie de ce saint. Hagiographe hagiographié, comme le dit le dicton populaire… Vies parallèles : au début du Livre Quatrième (p.119-126), Marcel reprend le genre des vies parallèles. « On aurait pu croire que Jérôme s’était en quelque manière traduit lui-même en Ruffin, mieux : que l’un – n’importe lequel des deux – se fût peint lui-même en un petit tableau, comme dans une glace. » (p.119) Suit la comparaison des deux vies, semblables en plusieurs points. Tombeau : comme je l’ai dit précédemment, le narrateur répète que ce livre est un tombeau (à noter : le lion creuse littéralement le tombeau de Jérôme, il l’enterre avec ses pattes de derrière – p.16). Histoire : comme chez Balzac, par exemple, la partie vaut pour le tout; Jérôme est un type qui sert à montrer l’état de Rome au tournant du 4ème et du 5ème siècles. Différenciation : Il me semble que le genre biographique ou hagiographique, en tant qu’il est utilisé comme truchement vers l’histoire, relève d’une différenciation par rapport à l’Histoire traditionnelle. Transposition : Transposition du pictural dans le narratif : le lion est une image qui fait texte. Autres remarques : Dans ce deuxième volume d’un triptyque (ce mot, préféré à trilogie, indique bien la part du pictural), le lecteur n’est pas surpris mais heureux de revoir quelques personnages du premier volume : Palladas et, bien sûr, Hypatie (alias sainte Catherine). Par ailleurs, certaines parties du roman affichent, au tout début, en haut et à gauche, un petit dessin carré (parfois on voit un lion, parfois on ne distingue rien). Marcel reprend ainsi, il me semble, la forme de la chronique, voire de l’hagiographie (ou du tombeau?). LA LECTURE Pacte de lecture : L’épigraphe incite à une lecture « actualisante » de l’œuvre. Attitude de lecture : Si la narration léonine est passionnante, ainsi que l’ensemble de l’histoire fort instructive, la masse des références érudites devient un peu assommante à la longue. De ce déluge de noms et de dates, je n’en retiens que peu. Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage