Par Daniel Letendre Rencontre du 8 juin 2012
Ma tâche : - recenser les « événements littéraires » importants depuis 1980. Ces événements sont à prendre au sens large : autant les salons du livre et les festivals que les politiques culturelles des différents gouvernements ou encore les résidences d’écrivains et colloques importants. - Analyser ces différents événements, dans leur événementialité mais également (surtout ?) en tenant compte de leur transformation à travers le temps, en portant une attention particulière à la question du genre, à la promotion d’un genre au détriment de l’autre, à sa définition dans les médias ou à celle mise de l’avant dans ces différents « événements ».
Suivant la suggestion d’Andrée Mercier, j’ai commencé par lire les billets d’éditeur de Lettres québécoises, sur lesquels je reviendrai. J’en suis là ! Non pas parce que j’ai flâné dans les allés de la bibliothèque plutôt que de travailler, mais parce qu’il m’est apparu que la revue dans son ensemble contient beaucoup d’informations qui me paraissaient utiles à mon travail de recension des événements littéraires depuis 1980. Puisque la mission du magazine est d’être le « témoin de la littérature en marche », comme l’indique le titre de l’éditorial du numéro de lancement en 1976, il m’a semblé pertinent de me pencher plus longuement sur cette revue. Je n’ai donc pas pu, encore, recoupé les événements recensés dans Lettres québécoises avec ceux retenus par les pages littéraires du Devoir, ou encore visiter les sites du Conseil des Arts du Canada ou celui de l’Académie des lettres du Québec pour dresser un portraits des résidences d’écrivains et des colloques financés par l’une ou l’autre des institution. Mon travail n’en est encore qu’à l’étape du défrichage et je n’ai que très peu de résultats à vous présenter aujourd’hui. Je peux néanmoins faire quelques constats à partir de mon étude des Lettres québécoise des 30 dernières années.
Constats concernant la revue elle-même : - Pages « Dits et faits » et « Prix et distinctions » qui, de 1980 à 1990 (en somme avant qu’André Vanasse ne prenne la direction de la revue) ratissait assez large, des salons du livres aux colloques des écrivains en passant par les congrès sur la littérature québécoise à l’extérieur du pays. À partir de 1990, les événements recensés sont de moins en moins importants (pour notre recherche) et la place occupée dans l’ensemble de la revue par cette section est de plus en plus restreinte : alors qu’elle occupait les premières pages de la revue, qu’elle précédait même l’éditorial du directeur, elle se trouve maintenant en tout fin du magazine, souvent après la liste des « livres reçus ». L’événement littéraire semble de moins en moins être la rencontre des gens du milieu, la vie littéraire faite de discussions et d’interrogations sur la littérature que la parution des livres et leur critique.
- Les éditoriaux sont le lieu de questionnements sur les politiques culturelles (concernant surtout les livres et les revues), pédagogiques et sur les débats qui animent le milieu littéraire de manière ponctuelle. Les conflits qui reviennent souvent sous la plume de l’un ou l’autre des éditorialistes ou intervenants de la revue est celle de l’intellectualisme en littérature, l’exportation de la littérature québécoise et l’enseignement de la littérature québécoise au Cégep (début et fin des années 1990). (décisions gouvernementales, refonte des programmes pédagogiques, lettres ouvertes critiques ou parution d’un essai contestataire, etc.).
- Les sujets abordés dans les éditoriaux sont souvent relayés par la section « Dossier » qui apparaît au tournant des années 1990. Sujets abordés : édition, internet, industrie, enseignement, etc. Dossiers intéressants pour notre sujet : Popularité du roman historique (n°64), « Où sont passés les livres québécois ? » (n° 67), « Les prix littéraires : l’ère du soupçon » (n° 75), la réforme de l’enseignement du français au collégial (n° 77), Littérature : la revanche de l’histoire – sur le changement de paradigme dans les études littéraires : du texte à l’histoire littéraire (n° 78), la formation de l’écrivain (n° 82), marketing du livre (n°89), le souffle des poètes (n°90), « écrire le théâtre aujourd’hui (n°97), « le nouveau souffle de l’édition » (n° 103), sur la biographie (espèce de roman-vrai, personnage qui guide le lecteur dans un société)(n°105), littérature, télévision et cinéma (n° 107 et 109), les médias électroniques et la question littéraire (n°112), la BD québécoise (n° 118), l’invisibilité de la littérature québécoise (n° 121), littérature anglo-québécoise (n° 124),
→ N° 126 n’a pas de dossier, mais une grande section intitulée « Réflexions » où plusieurs personnes du milieu se penchent sur la question de l’enseignement de la littérature au Cégep. Ces réflexions ont été suscitées, notamment, par la parution de Lettres à mes collègues sur l’enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial (Nota Bene, 2006) de Louis Cornellier.
