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FIGURES DE L’HÉRITIER DANS LE ROMAN CONTEMPORAIN

Études françaises, no 45.3 Dirigé par Laurent Demanze et Martine-Emmanuelle Lapointe

Demanze et Lapointe, « Présentation », p. 5-9.

Introduction fort riche (je fais donc un copier/coller) :

« En France comme au Québec, l’on pense souvent la littérature contemporaine sous le signe de la perte et de la fin, comme si les œuvres d’aujourd’hui étaient le lieu d’un désenchantement dont les nombreux spectres et les ruines seraient les emblèmes. La littérature serait alors entamée par la crise de la culture analysée par Hannah Arendt [1 Voir Hannah Arendt, La crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1993 [1972]] et hésiterait entre fragmentation et recyclage, à force de ne pouvoir rivaliser avec les œuvres du passé. Richard Millet, dans un récent essai, a décrit cette littérature à l’agonie, inquiète de son prestige perdu et de son universalité contestée [2- Désenchantement de la littérature, Paris, Gallimard, 2007]. D’autres essayistes lui ont emboîté le pas, comme Dominique Maingueneau [3- Contre saint Proust ou la fin de la littérature, Paris, Belin, 2006], William Marx [4- L’adieu à la littérature. Histoire d’une dévalorisation, xviiie – xxe siècle, Paris, Minuit, 2005] ou Tzvetan Todorov [5- La littérature en péril, Paris, Flammarion, coll. « Café Voltaire », 2007], pour dire que les lettres s’éprouveraient désormais en rupture avec le passé, sans tradition à défendre ni usages communautaires à fonder. Ces discours de la fin essaiment sous la forme de spectres et de revenants [6- Lionel Ruffel, Le dénouement. Essai, Lagrasse, Verdier, coll. « Chaoïd », 2005 et le dossier Tombeaux pour la littérature publié dans la revue en ligne Fabula]. La littérature s’écrirait dans une « langue fantôme » [7- Le roi vient quand il veut. Propos sur la littérature, Paris, Albin Michel, 2007, p. 123], donnerait une voix à des personnages ventriloques, phagocytés par leurs ascendants, mais également habités par « la prémonition [des] deuil[s] à venir » [8- Élise Turcotte, Pourquoi faire une maison avec ses morts, Montréal, Leméac, 2007, p. 42.]. Anathèmes légitimes ou dépréciation mélancolique, cela importe peu : ces discours inquiets dévoilent le lien problématique des écrivains d’aujourd’hui avec le passé, bien en peine de se faire les héritiers des siècles révolus.

Dans son article « Filiations littéraires », Dominique Viart [9- dans Écritures contemporaines, no 2, Paris-Caen, Minard-Lettres modernes, coll. « La revue des lettres modernes », 1999] montre pourtant que la littérature française contemporaine ne cesse d’être obsédée par la question familiale et les problèmes de filiation. Après les temps d’une esthétique classique où régnait l’imitation des anciens, après ceux des ruptures modernes qui mettaient à bas les autorités du passé, le récit d’aujourd’hui se ressaisit des œuvres antérieures pour se chercher au miroir de ses intercesseurs. L’écrivain contemporain entre ainsi en dialogue avec les œuvres du passé au point d’en confondre parfois les voix et les écritures. Cette curiosité dialogique se traduit notamment par la profusion des figures d’héritier qui témoignent de la nécessité de repenser les liens familiaux et les transmissions, depuis que la modernité les a ébranlés. L’interrogation inquiète des grands récits et des modèles, qu’ils soient familiaux, littéraires ou historiques, est également au cœur de la littérature québécoise contemporaine. Renonçant aux esthétiques de la fondation et de la transgression qui avaient largement dominé la littérature québécoise des années 1960 et 1970, l’écrivain contemporain se construirait désormais, comme le propose Pierre Nepveu dans L’écologie du réel, « sous le signe d’une éthique de la mémoire et de la présence aux formes, et d’une herméneutique jamais achevée » [10- p. 214 ].

La littérature d’aujourd’hui s’attache donc moins aux lieux de mémoire et aux communautés préservées qu’à l’inquiétude d’un sujet qui se réapproprie le legs des ascendants et tente d’en reconstruire le récit de manière fragmentaire et fugitive à la fois. Des Vies minuscules de Pierre Michon aux spectres de la Shoah qui hantent le roman familial dans Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis, en passant par les ancêtres fantasmés de Richard Millet ou de Nicolas Dickner, le récit contemporain entrelace le souci de dire des figures attestées et les enchantements de la mémoire. S’il s’affronte à la cassure des traditions, c’est pour renouer les temps et relier le passé au présent, transformant l’intervalle temporel en un parcours du sens comme le proposait Paul Ricoeur [11- Temps et récit 3. Le temps raconté, Paris, Seuil, coll. « Essais », 1985]. En somme, tout se passe comme si l’histoire ne pouvait désormais s’écrire sur le mode collectif et devait être repensée, voire replacée, dans le contexte d’une intimité élargie. Le sujet contemporain s’éprouverait ainsi dans une rencontre singulière avec ses ascendants et ses spectres, tout en élaborant des généalogies artistiques et intellectuelles. Filiation biologique et affinités électives se confondraient alors, dans une même recherche de modèles et de références, à rebours cependant des canons et des hiérarchies institués. C’est dans le renouvellement des formes autobiographiques et des écritures de l’intime que se répercute de manière privilégiée la filiation.

En effet, la littérature contemporaine réinvestit la question du sujet, mais pour montrer comment l’individu se construit dans le détour de l’autre, en assimilant à l’intérieur de soi la communauté des ascendants. Les emblèmes de l’héritage et les figures de l’héritier ne sont plus au centre de grandes fresques romanesques et sociales comme au xixe siècle, mais dans le récit ténu d’un parcours individuel qui se confond souvent avec le devenir de groupes morcelés, de communautés imprévisibles et de familles recomposées. C’est que le temps des bâtards, analysé par Marthe Robert [12- Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1977 [1972]], n’est plus : il ne s’agit pas de s’inventer des parentés, de se forger victorieusement de toutes pièces une lignée, mais plutôt d’assumer un héritage fragilisé par les secousses, voire les ressacs, d’une modernité dont on accueille et réévalue à la fois le désir de rupture. Sans reconduire le mythe d’une tabula rasa, le personnage contemporain fait souvent siennes une mémoire et une culture empreintes de négativité, qu’il évoque « l’héritage de la pauvreté » [13- Yvon Rivard, Personne n’est une île, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 2006], les « mélancolie[s] et les tristesses de l’histoire » [14- Catherine Mavrikakis, Ça va aller, Montréal, Leméac, 2002, p. 149] ou « les contes de filiation » [15- Pierre Michon, Vies minuscules, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1996 [1984 ], p. 244] qui le hantent. L’héritier, cependant, n’est pas toujours condamné à porter le poids du passé. Si plusieurs auteurs confèrent une valeur éthique à la sauvegarde du legs, d’autres choisissent, au contraire, d’en jouer, non pas étrangers aux tragédies de leur époque, mais bien résolus à les dépasser.

