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Marc Gontard (2013), Écrire la crise. L’esthétique postmoderne

Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences ».

Remarques générales :

- Cette lecture s’inscrit dans le cadre de la recherche autour de la notion de contemporain et des notions connexes; on trouvera ici des notes de lecture et non une description fouillée du livre en question, qui n’est pas, à mon sens, une référence incontournable de la pensée (surtout que les PUR ne s’engagent pas de correcteurs et que le texte manque de fini… et que dire de la ponctuation douteuse!!)

Notes de lecture :

But de l’ouvrage : « Mon but, dans cet essai[,] est donc de clarifier et d’analyser cette notion afin de juger de sa pertinence dans le champ romanesque français, tel qu’il se présente depuis les années 80. » (2013 : 10) L’étude « se propose d’envisager le postmoderne comme crise de la modernité. » (51) Dans le chapitre 6, sur les « Pratiques postmodernes », Gontard dit vouloir « analyser la manière dont la crise modifie nos manières de raconter » (2013 : 69).

Définitions du postmoderne :

- « Dès lors, le postmoderne serait à comprendre comme l’indice d’une rupture avec les Lumières, avec l’idée de Progrès selon laquelle les découvertes scientifiques et, plus généralement, la rationalisation du monde représenterait ipso facto une émancipation pour l’humanité. » (citation de Luc Ferry, Homo Aestheticus, Paris, Grasset, 1990, p. 329)

- Pour Gontard, la postmodernité serait le « seuil de l’extrême contemporain » (33)/ « Depuis 1989, nous assistons donc, avec la fin du libéralisme, à la désintégration de la modernité, de sorte que l’extrême contemporain se présente bien comme une période de transition ou de ‘’bifurcation majeure’’ – ce que j’ai appelé moi-même un seuil – que nous avons du mal à nous représenter et dont l’issue reste imprévisible. » (2013 : 47)

- « Le postmodernisme n’est ni un genre, ni une école. Toutefois, des constantes apparaissent dans les modes de représentation, autour du principe général d’altérité qui engendre des dispositifs d’hétérogénéité et de chaotisation (fragmentation, métissage) dont l’effet de complexification contredit la ‘’pureté’’ de l’esthétique moderniste. Un autre principe récurrent d’un art à l’autre est la mise en doute de la notion d’originalité. Tout travail artistique est un travail de ‘’seconde main’’ (Compagnon) où l’autre, à travers le ‘’palimpseste’’ de la culture (Genette), affirme sa présence dans le moi créateur. D’où la mise en évidence de ce perpétuel recyclage à travers des pratiques variées comme celle de la citation, de la parodie, du simulacre, avec cette distance ironique où s’inscrit la réflexion critique sur l’idée de progrès. La littérature, bien entendu, participe de cette esthétique et constitue l’un des fondements essentiels de la culture postmoderne que l’on peut rejeter mais certainement plus nier. » (2013 : 78)

- [Définition empruntée à André Lamontage dans « Métatextualité postmoderne : de la fiction à la critique », Études littéraires, vol. 30, no 3, 1998, p.63 (que Gontard ne cautionne pas forcément)] : « Malgré les divergences évoquées, il existe une relative unanimité autour d’une poétique postmoderne, qui s'articulerait autour des éléments suivants : autoréflexivité, intertextualité, mélange des genres, carnavalisation, polyphonie, présence de l’hétérogène, impureté des codes, ironie métaphysique, déréalisation, destruction de l’illusion mimétique, indétermination, déconstruction, remise en question de l’Histoire et des grandes utopies émancipatrices, retour de la référentialité et du sujet de l’énonciation (sous une forme fragmentée et avec une subjectivité exacerbée), refus de la scission entre le sujet et l’objet, participation du lecteur au sens de l’œuvre, retour de l’éthique, discours narratif plus ‘’lisible’’, réactualisation des genres anciens et des contenus du passé, hybridation de la culture savante et de la culture de masse. » (Gontard le cite en page 87)

