HAMEL, Réginald (dir.) (1997), Panorama de la littérature québécoise contemporaine, Montréal, Guérin.

REMARQUES GÉNÉRALES :

1) D’abord, le titre : il ne convient pas ; cela aurait dû s’intituler « Panorama de la culture québécoise contemporaine » puisque – et cela même si l’introduction de Maurice Lemire tente un survol de la période actuelle par le biais des cinq genres littéraires que sont le roman, la poésie, l’essai, le théâtre et l’écriture féminine ( ?) –, l’ouvrage n’est pas du tout consacré à ces seuls genres littéraires et les relèguent plutôt à un statut mineur ou, disons, « égalitaire » (c’est-à-dire qu’ils sont mis sur le même pied d’égalité que d’autres disciplines ou ce que l’on considère généralement comme des « sous-genres »). Autrement dit, Lemire parle des genres canoniques et l’ouvrage s’intéresse tout autant aux genres paralittéraires qu’aux disciplines qui évoluent en parallèle de la littérature – il est toutefois à noter que l’éditeur Marc-André Guérin, dans sa « Présentation » bourrée de fautes de ponctuation, essaie de « sauver les meubles » .

La liste des chapitres – en rapport avec le titre – est ainsi assez curieuse (et il est à noter que les articles ne couvrent pas tous la même période – l’intro, elle, couvrait 1960-1990) : I- LITTÉRATURE DES MÉDIAS – 1969-1996 II- LE CINÉMA QUÉBÉCOIS – 1969-1996 III- LES REVUES – 1968-… IV- LE THÉÂTRE – 1968-1996 V- FANTASTIQUE, SCIENCE-FICTION ET BANDE DESSINÉE – 1968-1991 VI- LA PROSE ROMANESQUE – 1960-1996 VII- LA POÉSIE ET LA CHANSON – 1967-1996 VIII- LA CRITIQUE – 1968-1996 IX- LES ESSAIS – 1968-… X- L’ÉDITION ET L’AVENIR DU LIVRE AU QUÉBEC - ?

Je n’insisterai pas trop sur l’incongruité de certains choix (Pourquoi ouvrir le volume par un genre paralittéraire ? Pourquoi inclure le cinéma dans la littérature puisque ce n’est pas de la littérature mais du cinéma et que ce ne sont pas les scénaristes qui sont ici mis en vedette mais les réalisateurs ? Pourquoi inclure la bande dessinée dans le même chapitre que le fantastique et la science-fiction ? Pourquoi le chapitre sur les essais porte sur la philosophie et les sciences sociales et non sur l’essai littéraire ?) puisque ce n’est pas précisément mon propos et je me contenterai de remarquer le clivage entre les sujets traités ; d’un côté, les « genres » et, de l’autre, les pratiques socio-littéraires (revues, éditions, critique ( ?)). Donc, je constate :

2) le manque flagrant d’unité de l’ouvrage : ce manque d’unité est perceptible aussi à l’intérieur des chapitres qui sont écrits par différents auteurs selon, chaque fois, une perspective personnelle (je veux dire qu’il ne semble pas que les auteurs aient eu de consignes précises pour rédiger leur chapitre, même si certaines manières de faire se rejoignent) qui, dans certains cas, implique une grande subjectivité dans le ton et la critique (particulièrement le chapitre consacré au cinéma).

3) Le fait que les auteurs de chaque article construisent des textes indépendants les uns des autres (où peut-être cela va-t-il avec l’idée d’autonomiser chaque chapitre), il y a forcément des redites par rapport aux mises en contexte, bien que celles-ci soient toujours construites en fonction du propos à démontrer.

4) La conclusion est comme le reste de l’ouvrage : elle parle peu de la littérature, mais explique les concepts de « fin-de-siècle » de modernité et postmodernité.

5) D’une façon générale, ce collectif cherche davantage à définir la poétique des genres dont il parle que la particularité québécoise ou les innovations.