Ce n’est sans doute pas un hasard si les héritiers étudiés dans le présent dossier hésitent entre l’anamnèse et l’oubli, la déférence et la transgression, le commencement et la fin. [Chaque résumé d’article est à même la fiche]

Laurent Demanze (2009), « Les possédés et les dépossédés », p.11-23.

Résumé des directeurs :

« L’article de Laurent Demanze, intitulé « Les possédés et les dépossédés », en offre un exemple éclairant. C’est à la question de la spectrale survivance des héritages et des ancêtres que s’attachent notamment Sylvie Germain, Jean Rouaud, Gérard Macé, Pierre Michon et Pierre Bergounioux. Leurs récits semblent donner raison à l’adage médiéval « le mort saisit le vif ». Les héritiers sont hantés, à leur corps défendant, par les spectres de leurs aïeux. Dépossédés d’un passé familial, mais possédés par leurs ascendants, ils font de leur corps le tombeau de l’impossible oubli. » (Demanze et Lapointe, 8)

Résumé de l’auteur :

Sociologues et historiens de la famille décrivent la modernité comme la perte des communautés traditionnelles qui soudaient l’un à l’autre l’héritier et ses ancêtres. Pour s’inventer librement, l’individu moderne rompt les entraves du passé, mais cette libération est aussi vécue chez les écrivains contemporains avec culpabilité. Afin d’y remédier, ils font une place à la fois inquiétante et fondatrice aux spectres et aux revenants de la généalogie, qui étayent et disloquent la parole de l’héritier. C’est ainsi que Sylvie Germain et Jean Rouaud, Gérard Macé, Pierre Michon et Pierre Bergounioux sont des écrivains hantés. Ce sont autant d’héritiers dont les gestes reconduisent des vies antérieures, et dont les mots sont comme magnétisés par les parlures ou les inflexions des parents. Ces héritiers sont donc en quelque sorte à la fois dépossédés d’un passé familial qui n’est pour eux que ruines et deuil et possédés par ces êtres absents qui obsèdent leur conscience et parasitent leur parole. L’héritier est alors déchiré par la mélancolie, au point de se faire tombeau de ses ascendants. À travers la thématique spectrale, la littérature contemporaine analyse toute la situation ambivalente de l’individu contemporain, à la fois orphelin et parricide d’un passé familial, et les secousses inconscientes et linguistiques de cette perte.

Mon résumé :

L’article s’intéresse à la question du deuil et de la filiation, met l’accent sur le passage d’une mémoire collective vers une mémoire individualisée qui doit se construire de façon parcellaire tout en assumant le poids du passé vis-à-vis duquel il se sent redevable; il est ainsi pris au cœur d’une contradiction. L’article se construit sur le postulat que l’héritier contemporain se trouve à la fois « dépossédé de son inscription généalogique et possédé par le poids de ces vies antérieures de l’ascendant » (2009 : 12)

1ère remarque sur le récit de filiation : « Par un singulier renversement, il y a dans le récit de filiation une hantise ou une revenance des ancêtres, qui prennent possession des héritiers et continuent à vivre en eux à leur corps défendant. » (13)

Les récits de filiation, selon Demanze, sont peuplés de « fantômes ». Cette présence est attribuable selon lui au fait que la prise en charge collective du deuil, dans la société, est disparue. Les rites et les croyances ne sont plus là pour aider l’individu à affronter le deuil. « L’héritier est ainsi à lui seul toute la communauté ancestrale, le recueil des êtres disparus : il est synthèse des temps, puisque le présent de l’individu se mêle aux heures anciennes des ancêtres, et palimpseste des identités, puisque les traits de l’un se mêlent aux inflexions des autres. » (14)

Ainsi, l’impossible accomplissement du deuil fait en sorte que l’individu est mélancolique. Cette mélancolie a pour caractéristique d’emmêler le présent et le passé, empêchant ainsi le sujet de se libérer du poids d’un passé qui reflue sans cesse. Les auteurs exemplaires chez qui l’on retrouve de manière exemplaire cette mélancolie sont, selon Demanze, Pierre Bergounioux, Jean Rouaud et Pierre Michon. Pour l’écrivain mélancolique, l’écriture doit servir à démêler les temps, à séparer le passé du présent. Demanze souligne que dans les récits de filiation, l’héritier est « le dépositaire d’une communauté enfouie, où les postures divergentes, les tendances antagonistes et les humeurs contradictoires déchirent l’identité en un morcellement de facettes que nulle synthèse ne saurait rassembler. » (18)

Demanze évoque ensuite ce qu’il nomme « la main enchantée », terme qu’il emprunte à Gérard Macé. Cette « main » écrit par elle-même symboliquement, reprenant le langage de l’autre à l’insu de l’auteur lui-même, mais elle conduit également l’écrivain à répéter inconsciemment les erreurs commises par ses ascendants. Chez Pierre Michon, Demanze indique que c’est par le thème du double, ou de la gémellité, que s’envisage un tel phénomène. L’auteur écrit : « Tenir la place du père, jusqu’à ce qu’à son tour il tienne la plume, voilà l’horizon du récit de filiation. Non pas un récit sur les ascendants, où l’on dirait les empêchements et les malheurs, en croisant les histoires singulières et l’Histoire du siècle pour dresser un monument des morts contre l’oubli du deuil, mais un récit des ascendants, où ils prennent la parole pour dire les secrets tus et les événements ignorés. Car le récit de filiation qui bute contre le silence des parents et les générations d’oubli rêve de restituer aux êtres du passé la parole qu’ils n’ont pas eue. Il ne s’agit pas seulement de s’adresser aux êtres disparus, de rétablir un dialogue en dépit de la mort, mais aussi de transformer un mutisme imposé – par le statut social ou les contraintes historiques – en parole libératrice, de donner un corps de mots à ces paroles fantomatiques. Car l’on appelle fantômes, aussi, ces livres absents qui trouent les bibliothèques. Ces sont les livres-fantômes que le récit de filiation fait lire en palimpseste, ces paroles jamais prononcées qu’il s’agit de porter au jour. » (22)

[Copier/coller de l’intro :] « La modernité fragmente l’expérience : elle émiette la mémoire en instants, morcelle les communautés et disloque les traditions. Avec elle, s’ouvre le règne de l’individu, un règne solitaire et libre où chacun est responsable de soi et l’unique fondateur de ses valeurs. Mais cette liberté est aussi une angoisse, celle d’une émancipation sans borne. Les sociologues ont pu ainsi montrer que la modernité bouleversait les références familiales, à la fois par désinstitutionnalisation et par subjectivation. Dans le même geste, l’individu brise les cadres et les rites, les normes et les traditions familiales pour accomplir l’autonomie de son existence et il sélectionne activement des bribes de mémoire, des filiations choisies pour s’élaborer une identité singulière. La filiation se privatise, elle semble moins désormais une institution sociale qu’un imaginaire personnel au service d’une genèse intime [Note 1- Voir sur ce point Jean-Hugues Déchaux, Le souvenir des morts. Essai sur le lien de filiation, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 1997, p. 9.]. C’est ainsi que la mémoire se fait détour dans la construction de soi, puisque l’individu moderne cesse de s’inscrire dans le temps long et continu des identités répétitives de l’ascendance, mais il se construit singulièrement à partir des masques, des postures et des souvenirs en éclats de sa parenté, de manière oblique et atomisée. Si l’individu congédie les formes de la mémoire héritée, à la fois pour s’inventer une identité unique et pour ne pas répéter les ancêtres, sa mémoire autobiographique se bricole néanmoins par emprunts et réappropriations. Il confirme l’intuition de Maurice Halbwachs, qui montrait que la mémoire individuelle est une perspective de la mémoire collective. » (11-12)

