====== Corpus potentiel - Projet porosité ====== Marie-Hélène Voyer - Été 2013 ===== Présentation ===== **Remarques générales :** Après avoir dépouillé les fiches sur les maisons d’édition, j'ai préparé une liste de 45 titres répartis selon 6 catégories que j'ai forgées afin de nous guider (provisoirement) dans le vaste champ de la porosité! Les catégories sont: - 1. Porosité identitaire/narrative - 2. Porosité spatiale - 3.Porosité temporelle - 4. Porosité formelle - 5. Porosité des savoirs - 6. Porosité virtuel/réel/ontologique (je ne savais pas comment mieux nommer cette catégorie!) *Petite Remarque : Si les origines éditoriales du corpus retenu sont très variées, on remarquera toutefois la forte concentration d'œuvres des années 2000. Très peu d'œuvres des années 1990 semblent porteuses de porosité. Peut-être est-ce seulement un effet de discours éditorial. Il faudra réfléchir à ce phénomène... **Problèmes rencontrés :** Le baroquisme, l’inventaire, la juxtaposition d’éléments disparates caractérise une large part du corpus dépouillé (surtout chez Le Quartanier qui tend vers un baroquisme exhibé et assumé). Est-ce que cela s’inscrit réellement dans notre réflexion sur la porosité ? Il faudra y réfléchir. __Exemple d’œuvre que l’on hésite à intégrer dans le corpus de «porosité» :__ POULIN, Patrick, Morts de Low Bat «fiction», Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2007, 152 p. Évoquant les toiles de Jérôme Bosch ou quelque version perverse et roussie de Walt Disney, mythologisant par la farce et le picaresque l'Amérique des banlieues, convoquant mythes et figures aztèques, le monde de Morts de Low Bat est peuplé d'un panthéon instable, d'une sorte de Marvel Comics psychédélique revu par Harpo Marx filant sous les radars de l'intrigue, très loin à l'écart de toute logique causale. Fiction et poésie tout ensemble, livre des transformations, Morts de Low Bat doit autant à Rabelais qu'au ugly art, à Lautréamont qu'à Bugs Bunny, à Novarina qu'aux jeux vidéo, à la Tentation de Saint-Antoine qu'aux fanzines les plus naïvement cheaps et déjantés. La prose avance ici dans un parler ouvert, tourneboulé, élastique, pâteux ou baroque (c'est le style-essaim, le bagou-cluster polymorphe), tombant de lissés rapides en noeuds de sens, de séquences narratives en tirades au désert, et qui affole imaginaire, corps, pensée, matière. De ces embrouilles, le français ressort transfiguré par le bas et les flancs, armé, chargé, halluciné, prêt à ne pas taire tout ce dont il faut parler. Patrick Poulin, à bonne distance du roman réaliste où règnent drame, intrigue et personnages, déploie un monde qui fait flèche de tout bois pour se constituer, dévoilé au fil d'épisodes fantasques par lesquels le livre devient un précipité bâtard où sont tissés ensemble tall tales et contes psychédéliques, orgies de dieux minables et oisifs, bestiaires du lundi matin, gravures anciennes animées au joystick, textes fondateurs, barbecues mystiques et « devoir de recettes en édito ». Tirés du côté de l'épique à plat, de l'humour noir et du sacré « toonesque », ces emprunts, ces images en acte font le beurre et l'or de Morts de Low Bat. ===== LISTE D’ŒUVRES POTENTIELLES ===== ==== 1. Porosité identitaire / porosité narrative ==== • BLAIS, François, Le vengeur masqué contre les hommes-perchaudes de la lune, Montréal, Hurtubise (Texture), 2008. Le vengeur masqué contre les hommes-perchaude de la Lune, c’est l’histoire d’un gars et d’une fille qui vivent en vase clos… jusqu’à ce que la dite fille sorte dans le vrai monde, juste pour voir de quoi il a l’air! Avec ce troisième roman, François Blais conclut sa réflexion sur la part de réel et de fantasmé dans la relation amoureuse, et se permet au passage de jouer avec les instances narratives comme de vulgaire poupées gigogne! *Contact dynamique des différentes voix narratives. • BROSSARD, Nicole, Hier, Montréal, Québec-Amérique (Mains libres), 2001. Ce roman met en scène quatre femmes, quatre destinées marquées par l'héritage du passé : Simone Lambert (conservatrice au Musée de la Civilisation de Québec), Axelle Carnaval (petite-fille à peu près inconnue de Simone, spécialisée en génétique), Carla Carlson (écrivaine de l'Ouest canadien qui vient toujours terminer ses romans à Québec) et JE, la narratrice (employée subalterne de Simone et interlocutrice de Carla qu'elle rencontre quotidiennement à l'hôtel Clarendon). Pour chacune de ces femmes, les hiers ont quelque chose de significatif et viennent teinter leur existence. Leurs voix et leurs réflexions finissent par s'entrecroiser pour se terminer dans un exercice théâtral à quatre temps où les visions respectives de la vie se trouveront confrontées. *Un très bon cas de porosité narrative. Les voix s’y confondent. • CORBEIL, Guillaume, L' art de la fugue. Québec, L'instant même, 2008. L'art de la fugue tient notamment de la répétition : les auditeurs prennent plaisir à la réapparition du sujet originel, la relance des voix, les modifications de texture qu'elles permettent, ainsi qu'aux subtiles inversions du contre-sujet. Chez Guillaume Corbeil, la fuite se confond volontiers à la poursuite : il n'est pas toujours possible de distinguer ce qui est devant de ce qui est derrière. Cherchant à se semer eux-mêmes, les personnages n'arrivent parfois qu'à revenir sur leurs pas et à se glisser dans des phrases familières. Les lecteurs prendront plaisir à la réapparition des motifs, aux échos diffractés, au jeu du mensonge et de la vérité qu'ils permettent. L'art de la fugue tient en haleine. *Potentiellement intéressant. À vérifier. • CHEN, Ying, Querelle d’un squelette avec son double, Montréal, Boréal, 2003. Une jeune femme mène une vie qu’elle voudrait normale entre son mari et l’enfant qu’elle lui a donné. Tandis qu’elle devrait vaquer tranquillement à ses tâches quotidiennes, elle est harcelée par une voix qui semble émaner du sol, la voix d’une femme – qui lui ressemble étrangement – qui a été victime d’un tremblement de terre et dont le corps retourne peu à peu au règne minéral. Avec un art de l’ellipse plus convaincant que jamais, Ying Chen donne ici un roman qui est un déchirant cri contre les limites du temps et du corps, un véritable défi à notre condition de mortels. *Vérifier s’il y a porosité identitaire (surnaturel ou allégorique ?) • LEROUX, Mathieu, Dans la cage, récit, Montréal, Héliotrope, 2013. A l'intérieur du bar où le fauve guette sa proie, l'ambiance est électrique. Et va s'intensifiant. Les échanges verbaux sont ramenés au minimum. Regards. Rythmes. Pulsations. Seule compte l'excitation. Seul compte le carnage à venir. En plein jour, l'atmosphère est toute autre. Une bête lèche ses plaies dans la tanière. Un jeune homme ressasse sa douleur, s'efforce de se reconstruire. Il est difficile de faire tomber les parois de la cage, d'ouvrir les grilles. Un récit-choc. *Parfait sur le plan de la porosité identitaire. On ne sait jamais si le narrateur est l’agresseur ou la victime, oscillation perpétuelle. Narration très habile. • LAMOTHE, Serge, Les Baldwin, Québec, L’instant même, 2004. Quelques êtres errent sur une terre dévastée. Que s'est-il passé ? Un mégatsunami ? Une nouvelle glaciation? Une pandémie ? Une sécheresse ? Les écureuils et les pigeons servent de monnaie d'échange, la découverte d'un éclat de verre, d'un bout de métal suffit à provoquer l'expérience mystique. Qu'ils soient fonctionnaire ou prostituée, guérisseur ou contorsionniste, survivre est une occupation à temps plein pour les Baldwin. Grâce aux récitantes, l'épopée de ces créatures étranges est restituée dans toute son âpreté, pour la plus grande joie des baldwinologues qui n'ont de cesse de traquer la vérité. Les Baldwin ont-ils réellement existé ou s'agit-il d'un mythe ? Force nous est d'admettre que leur monde offre de troublantes ressemblances avec le nôtre. (Porosité des voix narratives, porosité temporelle et spatiale). *Les voix des récitantes s’entremêlent, se font écho dans des temps indéterminés (porosité temporelle évidente). • LESSARD, Patrice, Je suis Sébastien