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René Audet (dir.), Enjeux du contemporain. Études sur la littérature actuelle
Lieu : Québec Édition : Nota Bene Collection : Contemporanéités Année : 2009 Pages : 239
Pour une description de l’introduction de René Audet et de l’article de Viviane Asselin, voir : 17- Audet, René [dir.] (2009), //Enjeux du contemporain//
1- Simon Auclair, « Le goût des femmes laides de Richard Millet. Une chirurgie esthétique (lecture d’une phrase de Richard Millet) », p. 69-85.
Auclair veut « repérer, dans l’échantillon d’une phrase, tout ce qui fait la contemporanéité du texte de Millet […] » (70). Il tente de montrer que Millet, par son esthétique vieillotte, critique le roman contemporain et à la fois lui refait une beauté « le livre doit se refaire une beauté » (82).
L’article compte trois parties :
Dans la première, Auclair veut rendre compte de la contemporanéité du texte milletien, soit la « délinéarisation narrative » (70) : « Devant la possibilité d’une ligne droite faite de points, le narrateur choisit plutôt le jaillissement d’un éventail dont il serait l’artisan. Sous l’action du narrateur, l’histoire elle-même redevient active, agissante, actualisée dans le temps de l’écriture. » (75-76) Dans la deuxième, il aborde le texte de Millet à partir de l’idée de double-bind du texte contemporain (Viart) : Le goût des femmes laides à la fois parodie et s’affilie à une esthétique 18e siècle : le double-bind chez Millet allie à la fois « un engagement virulent dans la littérature vivante et actuelle et l’invocation essentielle d’un passé littéraire exemplaire. » (70) Dans la troisième, il aborde le texte de Millet à partir de l’idée de texte excentrique (issu du roman parodique du 18e siècle).
Sur la délinéarisation narative : « il semble que le remodelage du passé trahisse la laideur d’une vie contemporaine […]. » (76). Viart, dit Auclair, déclare que le lieu du romanesque contemporain n’est plus dans l’histoire racontée, mais dans le rapport que le sujet entretient avec sa propre existence, « laquelle peut, très bien, en décevoir le romanesque » (Auclair qui cite Viart, p. 76). « En outre, c’est dans la dualité ainsi créée [esthétique vieillotte et noblesse], entre la revendication d’un rôle actif donné au livre actuel et le moyen esthétique daté utilisé pour le mener à bien, que nous semble s’ériger une manière de double-bind typique du roman contemporain : refaire l’histoire avec l’Histoire. » (77)
Sur le récit excentrique, auquel s’affilie le roman de Millet : Il fait un usage abondant de la digression, qui est le lieu de l’ego, du sujet. (78) La suspension de la phrase et de l’action est présente dans le récit excentrique, et le narrateur milletien, lui, fuit constamment l’événement, interrompt le récit… (78) Le récit excentrique, à l’opposé d’une autobiographie linéaire, refuse la linéarité au profit du discontinu. (79) Cette caractéristique est accompagnée d’une autre : le mélange des temps. (79-80) Le récit excentrique mélange les registres. (80)
La conclusion : « Sous le couvert d’un projet noble, celui de redorer la blason de la littérature et de lui redonner un rôle actif [refaire l’histoire], Le goût des femmes laides offrirait-il au lecteur un gigantesque pied de nez et s’attarderait-il […] à démolir le livre actuel ? » (81) Pas tout à fait, soutien Auclair. L’évocation du 18e siècle est double (double-bind de Viart) : à la fois satire (du roman contemporain) et ennoblissement de ce même roman.
« Et c’est ainsi que s’esquisse un rôle enfin redonné à la littérature, le regain d’un sens littéraire, d’un pouvoir enfin affirmé ; celui d’une destruction-reconstitution, celui de fracasser le miroir de ces images mornes pour recomposer ensuite ses éclats, de manière anamorphosante peut-être, menteuse et fictionnelle, mais plus belle. Nous avons lu, en somme, une proposition de chirurgie esthétique : le livre doit se refaire une beauté. » (82)
2- Maude Poissant, « L’écriture « généalogique » de Pierre Michon. Le cas de Rimbaud le fils, Trois auteurs et Corps du roi », p. 87-104.