« Depuis que la société valorise l’accomplissement individuel, le discours de l’héritage et la figure de l’héritier deviennent le refoulé de la narration moderne, selon Anne Gotman [Note 2- Anne Gotman, Hériter, Paris, PUF, coll. « Économie en liberté », 1988.]. Et pourtant tout se passe comme si la mémoire individuelle prenait en charge la mémoire familiale. Ce n’est plus celle-ci qui impose des fonctions et des figures, des rôles et des statuts à l’individu, mais bien l’héritier qui a pour dette et devoir d’engranger la mémoire familiale, au fil de son histoire personnelle. Cette « psychologisation de la mémoire, explique Pierre Nora, a donné à tout un chacun le sentiment que, de l’acquittement d’une dette impossible, dépendait finalement son salut [Note 3 - Pierre Nora, « Entre mémoire et histoire. La problématique des lieux », dans Les lieux de mémoire, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1997 [1984-1992], p. 23.] ». Le monde moderne, dans son accélération des rythmes sociaux, a beau se dresser en permanence contre le passé, ces temps antérieurs s’imposent à l’individu comme une âpre dette : la mémoire est moins prise en charge par une collectivité vacillante qu’elle n’est assumée individuellement, dans l’intimité d’un être singulier. C’est donc parce que le temps long de la mémoire familiale se fragmente et s’émiette que l’individu se doit de la conserver dans les dédales de son musée imaginaire. Comme le conclut Jean-Hugues Déchaux, « la mémoire intime vient combler une carence ou une disqualification de la mémoire constituée [Note 4 - Jean-Hugues Déchaux, op. cit., p. 223.] ». (12)

« L’héritier contemporain est ainsi pris au cœur d’une contradiction, puisque d’une part, il congédie la longue durée du temps généalogique pour s’inventer singulièrement, tandis que de l’autre, il doit se faire le dépositaire des vies ancestrales estompées par l’accélération historique de la modernité. En deux mots, il est à la fois dépossédé de son inscription généalogique et possédé par ces vies antérieures de l’ascendance. Les écrivains contemporains, quand ils s’aventurent dans le récit de filiation, sont pris dans cette contradiction et oscillent sans fin entre l’élégie d’un monde enfui et la piété envers les ascendants. Car ils pressentent ce qu’ils doivent à leurs parents, tout en reconnaissant qu’ils sont secrètement coupables de leur sacrifice. Tout se passe comme si ces héritiers problématiques étaient tiraillés entre la nécessité moderne d’une destitution des figures parentales pour advenir à soi et le souhait d’une restitution des vies de l’ascendance pour qu’elles ne sombrent pas dans l’oubli. » (12)

Michel BIRON, « VLB au pays des géants », p.25-40.

Résumé des directeurs :

La question de l’héritage littéraire et le travail de l’intertextualité traversent également l’article de Michel Biron. Bien qu’il étudie les essais de Victor Lévy-Beaulieu [sic], il ne s’éloigne jamais tout à fait du roman. Monsieur Melville et James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots s’inspirent en effet du genre romanesque tout en le mettant à distance. En phagocytant ses modèles — romanciers reconnus, monstres sacrés —, Victor Lévy-Beaulieu s’approprie violemment oeuvres et biographies afin de nourrir son roman familial et sa mythologie personnelle. Sa lecture constitue une forme de dévoration, non loin de la ventriloquie. Les maîtres parlent à travers leur disciple au point d’en perdre leurs propres voix.

Résumé de l’auteur :

Cet article étudie la figure de l’héritier chez Victor-Lévy Beaulieu à partir d’une analyse des deux essais « monumentaux » qu’il consacre à Melville et à Joyce. L’héritier ne se définit pas ici comme un disciple ou même un successeur de ses modèles, mais se projette entièrement dans leur œuvre et dans leur vie au point de les faire siennes. Au-delà d’un rapport strictement métatextuel ou intertextuel, VLB s’empare de ces œuvres pour transformer la littérature en une expérience totale par laquelle se superposent le désir impossible de la grande œuvre, la hantise de la famille (avec le thème central de l’inceste) et l’échec de la nation.

Mon résumé :

Dès le début de sa carrière, VLB s’est positionné comme un héritier. En quête d’une tradition littéraire qui n’existe pas au Québec, il s’est constitué une généalogie littéraire personnelle en écrivant sur des géants de la littérature. La diversité des modèles littéraires qu’il convoque est telle qu’il ne craint pas « de passer pour un pâle imitateur. » (26) La filiation, insiste l’auteur, n’est pas chez lui esthétique, mais bien psychique et physique. Biron écrit : « Si la figure de l’héritier est aussi centrale dans l’œuvre de VLB, c’est que son propre passé est pour lui une sorte de mystère et devient l’objet même de son désir, comme s’il était entièrement à reconstituer […]. » (26)

Biron explique que l’attitude de VLB en tant qu’héritier est tournée vers la « dévoration » de l’œuvre et surtout de la vie de son modèle. Ce que cherche en particulier VLB, c’est à vivre la grandeur de l’échec à travers l’expérience de Melville et de Joyce.

Biron écrit à propos du jeu sur la langue qu’on retrouve dans l’œuvre de VLB : « Ainsi VLB s’inscrit dans une lignée d’écrivains qui réinventent la langue anglaise [Lewis Caroll et James Joyce] et il s’autorise de leur exemple pour en faire autant de son côté avec la langue française et la langue littéraire. » (36)

Le rapport à la famille – et en particulier l’inceste – est un aspect important de la prise de possession de l’héritage littéraire chez VLB. « Toute distance historique, géographique ou culturelle susceptible de séparer l’héritier de son modèle est abolie par la loi de l’inceste, que VLB retrouve partout où il regarde. » (38)

Enfin, dans la conclusion de son article, Biron évoque un article de VLB paru en 2004, où celui-ci reprochait aux jeunes écrivains d’avoir rompu avec les ancêtres. Mais, remarque Biron, cette même rupture est au cœur de son œuvre. « Certes, il apparaît comme un héritier direct de la Révolution tranquille lorsqu’il espère que son livre contribue à ‘‘désencrouer’’ l’estuaire du Saint-Laurent, reprenant ici la grande thématique de la fondation du territoire. Mais la forme même de l’œuvre de VLB, déstructurée à l’extrême, radicalement hétérogène, interdit de croire à ce projet. Elle célèbre l’échec de cette ‘‘fondation du territoire’’ et exige l’impossible, soit de renouer en même temps avec la mémoire des grands-pères et avec l’héritage de Joyce (c’est-à-dire la littérature la plus moderne). » (40)

Élisabeth Nardout-Lafarge, « La gloire du dernier. De La gloire des Pythre au cycle romanesque », p. 41-56.

