FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Jacques-Pierre Amette Titre : L’adieu à la raison : le voyage de Hölderlin en France Lieu : Paris Édition : Grasset Collection : aucune Année : 1991 Pages : 136 p. Cote : UQAM : PT2359H2A93.1991 Désignation générique : aucune, mais sur la 4e de couverture, Amette désigne l’œuvre comme un « récit de voyage ».

Bibliographie de l’auteur : L’après-midi, Les environs de Heilbronn, Après nous, Bermuda, La nuit tombante, Jeunesse dans une ville normande, Enquête d’hiver, Les lumières de l’Antarctique, Le vie comme ça; BIOGRAPHIE FICTIVE D’ÉCRIVAIN DONT IL EXISTE UNE FICHE : La maîtresse de Brecht.

Biographé : Frédéric Hölderlin

Quatrième de couverture : IMPORTANT : Tout est dit ou presque sur la quatrième de couverture, que je retranscris donc ici :

	En décembre 1801, le poète allemand Frédéric Hölderlin quitte le sud de l’Allemagne pour se rendre à Bordeaux chez le consul Meyer. Il a trente et un ans, il est célèbre, reconnu par Goethe et Schiller. Lorsqu’il revient en Allemagne, en juillet 1802, c’est un homme méconnaissable, qui va s’enfoncer dans la folie, jusqu’à sa mort en 1843. Que s’est-il donc passé au cours de ce voyage capital?
	Sans doute une grande désillusion politique, puisque la France de la Révolution devient, sous ses yeux, un pays remis en ordre par le Premier consul Bonaparte.
	Sans doute aussi la mort de Suzette Gontard, l’amour de sa vie, comme l’éloignement de ses deux meilleurs amis, Hegel et Schelling, l’affectent-ils beaucoup.
	« J’ai pris quelques liberté en écrivant ce récit de voyage », précise J.-P. Amette, « notamment celle d’inventer une jeune femme amoureuse, cette Suzanne que j’ai faite lingère, à l’Hôtel du Commerce à Lyon… Simplement, avec ferveur, ai-je voulu comprendre l’incomparable Hölderlin, et en écrivant un voyage qui fut, pour lui, son adieu à la raison, vivre plus intimement avec lui ».	

Préface : Amette raconte sa rencontre avec Hölderlin, alors qu’il avait vingt-trois ans, à Tübingen. Il lut sa correspondance et s’intéressa à ses années d’adolescence. Il apprit qu’il était ami de Schelling, de Hegel et… de la Révolution française. « Comment alors ne pas méditer sur la courbe tragique de cette vie […] ? » (p. 9) C’est la question que ce pose Amette : pourquoi le poète a-t-il ainsi dépéri après son voyage en France ? Et cette question, il décide de l’aborder en écrivain [IMPORTANT] : « C’est la question que je me suis posée, non pas en spécialiste ni en biographe, mais en écrivain qui a choisi de projeter les ombres de sa ferveur sur le mur où j’aimerais que Hölderlin apparaisse. Car pour ceux qui l’ont lu, il ne cesse de traverser, de hanter, d’habiter notre vie présente. » (p. 10) À mettre en rapport avec le « Dis-moi qui te hante » de Dominique Viart. Processus de projection propre au biographe aussi.

Rabats : aucun

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : le narrateur est omniscient, hétérodiégétique.

Narrateur/personnage : La narration est souvent au style indirect libre, qui tend à fusionner narrateur et personnage.

Biographe/biographé : Comme Amette le dit sur la 4e de couverture, il a voulu « vivre plus intimement avec » « l’incomparable Hölderlin ». C’est dire le rapport d’admiration qui induit une relation biographique de l’ordre de la fusion.

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Du 10 décembre 1801 au 27 janvier 1802, nous suivons Hölderlin un peu avant et pendant son voyage en France. Sa relation avec Schelling et Hegel est problématique, son amour pour Suzette Gontard avorté : il est solitaire. Il part, et sa marche est l’occasion de se souvenir du passé. Arrivé à Lyon, il rencontre Suzanne, personnage fictif, lingère avec qui il fait l’amour. Puis elle le suit le reste du voyage, mais en fait elle n’est pas là : elle n’est que le fruit des hallucinations de Hölderlin qui perd progressivement la raison. Une fois à Bordeaux, sa destination finale, il est fin fou…

Ancrage référentiel : Ce voyage a bien eu lieu et Hölderlin en est bien revenu transformé : tous les biographes le diront. Les personnages secondaires – Schelling, Hegel, Suzette Gontard, Louise Nast, etc. – faisaient bel et bien partie de l’entourage de Hölderlin. Enfin, la situation sociale et politique de l’époque, dont il est tant question dans L’adieu à la raison, est fidèle à la réalité historique.

