Ceci est une ancienne révision du document !
FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Jacques-Pierre Amette Titre : L’adieu à la raison. Le voyage de Hölderlin en France Lieu : Paris Édition : Grasset Collection : – Année : 1991 Pages : 135 Désignation générique: Sans
Bibliographie de l'auteur :
Aux éditions Gallimard : - L’Après-midi, roman (1987) - Les Environs de Heilbronn, précédé de Le maître nageur (1991) - Après nous, précédé de La Waldstein, théâtre (1991)
Aux éditions du Seuil - Bermuda, récit (1977) - La nuit tombante (roman (1978) - Jeunesse dans une ville normande, roman (1981) - Enquête d’hiver, roman (1985)
Aux éditions Denoël - Les lumières de l’Antarctique, nouvelle (1973) - La vie comme ça, roman (1974)
Biographé : Friedrich Hölderlin
Quatrième de couverture : Mise en contexte du récit. Ce que Amette a voulu faire : suivre Hölderlin au cours de ce voyage en France qui marqua son entrée définitive dans la folie.
Préface : Dans cette préface, l’auteur parle de sa rencontre avec Hölderlin, de sa fascination pour son œuvre et pour son histoire personnelle : « Comment alors ne pas méditer sur la courbe tragique de cette vie […] ?» (9).
Amette y explique aussi le projet de son livre. « Que s’est-il donc passé au cours du voyage pour que l’esprit de Hölderlin s’absente et s’éloigne à ce point de lui-même ? » (p. 10). C’est la question qui intéresse Jacques-Pierre Amette dans ce « roman ».
Rabats: Sans
Autres : L’adieu à la raison se présente sous la forme d’un journal. La première entrée est datée du 10 décembre 1801 et la dernière du 27 janvier 1802. Ce journal est toutefois écrit à la troisième personne, avec des dialogues, des intrusions du narrateur, etc.
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Il n’y a rien qui, dans le récit, permet d’assimiler le narrateur à l’auteur.
Narrateur/personnage : On a affaire aux stratégies narratives traditionnelles : omniscience, transparence (ou narration impersonnelle), focalisation interne. S’ajoutent à ces procédés discours indirect, discours immédiat (style direct non rapporté selon Genette), monologue autonome (D. Cohn), monologue narrativisé.
Le narrateur s’immisce dans la conscience de Hölderlin et donne à voir le regard qu’il porte sur le monde extérieur : « Il ferme les yeux. Le bruit éternel et scintillant d’un ruisseau. Je ne suis plus Hölderlin. Je suis un être sans nom. Les dieux veulent me parler mais ils ne savent plus comment. Ceux qui pouvaient les comprendre sont morts. Tout ce qu’on lui a enseigné de théologie, au Stift, est en train de pourrir » (p. 14). Ce passage illustre bien ce qu’entend D. Cohn par la notion de monologue autonome. Le monologue tenu intérieurement ne dépend plus du narrateur. Celui-ci a disparu, installant le lecteur dans l’esprit du personnage. La transparence du narrateur est ici maximale. Il faudrait analyser de plus près ces stratégies narratives par lesquelles le narrateur s’efface derrière le biographé, donnant souvent l’impression qu’il s’identifie à sa vision du monde. Il faudrait observer plus en détail le point de vue et le style (dans quelle mesure le narrateur s’exprime-t-il dans les termes du biographé et/ou de son œuvre?), principaux vecteurs d’interférences entre le biographe et son biographé.
Biographe/biographé : Fascination manifeste de Amette pour Hölderlin. Dès la préface, l’auteur révèle toute l’estime qu’il voue à cette grande figure de la littérature allemande. Revenant sur le projet de son livre, Amette explique qu’il ne cherche pas à faire œuvre de science, qu’il ne se cantonne ni sur le terrain du spécialiste, ni sur celui du biographe, mais sur celui de l’écrivain, « qui a choisi de projeter les ombres de sa ferveur sur le mur où [il] aimerai[t] que Hölderlin apparaisse » (p. 10).
