**1. Degré d’intérêt général** Pour le projet de **quête** et enquête : assez élevé Il s’agit d’une quête impossible, celle de retrouver l’émotion vécue par le personnage lorsqu’il entend pour la première fois le concerto de Mozart à la radio. Quête impossible de l’émotion première. Il achète des disques, va au concert, recherchant ce même état dans lequel il se trouvait la première fois. Une grande insistance sur la recherche, par le personnage, d’une sorte de perfection, mais abordée de façon absurde. Le plus long chapitre, le développement du roman en fait, raconte la préparation pour le concert, soit la volonté de dénicher le costume parfait au prix de moult complications. Au fil du roman, la quête de l’émotion première subit une légère déviation, vers une quête de la beauté. En effet, le personnage ne retrouvera jamais l’émotion première – d’ailleurs il en est lui-même conscient en écrivant son récit –, or, au concert, il fera la rencontre d’une aveugle qu’il raccompagnera chez elle, et c’est toute cette expérience de la relation avec l’aveugle qui est décrite comme un moment exceptionnel, donc qui nous laisse croire qu’en quelque sorte, le personnage est parvenu à trouver une sorte de beauté. Paradoxal, puisque l’aveugle à ses côtés ne peut, elle, profiter entièrement du paysage et du moment. Ironique, puisque l’aveugle apparaît certainement comme un signal, un reflet de la quête de l’impossible qui obnubile le personnage. Il faut ajouter que, si le désir absolu de retrouver l’émotion première est omniprésent dans le premier chapitre, à partir du moment où le personnage assiste au concert – là on pourrait croire qu’il insisterait de nouveau sur l’émotion – on n’entend presque plus parler de cette quête, le narrateur insiste davantage sur les faits, sur la rencontre de l’aveugle ; les réflexions sur la quête sont presque entièrement éludées. Pour le projet de diffraction : - En général : - **2. Informations paratextuelles** 2.1 Auteur : Christian Gailly 2.2 Titre : K622 2.3 Lieu d’édition : Paris 2.4 Édition : Minuit 2.5 Collection : double 2.6 (Année [copyright]) : 1989 2.7 Nombre de pages : 128 p. 2.8 Varia :- **3. Résumé du roman** Résumé sur la quatrième de couverture : Une nuit alors qu'il est au lit dans le noir et somnole la radio allumée, la musique de Mozart s'insinue dans la chambre et le réveille. L'émotion est si forte qu'il a peur de la perdre, de ne jamais pouvoir la revivre. Il se procure différents enregistrements de l’œuvre, les écoute, mais chaque fois quelque chose manque, il ne retrouve pas le plaisir de cette nuit-là. Puis un jour il apprend que le concerto va être donné à Paris. Il décide de s’y rendre. « Peut-on éterniser une émotion musicale, empêcher le temps de l’altérer ? C’est ce que tente le narrateur, ébloui par le Concerto pour clarinette en la majeur de Mozart (K.622), qu’il a écouté, une nuit, à la radio. Il cherche à mettre en scène le plaisir et l’émotion qu’il a éprouvés à la première écoute. Mais s’il est possible de reproduire le décor extérieur, « le décor intérieur, lui, n’est pas reproductible ». Pour évoquer cette chute de l’absolu, ce passage de l’extase à la déception, Christian Gailly accomplit des variations pathétiques et burlesques, le narrateur prend une allure de clown perdu qui semble vouloir expier sa propre impossibilité à rejoindre la beauté. Comme hanté pas l’idée de perdre la grâce vibrante de son récit, Christian Gailly le suspend à son moment le plus dense : l’approche tremblante des corps. Une pirouette narquoise interrompt la vague de lyrisme. Cette élégance de l’ironie, cette musique des mots brisée à son apogée, appartiennent en propre à Christian Gailly et sont la marque de son talent. » (Jean-Noël Pancrazi, Le Monde) **4. Singularité formelle** **5. Caractéristiques du récit et de la narration** La narration est changeante. Dans le premier chapitre, un narrateur à la première personne raconte cette fameuse « première émotion » qu’il a vécue, raconte l’impossible retour à cet état lorsqu’il écoute les disques du concerto, et multiplie les commentaires sur la recherche de l’émotion et de la beauté. Dès le deuxième chapitre et ce jusqu’à la fin, la narration se présente à la troisième personne : un narrateur qui raconte les aventures du personnage, en portant des jugements sur ce dernier, et malgré tout, par quelques intrusions du « je », on comprend qu’il s’agit d’une même voix, toujours le « je » du premier chapitre, qui écrit son récit, mais qui désormais se raconte à la troisième personne. Ceci crée un effet d’étrangeté. « Après de multiples complications du même ordre, mais comment pourrait-il en être autrement de la part d’un homme dont le doute naturel, normal, salutaire, est malade ? je me le demande. Après de multiples complications de même ordre pour choisir le costume, une chemise pour aller avec le costume et un nœud papillon pour aller avec la chemise et le costume, le tout devant aller pour le concert où il désire se rendre, bien que je commence à en douter vu le tour tragique que prennent les choses, il revient avec le costume qu’il a choisi pour acheter les chaussures, enfin non, il ne l’a pas choisis pour acheter les chaussures, il l’a choisi en fonction des chaussures et il revient avec le costume pour acheter les chaussures qu’il a choisies. » (p. 30) Remarque sur l’écriture en train de se faire : « Il faudra y mettre de l’ordre, classer tout ça, éliminer toute remarque étrangère au récit, seulement je croire qu’aucune remarque n’est étrangère au récit, d’une part, elles sont la terre de mon récit, la terre qui le nourrit, sans elles je crève, c’est l’asphyxie, et comme d’autre part je souhaite tout partager avec le lecteur, dont je suppose qu’il partage ma répugnance pour les récits nickel au passé simple, je ne vais rien changer, je vais livrer le tout tel quel. » (p. 16) **6. Narrativité (Typologie de Ryan)** 6.6- Diluée 6.12- Suspendue Justifiez : **7. Rapport avec la fiction** - **8. Intertextualité** - **9. Élément marquant à retenir** Extraits pertinents ou représentatifs: « S’il n’avait pas fait si froid cet hiver-là je n’aurais pas entendu le concerto, s’il avait fait aussi chaud qu’en été, une nuit d’été où je me vois à moitié nu sur le drap trempé de ma propre sueur, je me serais levé pour éteindre la radio, je tombais de sommeil, si je peux dire qu’allongé je tombais de sommeil, disons que je sombrais ou étais tenté de sombrer dans quelque chose qui ressemble à la mort sereine, mais la mienne de mort ne sera pas sereine, bien que la découverte de cette nouvelle beauté m’ait donné une soudaine raison d’espérer une mort sereine. » (p. 10) « En même temps j’étais très attentif et inquiet, inquiet de tout retenir, comme si j’avais besoin de retenir ce que j’entendais, comme si j’avais peur de ne plus jamais entendre ce que j’entendais, j’avais raison d’avoir peur, je n’ai jamais plus entendu ce que j’ai ce soir-là entendu. » (p. 11) « De même que je me demande si j’ai bien fait de noter les références, je me demande si je n’aurais pas mieux fait de me contenter du souvenir de mon émotion, la laisser mourir de sa belle mort. Au lieu de ça je me suis mis en tête de retrouver l’enregistrement comme ceux qui prennent des photos de leurs souvenirs, avant de se souvenir, je veux dire pour se souvenir, revoir ce qu’ils ont vu alors que tout est perdu. » (p. 12) « Dès le lendemain je suis parti à la recherche du concerto, ce n’est pas vrai, en tout cas je me suis dit : Si je passe devant un disquaire, je regarde, à tout hasard j’ai regardé au supermarché en faisant mes courses, je n’ai rien vu, à part Les quatre saisons. » (p. 13) « J’ai quand même cherché, ça oui, mais comme je n’avais pas noté le nom des interprètes je pouvais toujours chercher, de toute façon si je l’avais trouvé je n’aurais pas retrouvé mon émotion, je me demande alors ce que j’ai cherché, pourquoi je l’ai cherché, ce que je cherche encore, là, écrivant. J’essaie de rendre compte de ce qui m’est arrivé, tout en sachant qu’en essayant d’en rendre compte je ne retrouverai jamais les émotions qui ont accompagné ce qui m’est arrivé. J’essaie quand même, peut-être pour ne pas tout perdre, les émotions et le reste, garder au moins le reste. » (p. 13) « C’est là que j’ai trouvé cette troisième et magnifique version du concerto qui a grandement réveillé mon émotion. Je ne dirais pas qu’elle m’a entièrement restitué mon émotion première, l’impossible restitution d’un état premier, n’en parlons pas, ça n’existe pas, on ne se réveille jamais tout à fait le même, l’émotion par conséquent ne pouvait être exactement la même, mais a ranimé ma passion pour cette œuvre, passion qui je dois dire se mourait lentement. » (p. 18-19) « J’étais embarrassé, je me suis comme d’habitude