Chevalier, Montréal, Rodrigol, 2009, 166 p Ensemble d'historiettes finement humoristiques écrites dans un style vivant où se rencontrent, dans des décors bigarrés, des personnages tourmentés. L'enchaînement des scènes du livre trace les contours d'une réalité trouble et ambigüe. Les personnages, qui oscillent entre dédoublement de personnalité, névrose et destruction, nous obligent à remettre en question leur identité et leur réalité. *Potentiellement intéressant (porosité identitaire/narrative) • OUELLET, Pierre, Still. Tirs groupés, Québec, L’Instant même, 2000. Un crime sordide a été commis dans le milieu du cinéma snuff (films d’une violence extrême et réelle, assortie de sexualité idoine). L’on pourrait mener l’enquête en se mettant dans la peau de l’assassin : « C’est le risque : on pense comme lui, puis l’on comprend comment il agit, pourquoi. Le moindre de vos souvenirs et le moindre de vos fantasmes lui appartiennent aussi... » L’enquête ressemble alors à une séance de cinéma dont le détective remplit tous les rôles, dans le but de débusquer celui par qui la mort survient. Le détective Head s’est prêté au jeu, mais un « accident de travail » le rend amnésique. Le narrateur, flic lui aussi, remonte le fil de la vie de son confrère. Confrère de sang, avec lequel il se confond, et confond tout. *L’enquêteur se confond avec le criminel. Assez vertigineux. • TURCOT, François, Derrière les forêts, poésie, Chicoutimi, La Peuplade, 2008 C’est la nuit dans le prolongement des forêts, dans la foulée des pas qui se succèdent, que s’ouvrent ces pistes, ces passages animés. Né d’un élan, d’un souffle narratif où se confondent deux personnages, le lecteur, des vies imaginaires et des figures hallucinées, Derrière les forêts propose une marche syncopée, inhabituelle, sous le couvert d’une langue dépouillée qui interroge et fait voir. *“Souffle narratif où se confondent deux personnages”. À voir. • VAN ROBERGE, Guillaume, J’arrive, Montréal, Rodrigol, 2005. 101 p. Ce livre rassemble des textes soutenus par une écriture blanche et un style épuré, mais une voix forte. Roberge propose un parcours à travers le laid et l’horrible, dans un style qui ne manque pas d’humour. Un enfant interné, un journal énigmatique retrouvé sur les lieux d’un incendie, un soldat en crise, un personnage bâillonné, tous ces éléments en apparence disparates se retrouvent dans le livre. Plusieurs récits, plusieurs voix le constituent. Serait-ce une seule et même histoire? *Porosité narrative ? À vérifier. • SOUCY, Gaétan, L’angoisse du héron, Québec, Le Lézard amoureux, 2005. Au commencement est l’Asile, théâtre où évoluent l’Acteur et le Cabotin. Le narrateur observe ces deux étranges olibrius : l’un, prenant le rôle du Héron, choisit de ne pas perturber le monde mais de l’observer, en retrait, figé dans une « promesse jamais tenue de chute vers l’avant », le regard affolé de mots silencieux; l’autre, au contraire, dérange le monde de sa gesticulation incontrôlée, le provoque, arpente en « conquérant avide », déterminé, la scène à laquelle il est voué. De leur opposition naît un spectacle-fable où on lit en écho deux postures de l’homme face au monde, l’un emmuré dans sa tour d’ivoire et de folie, l’autre, acteur, actant, tout de fracas agité. Soudain le texte glisse, vers un autre jeu, un autre je : et le narrateur que l’on suivait, confiant, se métamorphose, emprunte une autre voix pour chanter l’ami perdu, l’artiste inachevé, le premier narrateur, retiré du théâtre du monde. Cet hommage se teinte volontiers d’ironie et est sans cesse remis en question par le narrateur lui-même dans ses notes ; il se métamorphosera une dernière fois en lettre, en adresse à une potentielle lectrice, avant de chuter, affolé, en final inattendu. *Semble y avoir inversion (porosité ?) des voix narratives. 