Auteur : Thierry Laget Titre : Florentiana Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : « L'un et l'autre » Année : 1993 Pages : 131 Cote : UQAM, section monographies, PQ 2672 A2898F48 1993 Désignation générique : Aucune
Préface : Aucune.
Rabats : Alors que sur l'un des deux rabats, on trouve le programme de la collection, sur l'autre figure celui, à caractère narratif, auquel se rapporte Florentiana, recueil d'« anecdotes, mi-graves, mi-abstraites, des anecdotes de collection, mais d'amateur nonchalant, qui n'apprécie ses trésors que dépareillés ». L'auteur affirme aussi, toujours à propos de ces anecdotes, vouloir « les ranger dans la section du Catalogue consacré aux ``anas``, ``recueils de pensées détachées, de bons mots, d'historiettes, de dits plaisants``. » Le rabat signé Laget provient de l'incipit de son livre.
Image de la couverture : Illustration de Philippe Mercier. S'y trouve représentée une girafe tenue en laisse par un personnage la promenant –– dans Florence, conclue-t-on à la lecture de Laget, cela eu égard à son récit se rapportant à l'animal de prédilection de Laurent le Magnifique : là aussi, une girafe, également habituée d'arpenter la ville aux côtés d'un porteur de laisse. Ainsi, une anecdote plaisante, illustrée d'ailleurs de façon ludique par Mercier (choix d'un orange-rouge vif, dessin au trait naïf), attire l'attention du lecteur dirigée vers la couverture de Florentiana.
Autres : Une table des matières avec, pour chacun des chapitres, la recension des thèmes traités.
Pays d'origine : France.
Professions : Écrivain et critique littéraire, et traducteur.
Bibliographie : Romancier, Laget a publié sept ouvrages; Iris (1991) a été couronné du prix Fénéon en 1992. Quant à ses essais, au nombre de cinq (voir le classement des oeuvres de Laget proposé sur son site officiel, www.Ipce.com/thierry-laget), quatre d'entre eux sont réunis dans la collection « L'un et l'autre »; La Fiancée italienne (1997), À des Dieux inconnus (2003), Portraits de Stendhal (2008), s'ajoutent ainsi à son Florentiana.
Autre remarque : Laget a participé à l'édition critique de l'œuvre de Proust dans « La Pléiade ».
Identification des biographés : Florence, Laurent le Magnifique, Michel-Ange, Marcel Proust, Mlle de Goyon, Roberto Baggio.
Brèves biographies des biographés : Ville d'Italie, Florence a été le berceau de la Renaissance. Laurent le Magnifique (1449-1492) fut un promoteur de ce courant. Lui-même poète, il protégea les artistes et les savants. Michel-Ange (1475-1564) fut peintre, sculpteur, architecte et poète. Marcel Proust (1871-1922) écrivit À la Recherche du temps perdu. Il créa son personnage d'Oriane à partir d'un modèle issu de ses fréquentations : Mlle de Goyon. Une recherche entreprise au sujet de celle-ci se révéla néanmoins infructueuse. Le footballeur Roberto Baggio (né en 1967), c'est deux cent cinq buts, trois participations aux Coupes du Monde. C'est, bref, un des meilleurs « attaquants italiens de l'histoire » (Wikipédia).
Autres informations : Furent éliminées dans la présente section les figures d'artistes dont Laget traitait comme « en passant », les esquissant alors à grands traits. À vrai dire, même celles retenues ici ne constituent pas à proprement parler des biographés, mis à part Laurent le Magnifique et Proust, décrits cette fois de manière assez étoffée pour qu'on constate le résultat d'un réel travail de biographe.
Auteur/narrateur : L'auteur est aussi narrateur.
Narrateur/personnage : Le narrateur participe, mais de loin, et à quelques (brèves) reprises, à l'action. Il n'est par ailleurs pas suffisamment décrit pour qu'on puisse s'en faire une idée précise.
Biographe/biographés : Ceux-ci ont généralement droit aux égards et éloges de celui-là.
Synopsis : 1er chapitre, « Le Verbe et la chair ». Florence « symbol[is]e l'Éden » pour Laget. Voilà un « Paradis », insiste l'auteur, dont les « portes » permettant d'y accéder lui sont, ajoute-t-il, demeurées fermées durant son enfance (1993 : 11), car ses parents, qui avaient prévu l'y amener au cours de leurs vacances, ont dû ajourner la réalisation de ce projet en raison d'une contrainte de temps. Un mal pour un bien. Le désir frustré incite l'écrivain à idéaliser et écrire son lieu de prédilection. Soit la Florence édénique, voire littéraire, où « il y avait déjà tout, quand le superflu se confondait avec le nécessaire, quand le verbe et la chair n'étaient qu'un » (1993 : 16).
2e chapitre, « Au Chant du coq ». Ce titre se rapporte au récit des événements entourant l'occupation de Florence par les nazis, respectueux, soit, à l'égard du patrimoine architectural de la ville, mais néanmoins responsables de nombreuses pertes survenues en ce domaine lors de leur capitulation en 1944.