Voir tous ces procédés narratifs et autres stratégies discursives par lesquelles le narrateur s’identifie au personnage, endosse sa vision du monde, partage le même regard.
Autres relations :
L'ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : 10 décembre 1801. Hölderlin, sur la route de Nürtingen, songe avec nostalgie à son passé. Suzette Gontard, ses camarades Hegel et Schelling, les escapades hors du Stift… En direction de Bordeaux, il revit en rêve une belle époque et pense avec appréhension à ce qui l’attend en France, à savoir un poste de précepteur au service du consul Meyer. Asservissement, humiliation, solitude…
27 janvier 1802. Hölderlin, qui n’est plus qu’à quelques kilomètres de Bordeaux, est rendu complètement étranger à lui-même. Blessé, dépossédé, il continu d’avancer avec le sentiment d’être désormais seul au monde. Entre ces deux scènes, Strasbourg, Lyon, et une foule de souvenirs, tous aussi douloureux les uns que les autres…
Ancrage référentiel : Très fort. Les lieux (Nürtingen, Bordeaux, Tübingen, Strasbourg, Lyon, la Dordogne, le Stift, le Rhône, etc.), les événements historiques (notamment la Révolution française), les personnalités de l’époque (Hegel, Schelling, Goethe, etc.), les travaux de Hölderlin (entre autres Hypérion), les amies et les maîtresses du poète (Louise Nast, Suzanne Gontard) campent le personnage de Hölderlin dans un contexte bien réel.
Indices de fiction : Fort nombreux. En quatrième de couverture, on peut lire : « J’ai pris quelques libertés en écrivant ce récit de voyage […] notamment celle d’inventer une jeune femme amoureuse, cette Suzanne que j’ai faite lingère, à l’Hôtel du Commerce à Lyon ».
La fictionalité passe par la forme même du récit – un journal à la troisième personne –, par la restitution d’une intériorité, par les nombreuses figures de style et le lyrisme, par la « présentification » de l’action qui mène parfois au dépouillement extrême du récit et donne au lecteur l’impression d’être en train de lire un scénario de film : « Parfois, dans la salle d’étude, au milieu d’une lecture somnolente, les lignes de latin sautent devant les yeux. Hölderlin découvre un coin de ciel bleu dans le haut de la fenêtre. Schelling referme son livre d’un coup sec pour tuer une mouche. Et quand le répétiteur se tourne, il prend un sourire niais. Pendant ce temps Hegel marche dans le soleil couchant, le long du rempart du château. Il lit Jean-Jacques Rousseau. Une heure plus tard, Hölderlin et Schelling viennent le rejoindre. Hegel paraît plus vieux. Il se tient raide et marche avec prudence. Il parle de Robespierre. Schelling donne à manger à des moineaux » (p. 15).
Rapports vie-oeuvre : Ils ne sont pas très marqués. Il est question d’un Hölderlin qui a renoncé à l’écriture. On trouve néanmoins quelques allusions à son œuvre.
Thématisation de l'écriture et de la lecture : Minimale. Avec le voyage en France, Hölderlin est passé de l’autre côté de la raison et n’a plus écrit : « Bien sûr, il n’a plus besoin d’écrire… Il ne croit plus. Il s’appelait autrefois Hölderlin, Friedrich, mais la rupture est consommée » (134). Voir Cours, Hölderlin (J. Teboul), où la folie du poète est aussi présentée comme une sorte de relais à son œuvre : « Je n’ai plus besoin de la poésie pour m’imaginer archiver ce réel » ( Cours, Hölderlin!, 120).
Thématisation de la biographie : Nulle. L’auteur ne se cantonne pas de ce côté. Voir la préface.
Topoï : études, amitié, amour, voyages, solitude, dépression.