2. Porosité spatiale • BEAUMIER, Jean-Paul, Trompeuses, comme toujours. Québec, L'instant même, 2006. (Nouvelles) Ce jour-là. Il s’en souvient, sa mère lui avait souri en lui tendant la dernière carte qu’il llui avait expédiée, une vue de la terrasse du parc Gaël surplombant la ville. Il n’avait pu s’empêcher de la retourner pour lire ce qu’il avait écrit : Bonjour à vous deux, j’esère que vous allez bien. Ici, le temps est magnifique, les gens courtois et le vin fort agréable. Je vous embrasse. J.B. Elle lui en tendit une autre, postée de Dublin, puis encore une autre de Washington,d’Athènes, de Sarajevo, de Lisbonne. De lire ainsi le même message en rafale lui avait fait une curieuse impression. Comme si tous les déplacements qu’il avait effectués au cours des ans s’étaient brusquement condensés dans une même fuite, comme si tous les lieux avaient soudainement perdu leur consistance, leur sens. *Tous les lieux se condensent en une même fuite. Vérifier s’il y a porosité spatiale. • DICKNER, Nicolas, Tarmac, Québec, Alto, 2008. Pauvre Hope Randall : elle est née dans une famille où chaque membre reçoit sa propre vision de la fin du monde, accompagnée d’une date précise, différente pour chacun. De quoi alimenter plus d’un manuel d’histoire de la psychiatrie. Prévenue que l’apocalypse aurait lieu à l’été 1989, sa mère a cherché à fuir son destin en Lada, pour échouer à 1200 kilomètres de Yarmouth. Parties pour l’Ouest, mère et fille n’ont d’autre choix que d’attendre l’inévitable dans le bas du fleuve. Entre en scène Michel Bauermann, ou Mickey, rejeton d’un clan qui produit du béton depuis plusieurs générations, passionnément irradié par les taches de rousseur et les 195 points de Q.I. de la belle. Hope trouvera un certain réconfort dans les longues soirées en sa compagnie au bunker familial, à l’abri des obsessions maternelles. Mais on ne peut rien prédire lorsqu’on est une Randall et qu’on a rendez-vous avec l’apocalypse. L’auteur de Nikolski vous entraîne dans les hauts lieux du vingtième siècle (New York, Tokyo et Rivière-du-Loup) au fil d’une étonnante histoire d’amour préapocalyptique où passent David Suzuki, Albert Einstein, quelques zombies, un gourou accidentel et des kilomètres de ramens. Bienvenue sur le tarmac, lieu de tous les impossibles. *Porosité spatiale évidente entre Rivière-du-Loup et le Japon. • FROST, Corey, Tout ce que je sais en cinq minutes, traduit de l’anglais par Christophe Bernard, Montréal, Le Quartanier, 2013. À cheval entre la nouvelle et le spoken word, les fictions de ce livre ont un principe commun : la fluctuation. Le monde chez Frost défile sans interruption, par la fenêtre d’un bus ou le hublot d’un avion, à la faveur d’histoires ambivalentes et d’expériences décentrées. Mais des contradictions surgissent quand les paysages idylliques sont fabriqués sur des chaînes de montage. Le Manifeste du parti communiste se change ainsi en héros hollywoodien, avant de s’égrener en slogans publicitaires. Gadgets, cartes postales, stylos, boîtes noires, guide du japonais sans peine – le voyageur s’équipe pour suivre la trame flottante des événements, du premier vol jusqu’à la disparition de la lettre Q et, avec elle, de la ligne de métro éponyme à New York. Ce livre démantèle puis réassemble des réalités dissonantes, dans des récits aux horizons multiples. Il concilie déficit d’attention et désir de conter sans fin l’entièreté du monde, en cinq minutes. *Assemblage de réalités dissonantes. Semble pertinent. • GIRARD, Jean Pierre, Espaces à occuper. Québec, L'instant même, poche, 1999 [1re éd. 1992] (nouvelles). Jean Pierre Girard place ses personnages dans des espaces sans cesse différents, les uns apparemment clos, penderie, alcôve, les autres soumis à l'esprit de la route, habitacles d'automobile ou de camion, accotements de fortune. Cette oscillation trouve son écho dans une langue qui a choisi de ne pas se fixer, l'oral imposant sa présence avec l'accent d'un caméléon qui irait tour à tour à Joliette, Paris, Trois-Rivières et Saint-Machin. Et qui y va. *On y trouve de porosité spatiale qui paraît donner lieu à une porosité discursive. • LAVERDURE, Bertrand, Bureau universel des copyrights, Chicoutimi, La Peuplade, 2011. Ce roman déluré, s’échafaudant à l’intérieur de ses