Résumé des directeurs :

Élisabeth Nardout-Lafarge, dans son article consacré à La gloire des Pythre de Richard Millet, s’intéresse, quant à elle, au paradoxal récit de l’extinction d’une lignée. Testamentaire, funèbre, le roman de Millet signe la disparition d’un « nous », liquide l’héritage de Siom tout en inscrivant, dans sa matrice même, la relance d’une autre lignée. Comme l’écrit Élisabeth Nardout-Lafarge, « [r]este pourtant l’héritage littéraire, le legs d’une forme, le roman ». D’un point de vue intertextuel, La gloire des Pythre emprunte ses modèles à Maupassant, Zola et Faulkner, entre autres. Sur le plan architextuel, il se situe au commencement d’un cycle romanesque qui réunit plusieurs des récits ultérieurs de Millet.

Résumé de l’auteure :

Cet article analyse, dans La gloire des Pythre de Richard Millet (1995), d’une part la thématisation de la question de l’héritage, à la fois dans des scènes qui figurent sa transmission et dans le portrait du dernier héritier, et le destin que le roman lui attribue. D’autre part, il interroge l’héritage littéraire, en étudiant d’abord le dialogue intertextuel avec certaines oeuvres, puis l’architextualité romanesque revendiquée dans le roman et déployée au-delà dans le cycle romanesque dont il est la matrice. Ainsi La gloire des Pythre, qui met en scène la disparition d’un monde en même temps que celle de la voix qui la narre, donne-t-elle lieu, paradoxalement, à la relance infinie de ce récit de la fin.

Mon résumé :

Dans La Gloire des Pythre, l’héritage familial est perdu : « L’héritage, qui correspond à la longue durée d’une transmission immémoriale, se trouve liquidé par les bouleversements sociaux et sabordé par la folie des personnages dans le temps du roman, renvoyant à la non-existence le legs et ses légataires. » (42) Nardout-Lafarge souligne toutefois : « Reste cependant le legs de la littérature qui prend, dans La gloire des Pythre, la forme d’une exaltation de l’héritage romanesque par le recours ostensible à quelques-unes de ses formes canoniques […]. » (42) Ainsi, l’infinie relance des récits fait en sorte que s’émousse la radicalité de l’anéantissement du legs familial puisqu’un legs subsiste, même s’il est d’une autre nature.

La question de l’héritage est abordée de manière ambiguë dans le texte de Millet : au début du roman, André Pythre reçoit en héritage une vieille maison qu’il décidera finalement d’incendier. Cette ruine constitue l’héritage qui revient à Jean, le fils d’André, et symbolise la malédiction qui règne tant sur la famille des Pythre que sur le village de Siom. L’héritage apparaît également refusé radicalement lorsque André assassine son fils illégitime Michel. « Ce sacrifice des fils à la folie des pères, recyclage d’un topos romantique et hugolien, constitue dans La Gloire des Pythre une autre figuration de l’interdit d’héritage. » (45) Il s’agit donc de « liquider l’héritage et d’expulser les héritiers ». (45)

Le fils Jean, quant à lui, ne parvient à transmettre aucun héritage et sombre ultimement dans l’oubli : « La disparition de Jean Pythre, dont la ‘‘visiteuse’’ anonyme du cimetière ne parvient pas à identifier la tombe à la toute dernière page du roman, réitère cette fin de l’héritage, non seulement des Pythre, mais de Siom et de tout un mode de vie. L’ultime effacement, celui du nom sur la tombe, qui fait écho à l’immersion de l’ancien cimetière sous les eaux du barrage, en affirme le caractère absolu. » (48)

Malgré l’absence d’héritage au sein de l’histoire racontée par Millet, il reste tout de même l’héritage littéraire, et en particulier celui du roman. « En effet, au moment où une part importante de la prose narrative contemporaine se caractérise par une sortie du romanesque, La gloire des Pythre se distingue au contraire par sa fidélité marquée aux conventions de l’illusion réaliste, et fait fonds sur le temps, l’espace et le personnage. » (52)

Nardout-Lafarge insiste sur le fait que La Gloire des Pythre est le premier ouvrage d’un cycle de romans où réapparaît le village de Siom, qui conserve toujours cette proximité de sa propre fin.

Extrait de la conclusion : « Si aucune conclusion n’est possible à propos d’une oeuvre en cours, il est permis d’observer le déplacement qui fait passer la fiction et sa narration du temps de la perte à celui de la remémoration de cette perte, et concentre la focalisation sur l’héritier plutôt que sur l’héritage, dans une extension sans fin de la scène de la transmission. C’est sur ce nouveau dispositif, proche de celui du témoignage, beaucoup plus répandu dans la littérature contemporaine, où l’écriture devient le seul héritage possible, que débouche la réalisation dans le cycle de l’‘‘architexte’’ romanesque qui était l’horizon de La gloire des Pythre. » (56)

Mathilde BARRABAND, « Héritage et exemplarité dans Demain je meurs. L’œuvre de dé-familiarisation de Christian Prigent », p.57-75.

Résumé des directeurs :

Si certains romans sont hantés par la sépulcrale présence des aïeux, d’autres cherchent au contraire à se désolidariser des ascendants, à effacer leurs traces. Une telle mise au ban du passé ne va pas de soi, comme le montre Mathilde Barraband dans son article consacré à Demain je meurs de Christian Prigent. Ce récit de filiation inexemplaire constitue un exercice de dé-familiarisation. Le narrateur s’acharne en effet à dévoiler les ratés et les failles de son ascendance en renversant les enseignements de son père communiste. Au réalisme socialiste et édifiant, il oppose la négativité des modernes ; à la fixation et à la progression du sens, il substitue la variation des points de vue, les décrochages, les réécritures et les parodies.

Résumé de l’auteure :

À la suite d’Une phrase pour ma mère (1996) et de Grand-mère Quéquette (2003), le texte Demain je meurs (2007) prolonge l’enquête romanesque de Christian Prigent autour des figures de son ascendance. Ce récit de la vie du père refuse de se constituer comme récit d’un destin, c’est-à-dire comme ensemble cohérent et orienté dont il serait dès lors possible de déduire une leçon. La vie du père, communiste orthodoxe, aura été entièrement régie par ce régime de l’édification, sa philosophie dirigée par la croyance en un progrès régulier, en un sens de l’histoire. Le récit par le fils s’attachera a contrario à constituer la représentation la plus inexemplaire qui soit de cette vie exemplaire et, ce faisant, à contrecarrer une certaine philosophie de l’histoire, aux deux sens du terme (narration et Histoire). Tout est mis en oeuvre pour éviter la fixation et la progression du sens : variation des points de vue, récits enchâssés, décrochages versifiés, réécritures, parodies, etc. ; pourvu que le récit puisse s’extraire des lieux rhétoriques et idéologiques où l’on veut l’assigner. Le récit de filiation se fait ainsi récit de dé-familiarisation, « traversée critique des lieux communs et production d’inouï — d’inquiétante étrangeté (Christian Prigent, Quatre temps) », dans lequel le fils tout à la fois expose et liquide l’héritage qui est le sien.

Mon résumé :

Dans l’œuvre de Christian Prigent, la fiction et réalité s’emmêlent : « La tension maintenue entre factuel et fictif est un des traits caractéristiques que partage la série des écrits en prose de Christian Prigent avec les ‘‘récits de filiation’’ décrits par Dominique Viart, et dont la multiplication a marqué la production littéraire des deux dernières décennies » (60)

Toutefois, malgré cette tension, l’auteur, dont l’œuvre se penche sur sa propre histoire familiale, prend soin de distinguer son père, Édouard, de son double fictionnel, Aimé (qui en est une version caricaturée). Barraband souligne également que, à l’instar de ce qu’on retrouve dans les récits de filiation tels que décrits par Viart, le récit de l’autre est, pour Prigent, un détour pour accéder à soi. L’auteure remarque en outre que la saga familiale construite par Prigent au fil de son œuvre n’a pas pour objectif de situer l’auteur par rapport à ses ancêtres, mais bien de remonter le cours des différents rapports à la langue entretenus par ceux-ci.

L’héritier est donc habité par les voix de ses ancêtres : « Il ne s’agit donc plus tout à fait de passer par le récit de l’autre pour mener le récit de soi, mais de faire le récit des autres en soi. Puisque l’héritier héberge ses ancêtres, archéologie de soi et archéologie de la famille s’équivalent. Et cette fouille devient d’autant plus nécessaire que cette cohabitation forcée leste son hôte, l’empêche d’avancer et le condamne au passé […]. » (62)

Citation : « Demain je meurs partage enfin avec nombre de ‘‘récits de filiation’’ un ‘‘renoncement à la linéarité chronologique au profit du recueil, de l’enquête et du recours à l’hypothèse [Dominique Viart, La littérature française au présent, Paris, Bordas, coll. « La bibliothèque Bordas », 2005, p. 77-78. D’après : « Filiations littéraires », Revue des lettres modernes, « Écritures contemporaines 2 », 1999, p.115-139]’’. Ce sont bien aux formes du recueil et de l’enquête que répond l’organisation parcellaire du texte […]. Quant à la narration, elle évite en effet le tracé linéaire du récit de vie traditionnel […]. En somme, le récit tente d’échapper à ‘‘l’illusion’’ qui oriente ordinairement toute perspective ‘‘biographoïde’’ [Le terme est employé par Daniel Madelénat, La biographie, Paris, PUF, coll. « Littératures modernes », 1984.] : la marque bourdieusienne, ici comme chez nombre d’auteurs de récits de filiation, paraît déterminante. Le sociologue avait souligné en 1986 la propension naïve et artificielle de ses enquêtés à organiser les événements de leur vie en fonction de relations intelligibles, selon un ordre chronologique et logique et une axiologie de l’intention, du projet. » (62-63)

« Les différentes ‘‘étapes de la vie’’ du père, pour reprendre le terme de Bourdieu, sont effectivement évoquées : on reconnaît d’ailleurs un cursus honorum (l’enfance populaire, la bourse d’études puis la reconnaissance sociale) présent dans nombre des récits de filiation qui s’écrivent depuis trente ans. Mais ce qui préside à l’évocation de ces étapes est moins l’ordre de leur avènement que le reflux de la mémoire et les aléas des associations d’idées. » (64) À travers ce flux de la mémoire qui détermine l’organisation et l’écriture du texte, le temps de narration et le temps narré se superposent et il devient dès lors difficile pour le narrateur d’échapper au passé de son père. « L’enjeu, pour le fils, est alors d’échapper à cette mélancolie et ce sentiment de trahison paternels qui l’empêchent d’habiter le présent. » (64) Il s’engage donc dans une lutte contre son propre père afin d’échapper à cette emprise qui s’exerce sur lui.

Demain je meurs met donc en scène un héritier surchargé par le poids de son histoire familiale, mais aussi par celui de l’Histoire au sens large, puisque son père s’est engagé dans cette Histoire par son militantisme. Afin d’échapper à l’influence de son père, le narrateur doit résister aux récits racontés par d’autres sur son père et qui en construisent une vision idéalisée. Il doit ainsi dénoncer la vénération du père par l’entourage, entrant donc dans une logique de transgression religieuse (« Honore ton père et ta mère »).

Prigent tente également se s’affranchir des lieux communs du langage qui lui a été transmis par son père – lieux communs du langage communiste, en premier lieu, mais aussi les lieux communs dont hérite tout locuteur. Enfin, le fils s’oppose à la vision qu’entretient son père de la littérature. Pour celui-ci, les livres ont le pouvoir de rassembler politiquement. Pour le fils, au contraire, ce « qui confère à la littérature son sens civique, c’est donc précisément son essence incivique : ‘‘Pour que la communauté soit vivable il faut paradoxalement qu’il y ait au coeur d’elle des lieux qui l’empêchent d’être intégralement communautaire [Christian Prigent, « La forme est une pudeur (entretien) », Le matricule des anges, no 28, 1999, p. 21.]’’. Le travail littéraire ne vise donc certainement pas, pour le fils, à constituer les exemples rassembleurs qui obsèdent le père […]. Et il n’existe rien de plus erroné et infertile, selon lui, que l’idée d’une littérature d’édification, puisque la littérature n’ajoute rien : elle retranche. Telle est, enfin, la signature d’une encre parricide. » (73-74)

Extrait de la conclusion : « Le parodiste, fin connaisseur des règles qu’il déforme, offre ainsi une figure intéressante d’un héritier qui n’est peut-être pas si indigne, puisqu’il est capable d’hériter sans répéter, de transformer, voire sublimer sa dette. » (75)

Martine-Emmanuelle LAPOINTE, « Héritier du bordel dans toute sa splendeur. Économies de l’héritage dans Va savoir de Réjean Ducharme », p.77-93.

Résumé des directeurs :

Inexemplaire, Va savoir de Réjean Ducharme l’est sans doute tout autant. Le narrateur du roman, Rémi Vavasseur, tente de colmater les brèches de son passé en s’investissant dans le projet de rénovation d’une maison, qualifiée de ruine et de gâchis stagnant. La logique du recyclage, mais plus encore celles de l’emprunt et du pillage, s’oppose chez Ducharme aux discours néolibéraux de la réussite et du triomphe de la volonté. Plutôt que d’analyser les nombreux intertextes du roman, Martine-Emmanuelle Lapointe s’attache aux discours et aux motifs qui accompagnent les héritages matériels et familiaux de Va savoir.

Résumé de l’auteure :

Va savoir de Réjean Ducharme multiplie les citations, les références encyclopédiques et les fragments d’oeuvres littéraires, sans toujours en dévoiler les origines et les sources. Sans nier l’importance d’une telle prolifération intertextuelle, le présent article s’attache plutôt aux discours et aux motifs qui accompagnent les héritages matériels et familiaux de Va savoir. En ne cessant de faire retour sur certaines figures, de la ruine à la souche, en passant par l’enclume, le roman témoigne des apories liées au fait d’hériter. Il se double par là même d’une réflexion sur les économies de l’héritage qui éclaire, à bien des égards, le rapport du narrateur, Rémi Vavasseur, à son passé et à son avenir.

Mon résumé :

L’auteure explique que Va savoir est un cas à part dans l’œuvre de Réjean Ducharme, notamment parce que les rapports entre les adultes et les enfants y sont sains et que l’adulte n’y cultive pas le regret de son enfance enfuie. Le motif de la récupération est omniprésent dans le texte, autant comme thème que comme esthétique, par le biais d’un intertexte qui puise à des sources d’une diversité extrême.

« Va savoir emprunte ainsi au récit de filiation l’idée de la reconstruction toujours incertaine d’une histoire, qu’elle soit individuelle, familiale ou collective, et met en scène un sujet qui ‘‘s’appréhende comme celui à qui son passé fait défaut [Dominique Viart, « Filiations littéraires », dans Jan Baetens et Dominique Viart (dir.), Écritures contemporaines 2. États du roman contemporain, Paris/Caen, Minard, coll. « Lettres modernes », 1999, p. 126.]’’ ». (79)

S’inspirant des travaux de Lydia Flem, l’auteure souligne que le legs est vécu par l’héritier non pas comme un don, mais comme une dette (ainsi, hériter s’oppose à léguer) : alors que l’héritage n’est qu’une transmission dont les modalités sont d’ordre légal, le legs suppose une volonté de la part de la personne qui le transmet. Cette opposition symbolise la différence entre le mode d’appropriation des enfants et celui des adultes : alors que Fanie, la petite fille du roman, vit dans le présent et n’a pas de problème à s’approprier l’espace, Rémi et Mamie, les adultes, vivent au contraire dans le passé. La maison que Rémi s’est appropriée – mais qui ne lui appartient pas réellement – constitue un gâchis qui symbolise le passage du temps sur la matière. « L’héritage matériel est négatif au sens le plus strict qui soit : il retranche, il siphonne, il amenuise, et condamne au surplace et à l’imposture. » (83)

Le personnage de Va savoir, Rémi Vavasseur (dont le nom signifie vassal d’un vassal), est le squatteur autorisé d’une demeure qui est son héritage à venir. L’auteure souligne que la véritable famille de Rémi est très rarement mentionnée dans le roman, excepté en ce qui concerne les allusions à la « voix souveraine » de sa mère, qui survient dans le texte lorsque Rémi apprend la disparition de Mamie. « Plus qu’une réminiscence fidèle du passé, le souvenir constitue le lieu d’un apaisement métaphorique, pur fantasme d’une réconciliation avec la mère disparue. Ainsi rêvée, voire réécrite à la lumière des fictions d’autrui, la famille véritable de Rémi demeure un référent fantomatique. » (86)

L’auteure insiste sur la présence du thème de l’enclume dans le texte, qui « renvoie au versant sombre de l’enracinement ». (87) « Lourde et massive, l’enclume rompt fils et filiations. Ses effets ravageurs pourraient en cela illustrer le caractère discontinu de la passation, nullement linéaire, mais brouillée et incertaine. […] Toutefois, jamais Ducharme ne dépouille l’enclume de sa valeur métaphorique. Il ne s’évertue guère à lui conférer un poids sociologique ou historique. Au contraire, l’enclume fait signe vers la fatalité de l’ordinaire. Elle est logée au coeur d’un présent marqué par la stagnation, auquel le passé n’aurait pas servi d’enseignement. L’emprisonnement des appartenances filiales, dont l’envers demeure le fantasme d’une souveraineté retrouvée, interdit au sujet de se projeter dans l’avenir.» (88)

Enfin, Lapointe montre que si, dans le roman, les familles semblent gangrenées, les communautés sont au contraire représentées de manière positive. Le thème de la souche, en particulier, représente bien cet aspect : l’individu peut se « ressoucher » au sein de la communauté. Comme la souche, Rémi Vavasseur se tient dans la zone indécise de l’entre-deux.

Dominique VIART, « Le silence des pères au principe du “récit de filiation”, p.95-112.

Résumé des directeurs :

Dans le dernier article de ce dossier, intitulé « Le silence des pères au principe du “récit de filiation” », Dominique Viart s’interroge sur le défaut de transmission dont les écrivains contemporains seraient les victimes. Parmi les nombreux récits qui explorent cette blessure, il retient L’orphelin de Pierre Bergounioux, La marque du père de Michel Séonnet, Je ne parle pas la langue de mon père de Leila Sebbar, Atelier 62 de Martine Sonnet et Le jour où mon père s’est tu de Virginie Linhart. Empruntant à l’Histoire et à la fiction, le silence des pères n’y est pas simplement personnel ou familial, mais il traduit également la conscience d’une historicité problématique. Même s’ils témoignent d’une « expérience majeure de la déliaison », ces récits de filiation auraient une fonction de substitution car ils combleraient le grand vide laissé par la disparition des « Grands Récits ». En cela, ils composeraient un héritage, mineur sans doute, mais dont « la modestie même [permettrait de renouer] les fils distendus de la communauté ».

Résumé de l’auteur :

Cet article porte sur l’un des traits majeurs des récits de filiation, mis en évidence par chacun d’eux ou presque. Il s’agit du défaut de transmission dont les écrivains présents, ou leurs narrateurs, s’éprouvent comme les victimes. Dans L’orphelin de Pierre Bergounioux, La marque du père de Michel Séonnet, Je ne parle pas la langue de mon père de Leïla Sebbar, Atelier 62 de Martine Sonnet et Le jour où mon père s’est tu de Virginie Linhart, les narrateurs font l’expérience majeure d’une déliaison, s’éprouvent comme orphelins et manifestent par là même une lucidité particulière envers leur situation historique, lucidité qui affecte le processus d’écriture, la matière et la manière des textes. Ces récits de filiation seraient ainsi, dans une époque en déshérence, la réponse littéraire à l’égarement de notre temps. Si nombre de romans contemporains s’élaborent sur une nostalgie du romanesque, ils semblent s’être engagés, dans leur modestie même, à renouer les fils distendus de la communauté. Mon résumé :

Viart explique d’abord comment la notion d’autofiction, malgré sa grande plasticité, ne suffit pas à décrire l’ensemble des textes de la période contemporaine. C’est pourquoi la notion de « récit de filiation » s’avère particulièrement pertinente pour rendre compte d’un large éventail d’œuvres dont les préoccupations tournent autour des questions de filiation, d’héritage et de transmission. Viart donne du récit de filiation la définition suivante : « Cette forme littéraire a pour originalité de substituer au récit plus ou moins chronologique de soi qu’autofiction et autobiographie ont en partage, une enquête sur l’ascendance du sujet. Tout se passe en effet comme si, la diffusion de la réflexion psychanalytique ayant ruiné le projet autobiographique en posant l’impossibilité pour le Sujet d’accéder à une pleine lucidité envers son propre inconscient, les écrivains remplaçaient l’investigation de leur intériorité par celle de leur antériorité familiale [Conformément d’ailleurs à la théorie analytique qui pose que la psyché se forme aux premiers âges.]. Père, mère, aïeux plus éloignés, y sont les objets d’une recherche dont sans doute l’un des enjeux ultimes est une meilleure connaissance du narrateur de lui-même à travers ce(ux) dont il hérite. » (96)

Viart mentionne ces ouvrages, qu’il considère exemplaires de ce type de récit : La place d’Annie Ernaux, Vies minuscules de Pierre Michon. Les ouvrages précurseurs sont selon lui : Barthes par Roland Barthes, W. ou le souvenir d’enfance de Georges Perec et Fils de Serge Doubrovsky.

Bien que le récit de filiation n’ait aucun équivalent avant la fin du XXe siècle, « [c]ette forme connaît en revanche, dans la période considérée, une remarquable extension : on dénombrerait en effet une ou plusieurs centaines de récits de filiation (selon l’exigence de qualité littéraire manifestée) et ce, quelle que soit la génération ou l’esthétique des écrivains concernés. Le même corpus reçoit en effet aussi bien L’acacia (1989) de Claude Simon, né en 1913, que Père et passe (2008) de Jérôme Meizoz, né en 1967. Et quant à la variété esthétique, elle est extrême : depuis l’écriture ‘‘plate’’ d’Annie Ernaux à la tentative d’un sublime sans cesse brisé de Pierre Michon, du minimalisme d’Yves Ravey (Le drap, 2002) au phrasé rhétorique de Pierre Bergounioux (L’orphelin, 1992), des rêveries de Leïla Sebbar (Je ne parle pas la langue de mon père, 2003) à l’enquête sociale de Martine Sonnet (Atelier 62, 2008), de l’empathie discrète de Charles Juliet (Lambeaux, 1995) à l’humour de Jean Rouaud (Des hommes illustres, 1993) sans parler du style plus journalistique de Virginie Linhart (Le jour où mon père s’est tu, 2008). Preuve s’il en est besoin qu’il ne s’agit pas là d’un phénomène d’école, mais bien d’époque. » (97)

Viart souligne que son article entend s’arrêter à ce qu’il considère comme l’un des principaux traits du récit de filiation : « il s’agit du défaut de transmission dont les écrivains présents, ou leurs narrateurs, s’éprouvent comme les victimes. » (97) Il se penche sur cinq livres emblématiques des différences qui séparent les diverses situations sociales et historiques dans lesquelles ce défaut de transmission se manifeste : L’orphelin de Pierre Bergounioux, La marque du père de Michel Séonnet, Je ne parle pas la langue de mon père de Leïla Sebbar, Atelier 62 de Martine Sonnet et Le jour où mon père s’est tu de Virginie Linhart.

Tous ces textes ont en commun de contenir le grief du silence du père (Viart souligne que la question du silence était déjà ancrée dans la pensée littéraire avant 1980, notamment à travers l’influence de Blanchot). L’universalité de ce silence indique qu’il « n’est pas simplement personnel ni familial, qu’il est plus vaste : social, historique. Qu’il induit une conscience spécifique du temps sur laquelle notre époque et sa littérature (sans doute aussi, plus largement, sa culture) reposent. » (102)

Viart remarque également à quel point il est frappant que ces textes reconduisent tous à la question centrale de l’extermination. C’est que, explique-t-il, « [l]a littérature contemporaine manifeste ainsi une lucidité particulière envers sa situation historique, lucidité qui affecte le processus d’écriture, la matière et la manière des textes. Elle thématise et formalise dans ses textes la conscience de son historicité problématique. » (102)

« [N]otre temps n’est plus si sûr de cette marche ‘‘en avant’’ [de l’Histoire, à laquelle on croyait jadis]. Les bases sur lesquelles s’appuyer pour avancer ont failli. Et c’est bien cet effondrement que diagnostiquent les récits de filiation : ‘‘Mon père ne s’est jamais remis de ce temps où il crut possible d’infléchir le cours de l’Histoire’’, écrit Virginie Linhart (JO, 15). À cet égard, il n’est pas indifférent que dominent, dans le récit de filiation, les livres consacrés aux pères […]. » (103) Viart explique en effet que peu d’écrivains se penchent sur la figure maternelle, ou alors lorsqu’ils le font, ils s’intéressent également au père.

Sur la prépondérance de la figure paternelle, il écrit : « Il semble que cette insistance soit liée au symbolisme paternel : celui-ci représente l’autorité, le savoir social, plus que la mère, plus largement vouée aux apprentissages intimes de la petite enfance. Il incarne le Discours. Du reste, il n’est guère question, dans les récits de filiation consacrés à des figures féminines, de leur ‘‘silence’’. Si bien que le silence prend ici une valeur emblématique : c’est la Parole qui s’est tue, le Discours qui n’est plus en mesure d’être tenu, sanction d’un échec des valeurs et des croyances. De l’échec d’une foi qui vient souvent de plus loin que le père lui-même et dont celui-ci n’est plus le passeur. Car le silence du père ne prive pas seulement l’enfant d’une meilleure connaissance de la réalité paternelle, il tranche aussi le lien avec les générations antérieures […]. » (103) Les auteurs des récits de filiation se présentent donc comme des orphelins (véritables ou symboliques).

Viart souligne que le silence des pères est intimement lié au contenu de l’héritage : « La véritable question qui sous-tend ces textes est celle-ci : que peut-on fonder sur l’expérience désastreuse du XXe siècle ? »

« Le défaut de mémoire, le besoin de savoir et parfois le soupçon que l’insavoir instille suscitent l’enquête, cela est bien évident. Mais ce qui peut surprendre, c’est que le récit de filiation n’en est pas simplement le résultat, ce qui l’identifierait à ces ‘‘récits de vie’’ qui connurent (et connaissent encore, dans un certain type de publications, souvent régionalistes) un remarquable succès autour des années 1975. Plutôt que de livrer le produit de l’enquête, c’est l’enquête elle-même qu’il raconte : ses modalités (JO), sa difficulté (JN), son malaise (M), le mal-être qu’elle entraîne (O), la forme qu’elle prend (A). Plus encore : le récit éprouve le besoin de se justifier […]. » (104-105)

Viart distingue trois malaises qui entourent le geste d’écrire un récit de filiation. Le premier malaise est lié au sentiment de honte qui s’attache à ce type de texte au point que l’auteur écrit que cette honte « est constitutive du récit de filiation. » (105) Elle a ceci de particulier qu’elle n’est pas personnelle, mais plutôt familiale. Viart présente quelques exemples tirés des textes de son corpus et ajoute : « Au-delà des circonstances particulières à chaque cas, il semble bien qu’une culpabilité taraude la génération présente : celle d’être issue d’un siècle qui vit tout se défaire et de vouloir creuser les linéaments d’une telle défection. » (105-106)

Le second malaise « tient […] à la nature quelque peu inquisitrice du besoin de savoir et impudique, sinon exhibitionniste du geste de dire et de montrer. » (106) Viart explique que la différence fondamentale entre l’exhibition de soi et l’exhibition de sa famille est que dans ce second cas, « c’est le respect filial qui se trouve apparemment mis à mal : on ne montre pas les faiblesses, les erreurs ni les errements de ses parents. » (106)

Enfin, le dernier malaise relève du statut des récits de filiation : appartiennent-ils réellement à la littérature ? Viart souligne que les lieux de publication de ces textes sont d’une telle diversité qu’il est difficile de s’y fier pour déterminer le statut littéraire du genre en général, ainsi que leur caractère fictionnel ou non-fictionnel. C’est d’une part parce qu’il n’implique pas que le texte soit fictionnel ou non que le terme « récit » convient à ce type d’écrits et, d’autre part, parce que le récit sous-tend une ligne directive plus définie que le roman, dont la trame est généralement plus touffue. « Mais aussi pour une autre raison qu’il me paraît important de souligner : c’est que ces ‘‘récits’’ s’imposent à leurs auteurs au lieu même où se sont effondrés les ‘‘Grands Récits’’. À cet égard, ils ont une fonction de substitution : installer dans le grand vide laissé par la disparition des récits globaux ces récits modestes, incertains, parcellaires, singuliers et hypothétiques. Une sorte d’héritage mineur, de ‘‘micro-histoire’’ familiale. À ce titre, ils sont, on l’a dit, l’envers des anciennes épopées. Or c’est justement cet enjeu qui détermine la nature hybride, certes, mais littéraire de ces textes, qui entretiennent avec les sciences humaines un dialogue mené à travers l’écriture. » (107)