* Remarque technique : J’ai lu au complet les chapitres suivants : « Introduction », « La prose romanesque », « La critique » / J’ai survolé les chapitres suivants : « Littérature des médias », « Le cinéma québécois 1969-1996 », « Les revues », « Le théâtre », « Fantastique, science-fiction et bande dessinée », « Conclusion » / Je n’ai pas lu les chapitres suivants = « La poésie et la chanson », « Les essais », « L’édition et l’avenir du livre »

Maurice LEMIRE, INTRODUCTION – La littérature québécoise de 1960 à 1990 (lecture complète) :

D’entrée de jeu, Lemire prend ses précautions : « Brosser un tableau de la littérature québécoise des années 1960-1990 peut sembler téméraire, puisque nous ne disposons pas de la distance nécessaire pour voir où et comment les ruptures significatives interviennent. » (1) – L’équipe du DOLQ, dit-il, attend toujours 15 ans. Il précise donc que son introduction est basée surtout sur des études des années 1970.

Remarques : la rupture des années 1980 est aujourd’hui (dans les études des années 2000) perceptible. Est-ce à cause de cette distance d’au moins 15 ans ? – Cela vient renforcer mon hypothèse comme quoi il y a, même à l’intérieur du discours critique contemporain, deux visions (deux définitions du contemporain) – ici, c’est : ce qui nous est immédiat. D’où, sans doute, le manque de cohérence de l’ensemble ; il s’agit plutôt d’une série de tâtonnements. D’ailleurs, je remarque – ce qui tend à confirmer mon hypothèse – que le terme « contemporain » n’est à peu près jamais utilisé. Aussi, dans plusieurs chapitres, il s’agit davantage d’une description de corpus (soit par auteur, soit par œuvre) qu’une analyse du contemporain – il s’agit essentiellement, dans ce collectif, de faire un inventaire – consécutif du manque de distance historique ?

« Je me bornerai à indiquer les grandes tendances pour montrer comment la production récente se situe par rapport à l’ensemble. » (1) — on a déjà ici la façon de faire qui me semblait propre à la période : on situe par rapport à la période précédente, la littérature québécoise est lue dans une continuité (et non, comme plus tard, d’une façon transversale avec le reste de la littérature contemporaine)

« Pour ce faire, j’insisterai sur la mise en contexte en esquissant le cadre politique, économique et culturel dans lequel cette littérature progresse. » (1) — On est encore dans une façon très « sociologique » de faire de la littérature qui repose sur le principe suivant : « Pour bien comprendre l’évolution de la littérature québécoise, il importe de restituer le contexte dans lequel elle s’est développée. » (2) Les points abordés dans la partie « Conditions générales » sont : a) La politique b) L’économie c) La politique culturelle d) Le lectorat e) L’enseignement universitaire – Puis, dans la partie « Les Acteurs de la vie littéraire » : a) Le gagne-pain b) La formation littéraire c) La recherche de la modernité d) La nouvelle fonction de l’écrivain e) Les destinataires.

Dans la partie sur « Les Genres littéraires », Lemire est encore prudent : « Adopter la division des genres littéraires pour parler de la production des dernières décennies pourra paraître désuet à plusieurs, car les écrivains postmodernes ont tendance à ignorer les frontières qui séparent les genres. […] Cependant, la distinction par genre demeure encore le meilleur moyen d’ordonner le discours sur la littérature. » (1997 : 18) Retenons ici la distinction par genre, qui n’est sans doute plus la division privilégiée par les études subséquentes.

Sur une tendance du roman (et une piste d’explication du phénomène contemporain) : « Cette orientation du roman résulte moins d’une influence sociologique que d’une certaine intertextualité. Les romanciers d’aujourd’hui, grâce à leurs études universitaires, imitent les grandes tendances de la littérature nationale. » (1997 : 20) Même chose, lorsqu’il dit, un peu plus loin : « Au cours des trente dernières années, la littérature québécoise s’est réellement dégagée des derniers relents du régionalisme, pour atteindre un certain universalisme. […] En abandonnant le “nous” au profit du “je”, les écrivains québécois ont renoncé à étaler en public leurs problèmes collectifs, pour recentrer leur attention sur les problèmes personnels qui rejoignent plus directement l’humain. » (1997 : 31-32) Il poursuit aussitôt – mais je le sépare du reste parce que les enjeux de ce qui suit sont différents, il s’agit d’un jugement critique : « Cette transformation ne s’est pas faite spontanément, mais sous la pression des littératures paradigmatiques. Le modèle à suivre imposait la stratégie de l’avant-garde déconstructionniste et subversive de la littérature contre elle-même. Les créateurs d’ici l’ont adopté mutatis mutandis. Leur subversion de la langue a particulièrement consisté à recourir plus que jamais au “joual”, accentuant ainsi le caractère “régionaliste” qu’ils voulaient évacuer. Ils se sont également éloignés de leur public lecteur pour satisfaire aux codes de la postmodernité. Leurs textes emmurés comme des énigmes s’adressent au circuit restreint des pairs et consacrent l’autonomie de la littérature, une autonomie peu avantageuse, car elle traduit plus un retrait qu’une offensive. » (1997 : 32) Il ajoute que, à l’inverse, le théâtre a conquis son public. C’est une opinion qui se défend, mais elle ne semble plus avoir cours dans les années 2000, puisque ce passage à la postmodernité est plutôt vu comme l’accession à la littérature universelle.