propres coulisses, met en scène un personnage qui se démembre, qui se démantibule à mesure qu’il tombe dans « le trou du vivant ». Ce livre, c’est le trou, c’est la vie. C’est la seule certitude. Se posséder est impossible : tout semble avoir été programmé, dessiné, décidé d’avance, écrit par un autre que soi. Objets réalistes ou invraisemblables, références littéraires, artistiques et cinématographiques, inondations, débâcles, sauvetages, rafistolages, portes, corridors et salles, « du décor, du décor, du décor et encore du décor ». Tout converge pour déboucher sur le Bureau universel des copyrights, là où l’on apprend que « chaque mot, chaque matière, chaque objet, chaque lettre, chaque parcelle de vie, chaque idée, chaque personnage a son copyright ». *On passe d’un pays à l’autre (Belgique/Québec) sans transition (porosité ou discontinuité ?) • LEBLANC, Suzanne, La maison à penser de P., Chicoutimi, La Peuplade, 2010. Ce roman philosophique d’une rare profondeur nous présente P., femme solitaire dont la généalogie est interrompue par un incident d'enfance qui la propulse mentalement sur une île sans population humaine au milieu d’un océan poissonneux sous un ciel constamment modifié. Grâce à une écriture à la fois savante, sophistiquée et sensible, Suzanne Leblanc construit l’individualité de ce personnage fort. Le lecteur est ainsi amené à voyager dans les pièces de la maison édifiée, à Vienne, par un philosophe à l’œuvre convaincante, à la vie admirable, dans laquelle évolue la pensée de P. *L’espace (la maison) semble se confondre avec l’esprit de la narratrice. • LESSARD, Patrice, Le sermon aux poissons, Montréal, Héliotrope, 2011. Les vacances se terminent et Antoine a décidé de ne pas rentrer dans son pays. Il aimerait que Clara, sa femme, reste avec lui. Il souhaite recommencer sa vie avec elle ici, dans Lisbonne où tout lui paraît à nouveau possible. Mais Clara préfère rentrer à Montréal. Pour Antoine, Lisbonne prendra alors la forme d’un labyrinthe où les visages des femmes se confondent, se mêlent et le ramènent sans cesse à celui de Clara, dont le souvenir l’obsède. Il lui faut désormais apprendre à vivre sans la femme qu’il aime et trouver du travail dans la ville blanche où il n’y en a pas. Le sermon aux poissons raconte la désorientation d’un homme qui a choisi l’ailleurs. Un premier roman énigmatique où brillent la grandeur et la singularité du Portugal. *La figure du labyrinthe et la mise en scène de la désorientation peuvent s’inscrire sous une logique plus générale de porosité spatiale. À vérifier. ==== 3. Porosité temporelle ==== • CARON, Jean-François, Rose brouillard, le film, Chicoutimi, La Peuplade, 2012. Dorothée, réalisatrice mandatée par la société de développement Plumules Nord, filme Rose Brouillard, une vieille femme à la mémoire défaillante, afin qu’elle témoigne de son enfance passée sur une île du fleuve. Du haut de la grande falaise, sur l’Île du Veilleur, on aperçoit Sainte-Marée de l’Incantation, des villageois aux manches retroussées, des pêcheurs sur les quais, des personnages jardinant sous la feuillée, des touristes, d’autres îles aussi, jusqu’à Montréal, jusqu’à Cuba par temps clair. Archipel de séquences, de répliques et d’histoires, Rose Brouillard, le film accompagne la mémoire jusqu’à son lieu d’origine pour démêler les souvenirs, quitte à en inventer des bouts pour raccorder tous les autres. Car, au fond, qui s’inquiète de la vérité ? Ce qui importe ici, ce sont les histoires qu’on se raconte. *La mémoire trouble de Rose Brouillard donne-t-elle lieu à un chevauchement des temporalités ? À vérifier. • DAVID, Carole, Hollandia, Montréal, Héliotrope, 2011. Que reste-t-il du Lancaster pulvérisé en plein vol au-dessus d’Utrecht ? L’oncle de Joanne était à bord. Joanne, elle, n’était pas née encore. Enfant, elle agite la main quand un avion passe dans le ciel en criant, Mononcle Phil. Tandis que son père creuse un abri antiatomique. Elle aura un fils, Max, avec un Américain qui fuit la guerre du Vietnam. Max fait des modèles à coller et passe ses nuits devant l’écran à jouer à des jeux de guerre. Mais depuis son anniversaire qu’il vient de fêter avec sa mère, il a disparu. Dans cette novella aérienne, où l’on entend le lointain fracas des armes, Carole David retrouve le fil invisible qui relie les générations entre elles. *Les temps se confondent. Le passé s’impose dans le présent sur le mode de réminiscences. • DUHAMEL-NOYER, Olga, Highwater, Montréal, Héliotrope, 2006. Highwater raconte la course éperdue pour retrouver une femme, Venise, dans les couloirs oscillants de la mémoire, dans les profondeurs sulfureuses d'un présent révolu, dissimulé à l'intérieur d'une sorte de mine creusée à même le noir de la tête. Highwater, c'est aussi une ville frontière où l'on trouve une mine abandonnée. Là-bas, depuis longtemps plusieurs galeries se sont effondrées et des herbes hautes recouvrent la friche industrielle. *Peut-être pertinent (porosité temporelle) • FARAH, Alain, Pourquoi Bologne, Montréal, Le Quartanier, 2013. Un écrivain dédoublé entre deux époques ne se sent bien dans aucune. Nous sommes à McGill en 1962 et en 2012, en même temps. Mais le problème est ailleurs : sur le campus, un psychiatre se livre à des expériences de déprogrammation sur ses patients. Nab Safi, l’oncle de l’écrivain, en sait quelque chose, mais il n’est bientôt plus là pour en témoigner. Commence alors une enquête où se télescopent les lieux, les objets, les souvenirs et les gens. Une mère du ghetto libanais joue son fils aux dés pour régler ses dettes. Une adjointe opère un ordinateur à cartes perforées. Le veilleur Diop monte la garde, les dinosaures reviennent, et un drôle de fusil décidera de l’issue des choses, si on y croit assez. Par le truchement d’une vieille photo et d’une piscine gothique, on atteindra les profondeurs traumatisantes de Ravenscrag, le manoir lugubre aux trente-six chambres. À la fois roman de S. F. rétro et autofiction, Pourquoi Bologne est un livre sur la résilience et la littérature comme remède, sur la nécessité de raconter des histoires pour s’en sortir. *Porosité temporelle évidente. Deux époques se confondent en simultané. • MAVRIKAKIS, Catherine, Le ciel de Bay City, Montréal, Héliotrope, 2008. 1960. Cette année-là, une maison de tôle est livrée au bout de Veronica Lane à Bay City. Une famille s'y installe. Deux soeurs, Denise et Babette, vont donner tour à tour naissance à de petits Américains. Elles ont quitté l'Europe et la dévastation de la guerre pour l'Amérique. L'avenir paraît alors appartenir à ce continent où tout est plus gai, plus neuf. Mais l'Histoire ne se laisse pas mettre de côté. Amy, la fille de Denise, est hantée par les morts et va faire une étrange découverte dans le sous-sol de la petite maison de tôle. Roman puissant, traversé par la soif de l'Amérique et la volonté désespérée d'en finir avec le passé, Le ciel de Bay City dresse un réquisitoire contre l'indifférence du ciel à l'endroit de notre souffrance. *Sur le mode de la hantise et des réminiscences, l’Europe des camps de concentration se confond avec la vie de banlieue américaine des années 1960-1970. • MICHAUD, Andrée A. Le ravissement, Québec, L’instant même, 2001. Partie se ressourcer à la campagne dans un lieu magnifique, l'héroïne de la première partie du roman est mêlée malgré elle aux étranges événements qui bouleversent les Bois noirs en cet été de 1988. Une disparition, un meurtre, une enfance volée. Des thèmes qui frappent l'imagination. Dix ans plus tard, un policier est dépêché sur les lieux pour enquêter sur une affaire présentant des similitudes troublantes. Dans cet univers cyclique, véritable microcosme, les couleurs et les textures les plus éclatantes prennent une teinte inquiétante, à l'image des contes qui ont bercé notre enfance. *Caractère cyclique. Confusion/ porosité temporelle ? • QUIVIGER, Pascale, La maison des temps rompus, Montréal, Boréal, 2008. Par un lumineux jour de printemps, une jeune femme trouve la maison de ses rêves. Entourée d’un petit jardin luxuriant d’une effarante