Je ne pourrais mieux résumer que Poissant elle-même son article : « Rimbaud le fils, Corps du roi et Trois auteurs sont, en raison de leur constitution, on ne peut plus problématiques du point de vue de l’énonciation et du genre. Ces œuvres exposent en effet plusieurs « niveaux » de représentation que l’on peut mettre en parallèle avec différentes pratiques génériques [argument principal de l’article]. Le fait de puiser, d’abord, dans le matériel biographique [dont iconographique] relatif à des auteurs reconnus, rapproche les textes du mode de représentation biographique [première partie de l’article]. Comme Michon convoque aussi le discours mythique [fictionnel] qui s’est forgé autour de ces figures emblématiques, un niveau de représentation supplémentaire […] vient […] troubler le statut biographique par l’insertion d’une parole [nécessairement (inter)subjective] qui n’est plus inscrite dans le mode référentiel [deuxième partie de l’article]. Un autre niveau de représentation, nettement fictionnel cette fois [la parole, entre autres ou par exemple, des personnages des romans de Balzac], vient complexifier le tableau des caractères génériques dont témoignent les œuvres [troisième partie], mais il est lui aussi désamorcé par un discours autobiographique qui, dès que la fiction apparaît, dévoile ses mécanismes [quatrième]. Une dernière caractéristique générique, essayistique celle-là, vient parachever l’ensemble [dernière partie de l’article, plus succincte]. L’enchevêtrement de tous ces discours fonctionnant selon des propriétés génériques différentes a pour conséquence de remettre en cause les normes de référentialité que nous attribuons généralement aux genres littéraires [et c’est bien ce qu’il y a de contemporain, sans doute, chez Michon]. » (101-102)
Je n’ai recensé aucune citation plus générale sur la littérature narrative, mais l’étude est très près d’une pensée que promeut Viart : « Michon […] interroge son propre bagage littéraire par son expérience de lecteur et sa propre démarche artistique d’auteur. [Il s’agit bien] d’une parole « généalogique » qui s’élabore dans la continuité des paroles antérieures […]. » (102).
3- Pascal Riendeau, « La plateforme romanesque de Michel Houellebecq. Un regard sur le roman français contemporain », p. 105-128.
Comme le dit le titre de l’article, Riendeau entend étudier une œuvre (un roman) de Houellebecq, non plus l’étudier à l’aune de la fiction (notion chère aux critiques du contemporain), mais bien à celle du roman genre, on le sait, en souffrance, dont on a annoncé la mort certaine à l’ère du soupçon.
Le roman, comme genre littéraire vivant, ne serait peut-être pas à l’agonie, comptant encore quelques représentants…
Voici l’argument principal de Riendeau : « Le roman semble offrir un portrait moral de son époque à partir d’un point de vue plus subjectif, à la fois lucide, ironique et cynique. Houellebecq, dans Plateforme, repense l’esthétique néoréaliste du roman par l’observation, l’analyse sociale et l’exploration de la sexualité, tout en privilégiant les discours de l’essai et de l’aphorisme. » (108)
Au fond, Houellebecq « s’inscrit dans une logique de continuité du roman européen. Un roman de Houellebecq fait appel à tous les matériaux qui lui permettent d’aller au-delà d’un récit ou d’une fiction, une œuvre qui reprend non seulement les éléments romanesques conventionnels (intrigue, personnages), mais aussi divers matériaux (catalogues publicitaires, rapports scientifiques), divers genres (poèmes, essais) et qui recourt à la critique sociale. Celle-ci propose une version du monde fût-elle cynique ou désespérée qui dérange par ses positions éthiques ou idéologiques équivoques. » (109) (On voit bien ce que le critique veut dire par continuité du roman européen le roman est « omnivore »/« impérialiste », polyphonique, il propose une version du monde, etc…)
En gros : « Ce qui caractérise aussi ses romans [à Houellebecq], c’est ce recours à une multiplicité de discours (scientifiques, philosophiques, littéraires) qui s’intègrent à la narration et à une abondance de commentaires sociaux (sur la religion, la sexualité, la publicité, etc.). » (107)
Sur le contemporain : « La mort du roman et le déclin de la littérature française constitue deux lieux communs tenaces à notre époque, qu’on cherche de plus en plus à relativiser, voire à tourner en dérision. Ils n’en continuent pas moins à peser lourd. Si plusieurs accusent le roman d’être moribond, d’aucuns affirment aussi que la littérature française est comateuse, que le roman français d’aujourd’hui ne se définit que par son insignifiance. Sans se lancer dans un plaidoyer passéiste pour la grande littérature française, il faudrait néanmoins s’arrêter et prendre le temps de bien saisir la littérature romanesque d’aujourd’hui, pour ce qu’elle est. La tendance réactionnaire à mesurer le roman d’aujourd’hui (et sa médiocrité) à l’aune de l’œuvre de Marcel Proust ne mène évidemment nulle part. Heureusement, on constate un retour du balancier dans la critique universitaire en France, qui signale une chose toute simple : avant de dénigrer la littérature française en bloc, commençons d’abord pas la lire attentivement. » (105-106)
