Auteurs : Collectif sous la direction de Nathalie Lavialle et Jean-Benoît Puech
Titre : L’auteur comme œuvre : L’auteur, ses masques, son personnage, sa légende
Lieu : Orléans
Édition : Presses Universitaires d’Orléans
Année : 2000
Pages : 122
L’auteur comme œuvre n’est plus seulement le sujet de son œuvre, non plus (seulement) l’auteur de Freud et de la psychanalyse, pas plus que (seulement) celui de Sainte-Beuve et de Lanson, « avec ses secrets et des intentions » (2000 : 10), « [i]l est aussi, et surtout, l’objet d’autres discours et d’autres activités, souvent non discursives, que l’on peut intituler biographiques. Ces activités ne concernent pas la personne et sa vie réelle, mais le personnage et sa vie représentée » (2000 : 10).
Donc (1) : l’auteur comme œuvre n’est pas son propre produit, il est aussi le produit d’autres auteurs. En aval se construit un personnage qui devra ressembler à l’œuvre, qui interviendra (à partir de l’imaginaire du lecteur) pendant la lecture de l’œuvre (l’œuvre de l’auteur et non plus la lecture de l’auteur comme œuvre…).
Les activités qui composent le biographique : − interviews, entretiens, correspondances, etc. ; − tout ce qui relève de l’iconographie (photos) et du matériel (vêtements, objets fétiches ou coutumiers) − tout cela est daté et signifie quelque chose, par exemple qu’un tel était dandy et l’autre une loque humaine, que Balzac était un maniaque qui buvait beaucoup trop de café, etc. ; − son environnement (maisons, bibliothèque – les livres qu’il y a dedans… −, lieu de son dernier séjour (voir article (D) de Pierre Naudin) ; − ou encore les lieux évoqués dans ses livres ; − l’ensemble des témoignages de ses proches, de ses pairs (voir article (I) de Françoise Simonet-Tenant) et les romans où l’auteur figure à titre de personnage (Sartre et L’écume des jours, Robert Balzen et Le stade de Wimbledon de Daniele Del Giudice et beaucoup, beaucoup d’autres).
Cet ensemble de données du biographique trouve sa synthèse parfaite dans la biographie d’écrivain. (10 : 2000)
(2) L’auteur est conscient de ces médiations, des tiers agents du biographique, et, s’il intervient, il étend « son activité créatrice au-delà de son œuvre proprement dite » (11 : 2000). Voir article (D) de Naudin et celui (E) de Haroche-Bouzinac.
« [L]’adoption et la formation d’un personnage d’écrivain [ne pas vouloir adopter de posture est une formation négative, donc d’anti-écrivain, mais relève toujours d’une attitude, d’une posture − voire ma fiche sur les notions d’écrivains imaginaires et de scénario auctorial de J-L Diaz] fait surgir, entre l’homme et l’œuvre, une troisième terme qui modifie leur relation traditionnelle et les questions scolaires qui l’accompagnaient. » (12 : 2000) On doit sans doute en déduire que ce troisième terme est l’imaginaire, ou la fiction, ou le discours comme construction d’une représentation, d’un imaginaire…
L’être de l’auteur, ainsi, se déplace du réel et se retrouve (se survit, sans doute) dans son enregistrement. « Sa vie est devenue l’un des tomes de ses œuvres complètes, ou mieux encore : l’une des versions de son œuvre. » (Ibid.)