beauté, la maison regarde la mer de son unique fenêtre semblable à un œil écarquillé. Elle décide d’y emménager. Mais comment se fait-il que le paysage se transforme et que ses proches n’arrivent pas à trouver le sentier qui y mène ? Dans sa solitude, la jeune femme se remémore une histoire d’amitié intense unissant deux êtres aux noms de lumière : Lucie et Claire. Entremêlant la vie quotidienne à l’imaginaire, elle dessine toute une galerie de visages de femmes : mère, fille, sœur, aide, confidente. Chacune est reliée aux autres par des liens complexes. Chacune est une incarnation singulière des raisons que nous avons de désespérer et de combattre, d’aimer et de rêver, d’accueillir et de porter secours. *Le temps et l’espace sont confus dans cette maison de bord de mer. ==== 4. Porosité formelle/ autre ==== • BERGERON, Mathieu, La suite informe, Montréal, Le Quartanier (Série QR) proses et dramacules, 2008. Premier livre d’un écrivain déjà hors norme, qui s’attaque à la fiction et à la poésie, au langage, avec les outils communs à l’inventeur, au dramaturge et au saboteur. Narration, dialogues et notes d’observation se croisent dans ces pièces de résistance écrites dans une langue calibrée comme un engin en apesanteur, explorant un monde aux lois paradoxales. Ici règnent, comme excitées par le vertige d’un mouvement perpétuel, l’intelligence et l’imagination, qui se relancent mutuellement. Proses à facettes rapides, courts-métrages pour la page, dramaticules tournant comme des engrenages, divertissements que sapent des Deus ex Machinas sardoniques, illusions mécanistes et machines imaginaires – à mi-chemin entre la routine comique et le théâtre absurde, Henri Michaux et Harry Houdini. *Porosité formelle ? • BONIN, Jean-François, Taverne du Coq à l’Âne et autres contes, Montréal, Hurtibise, 2004. Des gens assez étonnants font ici la fête. Il y a le père Brébeuf, le grand martyre canadien, devenu saint conteur ou encore les sept membres de cette drôle de famille nommée de la Raspinerie. Ajoutez à ce groupe deux gonguistes, une papesse, la petite fille de Che Guevara, un Chrétien accroc à la science des solutions imaginaires, un Bush déféqueur, des fous et des fins, et même les fantômes du Forum! Une panoplie d’écrivains, tel que Aquin, Nelligan, Hémon, Ferron et Nietzsche se joignent à eux et participent aussi à ce cirque peu ordinaire que nous offre Jean-François Bonin, à travers cinquante-neuf petits et grands contes à la fois drôles et énigmatiques, souvent littéraires et poétiques. *Justification : Porosité générique : le recueil frôle aussi la poésie. Personnages hétéroclites. Des écrivains côtoient des philosophes, des personnages de la politique, des figures marquantes de l’histoire, etc. Porosité des savoirs : « un Chrétien accroc à la science des solutions imaginaires ». L’allusion à la « fête » paraît donner lieu à des échanges un certain métissage, une porosité. • FARAH, Alain, Matamore no 29. Mœurs de province, Montréal, Le Quartanier (Série QR), 2008. L’agent Mariage est envoyé en mission sentimentale. Matamore suractif, il s’éprend d’une grande blonde polonaise et finit par assassiner Kennedy une seconde fois, à l’aide d’un canon étrange. Du Caire à Paris en passant par Dallas et Los Angeles, voici les aventures d’un écrivain à qui tout arrive, et dont l’alter ego, lancé sur la piste de sa propre vie, se bat sur tous les fronts, réactive le passé, accélère le présent. En déplacement entre la province et la métropole, galvanisé par des injections de supervitamines, Mariage rencontre une championne de tennis, tombe de Charybde en Scylla, fait la leçon à son employeur (sur la volaille, sur le poisson — grands sujets), retrouve ses ancêtres phéniciens, se planque dans les cinémas, et disserte sur Joyce et Hamlet — tout ça en combattant l’ennemi intérieur. Par le caractère autobiographique de ses obsessions, par son imaginaire et son inventivité formelle, Matamore no 29 n’est pas sans connivence avec les œuvres de David Lynch et d’Olivier Cadiot, de Thom Yorke ou