« L’apparente naïveté de l’affirmation [une affirmation morale de Houellebecq en entrevue] montre bien que le roman ne peut faire la morale, mais rien n’empêche un auteur tel Houellebecq d’inclure une réflexion éthique significative à l’intérieur du roman, d’autant plus pertinente qu’elle s’insère dans une esthétique néoréaliste qui a conservé son ambiguïté par rapport au monde. » (125)
« À bien des égards, le roman français de l’extrême contemporain se distingue par la pluralité des tendances et des formes, dont celle de repenser le rapport au réel. Plateforme en est une bonne illustration, même si la forme n’est pas très novatrice et s’il n’est pas toujours exempt de maladresses narratives ou incongruités temporelles […]. Ce qui marque Plateforme en particulier, c’est la façon dont le constat est fait, comment il est intégré à diverses théories, à une évaluation morale, mais aussi à tonalité ironique, voire cynique par Michel, le narrateur. […] [L]a question de l’éthique est traitée substantiellement dans l’exploration de cette histoire très romanesque au milieu des propositions discutables ou controversées. […] Houellebecq a assurément marqué la littérature de son époque et ses romans participent peut-être de cette littérature « à vif » ou « de la détestation (Blanckeman, 2002 : 33), mais vont plus loin et offrent une possibilité […] de reformuler le roman (réaliste) à notre époque. » (126)
4- Patrice Michaud, « Le polar ou ce que peut être le roman policier contemporain. Le cas de Pandore et l’ouvre-boîte de Philippe Postel et Éric Duchâtel », p. 161-176.
Michaud, en gros, se demande ce qu’est le polar aujourd’hui. Que retient cette formule générique et que rejette-t-elle. (161)
Son hypothèse est que « la question du genre romanesque [du roman de Postel/Duchâtel] est inextricablement liée à la lecture du sous-genre, c’est-à-dire le policier. » (162).
Donc, en général, le genre d’un roman est aussi inextricablement lié à la lecture qui est faite d’une œuvre : « [c]es variations [génériques du polar] s’organisent continuellement dans un rapport aux modèles canoniques, au noyau de conventions et de pratiques à partir duquel il est possible de tracer une ligne, parfois tangible, parfois ténue, qui les relie à la littérature policière. Cette ligne, c’est la lecture. » (173) Autrement dit : « Borges, cité par Duflo, avançait en 1985 que « les genres littéraires dépendent peut-être moins des textes eux-mêmes que de la façon dont ces textes sont lus […] » (1995 : 113). » (173)
Sur la littérature narrative contemporaine (et le policier contemporain) : « [L]e leitmotiv qui traverse l’ensemble de la littérature contemporaine tient de son caractère à la fois touffu, complexe et hétérogène […]. » (161)
Aujourd’hui, « [i]l devient de plus en plus difficile d’ignorer le « mauvais genre » [le polar] qui semble susciter un fort intérêt chez des auteurs tels que Jorge Luis Borges, Vladimir Nabokov, Michel Butor, Umberto Eco, Italo Calvino, Georges Perec et Paul Auster […]. » (161)
« Un roman policier, pour être reconnu comme tel, doit s’inscrire dans la tradition qui le sous-tend tout en s’affichant comme une variation originale du modèle. » (172)
« Qu’est-ce qu’un polar aujourd’hui ? C’est un récit qui se lit comme un polar. » (174)
Ce qu’on peut retenir le plus de cet article, à mon avis : « À force de constants renouvellements, à quoi ressemblera le polar de demain ? […] Malgré cette perpétuelle course vers l’avant, je crois que la lecture saura reconnaître les traces du genre et lui assurer une certaine pérennité. Si la fonction de genre n’occupe plus sa fonction d’antan, il est difficile de l’occulter complètement. Elle semble encore trop présente chez les lecteurs, elle intervient encore substantiellement dans les processus de lecture et d’interprétation. Si le genre n’est plus à même de qualifier l’objet littéraire dans sa totalité [l’a-t-il déjà été ?], il semble encore être un outil précieux pour rendre compte de la manière et de la composition de cet objet. L’espace littéraire qui s’ouvre, libre et flou comme tout ce qui est contemporain, ne sera pas celui, j’ose le croire, qui verra la disparition du genre. » (175)
5- Frances Fortier et Andrée Mercier, « Ces romans qui racontent. Formes et enjeux de l’autorité narrative contemporaine », p. 177- 191.