Donc les « dossiers » sont le lieu d’un approfondissement d’une question reliée à la littérature d’ici et aux mutations du champ et de l’institution. Ils sont une bonne source d’informations, notamment statistiques, sur le milieu de l’édition. Les dossiers ne font pas en soi la promotion d’un genre ou de l’autre (bien qu’on trait davantage du roman que des autres genres), mais les thèmes abordés donnent une bonne indication des mouvements du champ littéraire québécois et de ses orientations.
Sur la transformation des genres et le constat de ce changement dans Lettres québécoises : Apparition dans Lettre québécoises n° 118, été 2005, d’une chronique intitulée « Littérature en émergence » dont le premier thème est la « littérature trash ». Sébastien Lavoie, qui en assure la rédaction, s’intéresse à ces nouveaux écrivains (Labrèche, Arcand, Patrick Brisebois, Roxanne Nadeau) qui participent à ce que Lavoie appelle une « course à l’audace », que d’aucuns considèrent comme une course à la vulgarité. Littérature du mal, qui n’a pas peur des tabous, de l’impensé de la société et de la littérature. → Phénomène littéraire au sens large : La Pléiade a accueilli Bataille et Sade parmi ses élus → Porosité du genre au culte de l’image, au consumérisme et au un climat social d’où est évacué toute possibilité, voire suggestion, de transcendance. → Littérature qui se réclame du « direct », d’une langue « telle quelle », vraie. (On pourrait relier cet attrait général du vrai à la réflexion sur la biographie proposée dans le dossier du n° 105. Autofiction, témoignage, confession, biographie participent tous d’une même transformation du genre romanesque où la fiction ne semble plus assez forte pour dire, représenter la réalité : il faut être dans la « vérité » pour que le réel puisse apparaître et signifier.)
Les autres chroniques de Lavoie auront pour thèmes : - le renouveau du conte (n° 120) : apparition de la maison Planète Rebelle en 1997 qui se spécialise dans ce genre (+ légende, mythes, etc.) et propose des livres-CD. On dit de ce genre qu’il retourne à ses sources orales (alors que les contes de Ferron, par exemple, n’en sont pas vraiment parce que trop écrits…), porosité des mythes urbains, autochtones et plus largement d’autres cultures. - le web (n° 121) : pas pertinent - encore le web (n° 122) sites sur la littérature - les jeunes auteurs (n°124) : Jean Barbe voit dans la nouvelle génération une volonté de s’amuser, de faire éclater le genre et la langue, de sortir de soi et du Québec. Pas de réflexion précise, de caractérisation de ce « nouveau » genre.
La chronique, qui s’annonçait prometteuse pour nous, s’arrête après 4 livrées. Elle laisse un instant sa place à une chronique « littérature et sport » qui ne fera pas long feu.
Je me serais attendu à trouver des dossiers ou des éditoriaux concernant la littérature migrante, notamment lors de la création de Vice-versa et de l’importance grandissante qu’ont prise les écrivains migrants dans les années 1980. On parle bien des auteurs, on fait leur portrait, mais il n’y a pas de réflexion à proprement parler sur l’influence de ces écritures d’ailleurs sur la littérature québécoise. Peut-être Lettres québécoises n’est-elle pas l’endroit pour aborder ce sujet.
En somme, Lettres québécoises est à peu près le seul magazine à s’intéresse exclusivement à la littérature et à suivre son actualité. Autant les jeunes auteurs que leurs prédécesseurs sont bien représentés, autant poésie et théâtre que roman (et ses sous-genres – fantasy, science-fiction, policier, etc. – il serait d’ailleurs intéressant de mesurer la place que rognent ces « paralittératures » aux romans « conventionnels » au fil du temps). La publication chaque 3 mois permet également à André Vanasse et ses collaborateurs de faire un premier tri des œuvres vraiment intéressantes de chaque trimestre voire semestre (le nombre d’œuvres publiées augmentant) et une bonne sélection des sujets reliés à la littérature qui valent la peine d’être abordés et fouillés davantage.
La direction de la revue a toutefois un parti pris évident pour les créateurs au détriment des gros joueurs du milieu (mégalibrairies, gouvernements, etc.). Cette faveur accordée aux artistes empêche parfois les animateurs de la revue d’avoir une distance critique raisonnable qui serait essentielle pour permettre une vue d’ensemble de la production littéraire québécoise. L’idée de la littérature dont fait la promotion Lettres québécoises n’est pas très claire – et c’est très bien ainsi puisque ce n’est pas son mandat. Il reste que pour mon travail, à part pour le panorama et le suivi de l’actualité qu’on y trouve, j’aurais aimé y trouve des réflexions un peu plus « historiques » sur le milieu littéraire et ses transformation, ce qui n’est pas souvent le cas.
Je constate que les événements critiques (colloques, rassemblements d’écrivains, etc.) dont on faisait le compte rendu dans les numéros du début des années 1980 ont laissé leur place aux salons et festivals littéraires qui ont eux aussi été abandonnés de plus en plus au profit des œuvres elles-mêmes… Choix éditorial ou obligation budgétaire ?
Après mon survol de Lettres québécoises, il me semble que la refonte du programme d’enseignement de la littérature au collégial serait intéressante à fouiller parce qu’elle est le lieu où l’état définit la conception de la littérature qu’il faut transmettre à la génération montante. C’est aussi le lieu d’un questionnement sur la place qu’on accorde à la littérature québécoise par rapport à la littérature française, et elle réplique ou reconduit, selon la position adoptée, aux complexes d’infériorité ou de colonisé qui habite l’inconscient collectif québécois. Cette question de la valeur de la littérature québécoise est d’ailleurs au centre de nombreux éditoriaux de Vanasse, qu’il traite de la marchandisation de la littérature ou de son enseignement.
En somme, Lettres québécoises est un bon terrain d’étude pour l’idée de littérature en général, et moins en ce qui a trait aux questions de genres, de leur redéfinition depuis 1980.
J’ai aussi commencé, en simultané avec ma lecture de Lettres québécoises, à faire le portrait des principaux salons du livre (Montréal, Québec) et des festivals (Metropolis bleu, entre autres), en consultant les sites internet des différents événements et en prenant soin, pour chaque année, de trouver le nom des invités d’honneur, porte-parole, etc.
Je ne parlerai pour l’instant que du Salon du livre de Montréal.
Premier constat : la littérature, telle que l’entendent les médias, occupe de moins en moins de place dans l’espace public. Le « telle que l’entendent les médias » est un syntagme important parce que je pense qu’il y a un conflit entre l’idée de la littérature que se font les médias et le monde politique et celle que défendent les animateurs des tribunes plus spécialisées. Ainsi les prix du Salon du livre de Montréal sont donnés par La Presse et la sélection se fait sur un vote du public à partir d’une liste formée des meilleurs vendeurs en librairie… Best-sellers, auto ou simplement biographie, romans adaptés au petit écran sont les grands lauréats de ces prix (Arlette Cousture a gagné deux fois pour Les filles de Caleb : à la parution et lorsque la télésérie a été diffusée).
Les présidents d’honneur ont très peu d’importance : ce ne sont pas des acteurs « en vue » du milieu littéraire : Jean-Claude Germain a été président d’honneur pendant 8 ans, Mireille Deyglun a fait 3 mandats, etc.) Le plus intéressant sont les invités d’honneur : de 2 au début des années 1980 (généralement un Français et un Québécois), on est passé à 10 en 2009. Le roman était sur-représenté dans les années 80 et 90, mais le Salon s’est ouvert aux autres genres : polar, biographies, jeunesse, BD. Les auteurs invités ont aussi tendance à être ceux qui vendent beaucoup de livres ou encore des vedettes littéraires (Tremblay, Nothomb, Serge Chapleau etc.) Les essayistes, surtout les historiens, sont aussi bien représentés parmi les invités d’honneur. Or plus on avance dans le temps, moins le théâtre et la poésie occupent une place importante dans cette liste sélecte et, à ma surprise, encore moins le théâtre que la poésie… Il y a toujours (sauf en de rares exceptions) un représentant de la poésie dans les invités d’honneur alors qu’un représentant du théâtre est toujours un exception ! Le Salon devient de plus en plus international, les invités d’honneur étant composé à majorité de Québécois et de Français, mais on y trouve aussi des écrivains venant de plusieurs pays du monde, surtout de la francophonie (Maghreb). Sauf, étrangement pour la dernière édition qui avait pour thème : « Le livre ouvert sur le XXIe siècle »…
Le Salon du livre de Montréal est toujours l’objet d’une couverture médiatique… intense, surtout dans La Presse qui est associée à l’événement. Les textes qui lui sont consacrés sont en général plutôt descriptifs, ou encore ils rendent compte d’une entrevue faite avec un des invités d’honneur. Certaines éditions du Salon on pourtant créé la controverse, notamment en raison du thème adopté (ex : « Le livre est servi » qui mettait à l’honneur les livres de recettes, la biographie, etc.) ou de la sélection des invités d’honneur. Si on s’y attarde un peu, on se rend compte que c’est l’idée et l’image de la littérature que propage le Salon du livre qui est critiquée dans ces articles, les commentateurs et chroniqueurs réprouvant le côté « people » ou commercial de l’événement et l’idée du livre-marchandise dont il fait indirectement la promotion. Gilles Courtemanche, dans Le Devoir parle de « la démission culturelle du Québec au profit du moindre effort et Odile Tremblay, dans le même journal, de la « dérive culturelle » du Québec. Peut-être les chroniqueurs ont-ils oublié que ce Salon est bien celui du « livre » et non de la « littérature »… En même temps, vu leur réaction, peut-être le Salon avait-il créé au fil des années l’impression d’être un salon dédié à la littérature et non à l’objet-livre en général (notamment par les invités d’honneur, etc.). Ce tournant, passer de la littérature au livre de cuisine, dénote une transformation non seulement de l’idée que les organisateurs se font de la mission du salon, mais également de l’importance à accorder aux « Belles-lettres », qui perdent alors leur statut d’art célébré dans et par la cité.
