FICHE DE LECTURE « Les postures du biographe »

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : François BOTT (1935- ) Titre : L’entremetteur : esquisses pour un portrait de M. de Fontenelle. Lieu : Paris Édition : Presses universitaires de France Collection : Perspectives critiques Année : 1991 Pages : 111 Cote BANQ: 848.4 F683b 1991

Biographé : Bernard Le Bovier de Fontenelle

Pays du biographe : France

Pays du biographé : France

Désignation générique : Si l’on s’en remet à son titre, ce texte devrait être envisagé comme un portrait littéraire.

Quatrième de couverture ou rabats : [reproduction intégrale de la quatrième de couverture] La vocation de Fontenelle était de faire se rencontrer les espèces les plus diverses : les Anciens et les Modernes, les Circassiennes et les philosophes, les savants et les marquises, les morts récents et les défunts de jadis… Il a ménagé les premières entrevues entre le vieux XVIIe siècle et le jeune XVIIIe. Il a fait les présentations en quelque sorte. C’était lui « le maître des cérémonies ». Talleyrand tiendrait le même rôle cent ans plus tard. Les deux hommes se sont à peine croisés. Fontenelle s’apprêtait à sortir de l’existence lorsque Talleyrand fit son entrée. Le fantôme de l’avenir n’adressa qu’un bonjour très furtif à ce vieillard qui avait fréquenté les précieuses comme les dames des Lumières. Ils avaient l’un et l’autre cette diplomatie qui permet aux époques de se dévisager.

Préface : Ce livre ne comporte pas de préface. Néanmoins, le premier chapitre qui y figure pourrait faire office de préface, dans la mesure où Bott y raconte dans quel contexte il a entrepris d’écrire sur Fontenelle. Il se trouvait à l’aéroport de Bangkok avec sa femme alors que son avion avait plusieurs heures de retard. Pour tromper l’attente, il s’est mis à écrire et à réfléchir sur Fontenelle, réflexion qu’il a poursuivie dans l’avion en discutant avec sa voisine de bord, une prostituée indonésienne qui s’intéressait à la philosophie. Le dernier paragraphe du chapitre – qui met en lumière l’intérêt que présente Fontenelle pour Bott – se retrouve en entier en quatrième de couverture.

Autres informations : Une bibliographie est annexée à la fin de ce livre. Elle comprend les œuvres complètes de Fontenelle ainsi qu’un certain nombre d’ouvrages portant sur le dix-huitième siècle, sur Fontenelle ou sur des personnalités bien connues du siècle des Lumières (Mme du Deffand, Montesquieu, etc.). On y trouve également les références de diverses œuvres issues des Lumières, telles les Caractères de La Bruyère ou les Maximes et pensées, caractères et anecdotes de Chamfort.

Textes critiques sur l’auteur : Je n’ai consulté que ce compte-rendu de Benoît Melançon :

- Benoît Melançon, [Compte-rendu du livre « L’entremetteur : esquisses pour un portrait de Fontenelle » de François Bott], Spirale, no 107, été 1991, p. 21 [extrait].