embarrassé de formules après lui avoir dit bon jour madame, excusez-moi de vous déranger : J’aimerais, je voudrais, s’il vous plaît, elle me regardait d’un air hagard, avez-vous, auriez-vous, se pourrait-il que vous ayez, peut-être connaissez-vous, un concerto, parmi les concertos de Mozart, celui que je cherche est pour clarinette, celui que je veux est en La majeur, de Mozart, vous connaissez ? Il n’y en a qu’un, dit-elle, je l’ai. » (p. 23) « Rentré chez moi je l’ai écouté et réécouté, je ne retrouvais pas l’impression laissée la première nuit par la radio, non seulement je ne la retrouvais pas, et bien sûr plus j’écoutais moins je la retrouvais, mais je n’ai même pas retrouvé l’émotion partagée avec la dame dans le magasin. Rien ne sera jamais plus pareil, tout est perdu, écrit-il. » (p. 24) « Puis, un jour, c’est là où je veux en venir, j’ai entendu à la radio que le concerto allait être joué à Paris, j’ai décidé d’y aller. Avant d’aller plus loin je vous préviens, ce qui va suivre est une épreuve, un supplice lent, extrêmement pénible, mais ne vous plaignez pas, moi j’ai déjà fait le chemin une fois, tout le chemin, et je recommence pour vous faire plaisir. » (p. 25) « Reste l’écriture, la musique, la peinture, la beauté en un mot, LA BEAUTÉ, mais que vaut-il mieux ? La chercher ? L’ignorer ? La connaître ou ne pas la connaître ? Meurt-on plus heureux auprès d’elle ? Moins désespéré ? » (p. 56) « Il est en vacances, il a pris une semaine qui lui restait, comme chaque année il a gardé une semaine pour le cas où, et il a bien fait de la garder, il a pu la prendre pour se préparer au concert, comme si lui-même devait y participer, non mais il veut pouvoir y penser à son aise, depuis qu’il a décidé d’y aller il ne pense plus qu’à ça, il n’aurait pas été capable de travailler. » (p. 60) « Il n’ose pas aller la trouver pour le lui demander, lui dire : L’autre dame a dû vous prévenir, lui dire que l’autre dame, celle du matin, lui a conseillé de se présenter un quart d’heure avant le début du concert, parce qu’il aurait une chance de trouver une place revendue par quelqu’un au dernier moment pour je ne sais quelle raison, mort d’un proche ou naissance ou mariage ou divorce d’un proche, mais ce sont là des cas de force majeure, tout empêchement ferait l’affaire, cela se produit régulièrement, il se tient à l’écart du passage et attend. » (p. 71) « Je n’aime pas Mozart, dit l’homme, et lui aussitôt se demande : Comment fait-on pour ne pas aimer Mozart ? Qui n’aime pas Mozart ? Comment peut-on ne pas aimer Mozart ? Qui est-on quand on n’aime pas Mozart ? Qui se croit-on pour se permettre de ne pas aimer Mozart ? » (p. 77) « Jamais je ne retrouverai mon émotion, jamais je ne serai capable d’écrire ce que j’ai éprouvé ce soir-là, je crains même que la recherche des mots ne dissolve tout à fait le souvenir que j’en garde, écrit-il. » (p. 103) « Ils marchent tous les deux dans l’île, le long d’une petite rue bordant la Seine, la nuit est là, une lumière de théâtre coule des réverbères, les fenêtres allumées font un décor. Les ténèbres bleutées du ciel de juin sont d’une absolue splendeur, l’air est très doux, le vent est tiède et chargé de l’odeur des arbres, par une espèce de miracle les feuilles sans paraître changer se libèrent de substances qui embaument. Ils arrivent devant chez elle, elle s’arrête très précisément devant chez elle, ça aussi c’est un miracle, animal, le premier était végétal. » (p. 107) « Alors, redit-elle, qu’avez-vous pensé du concerto ce soir ? Voilà une question dont il se serait volontiers passé, d’autant plus qu’il s’attendait plutôt à être interrogé sur la situation, sur le mari, sur la réponse faite à la sœur Anne, mais enfin, c’est comme à l’examen, on ne peut pas prévoir : Pas grand-chose, dit-il, je n’ai pas aimé le clarinettiste, il m’a semblé manquer passablement d’esprit, d’éclat. En revanche, ajoute-t-il, sans aller plus loin, il ne va pas plus loin, il s’arrête juste avant la revanche, se méfie des lieux communs. » (p. 111) « Oui oui, dit-il, mais je n’ai pas retrouvé l’émotion que je cherchais, celle du premier soir, et j’étais venu pour ça, pas uniquement mais tout de même, j’espérais un peu, autant dire que c’est manqué, enfin bref, c’est comme ça. Il presse un reste de pensée qui traîne encore sur les derniers mots pour ajouter que désormais il se contentera de ses disques. » (p. 112)