Il m’apparaît difficile de résumer cet article, plus touffu en matière théorique que les précédents. Relever les citations plus générales relatives à la littérature narrative contemporaine dans ce texte est aussi une tâche plus ardue, car on n’y parle que de littérature narrative contemporaine aussi bien recopier l’ensemble de l’article !
Ce qu’il y a de sûr, c’est que Fortier et Mercier veulent étudier des romans qui retournent au récit (jouissance narrative, fonction fabulatrice, fiction transitive), non plus d’un point de vue thématique (comme Viart, par exemple), mais bien d’un point de vue plus strictement formel, narratif. Pour ce faire, elles mettent de l’avant les notions d’autorité narrative (qui permet une fiction cohérente et une adhésion – et un abandon du lecteur à cette fiction) et de vraisemblance.
Ce n’est pas non plus un retour total au récit (ou au moins naïf), puisque l’étude du corpus montre bien que ces fictions ou romans jouent bien encore (mais subtilement) des codes qui régissent la narration, l’autorité narrative et la vraisemblance : « Ces fictions subtilement savantes, inventives, qui ne problématisent pas le geste d’écriture, se désignent par des dispositifs formels complexes, saugrenus, insolites, sans sacrifier le plaisir de raconter une histoire. Cette écriture au second degré n’a pas pour autant abandonné toute visée critique ou expérimentale ; nous estimons, au contraire, que cette fraction importante de la littérature est en train de reconfigurer les modalités de la transmission narrative. » (177-178).
« Au regard de ces expérimentations, les fictions qui nous intéressent indexent expressément et redéfinissent l’autorité narrative mais en préservant leur visée narrative et la captatio illusionis [pacte d’illusion consentie]. […] Dès lors, nous supposons que cette « nouvelle » autorité narrative est ainsi tributaire non pas strictement de la crédibilité ou de la compétence du narrateur, non pas de sa plus ou moins grande présence dans le récit, mas, plus fondamentalement, d’une articulation singulière des codes de vraisemblance. » (178-179)
« Il ne s’agit pas d’évaluer le caractère vraisemblable des fictions, mais de montrer comment des entorses plus ou moins marquées à l’un ou l’autre des codes de vraisemblance, et présentées comme telles dans les récits, permettent de redéfinir, de mettre en jeu les mécanismes de l’autorité narrative. » (179)
« Cette redéfinition de l’autorité narrative par le jeu des codes de vraisemblance représenterait ainsi une inflexion majeure du paradigme narratif contemporain, qui permet de penser autrement la relation entre vraisemblance, réalisme et illusion romanesque. » (180)
Voici les 4 hypothèses de leur recherche (180-181) : 1) les fictions littéraires contemporaines […] redéfinissent les termes du pacte d’illusion consentie ; 2) à dominante événementielle mais savantes, ces fictions ont pris acte des conventions consacrées par l’usage mais aussi des ruptures et des expérimentations de la modernité et les mettent au service d’une histoire qui désigne et déploie les mécanismes de transmission narrative ; 3) cet ensemble de romans laisse apercevoir un élargissement marqué des figures de narration […] qui mettent en cause l’autorité narrative [on y revient tout de suite] ; 4) cette nouvelle narrativité procède, en partie, d’une inflexion très nette des codes de vraisemblance et, par elle, propose une réflexion sur les modalités, les formes ou les limites de l’illusion.
