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FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : J. M. Coetzee Titre : Le Maître de Pétersbourg Lieu : Paris Édition : Seuil Collection : aucune Année : 1995 Pages : 247 p. Cote : Désignation générique : roman
Bibliographie de l’auteur : Au cœur de ce pays, Michaël K, sa vie, son temps, Terres de crépuscule, En attendant les barbares, Foe, L’Âge de fer, Scènes de la vie d’un jeune garçon, Disgrâce, Vers l’âge d’homme, Elizabeth Costello, Essais. (Coetzee est récipiendaire du prix Nobel de littérature 2003.)
Biographé : Fiodor Dostoïevski
Quatrième de couverture : Résumé du roman et biographie professionnelle de Coetzee.
Préface : aucune
Rabats : aucun
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : non
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Rien n’indique que le narrateur soit Coetzee.
Narrateur/personnage : Narrateur hétérodiégétique. Récit au il. Vraiment et presque uniquement au il : le nom de « Dostoïevski » n’est jamais prononcé que par les autres personnages du récit. Le narrateur ne dit que il pour désigner l’écrivain, quitte à créer une confusion syntaxique, comme ici :
Ce disant, Maximov, du seul majeur de sa main droite, pousse le dossier de l’autre côté du bureau, ce dossier étonnamment épais qui contient les papiers de Pavel. Il se lève, prend le dossier, s’incline, et s’apprête à partir quand Maximov reprend la parole. (p. 148)
La sémantique de la scène permet de comprendre que ce il est le personnage de Dostoïevski, mais grammaticalement parlant, c’est incorrect.
Aussi, les pensées du héros sont narrées au je, sans guillemets (à mi-chemin, donc, entre les formes dialogiques directes et indirectes libres). Le passage du il au je, puis du je au il, est assez harmonieux : « Que se passe-t-il ? Et la réponse surgit : Elle ne peut imaginer que je sois le père de Pavel. Elle cherche à voir Pavel en moi et n’y parvient pas. Et il avance dans ses pensée : Pour elle, Pavel n’est pas encore mort. » (p. 19) Pour en finir avec les pronoms, parfois ils sont indéterminés, comme ici : « À tout moment il pourrait le prendre par la taille et le faire basculer par-dessus bord, dans le vide. Mais qui est il sur cette plate-forme, et qui est le ? » (p. 121)
Biographe/biographé : La biographie n’est ni très idolâtre ni très iconoclaste. Dostoïevski est montré comme un homme complexe, assez sombre, qui vie son écriture (j’y reviendrai).
Autres relations :
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : Un homme arrive à Pétersbourg en octobre 1869. Il est sur les traces de son beau-fils mort récemment (le fils de son ex-femme). C’est Fiodor Dostoïevski, qui s’installe dans la chambre qu’occupait son beau-fils, qu’il aimait beaucoup, et dont le deuil n’est pas fait. Il noue une liaison érotique avec la logeuse, Anna (qui porte donc le même prénom que sa femme actuelle, la secrétaire). Il a aussi une relation ambiguë, pédophilique dans le phantasme, avec la fille de celle-ci, Matriona. Il porte son fils (c’est ainsi qu’il considère son beau-fils) mort en lui; Anna porte sa fille un peu malade (mentalement puis physiquement) en elle, ce qui entrave leur relation. Dostoïevski enquête sur son fils, récupère ses papiers (lettres, journal, qui contiennent des révélations douloureuses), apprend qu’il s’était lié au fanatique révolutionnaire Netchaïev, qui le manipule aussi. À la fin, il ne sait plus si son fils s’est suicidé, si la police l’a éliminé, ou si le groupe de Netchaïev l’a assassiné. Égaré dans cette Russie rongée, délabrée, pauvre, violente et autoritaire, il finit par se mettre à écrire Les Possédés (Les Démons) à partir de ces vies (dont la siennes) blessées dont son univers est composé.
Ancrage référentiel : Il y a plusieurs éléments de vérité : sa jeune épouse Anna, sa vie difficile avec son ex-femme et son beau-fils Pavel, sa passion pour le jeu (p. 159), son épilepsie (le Haut-mal), etc.