Le chapitre sur le théâtre est divisé en deux parties : « Les années 70 » et « La dramaturgie depuis 1980 ». La rupture des années 1980 se voit au théâtre, dans le roman et dans la critique.


Dans le chapitre sur le fantastique, Michel Lord écrit, à propos du roman La cité dans l’œuf de Michel Tremblay qui serait : « le premier roman fantastique québécois contemporain. En ce sens, l’œuvre, à une époque où la thématique portait surtout sur le pays à faire, apparaît comme une sorte d’exception dans le contexte socio-culturel québécois des années soixante. Pas de prise de position politique locale, mais une sensibilité universelle, plus près d’une conscience planétaire et mythique que d’une conscience strictement québécoise. À moins que le roman ne soit la transposition symbolique des transformations qui étaient en train de se vivre alors dans le Québec de la Révolution tranquille ? » (1997 : 249)

Cette citation est intéressante parce qu’elle montre déjà la conscience que le « contemporain » advient à partir du moment où la littérature québécoise « s’universalise ». Il ne s’agit cependant que d’une petite échappée qui, à la limite, ne doit pas être consciente des enjeux qu’elle soulève.


CHAPITRE VI – LA PROSE ROMANESQUE

Ce chapitre arrive un peu tard dans l’ouvrage – la première partie est consacrée à la nouvelle, la deuxième au roman, la troisième à la littérature jeunesse, la quatrième au roman policier québécois.

Première partie : prose narrative au Québec (la nouvelle) :

Fait intéressant ( ?) : on s’intéresse dans le premier chapitre (déjà ?) au phénomène de la narrativité. L’auteur fait une mise en perspective historique de la narrativité… et il part de très loin pour parler de la nouvelle !

Dans ce chapitre, comme dans bien d’autres ailleurs, je remarque cette tendance qui me semble caractéristique de cette époque, à savoir le besoin de situer la littérature contemporaine par rapport à une tradition québécoise antérieure. Ici, il s’agit de retracer les ancêtres des nouvellistes dans le 19e siècle québécois (315-316)

En ce qui concerne la nouvelle, Nadeau et Péan remarquent « l’éclosion que connaîtra le genre à partir des années quatre-vingt » (1997 : 319) –

Deuxième partie : Le roman de 1968 à 1996 :

Ce chapitre s’appuie lui aussi, au préalable, sur une mise en contexte historique (les années 1960). Il semble reprendre les mêmes thèmes et motifs que ceux présentés dans Histoire de la littérature québécoise. Par contre, l’auteur doit se contenter d’observer des phénomènes émergeants, de poser des questions sans pouvoir y répondre. Comme par rapport au genre de la nouvelle, l’auteur (Gilles Dorion) remarque, pour le roman historique, un regain après les années 1980 : « Or, si l’on en croit l’exceptionnel regain de vie du genre depuis 1980… » (1997 : 369)

VOIR LA PHOTOCOPIE DU CHAPITRE POUR LES DÉTAILS PARTICULIERS

Quatrième partie : enquête sur le roman policier québécois :

Dans ce chapitre, Saint-Gelais décrit le genre policier pour ensuite se demander si ce genre existe au Québec. On a donc ici un cas de comparaison avec les autres littératures, mais il faut dire aussi que ces romans ne peuvent être situés par rapport à une production antérieure.


Dans le chapitre sur la critique (le chapitre le plus intéressant et le mieux écrit de l’ouvrage puisqu’il ne s’agit pas d’offrir un inventaire, mais une réflexion critique), Robert Dion et Nicole Fortin remarquent que, du point de vue de la critique, une rupture s’opère également à partir des années 1980 – ils n’insistent cependant pas que sur cette date charnière, mais aussi sur celle de 1968 ; je ne retiens ici que ce qui a trait à 1980.