Fortier et Mercier ont recensé 5 figures de narrateurs (et 2 de narrataires) « qui signalent des façons singulières de déployer l’autorité narrative ». (181)
1) La narrateur impossible (un narrateur illettré ou mort, par exemple). 2) Le narrateur métaleptique (un « je » qui apparaît dans une fiction hétérodiégétique) 3) Le narrateur retors (on donne l’exemple d’Un an, de Echenoz, on parle de mystère diégétique non éclairci, mais je n’ai pas lu le roman alors je ne comprends pas tellement l’exemple…) 4) Le narrateur mandaté (un autre raconte à la place de quelqu’un, ce qui « laisse souvent affleurer des impossibilités liées au vraisemblable ». (183)) 5) Le narrateur conteur (qui souligne une « tension entre la volonté de dire le réel et l’irréalité de [l’]énonciation ». (183-184) 6) Même chose pour le narrataire narrateur, où quelqu’un raconte l’histoire que quelqu’un lui a d’abord contée, où la vraisemblance est menacée puisqu’on ne peut jamais connaître l’écart entre les deux témoignages, etc… 7) Le narrataire fantôme (l’invraisemblance touche cette fois à la transmission narrative : « Ce rapport d’adresse inusité et constamment réactualisé investit la figure du narrataire d’une autorité maximale à la mesure même de son invraisemblance ». (184)
« Cette […] saisie des figures de narration donne à lire un inventaire encore partiel des formes inusitées qui désignent […] le caractère « construit » de la transmission narrative. […] [S]ous couvert de lisibilité, [ces romans] insistent sur le protocole romanesque en reconfigurant, par divers procédés, le lieu, la forme et l’enjeu de l’autorité narrative : […] [ce] sont autant de figures qui incarnent l’équation entre l’autorité narrative et les codes de vraisemblance et sollicitent le consentement éclairé de l’illusion romanesque. » (185)
Pour le reste de l’article (une partie sur la vraisemblance et une autre sur la critique contemporaine), on lance surtout des pistes de réflexions qui, dit-on, seront développées dans des travaux postérieurs.
Sur la vraisemblance : « la vraisemblance pragmatique, c’est-à-dire la crédibilité, est au cœur de la captation illusionis. » (185)
Quelques pistes : « Il s’agira donc d’essayer de cerner la spécificité de la « nouvelle » fiction sans prétendre qu’elle soit si abruptement nouvelle et de la confronter aux autres registres narratifs contemporains (autobiographiques et biographiques) et à d’autres modalités canoniques du pacte d’illusion consentie […] » (186)
« Nous voulons non seulement raffiner la conception de l’autorité narrative en prenant en considération la diversité des figures de narration, mais aussi […] engager une réflexion approfondie sur cette notion qui semble aller de soi. » (186)
Sur la critique contemporaine : « Jusqu’ici, les études de la littérature contemporaine ont surtout porté sur des corpus qui manifestent d’emblée leur souci d’expérimentation et d’invention formelles au détriment d’une mise en intrigue aboutie ; comme si la fiction littéraire celle qui a le désir de projeter le lecteur dans l’histoire racontée avait abandonné toute visée critique et avait peu à livrer à l’étude du narratif. » (189)
Aussi, on a délaissé la narration, le récit, au profit du discours (189). « La critique contemporaine a pourtant remarqué ce phénomène du retour au récit, à une nouvelle lisibilité qui serait au cœur de l’esthétique postmoderne, à une transitivité narrative qui prétend donner sens au monde. » (190) « Notre recherche reconduit cet enjeu [remarquer/étudier le retour au récit], mais par l’intermédiaire d’interrogations formelles plutôt que thématiques. » (190)
Sur le narratif contemporain : « ces fictions littéraires permettent de réfléchir à la question plus large du statut de l’imaginaire dans nos sociétés contemporaines et, plus particulièrement, aux différentes stratégies par lesquelles l’époque prétend saisir la réalité et la mettre en signe. » (p. 180)
« Si le roman littéraire [soit savant] contemporain emprunte, pour une bonne part et sans mauvaise conscience, aux formulaires narratifs avérés qui élargissent son lectorat, il n’en demeure pas moins que cette volonté de lisibilité passe par la visibilité du pacte narratif. […] [L]e récit édifie ostensiblement une autorité narrative en même temps qu’il s’ingénie à la miner. […] Pour l’heure, les entorses au vraisemblable, précisément parce qu’elles se désignent expressément, soulignent la dimension fictionnelle du récit et nous semblent exiger, ce faisant, une adhésion plus réfléchie aux propositions du texte. Un nouveau pacte se dessine, où l’illusion est, cette fois, bel et bien consentie. » (190-191)
6- Marilyn Brault, « De la multiplication à l’éclatement des connaissances. Critique de la transmission du savoir dans festins secrets de Pierre Jourde », p. 199-217.