Chacun, dans son article, s’attarde à un problème amplement étudié par ailleurs et qu’on a nommé la fiction d’auteur. Leurs textes coïncident parfaitement avec cette notion puisque, à l’instar de Dubel et Rabau (Fiction d’auteur…2001), leur horizon historique est la Renaissance. Je ne développerai donc pas ici, mais donnerai quelques exemples de la similitude de leur discours avec celui de Dubel et Rabau :
« La Vie [de Ronsard par Binet, héritier littéraire de Ronsard] ne se donne absolument pas comme la source et l’origine de l’œuvre, mais bien conne son fruit. […] La façon dont il [Binet] développe la Vie au fur et à mesure des éditions successives correspond à la façon dont il corrige et traite l’œuvre elle-même. » (28-29 : 2000) « Binet fabrique le Discours sur la Vie de Pierre de Ronsard à partir de matériaux de première et de deuxième main empruntés à l’œuvre qu’il retravaille et enrichit à loisir comme il le fait pour l’œuvre […] Le rapport à l’auteur demeure donc bien toujours un rapport à l’œuvre » (30 : 2000, je souligne). Plus loin : la vie (sans majuscule cette fois) de Ronsard n’est qu’un avatar de l’œuvre. Etc.
C’est aussi ça, l’auteur comme œuvre (3) : l’auteur qui devient personnage biographique de sa biographie dont l’auteur puise principalement, sinon beaucoup, dans l’œuvre même (cercle herméneutique étourdissant).
Mais ici, avec Dauvois-Lavialle, il y a une légère (et importante) différence : « Cette coïncidence [entre la vie et l’œuvre et l’œuvre et la vie] est voulue et programmée par Ronsard lui-même, si attentif aux éditions successives de son œuvre tout au long de sa vie, tout autant qu’à son image de “grand commenceur”, mais elle le met finalement et paradoxalement à la merci de l’éditeur qu’est l’auteur de sa “vie”, » (31 : 2000) L’auteur comme œuvre, donc, à la merci d’autres auteurs qui fabriquent la vie à partir de l’œuvre. Il est d’ailleurs assez symptomatique que Binet, d’abord poète héritier littéraire de Ronsard, cesse de composer des poèmes à la mort de son maître pour se consacrer entièrement, parallèlement à l’édition de l’Œuvre, à écrire la vie du maître… Voir : (2000 : 31)
L’auteur aborde deux plans de la notion de l’auteur comme œuvre :
1. Quand l’auteur devient un lieu, à la fois dépositaire et « excitateur » de son mythe posthume − excitateur en ce sens où le lieu concourt à la naissance même du mythe et de sa teneur −, lieu où ses lecteurs entreprennent un pèlerinage pieu (l’article de Jean Nivet (H) ne s’occupe que de cet aspect de l’auteur comme œuvre alors je ne m’y attarderai pas ici).
2. Quand l’auteur mort vivant se fait « l’artisan de son propre mythe » (38 : 2000) et ainsi contredit l’image du vivant et l’emporte sur cette dernière − entendre : il y a un décalage entre l’image qu’on s’est fait du vivant de l’auteur (et qui peut survivre elle aussi) et celle que l’auteur tente de se créer par son propre mythe (souvent posthume).
Cette image posthume d’un J.-J. verdoyant, parfumé et lumineux décadre avec l’image du J.-J. violent, obsessif, méchant, barbare, gêneur et colérique (36 : 2000) et bien vivant. Naudin assure que c’est Rousseau qui se serait fait l’artisan de son propre mythe : « qui, mieux que Rousseau lui-même, pouvait, en effet, s’ériger en maître d’œuvre de sa propre transfiguration et, toute violence abolie grâce au philtre des mots, s’enfanter lui-même à son gré, façonner, à l’intention de ses futurs lecteurs, la figure idéalisée d’un Rousseau exemplaire ? » (37 : 2000)
Haroche-Bouzinac, à partir de son analyse d’un Voltaire comme œuvre, suggère trois plans ou strates pour l’auteur comme œuvre, principalement dans la correspondance : 1. l’auto-perception 2. la représentation (l’image que l’auteur cherche à imposer à ses destinataires) et 3. la désignation (le reflet qui lui est renvoyé par autrui) (39 : 2000).