Voici quelques remarques :

« Au tournant des la décennie 1980 – on verra se constituer des équipes de recherches et des laboratoires sur le modèle des disciplines scientifiques. » (1997 : 534)

« Après la très théoricienne décennie 1970, les années 1980 semblent marquer, déjà, un léger changement de cap, bien sûr progressif : la structuralisme et ses avatars, dont la sémiotique littéraire et la narratologie, semblent en effet commencer de battre en retraite […], remis en cause en même temps que la croyance en une éventuelle “science de la littérature”. Lié à la prise de conscience du caractère utopique d’une telle science, le reflux de la sémiotique et, plus généralement, des méthodes d’inspiration linguistique et logique, tient également jusqu’à un certain point à leur banalisation… » (1997 : 538) On peut lire la suite pour plus d’explications sur le sujet.

« De même que la fin des années 1960 et la décennie 1970 avaient remis en cause la critique antérieure, les années 1980 et 1990, tout en prolongeant par certains côtés la période précédente [exemples], reviennent sur les “acquis” de la réflexion littéraire et en entreprennent la réévaluation. » (1997 : 539)

De même que dans la littérature elle-même, il y a, dans la critique, un « retour du sujet » - mais plus subtil que celui d’avant les années 1960 (1997 : 540).

« Les années 1980 seront marquées, au Québec, par l’éclosion d’équipes de recherche tournées vers l’étude des phénomènes d’édition (Jacques Michon et Richard Giguère), d’enseignement (Joseph Melançon, Clément Moisan et Max Roy), de lectorat (Roger De La Garde et Denis Saint-Jacques). / En quelque sorte, on pourrait dire que la critique, après avoir longtemps cherché à inventer une littérature et à trouver des arguments émotifs pour la justifier, s’est tournée vers son explication matérialiste en parlant de statistiques, de structures économiques, de réseaux d’influences, et ainsi de suite. Ne pourrait-on pas dire que, comme toute critique, celle du Québec a ressemblé à la société dans laquelle elle a vu le jour, les années 1970 et 1980 au Québec ayant été celles de la consolidation progressive des institutions ? Suivant cette logique, on ne s’étonnera pas si la décennie 1980 fut celle où la critique québécoise a assis son influence et s’est donnée des structures de recherche puissantes et institutionnalisées : appuyés par des organismes de subventions gouvernementaux, des équipes, sinon des centres de recherche en littérature, ont rapidement vu le jour, réunissant, dans une approche concertée, professeurs et étudiants de maîtrise ou de doctorat. » (1997 : 555-556)

La citation suivante est particulièrement intéressante en ce qui a trait à la constitution du contemporain (même si c’est de biais qu’elle en parle) : « L’étude de la littérature française se poursuit donc parallèlement aux études québécoises. Avec la décennie 1980, ces chemins parallèles deviennent cependant de moins en moins bien tracés : ce que cette décennie introduit de nouveau, c’est la conscience qu’une littérature n’es pas seulement présente parmi d’autres littératures, mais que, fondamentalement, elle inscrit ces autres dans sa propre littérature. » (1997 : 560)


C’est un peu la même chose avec cette remarque tirée du chapitre sur les essais (Georges Leroux) : « Depuis la fin des années soixante, les échanges avec les institutions d’autres pays ont dépassé le caractère ponctuel ou informel des périodes précédentes et depuis les années quatre-vingt, la contribution du Québec à la recherche internationale est devenue significative. » (1997 : 577)


En somme, tous les participants de ce collectif – mais peut-être plus particulièrement ceux qui s’intéressent aux genres considérés comme littéraire (incluant le théâtre mais pas réellement la poésie dont l’histoire semble moins marquée par cette décennie) – ont conscience du schisme qui s’opère dans les années 1980. Par contre, ils n’ont pas encore la distance nécessaire avec cette période pour la qualifier de « contemporaine ». Ils ont également conscience d’une « rupture » ou d’un « tournant » en 1968, ce qui fait que les auteurs – et leurs articles – couvrent généralement ces deux périodes. On peut se demander : de 1980 à nos jours, y a-t-il une autre coupure qui ne sera remarquée que plus tard (2001 ?) ?