- « La pensée postmoderne met donc au premier plan, contre l’idée de centre et de totalité, celle de réseau et de dissémination. Tandis que la modernité affirme un universel (unique par définition) la postmodernité se fonde sur une réalité discontinue, fragmentée, archipélique, modulaire où la seule temporalité est celle de l’instant présent, où le sujet lui-même décentré découvre l’altérité à soi, où à l’identité-racine, exclusive de l’Autre, fait place l’identité-rhizome, le métissage, la créolisation, tout ce que Scarpetta désigne, dans le champ esthétique par le concept d’“impureté”. De là, cette idée, qu’en contestant l’Histoire, les postmodernes renoncent à la catégorie du nouveau et à celle du progrès pour une revisitation des formes du passé […]… Mais ce qui n’est qu’éclectisme pour les uns (les néo-conservateurs) constitue pour les autres une réponse à “l’incrédulité face aux méta-récits” de la modernité, dont Lyotard fait le critère définitoire de la ‘’condition postmoderne’’. » (2013 : 129) [Note : il s’agit d’une reprise mot-à-mot de la définition qu’il donnait dans son article « La postmodernisme en France : définition, critères, périodisation », 2001, p. 285-286]

Caractéristiques du postmodernisme :

- « il n’y a pas un mais des postmodernismes, c’est-à-dire un ensemble d’expériences dont il s’agira d’établir une typologie […] » (2013 : 12) / « […] il n’y a pas un modèle type de roman postmoderne, mais un ensemble d’opérateurs textuels qui mettent le récit en résonance avec les configurations d’une société traversée par le doute et par l’aléatoire. » (2013 : 94)

- « L’autre problème que pose l’instabilité de la notion et son impossible conceptualisation concerne la distinction postmodernité/Postmodernisme. Par le premier terme[,] ce que l’on cherche à penser c’est d’abord une période, un contexte socioculturel, tandis que par le second c’est une esthétique. Or l’idée répandue outre-Atlantique est que la postmodernité aurait été théorisée par les Européens à partir d’un postmodernisme mis en œuvre par les Américains. » (2013 : 18)

- « Dès lors, l’artiste postmoderne, ne croyant plus au mythe du progrès, se trouve libéré de l’impératif d’innover et peut renouer avec les formes du passé. Il échappe à la contrainte collective et au dogmatisme des avant-gardes. Revenant à une pratique individuelle, il redécouvre la liberté du goût, le droit à l’hétérogène (contre le mythe de la ‘’pureté’’ en art) et revendique, contre la théorie ‘’terroriste’’ la dimension ludique de l’acte créateur. Perçu uniquement sous cet angle le postmodernisme peut apparaître comme une pensée crépusculaire qui développe tout un imaginaire de la fin : fin de l’Histoire comme récit (Paul Veyne) et comme méta-récit de légitimation, fin de la métaphysique et des systèmes de pensées totalisants, remplacés par ce que Gianni Vattimo appelle une ‘’pensée faible’’ [dans La fin de la modernité, Paris, Seuil, 1987, pas de page de référence], fin des avant-gardes et dissolution de la catégorie du nouveau. » (2013 : 25)

- Gontard distingue trois grandes familles de tendances formelles dans le roman postmoderne : 1/ s’organise autour du principe de discontinuité : « Contre la pensée unitaire et totalisante de la modernité, elle met au premier plan l’expérience de l’hétérogène, de l’altérité, du chaos, selon l’ontologie lyotardienne du Différend. D’où l’utilisation de procédés qui relèvent du collage, de la fragmentation et de l’hybridation. » (2013 : 88) 2/ remise en cause de la notion d’originalité qui relativise le pouvoir d’innovation. « Volontiers hypertextuel, le roman postmoderne pratique citation, réécriture, pastiche, métatextualité, dans une mise à distance ironique de l’avant-garde où s’effondre l’autorité des savoirs de la modernité. » (2013 : 88) 3/ renarrativisation du récit « qui correspond en littérature à cette revisitation des formes du passé postulée par l’architecture postmoderne » (2013 : 90). « Cette renarrativisation qui, selon Umberto Eco ne peut être qu’ironique, prend la forme, dans l’esthétique romanesque, d’un retour à la linéarité, c’est-à-dire à une sorte de confort de lecture après l’’’effet dévastateur’’ du Nouveau Roman, pour reprendre l’expression d’Alain Nadaud. Cette linéarité toutefois, n’implique pas nécessairement un retour à la fonctionnalité de l’intrigue, ni à une chronologie de type réaliste […]. » (2013 : 90-91)