Transposition : - Transposition d’une pensée qui a fait œuvre (regard de Hölderlin sur le monde extérieur, restitution de son intériorité, etc.). - Transpositions des codes génériques (déplacement des codes propres au journal intimes vers l’espace du roman) - Transposition des registres (lyrisme, comique, etc.).
LA LECTURE
Pacte de lecture : La trame de fond est donnée pour réelle, tandis que l’auteur avoue avoir inventé certains faits. L’attitude de lecture proposée au lecteur relève de l’ambiguïté. Au « réel probable » on préfère le « possible vraisemblable ». C’est effectivement ainsi qu’on lit ce roman !
Autres remarques :
À approfondir éventuellement :
- les biographies qui mettent en scène un écrivain déjà décédé et racontant sa propre vie (thanatographie ?) :
- voir comment, à même l’énonciation, s’articulent les rapports vie/œuvre ; - voir comment, dans les autres autobiographies fictives d’écrivain, se posent et s’articulent les rapports vie/œuvre ; - étudier les effets de contamination, d’interférences, entre biographe et biographé, à travers les stratégies narratives (le point de vue, le discours rapporté, etc.) et à travers l’énonciation.
Les biographies fictives mettant en scène un écrivain devenu fou posent de façon particulièrement intéressante le problème de la paratopie, tel que soulevé par Dominique Maingueneau (1993, 2004). Il faudrait voir comment le discours du biographe travaille, voire informe la folie du biographé et, par un retour du balancier, comment l’énonciation se réfléchit dans cette folie. Autrement dit, il faudrait étudier le problème de la posture énonciative du biographe écrivain, qui se fonde, pour faire œuvre, sur une « absence d’œuvre » – pour reprendre une expression qu’emploie Foucault au sujet de la folie. Puisque dans ces biographies – du moins dans celle que Härtling, Amette et Teboul ont consacré à Hölderlin –, c’est bien le renoncement à la littérature, son impossibilité même, qui fascine, qui est à l’origine du travail créateur…
Plusieurs analyses permettent de prendre la mesure de ces interférences entre le biographé et le biographe :
- analyses qui ressortissent à la narratologie : point de vue, récit de paroles et de pensées, etc. - analyse des champs lexicaux : dans quelle mesure le champ lexical de la biographie d’écrivain peut-il être rapproché de celui qu’on retrouve dans l’œuvre du biographé ? - analyse du style
Les autobiographies fictives d’écrivain – je pense au Aquin de Ferretti, au Descartes de Comar, au Wilde de Ackroyd –, présentent souvent des similitudes, au niveau de l’énonciation, avec l’œuvre réelle du biographé. Par exemple, en lisant Le testament d’Oscar Wilde, journal fictif de Wilde écrit par Peter Ackroyd, on a l’impression de lire Le portrait de Dorian Gray. Mêmes champs lexicaux, syntaxe similaire, thèmes récurrents, etc. Le style de Wilde contamine le style de Ackroyd, qui se l’approprie pour faire œuvre. Comment alors déterminer l’originalité de l’œuvre d’Ackroyd, puisque celle-ci s’érige à même celle de Wilde?
Enfin, autobiographies fictives d’écrivain posent de manière particulièrement intéressante la question des rapports entre la vie et l’œuvre. On pourrait dire qu’ici, les rapports vie/œuvre s’articulent à même l’énonciation. C’est là une hypothèse que j’aimerais vérifier. À lire le texte de Ackroyd, on a l’impression qu’il n’y a plus de distinction à faire entre le « moi social » et le « moi profond », le moi qui surgit et se construit dans et par le travail d’écriture. Chez le Wilde fictif qui rédige ses mémoires, on retrouve le même point de vue, la même pensée, que dans l’œuvre réelle de l’écrivain. Dans les autobiographies fictives d’écrivain, ne s’agit-il pas de recréer l’amalgame entre le vécu et le texte pour donner à lire, finalement, une pensée qui a fait œuvre ?
Lectrice : Marina Girardin