INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Julian Barnes Titre : le Perroquet de Flaubert Édition : Stock Collection : Nouveau Cabinet Cosmopolite Année : 1986 Désignation générique : roman

Bibliographie de l’auteur : Romans policiers (sous le pseudonyme de Dan Kavanagh); critique de télévision à l’Observer.

Quatrième de couverture : Après un court résumé de l’œuvre, il est dit que « Le Perroquet de Flaubert est un roman éblouissant – mais est-ce vraiment un roman? – où il est question d’ours et de chemins de fer, de l’Angleterre et de la France, du sentiment du passé, du sexe, de Georges Sand, de Louise Colet, et aussi de Juliet Herbert, l’amour secret de Flaubert. Et de perroquets… » L’auteur de la quatrième se demande si l’humour de Barnes ne lui sert pas à accéder à la vérité de l’écrivain et si l’œuvre de ce dernier n’est pas une invitation à la continuer (par la biographie, en l’occurrence).

Préface : aucune

Rabats : aucun

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : non

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : L’auteur n’est pas le narrateur. Julian Barnes crée un personnage-narrateur, Geoffrey Braithwaite; c’est lui qui raconte l’histoire à la première personne.

Narrateur/personnage : Le narrateur est donc homodiégétique et il n’a pas accès aux pensées des autres personnages.

Biographe/biographé : Si on considère que c’est le narrateur – Geoffrey Braithwaite – qui est le biographe de Flaubert (ce qu’il est par ailleurs), la relation en est surtout une de complicité, de défense et de vengeance. Ce rapport apparaît surtout dans le chapitre « Réquisitoire », où le narrateur se fait littéralement l’avocat de Flaubert, qu’il appelle « mon client » (p.160), et déconstruit point par point les préjugés négatifs qui affublent Flaubert. Le lecteur joue alors le rôle d’une sorte d’avocat plaignant. « 7. Il a tué des animaux dans le désert. Oh! Mon Dieu! Nous plaidons noli contendere. Et en outre, je n’ai pas fini avec la question du patriotisme. Puis-je vous parler brièvement de la nature du romancier? » (p.161) À propos de la relation entre le biographe Barnes et Flaubert, la relation, sans cesse modulée par l’humour, est difficile à déterminer.