3e chapitre, « L'Âge des pierres ». Y est relaté un procès qui a eu lieu dix ans avant la parution de Florentiana; l'objet du litige concernait l'initiative des constructeurs ayant remplacé les dalles de la grand-place de la ville par des briques; « les Florentins […] réclamèrent [par conséquent] la tête des voyous qui avaient violé la beauté du lieu » (1993 : 33-34). Heureusement, il existe à Florence ce que Laget, citant une expression de Cennino Cennini, auteur d'un Livre sur l'art, appelle, au
4e chapitre, « L'Arche des animaux irrationnels » (je souligne l'expression empruntée par Laget à Cennini), soit des êtres défiant, de par leur grandeur d'âme, toutes catégories (toujours selon Laget –– et sa définition desdits animaux, 1993 : 47). Comptons parmi eux Laurent le Magnifique. Beau portrait que celui qu'en propose l'auteur de Florentiana. Portrait accentuant les traits spirituels contribuant à faire du Magnifique en question un ardent promoteur de la Renaissance et un poète talentueux (1993 : 51). Et magnifique, Laurent l'est d'ailleurs surtout en raison des réformes dont il eut l'initiatives (abolition de la torture et de l'Inquisition, par exemples); car sa physionomie, ingrate, en fait presque l'« alter ego » de la girafe lui ayant été offerte par l'ambassadeur d'un sultan d'Égypte. L'animal au long cou devint, incidemment, « un personnage dans la Florence de la fin du Quattrocento », et ce au sein d'œuvres d'art (1993 : 55).
Toujours dans « L'Arche… », Laget rapporte le mot de Michel-Ange lancé à l'adresse de l'architecte Baccio d'Agnolo en vue de décrire un bâtiment conçu par ce dernier : « On dirait une cage à grillons. » (1993 : 57) Ce propos déclenche l'hilarité des florentins, dont se… moque Laget; ils n'auraient pas compris le sens de ce mot d'esprit, interprété péjorativement, quand l'artiste entendait par là que, «[c]omme le grillon, génie des entrailles de la terre rendue au jour, Dieu habite la coupole du dôme. C'est un gros grillon florentin tapi dans la charpente. […] Il fallait bien lui décorer sa cage, songeait Baccio d'Agnolo. » (1993 : 65) Si l'animal irrationnel (girafe ou grillon) symbolise l'élévation (de l'esprit, par exemple, dont est doté Laurent), en revanche, Florence est, littéralement, la végétation y croissant. Ainsi, on peut lire, dans le
5e chapitre, « Le Jardin des Simples » : « Florence, c'était une flo-rai-son ! » (1993 : 75) Ici s'exclame l'Horti Praefectus rencontré par Laget lors de sa visite au jardin des Simples. Un Horti Praefectus blâmant la désaffection des Florentins pour la végétation, naguère davantage prisée par eux, à l'en croire. La description de cet horticulteur qui pleure son paradis perdu, mais se présente tel « un capitaine de l'Arche de Noé » (1993 : 77) enclin à préserver les espèces végétales en voie de disparition, permet à Laget de ménager la transition menant au
6e chapitre, « La Musique des sphères ». La veine comique est de nouveau exploitée ici, comme elle l'était précédemment au moyen de la caricature de l'horticulteur chassé de l'Éden. Place, donc, à l'anecdote plaisante. Pavarotti chante le soir même où a lieu une partie de football opposant l'équipe Florentiana à celle d'Italie, dont fait partie le joueur transfuge Roberto Baggio, naguère enclin à réaliser des prouesses pour le compte de Florentins, lesquels essuieront cette fois une défaite en raison d'un but de… Baggio ! mettant fin à la partie enlevée, suivie au moyen de transistors par les auditeurs d'un Pavarotti obligé de composer avec les aléas de la joute sportive !
7e chapitre, « L'épuisant désir des choses ». Soit celui éprouvé par Proust à l'endroit de l'individu ayant servi de modèle à son personnage d'Oriane, Mlle de Goyon. Cela est-il même à peine envisageable ? Proust amoureux d'une femme ? « Je ne peux concevoir, écrit Laget, qu'il ait eu une pensée aussi vaine –– aller oublier à Florence la ``coquette`` qui n'a pas voulu de lui –– sans l'avoir éprouvé sincèrement. » (1993 : 107)
8e chapitre, « Lecture des fenêtres ». « La fenêtre est née à Florence », dit Laget (1993 : 119).
9e chapitre, « Labor Mihi Haec Otia Fecit ». Le travail « avait donné le repos » à un comptable, anonyme dans le récit de Laget, possédant une villa de la rue San Carlo, raconte, enfin, l'auteur de Florentiana (1993 : 125), avant de se référer à son propre labeur. Proustien, Laget, dans les dernières lignes de son livre, semble se dire prêt à l'entamer, ce labeur, comme il le ferait de « la première page d'un livre qu'on va écrire » (1993 : 129).