En terminant sur ce sujet, il est intéressant de noter que le Salon du livre de Montréal a été jumelé de 1990 à 1997 à la Foire du livre de Brive. Un prix Brive-Montréal a même été créé pour un roman pour adolescents. Pourquoi est-ce intéressant ? Parce que la Foire du livre de Brive est le lieu où se rassemble notamment l’École de Brive, ces écrivains néo-régionalistes qui placent leurs romans dans le terroir limousin. En 1996, au moins 5 articles de journal font mention de ce jumelage et de la présence au Salon de Montréal d’écrivains appartenant à cette école, tentent une description de ce qu’est cette École de Brive, etc. Y a-t-il là des liens à faire avec une mouvance du romanesque au Québec ?
Beaucoup de travail !
Il faut :
- terminer le dépouillement de Lettres québécoises (une dizaine de numéros)
- terminer la liste des salons et festivals littéraires (je crois qu’on pourrait se limiter aux salons de Montréal et Québec, festival de poésie de Trois-Rivières, le FIL et Métropolis bleu : on aurait une vue d’ensemble assez précise, à mon avis)
- consulter les pages littéraires du Devoir recueillies au CRILCQ (ce qui ne pourra être fait avant août, le CRILCQ étant fermé tout juillet)
- chercher dans les archives du Conseil des Arts et de l’Académie des lettres du Québec les subventions accordées à des colloques, écrivains, etc. (Données dispo jusqu’en 1998 sur internet (CdesA) et 1983 (colloque des écrivains de l’Académie))
- S’informer des politiques gouvernementales en matière de livre, de lecture et plus généralement de culture.
- Établir une liste des événements « institutionels » reliés à la littérature. Je suggère que cette liste soit faite par catégories (événements politiques, prix et nominations, salons et festivals, événement « médiatique », édition, etc.). Cette manière de faire regroupera les événements de même nature qui pourront être un peu plus longuement décrits. Leur évolution chronologique apparaîtra mieux que dans un tableau synthétique qui serait, vu le nombre imposant de données à compiler, trop chargé. La synchronie et la résonnance entre les événements souffriront peut-être de cette séparation des événements, mais je crois que la clarté n’en sera qu’augmentée.
- Faire parler les différents événements compilés. Tenter de comprendre la redéfinition de la littérature et des genres qu’ils proposent, les inflexions de l’idée de littérature qu’ils tentent d’infuser dans la sphère publique, la dynamique des genres qui est installée, catalysée ou freinée par ces événements.
Je ne peux pour l’instant émettre d’hypothèses concernant l’évolution de cette dynamique des genres. Une chose est sûre : dès la fin des années 1990, on se pose des questions sur l’influence d’Internet sur le livre et, les années avançant et la connaissance des possibilités de ce réseau se faisant plus précise, sur l’écriture et le texte. Il faudra lire plus attentivement les dossiers que Lettres québécoises proposent sur ce sujet.
La question récurrente qui concerne la littérature québécoise est sa place dans la littérature mondiale, sa mise en valeur dans les librairies, sa popularité (entendre le pourcentage des ventes par rapport aux livres étrangers), sa place dans l’enseignement, sa valeur intrinsèque, mais aussi identitaire, etc.
Finalement, le roman est la star de la littérature québécoise. La poésie est tout de même représentée notamment dans les salons du livre, mais on a l’impression que c’est davantage une invitation « obligée », vu l’histoire poétique du Québec, par respect pour ses figures engagées qui ont tout de même participé à la définition de la littérature québécoise, qu’un réel intérêt pour ce genre. Quant au théâtre, il est le parent pauvre de la littérature : il est plutôt considéré comme appartenant du milieu du spectacle, de la scène que de celui de la littérature. Peut-être qu’avec les nouveaux dramaturges (Évelyne de la Chenelière, Wajdi Mouawad, Michel-Marc Bouchard, etc.) le rapport de force a changé… Il faudra voir.