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Étant donné l’aspect bigarrée de l’œuvre, je me permet de la résumer chapitre par chapitre, ce qui, je crois, en donnera une idée assez claire. 1. « Le Perroquet de Flaubert » : Médecin anglais spécialiste de Flaubert, Geoffrey Braithwaite visite le musée Flaubert à l’Hôtel-Dieu de Rouen. Il y voit le perroquet empaillé que Flaubert aurait emprunté au Muséum d’Histoire naturelle et qui aurait inspiré l’écrivain dans sa représentation du perroquet d’Un Cœur simple, Loulou. Ce perroquet lui donne l’impression de se rapprocher de l’écrivain et déclenche une analyse du conte célèbre. Puis il se rend à Croisset, dans le petit pavillon où Flaubert se retirait jadis et qui est maintenant une sorte d’attrait touristique. Là-bas, il voit un second perroquet. Comme à l’Hôtel-Dieu, la « gardienne » du pavillon lui certifie que c’est bien l’authentique perroquet qui a inspiré Loulou. Ainsi s’amorce une sorte d’enquête – le paradigme policier du roman : Geoffrey Braithwaite veut savoir quel perroquet est le vrai. Il écrit donc à plusieurs universités, à l’ambassade de Frances (!), à l’éditeur des guides Michelin et ailleurs. « J’espérais obtenir les réponses très vite. » (p.27) En fait, le narrateur ne reparle presque pas de cette affaire avant la fin du roman, au dernier chapitre, où elle est à peu près résolue. 2. « Chronologie » : Dans ce chapitre, le narrateur reconstitue chronologiquement la vie de Flaubert de trois façons différentes. La première chronologie est positive : elle décrit la vie de Flaubert de manière relativement classique et ne note pratiquement que ses bons coups : « 1831-32 Entrée au collège de Rouen où il s’affirme comme un excellent élève, très fort en histoire et en littérature. » (p.29-30); « 1880 Comblé d’honneurs, très aimé et travaillant toujours d’arrache-pied jusqu’à la fin, Flaubert meurt à Croisset. » (p.33) La seconde chronologie est au contraire très négative : elle retrace le parcours de l’ « idiot de la famille » (Barnes cite Sartre). Elle commence par la mort (de ces deux frère et sœur). Elle parle de ses obsessions. Il n’est ici question du collège de Rouen que pour dire ceci : « 1839 Expulsé du collège de Rouen pour chahut et désobéissance. » (p.34) Sa fin n’est pas plus rose : « 1880 Pauvre, seul et fatigué, Gustave Flaubert meurt. » (p.38) La troisième chronologie est d’ordre autobiographique et est un pur délire : « 1842 Mes livres et moi dans le même appartement, c’est un cornichon et du vinaigre. » (p.38); « 1846 Je suis comme les cigares, on ne m’allume qu’en tirant. » (p.39) Quelques indices laissent supposer qu’il s’agirait d’extraits de lettres envoyées à Georges Sand. 3. Celui qui le trouve le garde : Ce chapitre raconte l’histoire d’Ed Winterton qui retrouve et achète des prétendues lettres de la prétendue correspondance entre Flaubert et Juliet Herbert. Il rencontre le narrateur pour lui en parler. Celui-ci est très excité mais l’autre lui apprend qu’il a déjà brûlé les lettres car c’était là la volonté de Flaubert. 4. Le bestiaire de Flaubert : Le narrateur retrace à peu près tous les animaux qui apparaissent dans la vie et dans l’œuvre de Flaubert : l’ours (comme on a souvent appelé l’écrivain), le chameau, le mouton, « le singe, l’âne, l’autruche, le deuxième singe et Maxime Du Camp » (p.68), le perroquet (évidemment), et les chiens (romantique, pratique, emblématique, noyé et fantastique). 5. Clac!: Ce chapitre est un plaidoyer du narrateur contre les coïncidences, autant en littérature que dans la vie. Pour ce faire, il donne trois exemples d’ironie (du sort) plus drôles que concluants : « 1. L’aube sur les pyramides » (p.84), « 2. Qu’emporterez-vous sur une île déserte? » (p.86) et « 3. Les cercueils claquent » (d’où le titre du chapitre). 6. Les yeux d’Emma Bovary : Geoffrey Braithwaite dit détester les critiques. Il donne l’exemple du Dr Enid Starkie qui annote une édition de Madame Bovary et qui relève cette « erreur » : « […] une fois il donne à Emma des yeux bruns (14); une autre fois des yeux d’un noir profond (15); et une autre encore des yeux bleus (16). » (p.91) (Les chiffres seraient ceux qui désignent les notes de Starkie correspondantes.) Bien entendu, le narrateur défend Flaubert par une foule d’arguments. 7. La traversée de la Manche : C’est le narrateur qui traverse la manche en traversier et qui en profite pour développer une réflexion sur l’écriture, la biographie, l’institution littéraire, etc. Il s’adresse au lecteur (tout au long du roman d’ailleurs) et lui parle de fromage ramené de France : « Vous n’oublierez pas pour le fromage, n’est-ce pas? » (p.130) 8. Guide Flaubert de l’amateur de trains : Flaubert n’aimait pas le train mais c’est lui qui lui permit de voir plus facilement Louise Colet. Point par point, le narrateur énumère des conseils, des pensées et des opinions autour du train. 9. Les œuvres secrètes de Flaubert : Le narrateur s’intéresse aux œuvres et à la vie possibles mais non réalisées de Flaubert. Il aborde les projets, littéraires et autres, que Flaubert a laissés en plan. 10. Le réquisitoire : Le narrateur se fait l’avocat de Flaubert : une à une, il défait les idées reçues négatives que le lecteur aurait sur l’écrivain. 11. La version de Louise Colet : Écrit au « je » par une Louise Colet fictive, ce chapitre se présente comme un véritable réquisitoire juridique dans lequel la maîtresse de Flaubert, maltraitée par l’histoire, se défend et se disculpe. 12. Le Dictionnaire des idées reçues de Braithwaite : Le narrateur pastiche le dictionnaire flaubertien. Voici quelques entrées, toutes développées sous le mode comique (comme tout le roman d’ailleurs) : Achille, Bouilhet, Colet, Du Camp, épilepsie, Flaubert, Les Goncourt, Herbert, ironie, Jean-Paul Sartre, Kuchiouk-hânem, lettres, etc. 13. Une histoire vraie : Ici, le narrateur raconte entre autres l’histoire de feu sa femme qu’il a débranchée à l’hôpital. 14. Épreuve écrite : Barnes parodie les épreuves écrites de la didactique. Son épreuve compte deux sections : A : Critique littéraire (2 parties, sur Flaubert, son œuvre et sa vie; la plupart des questions sont très loufoques); B : économie, géographie, logique (et médecine), biographie (et éthique), psychologie, psychanalyse, philatélie, phonétique, histoire théâtrale, et histoire (et astrologie). Toutes ces questions sont loufoques. 15. Et le perroquet… : il s’agit de la conclusion : Braithwaite visite un autre spécialiste de Flaubert qui lui explique que l’Hôtel-Dieu et le pavillon ont tous deux pris un perroquet au hasard (sur 50) au Muséum d’Histoire naturelle et que par conséquent il est impossible de savoir si l’un des deux est le bon et même s’il existe encore.

