FICHE DE LECTURE COLLECTION « L'UN ET L'AUTRE »

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Sylvie Doizelet

Titre : Lost

Lieu : Paris

Édition : Gallimard

Collection : « L'un et l'autre »

Année : 2001

Pages : 155

Cote : BANQ, Niveau 1, section romans, D658L

Désignation générique : Aucune

Préface : Aucune.

Rabats : Deux. L'un reproduit le programme de la collection; l'autre, un passage de Lost (2001 : 85) : « Lost, son nom ne te quitte pas », y affirme, au sujet d'une femme plus ou moins anonyme (Lost), le narrateur doizeletien, s'adressant ici à l'un des héros du « récit » que nous nous apprêtons à lire, Angus Langmuir. Rien n'annonce, sur le rabat, les développements à caractère biographique, pourtant bel et bien efficients dans Lost, sinon le motif de la perte réapparaissant dans ces développements, motif qui recouvre, chez Doizelet, les thèmes du souvenir, de l'oubli : « tu penses, dit encore le narrateur de Lost, à ce qui va t'être donné de vivre, revivre », bref, au souvenir à demi occulté dont la prégnance s'affirme en ceci que son « son nom », ajoute-t-il au sujet de Lost, « se prononce tout seul en toi ».

Image de la couverture : D'après Reverie de Gabriel Dante Rossetti (Ashmolean Museum, Oxford). Le détail de la peinture figurant sur la couverture représente la tête d'une femme posée sur l'une de ses mains. Elle jette, je suppose, un regard amoureux en direction du peintre.

Autres : Des notes indiquent la provenance de certaines des citations incorporées au sein de la partie fictionnelle de Lost. Celles-ci renvoient à une sorte de voyage au bout de la nuit à l'issue duquel une âme inquiète se délivre de ses tourments (de la Croix), à l'indicible (Maeterlinck) et à une mémoire productrice de faux-souvenirs (Pontalis). (De fait, Angus traverse une nuit spirituelle au cours d'une panne d'inspiration; laquelle survient pendant la rédaction d'un livre sur le thème du silence dans l'art; et ce alors qu'il est en quête d'une Lost plus ou moins chimérique : davantage rêvée que remémorée.) D'autres notes, destinées à accompagner cette fois la lecture des biographies de Doizelet, renvoient aux Poèmes et proses de la folie de John Clare de même qu'à quatre oeuvres de Thomas De Quincey.

INFORMATIONS SUR LA BIOGRAPHE :

Pays d'origine : France.

Professions : Écrivaine, traductrice.

Bibliographie : Auteur de deux autres ouvrages parus dans la collection « L'un et l'autre » (La Terre des morts est lointaine. Sylvia Plath [1996]; L'Amour même [1998]), Doizelet est également romancière. Elle a à son actif une douzaine de publications.

INFORMATIONS SUR LES BIOGRAPHÉS :

Identification des biographés : Thomas De Quincey, John Clare, Charles Dickens, Dante Gabriel Rossetti.

Brèves biographies des biographés : La réputation de Thomas De Quincey dépend et de son oeuvre poétique –– et de celle à teneur autobiographique, à laquelle il doit d'ailleurs « sa plus grande notoriété » (pensons à Un mangeur d'opium [1822]). L'œuvre de John Clare a fait l'objet, au XXe siècle, d'une réévaluation; il est considéré depuis comme un grand poète. Charles Dickens figure sans doute parmi les écrivains les plus populaires de son époque. Dante Gabriel Rossetti est un peintre lié au mouvement préraphaélite doublé d'un poète s'étant attiré le scandale pour avoir abordé le thème de l'érotisme.

Époques des biographés : De Quincey, 1785. Clare, 1793-1864. Dickens, 1812-1870. Rossetti, 1828-1882.

Pays d'origine : L'Angleterre.

Autres remarques : Toujours selon Lucio Felici et Tizianon Rossi, la « tragédie » que représente pour De Quincey la mort de sa sœur Élizabeth « laissera des traces profondes dans son oeuvre ».

LES RELATIONS :

Auteur/narrateur : Eu égard à la part de fictionalisation inhérente au premier chapitre du livre de Doizelet (« Lost »), on ne se hasardera pas à les confondre. On ne peut cependant en dire de même au sujet des biographies de Lost. Doizelet s'y exprime vraisemblablement en son nom.

Narrateur/personnage : Hétérodiégétique, le narrateur ne s'implique pas dans la narration.

Biographe/biographé : Doizelet intervient parfois en son nom pour signifier son intérêt pour des questions se rattachant à l'œuvre de De Quincey et concernant, entre autres thèmes, la mémoire du poète et la prescience dont il jouit.

L'ORGANISATION TEXTUELLE :

Synopsis : Lost comprend trois parties. La première narre la vie d'un professeur d'histoire de l'art et auteur de livres rattachés à cette discipline, ayant raté sa vocation de peintre : Angus Langmuir; le narrateur doizeletien insiste alors sur la « Nuit obscure » (2001 : 70) par lui traversée au moment où son livre en cours est temporairement abandonné en raison de son manque d'inspiration. Mise en abyme du livre de Doizelet que cette première partie, la bien-nommée « Lost ». L'auteur y fictionnalise les biographèmes (la perte de la Femme et le désir sucité par elle chez nos biographés) qu'elle s'apprête à extraire dans les deuxième et troisième parties de Lost.

Celle-ci s'intitule « La Galerie des murmures »; celle-là, « Desiderium » –– pour « désir » : celui éprouvé par John Clare pour Mary Joyce, qu'il continue à aimer en dépit de son mariage avec sa femme, Patty; par le peintre Dante Gabriel Rossetti pour, encore là, « deux femmes [qui] sont immortalisées » dans ses tableaux, soit « Élizabeth Siddal, qu'il dessine et peint sans cesse » et « Jane Burden, l'obligeant [lui, Rossetti] à dédoubler sa vie, son amour, sa poésie, sa peinture », écrit Doizelet (2001 : 92-93). L'auteur de Lost aura tôt fait d'approfondir la question de la duplicité dans son récit à l'aide d'un épisode de la vie de Dickens touchant à son attirance à l'endroit de sa défunte belle sœur, Mary Hogarth, cela malgré l'attachement éprouvé par lui à l'endroit de sa femme, Kate. Et Doizelet y reviendra, à cette question, lorsqu'il s'agira de brosser, dans « La Galerie des murmures », le portrait d'un De Quincey toujours épris d'au moins deux femmes, après avoir esquissé, à l'aide des quelque dix pages du deuxième chapitre de Lost, ceux des biographés mentionnés ci-dessus, auxquels s'ajoute, toujours au sein de « Desiderium », l'auteur du Mangeur d'opium.

Prolongement de « Desiderium », « La Galerie des murmures » amplifie les échos qui, dans l'œuvre de De Quincey, donnent à entendre simultanément des voix issues du passé en même temps que des amorces de narrations anticipant… l'avenir ! Doizelet parlera ainsi de « la frange du passé et du futur qui nous semble inaccessible et que De Quincey déclare là, à notre portée » –– là, c'est-à-dire dans cette « nouvelle galerie des murmures » parcourue en rêve par le poète (2001 : 120). La réalité, elle, ne déçoit pas, tant il est vrai qu'on peut, grâce en soit rendue au travail de la biographe, y déceler ces anachronismes, ces anticipations qui font de l'existence du poète un enchevêtrement de trames quasi narratives où s'entrecroisent les destinées de la fille de Wordsworth, dont De Quincey s'éprit, de l'une des sœurs de celui-ci, Élizabeth, puis de celles de sa femme Margaret ainsi que de la prostituée Jan. La plupart d'entre elles personnifient la figure de Lost imaginée par Doizelet. Cela nous renvoie ainsi au premier chapitre de son livre.

Ancrage référentiel : Lost se déroule à Londres. Les récits de Doizelet sont de plus balisés par maints déictiques spatio-temporels.

Indices de fiction : « Lire De Quincey, écrit Doizelet, c'est éprouver de page en page une impression de ``déjà-vu``, mêlée à celle du vertige, une ronde sans fin des mêmes souvenirs. On ne se rend pas tout de suite compte qu'on s'est perdu, on croit être au cœur de ses souvenirs […] mais non, il y a eu glissement, comme dans un rêve » (2001 : 110-111). On est perdu –– lost –– dans le rêve. Difficile de départager les données factuelles des inventions lorsque la biographe elle-même dit s'égarer, parfois, dans les méandres de l'histoire, apparemment « fictive », du poète ! Quant au premier chapitre du livre de Doizelet, « Lost », c'est de la fiction, et rien d'autre.

Indices autobiographiques : Ne s'applique pas.

Rapports vie-œuvre : Doizelet est fondé à postuler l'existence de ceux-ci eu égard à ces biographèmes travaillés, puis retravaillés, de manière obsessionnelle, par un De Quincey « [voyant] les ``choses passées comme si elles étaient encore à venir et susceptibles d'être modifiées`` » (selon les termes du poète, rapportés par Doizelet, 2001 : 148). On le voit, l'auteur de Lost n'entend pas faire le départ entre la vie et l'œuvre. Elle se garde bien toutefois de voir en celle-ci une transposition de celle-là, quand il s'agit, en fait, bien davantage d'un travail comparable à celui opéré par le rêveur à même un contenu latent devenu manifeste, au prix, toutefois, de condensations, déplacements, etc., effectués à même ce contenu. De là, dit Doizelet (qui ne se réfère pas nommément à la psychanalyse), ces « involutes » créées par le poète, soit « des composés d'images associés par un souvenir », des « nuages de pensée » (2001 : 119).

Thématisation de l'œuvre du biographé : Doizelet s'inspire essentiellement de l'œuvre de De Quincey lors de l'écriture de sa biographie. La bibliographie de Lost, à elle seule, en témoigne.

Thématisation de l'œuvre elle-même : Ne s'applique pas.

Rapport entre le texte et le programme de la collection : Le « peintre et son modèle » (dixit le descriptif du programme), ou encore le poète et sa muse : Doizelet aborde au cours de son livre ces thématiques en leur conférant un caractère onirique. Les scènes de Lost se déroulent ainsi sur une « scène intérieure » (descriptif du programme). À l'instar de De Quincey, la biographe rêve.

Topoï : La mémoire, l'oubli. Les artistes investissant de sens, chacun à leurs manières, la figure de la femme perdue. Les superpositions de divers souvenirs. Londres.

Hybridation : Lost se situe à mi-chemin entre le roman et, bien sûr, la biographie.

Autres remarques : Doizelet fait précéder les divers fragments composant la première partie de son livre (« Lost ») de sous-titres parfois laconiques (« Égaré », « Perdu », etc.) qui en relancent la narration. La forme de ce texte, semblant déjà, à le considérer indépendamment des intertitres, déroutant, n'en paraît que plus éclatée; les ruptures de ton, plus évidentes. Il en va de même des biographies de Doizelet. Ensembles de fragments à nouveau précédés de sous-titres divisant le texte en courts passages que celles-ci. La biographe respecte néanmoins une certaine chronologie quand elle raconte la vie de De Quincey.

LA LECTURE :

Pacte de lecture : Durant l'amorce de la lecture des deux derniers chapitres de Lost, j'ai eu la surprise de voir défiler les portraits de divers artistes. Rien n'annonçait, en effet, après l'incursion dans l'existence du personnage d'Angus Langmuir à laquelle je m'étais adonné, un tel changement de registre de la part de Doizelet. D'un pacte de lecture il ne saurait donc être ici question.

Remarques générales sur la collection : Dans Lost, ou, pour citer un autre ouvrage de la collection, Céphalophores, de Sylvie Germain, un esprit commun anime les biographés réunis au sein de chacun de ces ouvrages. Le difficile consiste à le dégager pour nouer des rapports entre les biographés. Ce à quoi s'emploie à merveille Germain. Et à quoi s'efforce également de parvenir, mais avec un bonheur inégal, Doizelet. Cette démarche porte à tout le moins ses fruits.

Lecteur/lectrice : Charles-Philippe Casgrain.