Caractéristiques de l’écriture postmoderne :

- L’écriture valorise le « fragmental » - différent du « fragmentaire » - qui « désigne une écriture consciente d’elle-même, une esthétique concertée » (2013 : 102). « Mais, si la mise en œuvre correspond à une mise-en-ordre, le texte fragmental, inorganisé, hétérogène, apparaît au contraire comme ce qui échappe à la volonté de maîtrise en subvertissant le principe d’Unité et donc celui de Vérité issu du même rationalisme dialectique. L’écriture fragmentale apparaît au contraire comme une écriture spontanée, discontinue, qui ne délivre que des vérités provisoires. » (2013 : 103)

- « Parmi les dispositifs textuels qui relèvent du postmodernisme[,] le roman contemporain semble donc privilégier les configurations hétérogènes qui renvoient à un imaginaire du monde discontinu, ouvert aux turbulences et à l’altérité dont certaines formes de collages, d’écriture fragmentale ou de métissage textuel […]. » (2013 : 128)

Concept de Surmodernité :

Concept qui vient de Marc Augé dans Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992. Gontard l’explique ainsi : « [A]u lieu d’analyser le retrait de l’idée de Progrès comme symptôme de l’émergence d’une ‘’condition postmoderne’’, il préfère avancer l’hypothèse d’une Surmodernité qui se caractérise par trois figures de l’excès. » (2013 : 32) :

1/ « ‘’L’excès de temps’’, c’est la surcharge événementielle du présent qui obscurcit le sens de l’histoire immédiate » (32)

2/ « ‘’L’excès d’espace’’ correspond à la fois aux changements d’échelle, nés de l’avancée technologique des moyens de transport et à la confusion où nous plonge la surabondance d’images faussement homogènes qui mettent sur le même plan information, publicité, fiction » (32-33)

3/ « L’excès dans la singularisation de ‘’l’ego’’, qui n’évite pas les pièges de la stéréotypie et du conformisme, se traduit par l’individualisation des références et par les ‘’faits de singularité’’ qui offrent un ‘’contre-point paradoxal’’ aux phénomènes de la mondialisation de la culture. » (33)

Autres remarques :

Situation de l’écrivain francophone (Gontard parle ici du Québec) – le décentrement : « Si aux Antilles, les émeutes nationalistes sont fermement réprimées, au Québec le référendum pour l’indépendance échoue à deux reprises. Face à ce qu’il ressent comme une situation de blocage social, l’écrivain se retourne sur lui-même, passant d’une littérature de l’idem (où il se fait le porte-parole d’une identité collective) à une littérature de l’ipse, c’est-à-dire du moi. Or, dans une société où, désormais, le bilinguisme est assumé, sinon choisi, ce que découvre l’écrivain francophone à travers sa double culture, c’est sa propre altérité qui renvoie l’identité-racine à sa fonction de mythe. Ainsi se manifeste le caractère nécessairement composite, hétérogène, pluriel, de toute identité, individuelle ou collective qui ouvre le texte au métissage, c’est-à-dire à la complexité. Par ailleurs, l’écrivain francophone devient, de plus en plus, un écrivain nomade, vivant entre plusieurs continents et plusieurs cultures, ce qui donne à son regard un caractère nettement décentré, apte à saisir le différent et à explorer, dans ses propres discontinuités, le travail de la trace contre le monologisme des discours ataviques. » (2013 : 112-113)