SYNOPSIS

Résumé ou structure de l’œuvre : L’ouvrage comporte douze chapitres, dans lesquels il est certes question de la vie et de l’œuvre de Bertrand Le Bovier de Fontenelle, mais surtout, à mon avis, du contexte socio-historique dans lequel il a vécu. Le premier chapitre du livre constitue une sorte de présentation du projet d’écriture de Bott, comme je l’ai expliqué sous la rubrique « Préface ». Dans les trois chapitres suivants, Bott rend compte de sa fascination pour l’âge vénérable auquel est mort le philosophe (cent ans moins trente-deux jours), pour le fait qu’il ait traversé le XVIIe et le XVIIIe et qu’il ait fait office d’entremetteur entre ces deux époques, et qu’il ait été, en outre, en avance sur ses contemporains pratiquement jusqu’au moment de sa mort. Bott relève également les qualités philosophiques qui ressortissent à Fontenelle : il traite ainsi du fait qu’il ait voulu rendre la philosophie séduisante et à la portée de tous (particulièrement à la portée des femmes); son doute méthodique vis-à-vis de ses propres pensées, sa considération pour autrui, la qualité de son écoute et sa curiosité sans bornes sont autant de raisons qui nourrissent l’admiration que lui voue Bott. Ce n’est finalement qu’au cours du cinquième chapitre du livre que Bott aborde la vie de Fontenelle : il profite de la mise en contexte de la naissance et de la mort du philosophe pour présenter la société des Lumières. Ainsi, à l’occasion de sa naissance, l’on voit défiler rapidement Descartes, Mme de Scudéry, La Rochefoucauld, Cyrano de Bergerac, La Fontaine, Molière, Bossuet, La Bruyère, Mme de Sévigné, Diderot, Mme de La Fayette, Mme du Deffand, etc. Pour un instant, Bott nous emmène même trois siècles plus tard, en 1957, où nous voyons Roger Vaillant recevoir le prix Goncourt, Albert Camus le prix Nobel, etc. Puis, à l’occasion de la mort de Fontenelle, le même jeu se répète et passent à leur tour Voltaire, Vauvenargues, Laclos, Chamfort, Mirabeau, etc. Le sixième et le septième chapitre sont quant à eux plutôt biographiques. Bott nous présente l’intérêt du jeune Fontenelle pour la littérature et pour la philosophie, il nous raconte son séjour chez ses oncles Pierre et Thomas Corneille à Paris, dit un mot de la réception de ses premières œuvres, après quoi il nous apprend que le jeune homme, après un échec cuisant, délaisse la poésie pour l’essai et reprend le chemin de sa Normandie natale. Il est ensuite question de son retour à Paris, une fois ses principales œuvres publiées, et de sa participation à la querelle des Anciens et des Modernes, dans le camp des Modernes. Bott trouve le moyen, au cœur de ces deux chapitres, d’esquisser quelques paragraphes sur Mme de Lambert, Mme de Tencin et Mme de Geoffrin. Le huitième chapitre est entièrement consacré à l’histoire de Mme de Staal-Delaunay qui, grâce à l’aide de Fontenelle, a su trouver sa place au sein de la société des Lumières. Dans les trois derniers chapitres de l’ouvrage, Bott s’intéresse à la philosophie de vie de Fontenelle (qui était aussi la philosophie qu’il professait dans ses œuvres). Il restitue les leçons de bien-vivre du philosophe : ses qualités d’ethnologue, son penchant pour l’autodérision, son refus d’être lié à quiconque, sa patience, sa générosité, sa mansuétude, etc. Il fait également mention, dans ces chapitres, de l’écriture de Fontenelle et de l’ironie qu’il y déployait. Enfin, Bott nous raconte comment Fontenelle a commencé à faire ses adieux à la vie. Il emploie, pour ce faire, sa sempiternelle (il en abuse!!) métaphore du fantôme, de « l’éternelle silhouette furtive » (104).

Topoï : La société du siècle des Lumières, les salons, la philosophie, l’astronomie, l’ethnologie, la querelle des Anciens et des Modernes, la misanthropie, les femmes, l’écriture, l’ironie, les dernières paroles, la mort.

Rapports auteur-narrateur-personnage : Certains ancrages autobiographiques – le nom de la femme de Bott, par exemple – nous permettent d’affirmer avec certitude que le narrateur est ici l’auteur. Dès les premières lignes de l’ouvrage, il prend la parole en son nom propre pour présenter les circonstances qui l’ont mené à écrire sur Fontenelle. La narration demeure toutefois toujours hétérodiégétique, cependant que le point de vue oscille parfois entre l’omniscience et la focalisation externe.

I. ASPECT INSTITUTIONNEL

Position de l’auteur dans l’institution littéraire : François Bott est l’ancien directeur/rédacteur en chef du «Monde des livres » (cahier littéraire du journal Le Monde). Il a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages, obtenu le prix Paul Léautaud en 1986 pour son livre Lettres à Baudelaire, Chandler et quelques autres ainsi que le grand prix littéraire de la Ville d’Antibes Jacques-Audiberti pour l’ensemble de son œuvre en 2004. (Il a forcément dû recevoir d’autres prix au fil de sa carrière littéraire, mais je n’ai pu, pour l’instant, les retracer. À suivre, donc.)

