1. Degré d’intérêt général

Le roman est généralement intéressant; il se lit avec beaucoup de plaisir. Les chapitres brefs et les nombreux points de vue lui donnent un rythme entraînant. Une utopie désabusée dont le discours sur les travers de l'humanité se fait parfois un peu redondant, mais au moins avec une bonne dose d'ironie.

2. Informations paratextuelles

2.1 Auteur : Francis Dupuis-Déri

2.2 Titre : L'Erreur humaine

2.3 Lieu d’édition : Montréal

2.4 Édition : Léméac

2.5 Collection : Roman

2.6 (Année [copyright]) : (1991)

2.7 Nombre de pages :262 p.

2.8 Varia :

- Exergues : « Accepter la disparition d'une espèce, c'est aussi inconsciemment accepter la nôtre » Dr. Martineau

« Vue de l'espace, la planète est bleue

Vue de l'espace, la planète est le territoire

Non pas des hommes, mais des baleines. » Williams Heathcote, Des baleines

- Le roman comporte une table des matières : la majorité des chapitres est intitulée selon le nom de son narrateur et le nombre d'interventions de celui-ci; les autres portent le titre d'un journal ou s'intitulent simplement « Tract ».

3. Résumé du roman

À New York se tient la Conférence de l'Organisation des Nations Utopiques (ONU), organisation dont le but premier est d'humaniser la vie de tout être vivant. Pierre-Olivier Chapleau, de la délégation du Québec (pays qui a récemment obtenu son indépendance) y participe en tant que délégué aux questions maritimes. Or, chose curieuse, les membres animaux de l'ONU ne logent pas au même endroit que les participants humains : la Conférence s'ouvre donc avec le discours indigné du représentant des reptiles qui dénonce la discrimination dont sont victimes les animaux. Pendant la durée de la Conférence, des cellules terroristes animales, les Brigades Zoologiques, tentent d'organiser leurs actions pour faire valoir la cause animale : alors que la cellule new-yorkaise publie des tracts et kidnappe le représentant des États-Unis qui s'oppose à leur cause, des cellules plus enclines à la violence se forment en Allemagne et en Afrique.

Pendant ce temps, la découverte surprenante d'un rorqual - probablement le dernier cétacé vivant - mobilise un groupe d'écologistes bien décidés à le sauver des entreprises de cosmétiques qui souhaitent pouvoir offrir à prix d'or les derniers produits faits à base de baleine. Chapleau quitte l'ONU pour pouvoir s'embarquer avec les écologistes, mais les chasseurs engagés par les compagnies privées finiront par assassiner le rorqual. Peu après, victimes de tensions à l'interne, les Brigades se verront elles aussi décimées.

4. Singularité formelle

Le roman se divise en 50 chapitres : les chapitres proprement narratifs portent le nom de leur narrateur (ils sont sept : Puce Rond, une puce logeant dans les poils des membres de la Brigade Z, Pierre-Olivier Chapleau, David Davidovitch, un terroriste qui rejoint le rang des écologistes, Nguyen Thùy, une pianiste vietnamienne aussi parmi les écologistes, George Hermann, le représentant des États-Unis à l'ONU, Puce Ho, une autre puce terroriste, et Francis Dupuis-Déri, l'auteur, qui apparaît comme l'interlocuteur de Chapleau et Thùy dans le dernier chapitre). Chacune de ces interventions est numérotée en chiffres romains (ex : Puce Rond II).

Entre ces chapitres, à intervalles plus ou moins réguliers, on retrouve des extraits de journaux ou de livres ainsi que des tracts « saisis par la police ». Ces parties donnent des informations à la fois sur les évènements racontés dans le roman et sur le terrorisme, l'écologie ou la politique. La chronologie est trouble; les articles sont non datés et sont parfois placés avant ou après les évènements dont ils font mention.

5. Caractéristiques du récit et de la narration

La chronologie de l'histoire est un peu difficile à reconstituer, du moins dans la première moitié environ; les narrations des différents personnages sont indépendantes mais ne commencent pas au même point : par exemple, David Davidovitch nous parle de la présence de Chapleau sur le bateau des écologistes bien avant que Chapleau ne fasse mention de sa rencontre avec la chef du groupe. Les articles insérés dans le texte contribuent aussi à ce désordre, certains annonçant des évènements que les personnages n'ont pas encore narrés (par exemple, un article de journal à la page 161 nous annonce le procès de Davidovitch dont l'arrestation nous est racontée par lui à la page 231…).