Ancrage référentiel : La biographie de Barnes est ancrée dans des faits réels : Flaubert a vraiment emprunté un perroquet au Muséum d’Histoire naturelle, par exemple. Le narrateur dit lui-même fonder son enquête sur des traces, aussi minces soient-elles, et se demande souvent : « Comment saisissons-nous le passé? Pouvons-nous y arriver? » (p.17) Les citations de biographies, de lettres, de critiques et de textes littéraires semblent exactes.

Indices de fiction : Le premier facteur de fiction est peut-être l’humour. L’humour de Barnes est omniprésent et il « fictionnalise ». Par exemple, le « Dictionnaire des idées reçues de Braithwaite » semble de prime abord fournir certains faits : « ACHILLE Frère aîné de Flaubert. Homme lugubre avec une longue barbe. » (p.189) Mais ces « faits » sont bientôt invalidés par l’humour, alors que la définition se poursuit comme suit : « Hérita de son prénom et de son métier de son père. […] Mort de ramollissement cérébral. » (p.189) Par ailleurs, quand le narrateur défend son « client » Flaubert, son plaidoyer, qui pourrait paraître une véritable défense de l’écrivain, prend vite le ton de l’humour et, partant, de la fiction : « 13. Il croyait en la Beauté. Je pense que j’ai quelque chose dans l’oreille. Sans doute un peu de cérumen. Laissez-moi me serrer le nez et souffler pour me décoller les tympans. » (p.167) Enfin, le narrateur dit lui-même s’aventurer dans des digressions d’ordre fictionnel : « Je dois faire quelques hypothèses. Je dois faire un peu de fiction (ce n’était pourtant pas mon intention quand j’ai appelé ce chapitre : une histoire vraie). » (p.202)

Rapports vie-œuvre : Dans le Perroquet de Flaubert, la quête de l’homme – de sa vie – mène à l’œuvre. Par exemple, c’est en découvrant le supposé perroquet Loulou que le narrateur se lance tout de go dans l’analyse d’Un Cœur simple. Devant le perroquet, il dit : « […] il y avait quelque chose qui me faisait croire que j’avais presque connu l’écrivain. » (p.20) Puis, peu après, il analyse le conte de Flaubert : « Le dernier objet dans la chaîne sans cesse diminuante des attachements de Félicité, c’est Loulou, le perroquet. Quand il meurt lui aussi, Félicité le fait empailler. » (p.20) Explicitement, le narrateur dit que la vie et l’œuvre se déterminent réciproquement : « L’idée du fiacre aux stores baissés semble avoir été inspirée à Flaubert par sa propre conduite excentrique quand il voulait à tout prix éviter de rencontrer Louise Colet. […] Avec la croix d’honneur de Homais, c’est l’inverse : la vie imite l’art et fait de l’ironie. » (p.84)

Thématisation de l’écriture : Le narrateur se pose souvent la fameuse question biographique « Qu’est-ce qu’un écrivain? » et, dans le premier chapitre, il en donne plusieurs éléments de réponse : « L’écrivain comme guérisseur? Sûrement pas. » (p.17); « L’écrivain en tant que boucher, l’écrivain en tant que brute sensible. » (p.19); « L’écrivain est-il beaucoup plus qu’un perroquet un peu compliqué? » (p.22); « Ainsi, on peut aborder le romancier d’une autre façon : comme un styliste obstiné et perfectionniste; ou comme quelqu’un qui considère le langage tragiquement insuffisant. » (p.23) Il faut dire aussi que l’œuvre de Barnes donne l’impression que Braithwaite mène une enquête dans le but d’écrire une ou des biographies sur Flaubert. Le narrateur dit aussi qu’ « [a]utrefois, j’ai pensé moi-même écrire des livres; j’ai même pris des notes. » (p.15)