Ancrage référentiel : Florentiana est balisé de nombreux déictiques spatio-temporels.
Indices de fiction : Y en a-t-il ? Question épineuse. Il est en effet difficile de la trancher lorsque, lisant, par exemple, la description consacrée au comptable anonyme dont la devise (« Labor Mihi… ») est reprise par l'auteur, on aperçoit l'individu laborieux en train de s'abaisser « à contempler l'infiniment petit, il taquinait, poursuit Laget, les pierres du chemin […], souriant sans pouvoir s'en empêcher, comme le roi du monde en tournée d'inspection » (1993 : 126). On comprend ainsi mes hésitations. Je ne sais si ce comptable a réellement existé : je ne peux vérifier les dires de Laget. Je le soupçonne cependant de s'être librement inspiré du réel dans son livre.
Indices autobiographiques : L'autobiographie de Laget, car il y en a une dans Florentiana, si fragmentaire soit-elle, l'autobiographie se greffe à un texte-tuteur : La Recherche. Laget s'y réfère qui affirme à propos des nombreux artistes dont Florence conserve les traces de leurs séjours, à l'exception de Proust (il n'y est jamais allé, mais en rêva), néanmoins présent à l'esprit de l'auteur : « j'y ajouterai, en contrebande, intimidé du voisinage [procuré par ces artistes], l'ombre de l'enfant que j'étais à la fin des années soixante […] et qui regardait de très loin […] la coupole d'une cathédrale devant laquelle s'ouvraient les portes du paradis », cela dit à propos de Florence, dont les portes, aussitôt ouvertes, se refermeront à lui durant son enfance (1993 : 103).
Les termes ou expressions sont bien choisies : « intimidé », Laget fait passer « en contrebande » ses propres souvenirs lorsqu'ils ne déparent pas ses récits biographiques consacrés à divers artistes. En somme, la pratique de l'autobiographie correspond à un hapax dans Florentiana. Il ne faut pourtant pas en minimiser l'importance. Après tout, la référence à la destination rêvée, mais finalement écartée du voyage, Florence, permet à Laget de lancer son récit (1993 : 11).
Rapports vie-œuvre : Laget se demande si l'on peut écrire, comme l'a fait Proust, encore, sur Florence, sans jamais la visiter. L'auteur de Florentiana répond, et avec force, par l'affirmative : « Ah ! comme il est fécond, l'épuisant désir des choses. » (1993 : 108) Au vécu il vaudrait mieux préférer parfois la relation désirante qui unit le « peintre » à son « modèle ».
Thématisation des œuvres des biographés : Chez Laget, le biographe ne tend pas à l'emporter sur le critique; à l'inverse, celui-ci n'éclipse pas celui-là. Mais tout dépend du passage de son livre auquel on se réfère. Quand il traite de Michel-Ange, Laget préfère le recours à l'anecdote à caractère biographique (la cage à grillons) au commentaire critique. En revanche, lorsque notre auteur portraiture le chef d'orchestre Carlo Maria Giulini, il le fait en le dépeignant uniquement au moment où il dirige les musiciens. Quant à Proust, Laget attache une importance à peu près égale à son oeuvre et à sa vie.
Thématisation de l'œuvre elle-même : Pour corroborer l'hypothèse de l'existence d'un amour sincère éprouvé par Proust à l'égard de Mlle Goyon (le modèle ayant servi à la création du personnage d'Oriane), Laget fait état de ses recherches menées en vue, dit-il, de s'« assurer [que Proust] n'exagérait pas la grâce du modèle » (1993 : 106). Recherches concluantes. La baronne de S., dont la tante était le modèle de Proust, assure –– je la cite –– « qu'Oriane jeune fille était très entourée, étant fort jolie » (propos rapportés par Laget, 1993 : 106). Amusant !
Rapport entre le texte et le programme de la collection : Laget se met un peu partout en scène (sans revendiquer pleinement la posture de l'autobiographe). La preuve en est le recours fréquent au « je » de la part de l'écrivain. Renchérissons. Un « lien […] fort », selon l'expression consacrée par l'auteur du descriptif du programme, unit le « peintre » à son « modèle ».
Topoï : Les rapports entre l'art et Florence, son patrimoine architectural, sa végétation. L'occupation de la ville par la nazis. Laurent le Magnifique. Le désir, la création littéraire.
Hybridation : Florentiana narre librement les vies de divers artistes. Le texte présente aussi un caractère essayistique; il exhibe ostentatoirement sa littérarité, sans devenir pour autant ampoulé.
Pacte de lecture : « L'ouvrage est humble, comme un pipeau taillé dans une branche de sureau : je l'écris en été, près d'une fontaine qui me le dicte en confidence. » (1993 : 8)
Remarques générales sur la collection : Encore un ouvrage de « L'un et l'autre » où les « biographés » abondent. Florentiana est à ranger aux côtés de Céphalophores de Sylvie Germain et de Lost de Sylvie Doizelet sur les rayons de nos bibliothèques.
Lecteur/lectrice : Charles-Philippe Casgrain.