Position du biographé dans l’institution littéraire : Si Fontenelle occupait une place importante à l’ère des Lumières, il est désormais « peu pratiqué de nos jours ». (Benoît Melançon, [Compte-rendu du livre « L’entremetteur : esquisses pour un portrait de Fontenelle » de François Bott], Spirale, no 107, été 1991, p. 21 [extrait].)

Transfert de capital symbolique : Comme l’indique Benoît Melançon dans son compte-rendu, « l’intimité de cette lecture rejoint la “participation affinitive” pratiquée par Vuarnet » (Benoît Melançon, [Compte-rendu du livre « L’entremetteur : esquisses pour un portrait de Fontenelle » de François Bott], Spirale, no 107, été 1991, p. 21 [extrait].) Il n’est donc pas question ici de transfert de capital symbolique, mais plutôt d’une véritable élection affective : « Écrire sur Fontenelle, c’est se promener parmi les chers fantômes de la littérature française que je préfère… » (34). Par ailleurs, il paraît évident que Bott tente de revaloriser la figure et l’œuvre de Fontenelle par l’intermédiaire de son portrait : « Remplie de gens qui croient parler et qui font seulement du bruit, notre époque devrait s’empresser de relire Fontenelle, car il détestait le pédantisme » (14). À ce propos, Melançon note que « voulant réhabiliter Fontenelle, voire en faire un modèle pour les intellectuels actuels, l’auteur a choisi, plutôt que l’analyse de ses œuvres et la biographie traditionnelle, de placer son sujet au milieu d’une galerie de personnages ». (Benoît Melançon, [Compte-rendu du livre « L’entremetteur : esquisses pour un portrait de Fontenelle » de François Bott], Spirale, no 107, été 1991, p. 21 [extrait].) En revanche, il serait possible de croire que Bott aspire peut-être à devenir, comme Fontenelle, « maître de cérémonie » et à « se faire rencontrer les espèces les plus diverses » (12) par le truchement de son travail biographique.

II. ASPECT GÉNÉRIQUE

Oeuvres non-biographiques affiliées de l’auteur : [voir la fiche de lecture portant sur l’ouvrage Faut-il rentrer de Montevideo?]

Place de la biographie dans l’œuvre de l’auteur : [voir la fiche de lecture portant sur l’ouvrage Faut-il rentrer de Montevideo?]

Stratégies d’écriture et dynamiques génériques : La principale stratégie d’écriture à l’œuvre dans cet ouvrage est, pourrait-on dire, l’apanage de Bott : il s’agit de la mise en scène du contexte artistique et littéraire dans lequel son biographé a évolué. En effet, tout comme dans sa biographie de Julie de Lespinasse, Bott passe ici en revue la société des Lumières, nous livrant une sorte d’historiographie littéraire de ce siècle. Ainsi, défilent devant nous Descartes, Mme de Scudéry, La Rochefoucauld, Cyrano de Bergerac, La Fontaine, Molière, Bossuet, La Bruyère, Mme de Sévigné, Diderot, Mme de La Fayette, Mme du Deffand, Voltaire, Vauvenargues, Laclos, Chamfort, Mirabeau, Mme de Lambert, Mme de Tencin, Mme de Geoffrin, Pierre et Thomas Corneille, Mme de Staal-Delaunay, etc. Il s’agit donc pratiquement de la transposition d’un contexte socio-historique donné dans la vie d’un biographé (mais non l’inverse).

Thématisation de la biographie : Je n’ai trouvé que deux occurrences de la biographie dans le texte. Dans les deux cas, Bott s’inscrit en faux contre les biographes de Fontenelle : « Certains de ses biographes ont taxé Fontenelle de prudence. Pourtant, quelle audace! » (20). Ou encore : « L’un de ses biographes, Louis Maigron, taxerait Fontenelle de “prétention”, après avoir relu cet autoportrait. En vérité, c’est la peinture d’un homme qui ne sait pas encore exactement ce qu’il désire, mais qui sait, en revanche, qu’il ne voudra point ce que l’on veut communément. Pourquoi faut-il que les pensées trop singulières soient ramenées à de la présomption? » (45).

Rapports biographie/autobiographie : L’ouvrage comprend un certain nombre d’ancrages autobiographiques. En premier lieu, la scène de l’attente à l’aéroport de Bangkok, tandis que Bott entreprend d’écrire le portrait de Fontenelle, semble vraisemblablement avoir eu lieu. Un certain nombre de « petits faits vrais » y apparaissent, notamment le prénom réel de l’épouse de Bott. En second lieu, un bref passage fait état de la visite de Bott à un ami, au cours de laquelle il a eu l’occasion d’observer des prisonniers dans la cour d’une prison. En troisième lieu, à la page 99, Bott raconte l’un de ses rêves. Enfin, au terme du portrait, il nous révèle qu’il a achevé son livre en Corse : il avait « fait venir Bernard Le Bovier de Fontenelle à Piana », ville natale de sa grand-mère, où il séjourne encore régulièrement.

III. ASPECT ESTHÉTIQUE

Oeuvres non-biographiques affiliées du biographé : Bott fait surtout référence aux Dialogues des morts, aux Entretiens sur la pluralité des mondes, à l’Histoire des oracles, à l’Origine des fables et à l’Histoire de mon coeur. Il semble toutefois qu’il ait parcouru les Œuvres Complètes du philosophe, puisqu’elles figurent parmi les références bibliographiques inscrites à la fin du livre. (Bott cite souvent – entre guillemets – sans indiquer de quelle source provient sa citation… Ainsi, il devient difficile de savoir exactement à quelles œuvres il a eu recours.)

Oeuvres biographiques affiliées du biographé : Aucune. Échos stylistiques : Il m’est impossible d’en traiter, puisque je ne connais pas l’œuvre de Fontenelle.

Échos thématiques : Il m’est impossible d’en traiter, puisque je ne connais pas l’œuvre de Fontenelle.

IV. ASPECT INTERCULTUREL

Affiliation à une culture d’élection : Aucune affiliation à une culture d’élection étrangère. Le texte baigne dans l’histoire et la culture françaises et ce, dès ses premières pages : « “La France, dirait André Suarès, a appris à se connaître avec Corneille et Descartes.” Neveu du premier et disciple du second, Fontenelle a fait en sorte que cet apprentissage tienne toutes ses promesses » (20). Ou encore : « C’est la meilleure spécialité française [l’essai] avec le roman bref et la littérature épistolaire. Les Français mettent volontiers leur existence à l’essai. Comme leurs idées, leurs amours et leurs gouvernements » (46). Enfin, cet autre exemple me paraît digne d’intérêt : « Au lycée, j’aimais la classe de littérature et celle de géographie, car elles me faisaient voyager l’une et l’autre. J’avais de l’attirance ou de l’affection pour l’Italie, la Patagonie, les îles Marquises, la Haute-Vienne, la Renaissance et l’époque des Mousquetaires. Mais, à présent, le siècle de Diderot me paraît être le pays le plus aimable, car on y parlait un français souverain » (56).

Apports interculturels : À peu près absents. Comme toujours, Bott est fasciné par les questions d’exotisme et de mélanges culturels. Ainsi, à quelques reprises, il présente Fontenelle sous son jour d’ethnologue (85-86), allant même jusqu’à dire qu’il était « professeur d’exotisme » (7). En outre, Bott manifeste quelquefois sa prédilection pour les mélanges culturels dans des formules de ce genre : [en parlant de la discussion qu’il a eue dans l’avion avec la prostituée indonésienne] « Dès lors, un dialogue s’est improvisé entre Fontenelle et le penseur taoïste, au-dessus des steppes d’Asie centrale » (10). Enfin, il met l’accent sur la tendance qu’auraient les Français à être curieux de l’Autre et de l’Ailleurs : « Lorsqu’ils sont à la retraite, les prolétaires français parcourent l’univers. Ils vont ranimer, au bout du monde, leurs souvenirs de la classe de géographie » (8).

Lecteur/lectrice : Audrey Lemieux