Viart met en relation le récit de filiation avec l’Histoire, soulignant que « [t]out comme dans le travail historique, la pièce manquante imposée par le silence des pères, centrale, induit la nécessité d’une recherche. Mais faute de récits directs, c’est autour qu’il faut enquêter. Et la littérature doit alors emprunter les chemins de l’enquête historique (M, JN), de la recherche socioéconomique (A), de la réflexion ethnographique (O). Ce dialogue avec les sciences humaines qui caractérise les récits de filiation, c’est dans la quête des matériaux qu’il prend son origine – mais pas dans les méthodes. » (108)

S’il reconnaît qu’un malaise entoure le statut littéraire des récits de filiation, l’auteur n’en pense pas moins que ces textes revendiquent un statut littéraire : « le récit de filiation assume son appartenance à la littérature par deux traits majeurs : son usage de la fiction et l’imprégnation littéraire dont témoigne sa forte intertextualité. » (109) En effet, Viart explique que les auteurs des récits de filiation négligent parfois de recourir à des sources attestées, allant dans certains cas jusqu’à admettre inventer des éléments. « Il n’est dès lors parfois plus possible de démêler ce qui relève de l’invention pure ou de la restitution […]. » (109)

L’auteur ajoute : « Car c’est aussi un trait de ces récits que de montrer combien l’opposition traditionnelle entre vérité et mensonge, entre fait et fiction, n’est pas aussi tranchée qu’on aime à le penser. » (109) Il explique en effet que, bien des auteurs qui cherchent à reconstituer leur histoire familiale et qui se heurtent à un manque d’informations, doivent recourir à leur imagination pour formuler des hypothèses : « Or ces passages imaginés reposent néanmoins sur un savoir global, livré par l’enquête historique, l’archive, le témoignage. Sauf que ce qui est globalement vrai l’est de manière générale, sans que l’on sache ni puisse savoir si pour tel ou telle existence particulière, les événements se sont passés comme on sait qu’ils se passèrent ‘‘pour la plupart des gens’’. Nous sommes ici confrontés à une forme particulière du rapport de la fiction au réel : elle ne le représente pas, mais elle y trouve son modèle herméneutique. Pratique pour laquelle je propose d’introduire un troisième terme entre celui de représentation (qui prétend rendre compte des événements tels qu’ils ont eu lieu, mais demeure souvent victime des codes et des esthétiques qui le régissent, comme l’ont bien montré les analyses structurales des années 1970), et celui de fiction (qui invente délibérément son contenu) : la notion de figuration. La figuration est le texte qui entreprend de dire comment l’écrivain (le narrateur) se figure que les choses ont pu se passer, en fonction des éléments tangibles dont il dispose, des informations accumulées sur ce type d’événements, sur la période, sur les réalités sociales et les habitus du moment, du milieu, etc. » (110)

Viart poursuit : « Or la figuration est bien un travail littéraire [Voir Dominique Viart « Pierre Michon, un art de la figure », dans Ivan Farron et Karl Kürtös, Pierre Michon entre pinacothèque et bibliothèque. Actes de la journée d’étude organisée à l’Université de Zurich le 31 janvier 2002, Berne, Peter Lang, coll. « Variations ». 2003, p. 15-34.], qui non seulement se présente comme tel dans le texte qui l’institue, mais s’inscrit dans le champ littéraire par les références qu’il convoque. Les intercessions littéraires sont en effet particulièrement nombreuses dans le récit de filiation [Si nombreuses qu’elles donnent lieu à cette autre forme littéraire propre à notre contemporanéité que sont les « Fictions biographiques ».] » (110)

Viart fait enfin appel à un troisième élément qui participe à la littérarité du récit de filiation : « c’est que tous ces textes font place à une interrogation du geste d’écrire, que l’on trouvait aussi bien chez Ernaux que chez Michon. […] Une telle interrogation ne laisse pas d’être essentielle. Car, si la littérature s’est profondément interrogée elle-même, et ce depuis le Romantisme, si elle fonde ce que William Marx appelle, après Pierre Bénichou, son ‘‘autonomisation’’ [Paul Bénichou, Le sacre de l’écrivain, 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Gallimard, 1996 ; William Marx, L’adieu à la littérature. Histoire d’une dévalorisation, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Minuit, 2005.] sur le questionnement qu’elle déploie envers elle-même, si enfin elle fait, avec les dernières avant-gardes, de ce questionnement même l’essentiel de son propos, il est notable qu’elle ne cesse de le faire en se donnant des enjeux extérieurs à elle-même. Cela nous montre non seulement que le geste littéraire ne se conçoit pas hors d’une certaine autoréflexivité, mais plus encore, que cette interrogation du geste littéraire à la fois excède largement et signe sa littérarité. » (111)

Extrait de la conclusion : « Qu’il y ait tant de récits de filiation manifeste, à coup sûr, que s’est réveillée une véritable incertitude de l’origine. Au désenchantement du monde avaient répondu d’autres légitimations : laïques ou athées, humanistes en tout cas, articulées sur une foi dans l’Histoire et dans ce que celle-ci pouvait apporter. Ces légitimations, que Lyotard appelle ‘‘Grands Récits’’, s’accompagnaient, justement, non seulement de discours idéologiques, mais de récits. Or la dévalorisation du littéraire que nous observons de toutes parts (mis à mal par d’autres produits culturels et par la marchandisation de la culture) n’est pas un simple ‘‘rééquilibrage’’ entre les formes artistiques : c’est l’effacement et l’affaiblissement des récits quels qu’ils soient, qui seuls permettent d’instaurer du lien, de se situer soi-même dans une Histoire, singulière et collective, de savoir d’où l’on vient et ce dont on hérite. Les récits de filiation seraient ainsi, dans une époque en déshérence, la réponse littéraire que notre temps propose à notre égarement. Si nombre de romans contemporains s’élaborent sur une nostalgie du romanesque, quitte à en jouer, comme le fait Jean Echenoz, les récits de filiation semblent s’être engagés, dans leur modestie même, à renouer les fils distendus de la communauté. [Je ne dis rien ici, faute de place, de ce qui me semble constituer la grandeur de leur entreprise, et que j’ai appelé, ailleurs, une « éthique de la restitution » (voir Dominique Viart, « Topiques de la déshérence. Formes d’une ‘‘éthique de la restitution’’ dans la littérature contemporaine », dans Adélaïde Russo et Simon Harel (dir.), Lieux propices. L’énonciation des lieux. Le lieu de l’énonciation dans les contextes francophones interculturels, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Intercultures », 2005, p. 209-224 et Dominique Viart et Bruno Vercier, La littérature française au présent, op. cit., p. 94-98.] » (112)

Lectrice : Mariane Dalpé

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