Cet article, bien écrit, est d’un pessimisme total si on exclut la conclusion , sans que Brault prenne jamais partie en son propre nom. Sur la transmission des savoirs, sur les notions d’héritage et de filiation et sur le rapport qu’entretient la littérature française contemporaine avec son passé et son époque, l’article ne s’éloigne pas de ce que Viart en dit déjà par ailleurs c’est une transcription fidèle de la pensée de Viart telle qu’exprimé dans « Filiations littéraires » (2009, voire la biblio de l’article) et « Écrire avec le soupçon » (2002). L’article, en fait, applique les idées du chantre de la littérature française contemporaine à un roman de Jourde, Festins secrets. L’étude qui en est faite est purement (uniquement) thématique.
Sur l’article et Festins secrets : « Construit autour de l’acte pédagogique et mettant en scène un personnage de professeur de littérature, ce roman condense des préoccupations qui concernent les modes de transmission et de valorisation des savoirs intellectuels dans un contexte institutionnel. » (200)
« Festins secrets rappelle […] les caractéristiques propres au roman universitaire anglais […], généralement doté d’un protagoniste enseignant et caractérisé par la mise ne fiction d’un certain nombre de savoirs appartenant à la tradition érudite. Plus polémiste que le roman pédagogique, le roman universitaire s’attache surtout à « rallier les dysfonctionnements de l’université, à révéler les excentricités des comportements professoraux et à épingler parodiquement le pédantisme du langage académique » (Gutleben, 1996 : 7). » (201)
« Le nombre d’auteurs cités, paraphrasés analysés ou critiqués est tel qu’on ne parvient plus à saisir la pertinence de toutes les références. […] Cette surabondance de codes finit par construire une image floue et insaisissable de savoir et des modèles littéraires privilégiés par l’auteur. » (205)
Sur le contemporain : « Parmi les questions que soulève la littérature contemporaine, celles qui portent sur la transmission ressortent de manière manifeste. Tandis que les romans de filiation interrogent les modes de transmission familiale, restituant des pans d’histoire et traquant le sujet dans l’héritage qui le constitue […], d’autres romans, surtout axés sur la représentation des savoirs, interrogent davantage les modalités de transmission de connaissances et le statut actuel du savoir, eu égard aux mutations du monde contemporain. » (200)
« Les connaissances, qu’on ne parvient plus à classer ni à hiérarchiser, se présentent aujourd’hui dans le désordre le plus total, brimant, somme toute, l’ordre de toute filiation. » (205)
« L’éclatement actuel des savoirs remet donc en question la crédibilité des grands discours philosophiques, historiques ou scientifiques qui fondent nos systèmes de pensée. L’épuisement, voire la disparition de ces récits de légitimation, semble avoir entraîné également un aplatissement de la culture et de la verticalité des valeurs en général ; c’est du moins ce que tend à montrer festins secrets […]. » (206)
« [L]’éclatement et la multiplication des savoirs peuvent aussi entraîner le déclin de la culture en général. » (207)
De la multiplication des savoirs à la perte d’identité : « L’impossibilité de faire un choix parmi la multiplicité des connaissances offertes, de même que l’impossibilité d’ordonner et de hiérarchiser cet amas de connaissances entraînent, effectivement, un effritement des savoirs et une perte de tous les repères. » (211) « Dans le chaos des faits, l’identité du sujet paraît ainsi troublée, livrée à l’incertitude. » (211)
Le prof du roman « termine ses jours dans un asile psychiatriques aux côtés d’autres professeurs et chercheurs. » (211)
7- Viorel-Dragos Moraru, « La littérature face à la mondialisation », p. 219-234
C’est à une réflexion d’ordre historique sur le contemporain, en l’occurrence la littérature contemporaine, sur l’extrême-contemporain, sur la postmodernité, sur la post-postmodernité (ou hyper-modernité) que nous invite Moraru.