Indices de fiction : Narration omnisciente. Accès aux pensées des personnages : « Il imagine la maison du négociant en vins à peu près comme celle du banquier Gontard […] » (p. 18). Citations de pensées sans guillemets : « Il ferme les yeux. Le bruit éternel et scintillant d’un ruisseau. Je ne suis plus Hölderlin. Je suis un être sans nom. » (p. 14). Incipit météorologiques à la Maupassant : « Les vapeurs grises de l’aube fondent avec les premiers rayons du soleil. Les bancs de brume commencent à monter dans les vignobles. » (p. 13). Style indirect libre : « Poète! Quel titre ridicule. » (p. 14). Style très poétique : « Il s’appuie contre une échelle; les nuages, étranges pentes douces, montent dans le ciel et disparaissent lentement, fantômes. » (p. 20). Analepses très très nombreuses (exemples p. 30, p. 38), tout événement du voyage ne semblant être là que pour raviver des souvenirs – récit rétrospectif. Énumérations poétiques : « Le désert de la marche, la solitude des eaux courantes, les fossés trop longs, les branches enchevêtrées, le brouillard, les murs aveugles, les feux du soir, les eaux croupies, les heures vides. » (p. 85).

Rapports vie-œuvre : C’est la vie ou l’œuvre : « Mais il a le don d’élever un mur entre lui et ce qu’il désire. Il n’a pas l’intelligence du bonheur, jamais. Pendant que dans les jardins on branche des jets d’eau, pendant que les femmes se préparent au plaisir, Hölderlin se demande s’il doit écrire son hymne au Rhin avec le malheureux fond de tiroir de son inspiration. » (Parce que, comme dit Prieur dans Proust fantôme, (je cite de mémoire), « être écrivain, est-ce encore être humain? »; on ne peut pas à la fois vivre et écrire (sauf à « vécrire », mais bon) – Note du lecteur…)

Thématisation de l’écriture et de la lecture : LECTURE : La lecture est pour Hölderlin l’occasion d’une présence, d’une apparition biographique, un substitut à l’existence empirique de l’auteur à ses côtés : « Il aime relire ce que ses amis ont écrit. Leur présence devient alors une parole plus ténue, chaque ligne est un chant doux et morose comme la parole d’un ami mort. » (p. 52). ÉCRITURE : Hölderlin est représenté à une époque de sa vie où il remet en cause l’utilité de la poésie : « Tous les écrivailleurs, pense Hölderlin, verbiage, verbiage, milliers de plumes grattant le papier, milliers de tables et petits théologiens qui veulent consolider leur temple gothique avec leurs petites paperolles. » (p. 106) Pour le poète, la beauté de la poésie est maintenant derrière lui : « Et cette lente ascension des nuées est la seule consolation, la dernière consolation d’un homme qui a perdu une partie de lui-même avec des poèmes dont l’inspiration et la beauté lui sont désormais étrangères; jamais il ne pourra en écrire d’aussi beaux : désormais il est isolé de sa propre création, sur l’autre rive. » (p. 126). C’est le « devenir non écrivain » qu’Amette représente; la perte du nom sacré (du corps immortel dont parle Michon dans Corps du roi, au profit de la seule défroque sans raison qui va à la charogne) : « Bien sûr, il n’a plus besoin d’écrire… Il ne croit plus. Il s’appelait autrefois Hölderlin, Friedrich, mais la rupture est consommée. » (p. 134.)

Thématisation de la biographie : aucune

Topoï : Série « Le voyage de… »; série « Les derniers jours de… » aussi, en quelque sorte, car ce sont les derniers jours du Hölderlin qui a toute sa tête, les derniers jours du « génie »; folie, mémoire, rétrospection, amour, politique, solitude, poésie, révolution, etc.

Hybridation : Récit de voyage, biographie, roman, carnet (le récit est divisé chronologiquement par dates, mais il est au il, non au je comme on s’y attendrait).

Différenciation : Volonté de se différencier du genre de la biographie traditionnelle, comme le dit Amette dans la préface.

Transposition : Transposition de la poésie dans le style de la biographie; transposition de la vie, de l’action (la marche), prétexte au souvenir; transposition de l’histoire (la révolution et après) dans la « biographie »; transposition du genre du carnet de voyage (daté) dans le récit de voyage à la troisième personne.

Autres remarques : Il y a quelque chose de schwobien dans ce genre de description de détails peu édifiants (appliquée à des personnages illustres par surcroît) : « Schelling referme son livre d’un coup sec pour tuer une mouche. Et quand le répétiteur se tourne, il prend un sourire niais. […] Hegel paraît plus vieux. Il se tient raide et marche avec prudence. Il parle de Robespierre. Schelling donne à manger à des moineaux. » (p. 15).

LA LECTURE

Pacte de lecture : Dans la préface, Amette présente son livre comme une manifestation très personnelle d’une admiration juvénile pour Hölderlin, un acte d’intimité, pourrait-on dire. Il insiste sur la présent, sur le fait que le poète le hante, nous hante, aujourd’hui. Ces paroles induisent une lecture quasi autobiographique, une lecture « actualisante » qui ne trouve aucun marqueur, aucun « décodon » dans le texte par la suite (du moins explicitement).

Attitude de lecture : C’est un joli livre, qui se agréablement, mais dont le lyrisme exacerbé mène à l’engourdissement, puis au sommeil d’un lecteur épuisé par la fin de session…

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage