FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur: Malcolm Bradbury Titre: To the Hermitage Lieu: Londres Édition: Picador Collection: -- Année: 2000 Pages: 498 pages Cote : prêt entre bibliothèque Désignation générique: Aucune Bibliographie de l'auteur: Doctor Criminale (1992); Why Come to Slaka (1991); Cuts (1987); Rates of Exchange (1983); All Dressed Up and Nowhere to Go (1982); Who Do You Think You Are? (1976); The History Man (1975); Stepping Westward (1965); Eating People is Wrong (1959). Bradbury a également publié de nombreuses études, notamment sur la littérature anglaise et américaine. Biographé: Denis Diderot Quatrième de couverture: Voir sur un autre exemplaire (l'Université McGill a changé la jaquette du livre). Préface: Bradbury mentionne que son ouvrage relève de la fiction («a story»), mais qu'il demeure néanmoins comparable à l'historiographie où la réalité historique se trouve sans cesse travestie: «This is (I suppose) a story. It draws a great deal on history; but as history is the lies the present tells in order to make sense of the past I have improved it where necessary» (p. ix). L'auteur énumère quelques-unes des libertés prises à l'égard de l'Histoire, notamment en ce qui concerne les sites où se déroule l'action. Quant au personnage principal, Denis Diderot, Bradbury signale qu'il a été particulièrement bienveillant, altérant des détails somme toute assez banals : «To my chief character […] I have been particularly kind […] I have reshaped his life, adjusted his fame; I have granted him (as he would have liked) some pleasant extra months of existence, extended some of his ideas, developed some of his plots and mystifications. In fact I have amended and reorganized his entire website in the big Book of Destiny above» (p. ix et x). Le récit qui alterne avec celui où Diderot est mis en scène repose aussi sur des événements réels. Bradbury rappelle que le «Diderot Project» existe réellement, mais invite le lecteur à ne pas chercher des correspondances entre la fiction dépeinte ici et la réalité : « As all you practised readers of stories know, this means there can be no possible resemblance between the real pilgrims, our real hosts in Petersburg, or the real Diderot Project itself and the imaginary people and plans you find depicted here » (p. x). Rabats: Aucun sur l'exemplaire de l'Université McGill Autres: - L'ouvrage est dédié à John Blackwell, l'éditeur de Bradbury. - Trois exergues précèdent la préface. Le premier reprend l’ouverture de Jacques le fataliste, où Jacques fait part à son maître de la philosophie de son ancien capitaine. Ce passage est une imitation de Sterne (Vie et opinions de Tristram Shandy). Le deuxième exergue est un extrait de My portrait and My Horoscope. Le narrateur encourage ses détracteurs à garder le silence. Ce passage illustre bien d’ailleurs cette hantise de la postérité maintes fois exprimée par Diderot. Le troisième exergue reprend un passage du Philosophe de Anon. En somme, ces exergues annoncent à leur manière quelques-uns des grands thèmes du roman, soit le destin, la postérité et la suprématie de la philosophie. - Une introduction suit préface. Il s'agit de l'épisode où Diderot rencontre pour la première fois Catherine II de Russie. Cet épisode est un avant-goût de ce qui va suivre, mais ne constitue pas une amorce à l’intrigue (voir le synopsis). LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Dans le premier récit (celui où Diderot est mis en scène), il est clair que le narrateur n’est pas l’auteur. Brièvement, il s’agit d’une narration plutôt transparente, où le narrateur n’est pas représenté, où il s’efface derrière les événements qu’il rapporte. Quant au second récit, plusieurs correspondances pourraient être établies entre le narrateur et l’auteur Bradbury. Toutefois, comme l’indique l’auteur dans la préface et comme le veut le pacte de lecture qu’il cherche à instaurer, on aurait tort d’assimiler les instances auctoriale et narrative. Le second récit nous met donc en présence d’un narrateur «je» imaginaire, homologue fictif de Malcolm Bradbury. Narrateur/personnage :Dans le récit enchâssant (celui qui met en scène Diderot), on a affaire à un narrateur qui s’immisce dans la conscience des personnages pour révéler au lecteur leurs intentions, leurs sentiments, etc. Il s’agit d’une narration de type extradiégétique/hétérodiégétique. Aussi focalisation interne et externe alternent de façon ponctuelle. Quant au récit enchâssé (celui qui met en scène le pèlerinage des Lumières), il est pris en charge par une narration de type intradiégétique, parfois homodiégétique, parfois hétérodiégétique. En effet, le narrateur s’exprime au «je» pour raconter sa propre aventure au sein du «Diderot Project» ou pour rapporter des histoires qui ne le concernent pas. Enfin, la narration à l’œuvre dans ce dernier récit pose un léger contraste avec celle que l’on retrouve dans le récit premier, où le narrateur ne s’investit que très rarement dans les événements qu’il rapporte. Biographe/biographé : Les narrateurs sont manifestement très admiratifs à l’égard de Diderot, présenté par le préfacier comme étant «the most pleasing of all the philosophers» (p. ix). Par son aspect fortement didactique, il est clair que ce roman cherche d’abord à étendre l’héritage du philosophe, «now generally remembered only as a Parisian district or a Metro stop» (p. ix). De façon générale, c’est l’ensemble de l’œuvre de Diderot que le roman cherche à faire connaître. Ici et là, les narrateurs commentent les textes du philosophe, avec des formules du genre : «the best thing he will ever write» (p. 47, au sujet du Neveu de Rameau). Une profonde sympathie se dégage en outre de la façon dont le narrateur du récit premier rapporte les faits et gestes quotidiens du philosophe. Diderot est montré comme un être torturé intérieurement, hanté par ses détracteurs, bien que rusé, intègre et insolent. Voir le passage suivant, en ouverture de l’introduction : «He’s an ageing sage now : warm and generous, famous and friendly, witty and wise» (p. 1). Voir également ce dialogue (calqué sur le schéma dialogique à l’œuvre dans Le neveu de Rameau) entre Catherine II et Diderot, dialogue qui révèle assez bien la personnalité de Diderot-personnage : SHE Mr Philosopher, if you insist on coming to my court and calling me a despot, you may find one of these days, when your head is chopped off, you’re right after all. Meanwhile I take it, like all my people, you depend on my gentleness, tolerence, and nobility – HE looks extremely contrite HE Once more I’m truly sorry, Your Highness. SHE Except you don’t mean a word of it, do you? HE What, my contrition? I assure you it’s very sincere. Or my performance of it is, most certainly. SHE You don’t truly mean to say I am a despot? HE Certainly not, madame, if you order me not to – SHE I require to know what you truly think. HE Then of course I think you are a despot. We none of us expect you to be otherwise. Why do you suppose we adore you so, incline the head, bow the knee? Why else do you merit universal homage? You’re our most honoured divinity. Our great Athena. Our northern Minerva. Our enlightened despot – (p. 297-298). L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Paris. Été 1773. Un sexagénaire nommé Denis Diderot entame les derniers préparatifs à son départ en Russie. Invité par Catherine II, «the most powerful woman in the world» (p. 6), Diderot débarque à Saint-Pétersbourg en octobre de la même année. Dès son arrivée, le philosophe reçoit une invitation inespérée : Sa Majesté Impériale, qui vient tout juste d’acquérir la bibliothèque du philosophe, désire l’informer qu’elle souhaite le rencontrer à tous les jours, entre 15h00 et 17h00, dans ses appartements privés. Au cours de ces entretiens, il sera question de métaphysique, de religion, de pouvoir, mais également de la modernisation de la Russie. Catherine II consultera Diderot sur de nombreux sujets, lui proposera même d’écrire une encyclopédie russe. Stockholm. Automne 1993. Un écrivain se prépare à embarquer à bord du traversier qui doit l’amener à Saint-Pétersbourg. Ce voyage répond en fait à l’invitation lancée par un camarade de longue date (Bo Luneberg) à participer au «Diderot Project», obscur pèlerinage qui doit conduire un groupe de 8 membres à refaire le trajet effectué par Diderot deux cent vingt années auparavant. Bref, deux récits, deux époques, deux personnages différents, mais guidés par une même volonté : celle de participer au progrès de la raison, de répandre les lumières à la grandeur de l’humanité. Ancrage référentiel : Les références au monde hors-texte sont aussi nombreuses que variées : personnalités politiques (Catherine II, Peter the Great, Frederick of Prussia, etc.); écrivains et philosophes (Descartes, Voltaire, Rousseau, Grimm, Laurence Sterne, Tolstoï, Barthes, Foucault, etc.); artistes (Falconnet, etc.); lieux (France, Suisse, Russie, Allemagne, États-Unis, etc.); événements historiques (Guerre d’indépendance américaine, Révolution française, Révolution bolchévique, etc.); œuvres de Diderot (Le neveu de Rameau, Jacques le fataliste et son maître, La religieuse, Le paradoxe sur le comédien, Le rêve de d’Alembert, Supplément au voyage de Bougainville, Les bijoux indiscrets, etc.); œuvres d’autres écrivains (Faust (Goethe), «La mort de l’Auteur» (Barthes), Vie et opinions de Tristram Shandy (Laurence Sterne), etc.). Bref, érudition impressionnante. Indices de fiction : Reconstitution de l’intériorité, dialogues, style indirect, analepses, prolepses, distorsion de la temporalité (jeu sur les coïncidences entre temps de l’histoire et temps du récit), bref, tous les procédés que l’on retrouve habituellement dans le roman. Rapports vie-œuvre : Très marqué et ce, même si le récit premier met en scène un Diderot vieillissant, un Diderot qui a déjà derrière lui la grande majorité de son œuvre. En fait, c’est surtout à travers les analepses que l’œuvre de Diderot est commentée. On y rapporte surtout les circonstances entourant l’écriture de certains ouvrages, notamment Le neveu de Rameau (p. 47), Le paradoxe sur le comédien (p. 160), Jacques le fataliste et son maître (p. 160), Le rêve de d’Alembert (p. 207), etc. Thématisation de l’écriture et de la lecture : Très marqué également. C’est d’abord en tant qu’écrivain et philosophe que Diderot est reçu par Catherine II. Il est donc très souvent question de ses écrits. Le pèlerinage des Lumières (second récit) est pour sa part entrepris à la mémoire du philosophe et de l’homme de lettres. Par conséquent, la thématisation de l’écriture occupe une place centrale au cœur de ce deuxième récit. Par exemple, dans une conférence prononcée au cours de son pèlerinage, le narrateur évoque Le paradoxe sur le comédien et Jacques le fataliste (p. 160-161). Également, à bord du traversier qui doit l’amener à Saint-Pétersbourg, ce même narrateur initie la femme de service à l’œuvre du philosophe-écrivain, puis décrit le contenu du Neveu de Rameau. Thématisation de la biographie : Plutôt discrète. Topoï : la philosophie, le pouvoir, la corruption, le succès, la censure, la vieillesse, la dégénérescence physique, l’amour, la mort, etc. Transpositions : - Transposition d’un vécu : le voyage de Denis Diderot à la cour de Catherine II de Russie - Transposition de l’œuvre de Diderot : par exemple, des passages de Jacques le fatalistes et du Neveu de Rameau sont reproduits - Reprises allusives de l’œuvre du philosophe-écrivain : par exemple, la conférence que prononce le narrateur écrivain dans le second récit s’intitule : «A paper that is not a paper» (allusion au titre Ceci n’est pas un conte) - Transposition d’un discours critique : des commentaires sont formulés au sujet de l’œuvre de Diderot - Transposition du genre théâtral : de nombreux dialogues sont reproduits à la manière d’une pièce de théâtre (avec didascalies) (clin d’œil au Neveu). - Reprises des clichés inhérents au genre de la biographie (ex. : le récit de la dégénérescence physique et de la mort du philosophe). LA LECTURE Pacte de lecture : Plutôt flottant. L’auteur avoue d’entrée de jeu que les deux récits sont écrits à partir d’événements qui ont réellement eu lieu, événements légèrement modifiés pour les besoins de son roman. Attitude de lecture : Se lit comme une biographie fictive. La posture du lecteur est ambiguë. Il oscille entre crédulité et incrédulité. Tout à fait passionnant ! Lecteur/lectrice : Marina Girardin