Selon son hypothèse, qu’il ne commente qu’après plusieurs pages, la postmodernité serait finie (il y aurait encore des représentants mais d’autres groupes de sous-champs littéraires groupes qui, reconnus, permettent de faire l’histoire littéraire du présent permettraient de postuler cette hypothèse). (« Bien sûr que l’ancienne période semblera demeurer des années durant malgré la proclamation d’une période nouvelle : le début de l’une n’entraîne pas nécessairement la disparition de l’autre. » (220))
Son introduction a pour sujet la difficulté de toute histoire (littéraire ou pas) au présent. Ce qui distinguerait, surtout, les écrivains des avant-gardes modernes et les écrivains postmodernes serait les groupes : il y en a (accompagnés de manifestes, de revues, etc.) chez les modernes, tandis que chez les postmodernes, non : « Cette deuxième figure est celle d’un écrivain […] qui ne songe pas à lancer des manifestes collectifs et qui ne combat pas l’écriture des « anciens », mais plutôt dialogue avec elle. » (220) Cette figure, avance Moraru, n’est pas, elle non plus, incontestée. D’un même élan, il affirme : « la condition nécessaire et suffisante pour qu’une nouvelle période soit reconnaissable par l’historien de la littérature est que des agents du champ littéraire veuillent opérer des changements dans leur rapport à l’écriture. » (220) Autrement dit, il faut qu’un nouveau sous-champ littéraire soit reconnaissable par la pratique (par la publication, par la formation de groupes ou au moins par des discours qui se recoupent…).
Son hypothèse : « je suggère qu’une nouvelle période de l’histoire littéraire a commencé vers la fin du « contemporain » détaché par Viart et d’autres critiques français et qu’elle est apparue de concert avec ce qui se passe dans d’autres littératures, précisément parce que son trait principal est celui d’être le fruit de la mondialisation. » (220-221)
Moraru se lance ensuite dans une partie plus générale qui parle du concept ou phénomène de mondialisation le monde devient plus petit et le temps s’accélère (sinon l’information circule plus rapidement).
Avec la mondialisation post-moderne, il y a la disparition de la tradition, des grands récits culturels. La culture mondialisée devient donc un « hybride de traits globaux et locaux ». (222) En gros, continue Moraru, deux tendances culturelles (littéraires) se dessinent maintenant (car la culture locale circule globalement et, surtout, la culture globale devient illisible pour certaines cultures locales (texte sans contexte)) : le récit neutre (world fiction) et l’exotisme.
Moraru poursuit dans la partie suivante en soulignant le « paradoxe fondamental de la mondialisation qui fait que, avec la constitution d’une culture globale, s’accentue la diversdité culturelle. » (224) Cette diversité exacerbée produit une société plus fragmentée en cultures sous-cultures (Moraru préfère polyculturel à multiculturel pour définir les sociétés), voire en sous-sous-cultures ou sous-sous-champs sociologiques (par exemple, une littérature africaine américaine gay).
Moraru en vient à parler de hétérarchie et non plus de hiérarchie, ce qui lui permet de réintégrer en histoire littéraire le groupe, de génération, qui permettent le discours historique… Où ça devient vraiment intéressant pour nous : « Depuis peu, il y a des écrivains plus jeunes qui critiquent la société postmoderne comme si elle n’était pas la leur, mais une création de la génération précédente. Bien qu’il ne s’agisse pas de groupes organisés, il n’est pas difficile de reconnaître aujourd’hui une sorte de nouvelle vague […] qui a commencé à publier pendant les années 1990 et qui se caractérise par une critique de la société postmoderne et de la relativisation des valeurs qu’elle a instaurée […] » (229) (Houellebecq, Pierre Jourde, Irvine Welsh, Douglas Copland, David Foster Wallace, William Vollaman…)
« L’écrivain combattant ré-émerge, en partie peut-être grâce à la préservation de la figure de l’auteur, naguère contestée, mais qui connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse […]. » (229)
Conclusion : « Je pense qu’une grande partie du discours actuel sur la postmodernité que nous vivons décrit, en réalité, une période qui a succédé à la postmodernité […]. Une période qui garde beaucoup des caractéristiques de la postmodernité, mais qui devra peut-être s’appeler l’ère globale et que […] Lipovetsky [2004] désigne par le terme de temps hypermodernes. […] Des écrivains ont formé un groupe, comme autrefois, en augmentant la fragmentation du champ littéraire ; ou des individus ont simplement décidé de rompre avec la période précédente […]. » (231)