« Ces trois images entrent en concurrence dans la constitution de la “stratégie identitaire” de Voltaire auteur. » (39-40 : 2000)
L’auteur comme œuvre (et ceci n’est pas sans avoir des résonances avec les arguments de Diaz) étant une construction biographique, celle-ci serait orchestrée pour la postérité par l’auteur lui-même. Ainsi, la représentation (l’image que l’auteur cherche à imposer à ses destinataires) partirait d’une auto-perception (sans doute) pour devenir stratégie et tenter de s’imposer à la conscience du destinataire (le destinataire premier mais aussi, par exemple, le destinataire second qui serait le lecteur « dilettante » de la correspondance publiée de Voltaire, ou encore l’éventuel biographe − par exemple, dans l’Histoire de ma vie, Voltaire se fait une joie de montrer à Casanova ses imposantes archives épistolaires…)
L’article de Haroche-Bouzinac fait la démonstration, si ce n’était déjà fait, que Voltaire vivant pensait beaucoup à sa mort, mais aussi, et surtout, pensait sa mort, sa postérité…
Dans cet article, Bonnet s’intéresse à la difficulté de saisir l’image d’un auteur qui est par nature fuyant, c’est-à-dire qui préfère la page à l’œuvre, qui n’a pas d’œuvre. (Bonnet a un très beau mot sur L. S. Mercier, inspiré par Diderot, qui par son refus de l’œuvre monumentale au profit de la page « définissait […] une esthétique de la fusée et de l’illumination fondée sur la force d’effraction d’unités minimales et d’archipels autonomes » (52 : 2000).)
Bonnet, donc, justifie son exemple de Diderot par le fait que ses contemporains ne l’ont pas connu à la mesure de sa postérité − à l’époque, on ne le rangeait pas naturellement aux côtés de Voltaire et Rousseau consacrés vivants −, puisqu’une bonne partie de son œuvre ne circulait pas, sinon dans une cercle fermé et sous forme manuscrite. Diderot a voulu laisser une grande part de son œuvre à la publication posthume.
Cet article vient cautionner la proposition de Puech selon laquelle l’auteur comme œuvre est en aval de l’œuvre proprement dite, et donc qu’un intense travail critique vient modifier l’image de l’auteur – et sans doute l’« image » de l’œuvre, image à laquelle les contemporains n’ont parfois voire souvent pas accès :
« Les différentes figures de l’auteur que Diderot imagine et dont il aime disposer comme autant de rôles et de défroques poétiques, ne tendent jamais à accréditer une quelconque coïncidence biographique, mais sont ancrées dans la singularité de l’œuvre et à l’évidence programmées à partir des positions esthétiques. » (52-53 : 2000, je souligne.)
À l’époque romantique, « cette humanisation de l’écrivain va faire de lui une sorte de personnage de roman ». (57 : 2000)
« Cette idée que le poète est l’instance essentielle va être fort commune à l’époque romantique. Elle se double de l’idée adjacente qu’il est lui-même une sorte de poème, le seul véritable poème au fond. » (58 : 2000)
Vie-œuvre : « Car ces vies romanesques, n’est-ce pas, d’emblée, dans la perspective des les écrire qu’elles furent vécues ? Ou, du moins − ce qui nous met à peu près sur le même chemin − dans l’espoir d’en éprouver soi-même narcissiquement la beauté et de la faire éprouver un jour aux autres ? » (60 : 2000)
( ⇒ Avec un titre comme Une vie pour la raconter de Garcia-Marquez, l’extension de l’idée d’auteur comme œuvre se prolonge sans doute bien au-delà de l’époque romantique…)