Indices de fiction : C’est écrit comme un roman, avec les dialogues fictifs et tout et tout. Surtout, l’œuvre contamine la vie (voir infra).
Rapports vie-œuvre : En effet, l’œuvre de Dostoïevski et sa vie s’entremêlent. Vers le début, par exemple, quand il est dans le bureau de la police et qu’il se fait passer pour le père biologique de Pavel, alors que le policier n’est pas dupe de la supercherie, on croirait retrouver Raskolnikov de Crime et châtiment dans le bureau de l’enquêteur Porphyre.
Ce policier, d’ailleurs, interprète l’œuvre de fiction de Pavel comme un document incriminant, ce qui fait dire au personnage de Dostoïevski : « Je n’en crois pas mes oreilles, murmure-t-il. Vous songez réellement à verser ceci au dossier des preuves incriminant mon fils – une histoire, une fiction, écrite dans le huis clos de sa chambre ? » (p. 46) Apparaît aussi une pauvre fille qui s’appelle Sonia comme dans Crime et châtiment : « La fille – se peut-il réellement qu’elle s’appelle Sonia ? – détourne les yeux, gênée. » (p. 197) En fait, en filigrane de tout Le Maître de Pétersbourg se trouve l’intertexte des Possédés. La possession par l’idée, ou par l’esprit (p. 48-49, p. 213), la perversion. Même qu’à la fin, dans le chapitre du même nom, Dostoïevski semble devenir « Stavroguine », alors qu’il commence justement l’écriture des Possédés qui, ont le voit, s’inspire du proche passé de Dostoïevski tel que décrit ou inventé par Coetzee. À un moment, comme dans les biographies (et dans la vie !) de Proust, il y a un clair mouvement de l’œuvre à la vie, alors que Netchaïev transpose une idée de Crime et châtiment dans sa vie, dans son action politique (p. 177).
Thématisation de l’écriture et de la lecture : L’écriture de Dostoïevski est montrée comme ressortissant à la douleur, à la maladie (l’épilepsie), à la folie, etc. « Ce qui se répand sur le papier n’est ni du sang ni de l’encre mais un acide, de couleur noire, qui prend un reflet vert déplaisant quand la lumière le frappe. » (p. 23) L’écriture comme trahison aussi : « Je vends ma vie, je vends les vies de ceux qui m’entourent. Je vends tout le monde. » (p. 222) « Vie sans honneur; traîtrise sans limites; confession sans fin. » (p. 222) Et comme je l’ai déjà dit, tout le roman tend vers l’écriture, au final, des Possédés.
Thématisation de la biographie : aucune
Topoï : Filiation, écriture, sexe, perversion, possession, révolution, autorité, police, pauvreté, écrits (documents tels que lettres, journal intime, œuvre de fiction), exil (pour fuir ses dettes et l’autorité, Dostoïevski veut retourner en Allemagne mais n’y arrive jamais), etc.
Hybridation : Roman policier (Dostoïevski enquête sur la mort et la vie de son fils), biographie (bien sûr, on reconnaît l’écrivain derrière le personnage principal), roman (comme je l’ai dit, la forme est celle d’une véritable roman, mais très « progressiste », très nouveau, original).
Différenciation :
Transposition : Transposition conjointe de la vie et de l’œuvre de Dostoïevski dans un roman.
Autres remarques : Le titre est expliqué à un seul endroit, au moment où Anna lui dit qu’il est un maître. « Maître. C’est un mot qu’il associe au métal – à la trempe des épées, à la fonte des cloches. Maître forgeron, maître fondeur. Maître de vie : étrange terme. » (p. 141)
LA LECTURE
Pacte de lecture : La désignation générique et le fait de ne pas nommer Dostoïevski immédiatement et de ne l’appeler toujours que il induisent une lecture plus romanesque que biographique. En fait, ça se lit comme un roman de Dostoïevski !
Attitude de lecture : Je l’ai lu comme un roman de Dostoïevski !
Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage