FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Philippe Comar Titre : Mémoires de mon crâne. René Des-Cartes Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : «L'un et l'autre» Année : 1997 Pages : 118 Désignation générique: Aucune. Bibliographie de l'auteur : a) La perspective en jeu. Les dessous de l'image, Paris, Gallimard (coll. «Découvertes»), 1992 ; b) Les images du corps, Paris, Gallimard (coll. «Découvertes»), 1993. Biographé : René Descartes. Ou plutôt le corps de Descartes. Quatrième de couverture : Aucune notice. Y figure seulement l'illustration de couverture, soit l'image d'un crâne issue du De Humani corporis fabrica d'André Vésale (1543) Préface : Aucune Rabats: Le premier rabat reprend un passage à caractère fortement programmatique, tiré du deuxième chapitre du roman. Quant au second rabat, on y trouve une note de l'éditeur présentant la collection «L'un et l'autre» : «Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle. L'un et l'autre : l'auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière ? Les uns et les autres : aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieure, personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus». Autres : En page 4, on trouve une photographie du buste de Descartes sculpté par Paul Richer en 1913. Au chapitre 8, le narrateur en donne une description : «Après moulage de mon crâne et modelage de mon buste, après incrustation de l'un dans l'autre, par dépouille et contre-dépouille, mon crâne est emmuré dans sa coque de chair. Richer ménage autour du noyau osseux deux voies d'accès, deux pièces mobiles : la calotte et le masque. Au total, donc, trois pièces, dont l'ajustement exige de suivre un ordre d'assemblage précis, et requiert de la part du manipulateur un peu de doigté, un casse-tête simple, mais un casse-tête tout de même» (p. 103). Sur la photographie, le masque a été retiré, exhibant ainsi le crâne en question. Ce qui confère à l'ouverture, à l'instar du paratexte, une charge programmatique. Le point de départ n'est pas Descartes lui-même, mais son crâne. En exergue, on trouve une citation issue de La Vie de Monsieur Des-Cartes d'Adrien Baillet (1691), biographe du philosophe. Il s'agit d'une description physique de Descartes, un peu loufoque. Baillet évoque les différentes teintes de son visage, depuis sa naissance jusqu'à sa mort. LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Le narrateur est René Descartes décédé. Ou plutôt le Cogito de Descartes. Toutefois, à la fin du récit, le lecteur apprend que c'est le secrétaire (l'auteur Philippe Comar ?!) de Descartes qui a rédigé ses mémoires, sous sa dictée. Narrateur/personnage : Même si le narrateur est René Descartes lui-même, il ne faut pas assimiler celui-ci au sujet biographié. En fait, celui qui fait l'objet des Mémoires est le corps de Descartes, ou plutôt son crâne comme l'annonce le titre. Quant au narrateur, il s'agit de l'esprit du philosophe. Voir entre autres ce passage : «Le lecteur athée, ou seulement sceptique, est peut-être surpris de constater que l'auteur, mort depuis plus de trois siècles, conserve encore toute sa présence d'esprit. Que celui-ci lui serve à méditer sur la séparation que j'ai souvent dite du corps et de l'âme, sachant que l'un est une machine précaire dont les rouages et les ressorts sont appelés à s'arrêter, et que l'autre, dont "la nature n'est que de penser", est immatérielle, et partant jouit d'une bien heureuse immortalité» (p. 20). Biographe/biographé : Le but poursuivi par le narrateur est clair : tirer de l'oublie son propre corps. Une fois Descartes mort, seul son esprit et les circonstances de la sépulture continuent de susciter l'intérêt. Descartes veut remédier à cela, en rédigeant les «mémoires de son crâne» : «Sitôt ma mort, mon corps est écarté des récits qui, en revanche, ne tarissent par sur les circonstances [...] mais jamais une allusion à mon corps. Témoin absent. Oubli capital » (p. 13). Autres relations : Voir la relation entre le narrateur et ses biographes ou autres spécialistes. Descartes veut rétablir certaines vérités à son sujet : «Toutefois le lecteur se gardera de confondre les Mémoires de mon crâne, avec les faux écrits posthumes, les railleries et les persiflages de mes adversaires [...]» (p. 20). L'ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Le récit s'ouvre sur la mort physique du narrateur : «Le onzième jour de février, à quatre heures du matin, l'heure où je me lève habituellement pour aller rejoindre dans sa bibliothèque Christine de Suède qui attend les lumières de ma raison, je meurs» (p. 11). S'ensuit le récit de l'exhumation de la dépouille de Descartes, puis les différentes prises de possession de son corps. Un coup de théâtre vient lancer l'intrigue : la tête de Descartes a été retirée de son corps (voir le sous-titre du roman qui figure déjà cette mutilation par le partage du patronyme («Des-Cartes»)). Le narrateur raconte ensuite les vives polémiques à l'Académie des Sciences, polémiques qui ont pour objet l'authentification du crâne, puis les spéculations théoriciennes d'un Gall, d'un Bergquist, ou encore d'un Sparmann, éminents spécialistes convaincus que l'intelligence se mesure en chiffre, que «l'esprit est un os» (p. 49). Une fois ces élucubrations passées, c'est au tour de Paul Richer de s'emparer du crâne. Cette fois-ci, toutefois, il s'agira non plus de le soumettre aux spéculations scientifiques, mais bien d'établir une fois pour toute, au moyen d'une rigoureuse méthode d'analyse, l'authenticité du crâne. Richer ira plus loin en sculptant un buste de Descartes, à partir de son crâne et d'un portrait peint par Hals à la fin du 17e siècle. Après lui, on ne trouve plus aucune expertise sur le crâne de Descartes. Les Mémoires s'arrêtent donc là, sur l'oeuvre de Richer, dernière digne d'intérêt aux yeux du philosophe. Ancrage référentiel : Les références ne manquent pas dans ce récit. D'abord, on remarque l'abondance des mentions de lieux et de personnages historiques. Christine de Suède, Adrien Baillet, Alexandre Lenoir, Georges Cuvier, Paul Richer, voilà autant d'allusions qui, en plus de situer le biographé (le corps de Descartes) dans un contexte réel, confèrent aux mémoires leur crédibilité. Les lieux parcourus par le corps de Descartes ont aussi existé : Copenhague, Jutland, Basse-Saxe, Hollande, Paris, l'Académie des sciences, etc. D'autres éléments viennent servir d'ancrage référentiel au récit, notamment les allusions aux ouvrages de Descartes (Règles pour la direction de l'esprit (1628), Méditations (1641), etc.) et la mention d'autres dépouilles célèbres ayant subi des mutilations (Voltaire, Rousseau, Mozart, Goya, etc.). Enfin, on trouve des citations issues de périodiques ayant réellement existé, notamment Le moniteur universel. Indices de fiction : D'emblée, le récit est donné pour fictif. En effet, dès le premier paragraphe, le narrateur se présente comme l'esprit de Descartes. Si la grande majorité des références (noms de lieux, de personnages, événements, etc.) trouve son ancrage dans la réalité, reste que le point de vue est immédiatement fictif. Il s'agit pour le cogito de Descartes de retracer le parcours de sa dépouille d'abord, de son crâne ensuite, puis de raconter les tribulations suscitées par ce crâne. Rapports vie-oeuvre : Rapports instaurés de façon originale. C'est surtout au moment où le narrateur éprouve le besoin d'appuyer ses dires que des filiations avec son oeuvre sont établies. Par exemple : «Comme je le remarquais dans mes Règles pour la direction de l'esprit [...] » (p. 35). La vie de Descartes ne sert pas ici à éclairer son oeuvre. Les filiations entre celle-ci et celle-là servent plutôt à montrer que c'est bien l'esprit de Descartes qui s'adresse au lecteur. Thématisation de l'écriture et de la lecture : Les commentaires entourant le travail d'écriture abondent. Le narrateur évoque, dans le premier chapitre, les circonstances entourant la rédaction de ses mémoires. En outre, tout au long du récit, s'adressant directement au lecteur, ce même narrateur commente le travail des biographes qui l'ont précédé. On trouve également quelques réflexions sur l'écriture de l'histoire : «L'histoire peut-elle se satisfaire du fade recensement de pièces disparates, ou doit-elle, au risque d'accentuer encore l'équivoque, broder une figure -- un roman peut-être ? -- en reliant entre eux quelques points égarés dans la nuit des temps, à l'image des fantasmagoriques du zodiaque chevauchant un maigre semis d'étoiles ? » (p. 40). Aussi l'écriture est-elle mise au service de la mémoire. Selon l'esprit de Descartes, c'est par l'écriture que son corps pourra être tiré de l'oubli : «Le verbe est un peu la chair de ma mémoire» (p. 63). Thématisation de la biographie : Il s'agirait davantage d'une thématisation de la nécrographie, en ce sens qu'il ne s'agit pas tant de relater les principaux faits ayant marqué la vie de Descartes que de retracer la trajectoire parcourue par sa dépouille. La thématisation de cette nécrographie est très marquée ici, le narrateur commentant ici et là la rédaction de ses mémoires.En fait, on pourrait parler d'une biographie de Descartes, à condition de supposer à cette notion de «biographie» une extension qu'on ne lui prête habituellement pas, à savoir que le préfixe «bio» ne désigne plus ici la vie comme histoire de l'individu, mais bien plutôt la vie comme organicité et histoire de celle-ci. De ce point de vue, dans la mesure où ils relatent l'histoire du corps du Descartes décédé, les Mémoires de mon crâne peuvent être envisagés dans la perspective biographique. Topoï : La mort du philosophe, sa sépulture, les mutilations, la physiognomonie, l'authenticité du crâne, etc. Transposition : Plusieurs transpositions sont à l'oeuvre dans cet ouvrage. D'abord, le corps de Descartes réifié par la fiction. Ensuite, l'oeuvre même du philosophe rappelée à la mémoire par le biais de la citation. On trouve également transposés plusieurs éléments propres à la biographie traditionnelle, notamment les circonstances très concrètes de la mort de Descartes au début du récit (inflammation du poumon, toux sèche, agonie, etc.). Transposition également de la parole pamphlétaire -- Descartes s'en prend à ses détracteurs -- , de l'essai -- surtout lorsqu'il est question de physiognomonie. LA LECTURE Pacte de lecture : La multiplicité des références, la plupart vérifiables, suscite l'adhésion du lecteur. S'il est impossible de croire qu'un scripteur ait un jour rencontré l'esprit du philosophe qui lui aurai demandé de transcrire les mémoires de son corps, reste qu'on parvient aisément à croire en l'ensemble des événements rapportés. Comme nous le mentionnions plus haut, l'exergue du roman consiste en une citation de la Vie de Monsieur Des-Cartes d'Adrien Baillet, un des premiers biographes du philosophe. La citation en question est plutôt loufoque, tient davantage du régime fictionnel. L'auteur décrit les différents teints de Descartes. L'ouvrage de Baillet, qui est une biographie sérieuse, respectant les conventions d'usage, se permet tout de même quelques libertés. Placé en ouverture du roman, cet exergue semble vouloir signifier d'entrée de jeu la porosité des deux régimes, et indiquer en même temps l'ancrage référentiel du roman. Il faudrait creuser davantage sa signification. Autres remarques : Oeuvre pertinente qui mériterait d'être analysée plus en profondeur. Voir les autres oeuvres qui relatent davantage les circonstances entourant la mort du protagoniste. Pourrait-on parler, à côté de la biographie, de «nécrographie» ? Lectrice : Marina Girardin