« [C]e n’est pas seulement au prétérit qu’il faut entendre “l’auteur comme oeuvre”. L’auteur comme œuvre, c’est aussi l’auteur comme opération textuelle de soi-même. » (62 : 2000)
Donc, du vivant de l’auteur, l’auteur comme œuvre est dans : − sa correspondance (où l’auteur peut s’objectiver de manière épique, laboratoire de cet autre chef-d’œuvre qu’est le futur auteur… (62-63 : 2000)) ; − ou encore les préfaces (« Il y en a même [des poètes] qui ne sont que des préfaces… » (63 : 2000)) Elles sont « un bon observatoire pour suivre la naissance d’un écrivain, sa manière propre de s’instituer », elles sont donc des moyens d’auto-engendrement (65 : 2000). − et la biographie fictive (d’un auteur donc qui n’a jamais existé (Joseph Delorme de Sainte-Beuve), genre qui permet au critique de renouveler la figure du poète mourant et d’infléchir ce goût des romantiques pour les palpitations des aventures : une vie tranquille, limpide, qui n’est que sensations, une biographie qui n’en a pas… − il y a ensuite des résonances chez Balzac, chez certains poètes qui ont bien vécu, jusqu’à chez Flaubert dans sa première Éducation sentimentale, où un jeune poète a vécu une vie plate et uniforme (p. 66-67 : 2000). Ces représentations imaginaires, fictives, veulent transformer la vision qu’on a d’une chose, d’une attitude (Sainte-Beuve l’exalte avec sobriété), d’imposer une image à suivre…
Il y a, avec Byron et Chateaubriand, une « exigence de ressemblance entre vie et œuvre, et donc aussi d’esthétisation de la vie. » (63 : 2000) Esthétisation de la vie ou incarnation de thèmes…
Nivet parle de « ceux qui [écrivains et lecteurs pèlerins] − en lisant les textes dans les lieux mêmes qui les ont inspirés − tente de faire renaître les impressions que ces textes relatent et cherche à entrer plus intimement en sympathie avec l’auteur » (78 : 2000).
« [O]n voudrait que le profit que l’on tire des pèlerinages littéraires aille au delà d’une simple émotion, et qu’ils soient, en outre, un moyen de parvenir à une connaissance plus intime et plus exacte des écrivains. […] [O]n va demander aux pavés, aux arbres et aux murs de Nohant, d’Illiers, d’Épineuil de parler de George Sand, de Proust ou d’Alain-Fournier. » (80 : 2000)
« D’ailleurs, il est remarquable que de nombreux écrivains ont (sic?) construit ou aménagé leur demeure avec le même soin que celui qu’ils ont mis à composer leurs livres, ce qui invite à donner place à cette maison parmi leurs autres œuvres […] de papier. » (81 : 2000)
« Une promenade esthétique [définie par Proust et qui est “la quête d’objets que nous avons d’abord rencontrés dans quelque beau texte et dont un artiste a su parler avec art” (84 : 2000)] est plus qu’un simple pèlerinage en quête de souvenirs [plus que du tourisme littéraire voyeur et fétichiste]. C’est la démarche par laquelle on va porter sur certaines choses un regard modifié par des références littéraires. » (85 : 2000)
La littérature et donc un ou des auteurs modifient notre regard sur les choses − ici les choses bien matérielles plutôt que les idées (politiques, esthétiques, philosophiques, etc.). Cette idée est un lieu commun, mais amené de manière originale dans la perspective de la problématique de l’auteur comme œuvre. Il s’agit donc, « pour un lecteur, [de] regarder le monde à travers des textes qu’il a aimés, en faisant effort pour le voir tel qu’un autre a pu le voir » (87 : 2000).
De l’article, on peut retenir :
1. l’idée selon laquelle la figure de l’écrivain est plurielle et paradoxale :
A) Paradoxale : « Le rejet apparent de la littérature deux décennies durant semble reculer dans un passé lointain [à son retour un peu avant les années Vingt], quasi légendaire, une jeunesse dont certains moments théâtralisés passent à la postérité, biographèmes paradoxaux de celui qui n’a cessé de dénoncer l’illusion autobiographique. » (91 : 2000) « [F]igure paradoxale et glorieuse que la sienne, celle de l’écrivain malgré soi revenu à la poésie après une césure désormais mythique, celle du penseur universel érigé en prince d’esprit à l’œuvre essentielle encore tue. » (93 : 2000) Dans cette description lyrique de la figure paradoxale valéryenne, la figure est déjà plurielle (poète prodige, retrait du poète, le mathématicien, le penseur universel, le poète dont l’œuvre essentielle est tue…), mais…
B) plurielle : « Jusqu’en 1930, d’autres traits viennent s’ajouter au personnage : ceux du penseur mondain, courtisé dans les salons, ceux du conférencier [célèbre], bientôt ceux de l’académicien célébré… Autant d’aspects mal articulés » (93 : 2000) ;
2. qu’un auteur a donc plusieurs masques, successivement ou simultanément, et que sa figure intime n’est peut-être rien qu’un autre masque, mais secret (pour combien de temps ?) et
3. de très bons exemples − repérés par une analyse appliquée dont la problématique est la figure de l’écrivain et donc l’écrivain comme représentation, représentation comme médiation entre l’homme et l’œuvre − de très bons exemples de lieux de médiation où se construit (ou se construisent) une (ou plusieurs) figure(s) de l’auteur.
Par exemple, ces lieux écrits : les entretiens, les fictions d’où on décèle un alter ego de l’auteur (Une soirée avec Monsieur Teste, figure idéale de laquelle s’écarte Valéry se trouvant un goût pour les mondanités et les prix littéraires), les dédicaces à des amis (qui permettent d’identifier Valéry à Monsieur Teste), les fameux Cahiers valéryens − donc tout journal de prise de notes dans l’immédiateté et qui d’abord n’est souvent écrit qu’à des fins privées − et les écrits des autres − le Journal de Catherine Pozzi, en partie « contrôlé » par l’auteur par sa lecture du journal et l’ajout de notes marginales, en partie qui lui échappe. Ce journal devient une sorte d’« annexe de[s] Cahiers » (2000 : 98) et donc un prolongement extra muros de la ou des figures valéryenne(s).
« Philippe Roussain évoque un Céline […] s’inscrivant dans un mouvement de déprofessionnalisation de l’art en général et de l’écriture en particulier par les avant-gardes, le constructivisme, le surréalisme. » (« Présentation » de Puech, 2000 : 12) Passons vite sur les avant-gardes et leur littérarisation de la société (tout est poème, tout est art) et leur socialisation de la littérature (la poésie n’est pas l’apanage des poètes) (2000 : 99). On peut très bien ne retenir que ceci : « Il y a bien, de la part de toutes les avant-gardes, un refus du métier mais du métier au sens d’un artisanat et d’une fonction spécialisée, jamais au sens d’une technicité. » (2000 : 101) On a donc affaire à l’artiste ingénieur et non plus au poète dilettante, chez qui (l’artiste ingénieur) « la pensée technologique et expérimentale prend la place de l’esthétique ». (2000 : 101)
Roussain arrive à Céline en introduisant les écrivains américains, qui le sont justement (écrivains) en ne l’étant pas : des auteurs qui refusent la littérature littéraire − qui a Proust le dilettante pour représentant exemplaire. « L’écrivain américain a fait tous les métiers ; il est, pour cette raison, riche d’une expérience : il écrit des livres sans faire de la littérature. » (2000 : 102)
Donc, déplacement de la notion centrale du livre que dirigent Lavialle et Puech : l’auteur comme anti-auteur ou l’œuvre non littéraire comme garante de l’anti-auteur authentique d’une œuvre d’autant plus authentique qu’elle n’est plus littéraire − mettons plutôt « hors champ littéraire ». L’ouvrage (du journalier) et non plus l’œuvre comme gage de l’auteur ; et l’œuvre (littéraire mais hors champ) comme gage de l’authenticité de l’auteur puisqu’elle part d’une expérience professionnelle vécue décrite dans l’œuvre et non de la vie livresque des auteurs émules de la Bovary et du Quichotte.