Thématisation de la biographie : À part le fait (ou du fait) que le narrateur est un biographe, en puissance du moins, l’œuvre de Barnes procède à une importante thématisation de l’activité biographique. Le thème de cet ordre le plus prégnant est la biographie de Sartre, l’Idiot de la famille. Il y a même une entrée pour Jean-Paul Sartre dans son « Dictionnaire ». À propos de livres inachevés, la narrateur dit ceci : « Deux viennent immédiatement à l’esprit : Bouvard et Pécuchet, dans lequel Flaubert chercha à enfermer et à soumettre le monde entier, la totalité des efforts et des échecs humains; et L’Idiot de la famille dans lequel Sartre chercha à enfermer la totalité de Flaubert : enfermer et soumettre le maître écrivain, le maître bourgeois, la terreur, l’ennemi, le sage. Une attaque termina le premier projet; la cécité mit fin au second. » (p.15) Ailleurs, la narrateur compare la biographie à un filet de pêche : « un ensemble de trous liés ensemble par du fil. » (p.45) Le narrateur fait aussi de la polémique biographique : « Mais tous les biographes veulent secrètement annexer et canaliser la vie sexuelle de leurs sujets; vous devez me juger en même temps que Flaubert. » (p.48)

Topoï : Le voyage inconnu, la déambulation, le rôdeur, la destruction des documents (par le feu), l’enquête, le perroquet, l’écriture, la biographie, la critique, la polémique, l’humour.

Hybridation : Les genres et sous-genres qui sont greffés à la biographie de Barnes sont très divers et amusants. Le roman : la désignation générique le dit, c’est d’abord un roman, avec son narrateur, son intrigue (qui tourne autour du perroquet), ses personnages, etc. Le roman à thèse : dans le chapitre « Clac! », Barnes semble parodier ce vieux genre littéraire en mettant en scène son narrateur qui argumente contre les coïncidences (dans le roman comme dans la vie). La chronologie : sous-genre de la biographie, la chronologie se voit consacrer un chapitre complet. Le réquisitoire : ce genre juridique est utilisé par Barnes pour créer une relation avocat-client entre le biographe et son biographé. L’essai : le discours argumentatif laisse croire à une greffe essayistique. Le discours polémique : la polémique biographique (contre Starkie, par exemple) montre que ce genre est intégré. Le roman policier : l’intrigue tourne autour d’une enquête sur l’authenticité de deux « documents », les perroquets. Le dictionnaire : des idées reçues, en l’occurrence; genre dont l’intégration dans la biographie est assez cocasse et parodie le biographé.

Différenciation :

Transposition :

Autres remarques : Le topos du voyage inconnu est intéressant. Comme Baudelaire qui alla en Belgique (Cf. les Derniers jours de Charles Baudelaire), Flaubert alla en Angleterre et les biographes ne savent à peu près rien de ce qu’il y fit. Barnes écrit : « Et Flaubert? Nous savons peu de chose sur ses quatre voyages en Angleterre. » (p.50) Les lettres trouvées et détruites par Ed Winterton auraient dû éclairer ces pèlerinages flaubertiens. Par ailleurs, je crois que le Perroquet de Flaubert convient fort bien à nos recherches.

LA LECTURE

Pacte de lecture : Par ses adresses – souvent provocatrices, toujours humoristiques – au lecteur, le narrateur invite à une lecture « rapprochée », impliquée dans l’enquête. Souvent, le lecteur sert au narrateur les antithèses qui permettent à celui-ci d’approfondir sa défense et son explication de Flaubert (surtout dans le chapitre « Le réquisitoire »). Le lecteur est à la fois le complice, l’adversaire, l’avocat plaignant, le jury et le juge de Flaubert et de Braithwaite.

Attitude de lecture : Chez Barnes, l’humour l’emporte sur tout le reste. Même si les réflexions sur la vie et l’œuvre de Flaubert sont parfois profondes, c’est le sourire aux lèvres et la rate dilatée que nous lisons le Perroquet de Flaubert.

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage