Forest, Philippe, Le Roman, le je, Nantes, Éditions Pleins Feux, 2001.

« Car aujourd’hui triomphe ce que je proposerai de nommer l’“ego-littérature” : « orthopédie » du moi arrogante et victorieuse sur tous les fronts de la culture, entreprise insidieuse de dressage social où l’individu se trouve invité à façonner librement son être selon le mirage d’un modèle conforme aux valeurs communes[…] Rien n’est plus aisé que de démontrer que le triomphe actuel de l’“ego-littérature” est ainsi entièrement commandé par l’entrée des sociétés occidentales dans l’ère de la post-histoire, que l’écroulement des “grand récits” suscite un repli de chacun vers le territoire rassurant de l’intime … » (p. 11)

Il distingue l’ « ego-littérature » de l’ « autofiction » du « roman du je », les trois « stases dans ce processus de dépersonnalisation à la faveur duquel le réel se fait entendre toujours avec plus de force au sein de la fiction. Dans les modalités les moins réflexives de l’ego-littérature, le Je se présente comme un réalité (biographique, psychologique, sociologique, etc.) dont témoignages, documents, récits de vie expriment l’objectivité antérieure à toute mise en forme par l’écriture. Avec l’autofiction (du moins lorsque celle-ci noue véritablement projet autobiographique et projet romanesque), cette réalité du Je s’éprouve (ou se soupçonne) comme fiction. Mais c’est seulement avec certaines des oeuvres que j’ai évoquées (le Roman du Je) que le jeu entre réalité et fiction au lieu d’enfermer la littérature dans le cercle du solipsisme narcissique fait du Je le support nécessaire d’une expérience dont s’absente le sujet afin de laisser le roman répondre à l’appel excludif de l’impossible réel. » (p. 37) Il propose de parler d’hétérographie pour distinguer cette dernière pratique.

Étude des livres de Robbe-Grillet