Le propos central de Roussain, concernant Céline – et par extension tous ces auteurs qui se refusent comme artistes −, suit l’idée selon laquelle ce déplacement de la notion d’auteur, modifiant l’image de l’auteur (comme œuvre) modifie aussi le rapport à l’œuvre, la lecture de l’œuvre, l’image de l’œuvre : « [L]’affirmation constante de l’identité professionnelle et sociale du médecin devait considérablement influencer aussi bien la manière dont fut perçu l’auteur que l’interprétation de ses livres. » (2000 : 106)
« C’est encore une façon de faire naître la littérature en dehors de la littérature » (106 : 2000).
Du dernier article de L’auteur comme œuvre, de Éric Marty, je ne parlerai pas. D’abord parce que l’article a pour objet une autobiographie − qui relève de l’activité biographique mais dont le tiers est le même −, mais surtout parce que le lien avec la problématique de l’auteur comme œuvre y est on ne peut plus ténu − moi, en tout cas, sur plus de douze pages, je ne l’ai pas trouvé.
Le rapport vie-œuvre :
Depuis le début de mes recherches relatives à la problématique vie-œuvre, L’auteur comme œuvre est un des textes (articles et livres confondus) les plus pertinents auxquels je me suis arrêté. Le livre décline la problématique vie-œuvre en plusieurs questions sous-jacentes et l’aborde sur plusieurs plans. Questions : − la vie dans l’œuvre ; − la vie comme œuvre ou l’œuvre dans la vie (incarnation d’une figure imaginaire par un jeune poète, par exemple) ; − l’auteur d’auteurs ou autrement dit l’autre comme auteur de l’auteur et d’une image (qui peut tendre à s’imposer comme l’unique, en théorie) de l’œuvre et du rapport entre l’auteur et son œuvre et l’œuvre et son auteur (donc la vie dans l’œuvre et l’œuvre dans la vie grimpent des niveaux de représentation avec les métadiscours d’auteurs d’auteurs qui lisent d’autres auteurs d’auteurs, etc.).
En résumé, la notion « d’auteur comme œuvre » peut se décliner en trois plans :
1. L’auteur comme œuvre n’est pas son propre produit, il est aussi le produit d’autres auteurs. En aval se construit un personnage qui devra ressembler à l’œuvre, qui interviendra (à partir de l’imaginaire du lecteur) pendant la lecture de l’œuvre (l’œuvre de l’auteur et non plus la lecture de l’auteur comme œuvre…).
2. L’auteur est conscient de ces médiations, des tiers agents du biographique, et, s’il intervient, il étend « son activité créatrice au-delà de son œuvre proprement dite » (2000 : 11).
3. L’auteur qui devient personnage biographique d’une biographie dont l’auteur puise principalement, sinon beaucoup, dans l’œuvre même (cercle herméneutique étourdissant) [voir ma fiche sur la Fiction d’auteur].
Aussi, les plans que sont l’auto-perception, la représentation (l’image que l’auteur cherche à imposer à ses destinataires) et la désignation (le reflet qui lui est renvoyé par autrui) (39 : 2000) de Geneviève Haroche-Bouzinac (article (E)) m’apparaissent très pertinents pour l’analyse textuelle (et surtout paratextuelle) et viennent enrichir sensiblement d’outils pratiques les théories de Diaz sur l’écrivain imaginaire et les scénographies auctoriales. Le rapport vie-œuvre peut être étudié avec l’aide de ces notions et on risque d’en arriver à d’aussi heureux résultats que les siens sur Voltaire.
Dernière remarque :
Vie et œuvre ensemble, dans l’auteur comme œuvre, sont à comprendre beaucoup en tant qu’esthétisation de la vie d’un écrivain − auto-esthétisation, où le mode de vie est calculé, imaginé, fantasmé, et où l’auteur se regarderait de manière distanciée dans le rôle de son lecteur idéal… Comme le dit Puech en introduction, devenir œuvre (auteur comme œuvre) est un moyen comme un autre de prolonger l’invention au-delà de l’œuvre elle-même. Seulement, d’aucuns sont plus naïfs que d’autres, et ne voient pas ce prolongement comme un jeu mais peut-être bien comme la seule et unique façon d’être un auteur… comme auteur !