Cette confusion s'explique partiellement [mais c'est là une interprétation personnelle] dans le dernier chapitre, dont la narration est assurée par Francis Dupuis-Déri : l'auteur se met en scène sur un bateau avec Chapleau et Thùy, après les évènements. On apprend que les personnages lui ont raconté leurs histoires et lui ont donné les articles de journaux [l'auteur-personnage n'est pas mis en scène en train d'écrire toutefois]. Le récit est donc rétrospectif, bien que tout le roman semble se dérouler en temps réel.

Toutefois, les chapitres mettant en scène les animaux n'obéissent visiblement pas à la même logique puisque les puces n'ont pas parlé à l'auteur…

6. Narrativité (Typologie de Ryan)

6.1- Simple

6.2- Multiple

6.3- Complexe

6.4- Proliférante

6.5- Tramée

6.6- Diluée

6.7- Embryonnaire

6.8- Implicite

6.9- Figurale

6.10- Anti-narrativité

6.11- Instrumentale

6.12- Suspendue

Justifiez : Comme c'est écrit plus haut, le roman est constitué des témoignages parallèles de personnages agissant dans un même cadre temporel et dont les actions sont motivées par des idées communes (la défense des animaux, le respect de la vie, le militantisme (voire le terrorisme)pour protéger ce qui nous tient à coeur, etc.) L'importance des ces idées est telle que la narration est instrumentale : le roman défend l'écologie et l'humanisme en tant qu'idées complémentaires. Pour ce qui est de la narration suspendue, c'est applicable uniquement au dernier chapitre qui conclut l'histoire du rorqual : comme pour montrer que l'utopie est encore possible, l'auteur termine avec la possibilité de retrouver une autre baleine. Les deux autres histoires, celle de l'ONU et celle des Brigades Z, elles, sont totalement conclues.

7. Rapport avec la fiction

Rien de marquant…

8. Intertextualité

On retrouve, en plus des articles de journaux [cela compte-t-il comme de la fausse intertextualité ?], deux extraits d'ouvrages (fictifs)dont Les terroristes psychopathes d'Antonino Ferri (p. 171) qui est accompagné de notes en bas de page. Les ouvrages en question sont des fabrications de l'auteur et parlent des attentats des animaux, mais les notes en bas de page qui les accompagnent renvoient à de «vrais» textes (i.e. de Cesare Lombroso, Les anarchistes (1896)et un article de Jean-Paul Picaper dans le Figaro (1977)).

9. Élément marquant à retenir

La structure, riche, le propos engagé et l'ironie omniprésente dans le texte.

10. Réception immédiate

« L'Erreur humaine est un roman d'anticipa tion, mais davantage encore un roman à idées où le « message » humanitaire et écologique rejoint les préoccupations d'organismes et d'in- dividus bien d'actualité (v.g. Green Peace, Brigitte Bardot). La ( trop ) visible présence de ces référents externes, tout comme d'ailleurs, entres autres détails, l'insuffisance du décor romanesque, sont quelque peu rachetées par la recherche d'une structure narrative non linéaire, multiforme et plurivocale, et d'un ton humoristique souvent drôle, à défaut d'être subtil. »

(Jean-Guy HUDON, Québec français, no 84, 1992, p. 16)

« L'Erreur humaine, c'est tout cela, voire plus. Un roman de plus de 250 pages qu'il faut lire. Sans être le portrait type du roman engagé, il demeure une œuvre de fiction de lignée écolo- réaliste. Le reflet en est prodigieux grâce à la facture du texte, mais surtout par le jeu du texte cognitif-texte imaginaire, lesquels alternent pour créer à l'ensemble du roman un présent vu à travers les découpures de presse et le journal intime et ce, rétrospective- ment. Cela nous plonge dans une dimension temporelle bien particulière. Malgré le plaisir du texte qui nous est offert, L'er- reur humaine n'est pas l'un de ces «massacres littéraires» qu'on expose fièrement dans la bibliothèque de son salon sans se sentir quelque peu coupable de ce beau livre fait de papier blanchi et d'encre commerciale; ni l'un de ces romans qu'on peut lire au bord de la mer, soigneusement assis dans son transat, sans enten- dre les vagues murmurer : «Salaud!» »

(Paul Desgreniers , « Les yeux fertiles », Moebius : Écritures / Littérature, n° 52, 1992, p. 157-169. )