de Woody Allen. • LAPIERRE, René, Là-bas c’est déjà demain, Montréal, Herbes rouges, 1994 (Poésie). Voilà la question que pose assez radicalement le plus récent recueil de René Lapierre, Là-bas c'est déjà demain. Dûment étiqueté « poésie », ce livre s'inspire pourtant et avant tout de la tradition américaine du roman noir, c'est-à-dire du type de fiction narrative le plus éloigné, a prion, de la poésie. Il ne s'agit pas à proprement parler de poèmes en prose, dans la mesure où les textes apparaissent comme des extraits de romans, ni de «prose lyrique», puisque l'écriture tient toute forme de lyrisme à distance. La méfiance à l'égard du lyrisme est un trait caractéristique de plusieurs recueils actuels. Mais pour écarter les effusions du moi, Lapierre trouve une solution originale: il s'agirait non pas de supprimer, mais de multiplier les moi. Ainsi, en moins de soixante-dix pages, surgissent une soixantaine de personnages différents qui, sauf exceptions, vivent dans des mondes parallèles : Hôpital d'Hills View, psychiatrie externe ; trois heures de l'après-midi. On frappe à la porte du docteur Solomon. Une jeune femme se présente, très droite, vêtue d'un tailleur blanc ; elle hésite, puis s'assied sur une chaise dont l'étoffe est crevée par endroits. Un temps se passe. Solomon se tourne vers elle et la regarde en silence, comme n'importe quel psychologue apprend à faire en première année de stage. Elle baisse vivement les yeux, en malmenant la boucle de son sac à main. «Vous ne voulez plus que je vienne, n'est-ce pas?» murmure-t-elle d'une voix de petite fille (p. 3D. Ni le texte qui précède ni celui qui suit n'entretiennent de rapport direct avec le texte qu'on vient de lire, lequel, comme la plupart des autres, a toutes les allures d'un incipit de roman. Le docteur Solomon ne réapparaîtra avec sa patiente qu'une trentaine de pages plus loin, dans ce qui constitue davantage une variante qu'un développement. Car les trames restent toujours à l'état d'amorces, tournées vers l'exploration d'un « timbre ». Ce livre fragmentaire repose ainsi sur deux singuliers paradoxes: d'une part, il se réclame de la narrativité alors qu'il ne propose que des instants ; d'autre part, abstraite machine antilyrique, il présente des personnages très caractérisés et des réalités sociales très concrètes, celles-là même que la poésie évacue souvent avec le «reportage». (source : http://www.erudit.org/revue/vi/1995/v20/n2/201179ar.pdf) *Justification: Porosité générique. Éclatement de la voix narrative (polyphonie). Il paraît y avoir une porosité spatiale : les histoires se déroulent dans des « mondes parallèles. » En même temps, elles s’interrompent pour être reprises plus loin dans le discours. Fragmentation du discours qui frôle le cinéma ou la photographie : « Ce livre fragmentaire […] se réclame de la narrativité alors qu'il ne propose que des instants ». • LECOMPTE, Luc, Rouge malsain, Montréal, Les Herbes rouges, 2000, 187 p. (Roman) Rouge malsain constitue le second roman de Luc Lecompte, surtout connu pour sa production poétique. L’intrigue se déroule dans un futur imprécis. Malsain est le nom donné à un quartier délabré d’une ville flottante que le lecteur présume être un Montréal dévasté. Le narrateur, un docteur en philosophie devenu enquêteur privé, évoque sa rencontre avec un jeune homme maintenant décédé. Il lui avait confié le mandat de retrouver une femme dont il était amoureux et qui a été enlevée et assassinée. On retrouve bien sûr ici les principaux traits constitutifs du récit policier. La rencontre du détective avec ce jeune homme, qu’il appelle René, peut-être dans un élan romantique, le plonge dans un univers sordide, peuplé de gens mystérieux et de pratiques étranges. Tandis que la femme, qui s’appellerait Isis, pratique la prostitution sado-masochiste, René est un comédien dont le seul rôle consiste à mimer son suicide, de façon de plus en plus élaborée, dans le but de convaincre les clients de la boîte où il se produit de faire de même. Le récit se déroule suivant la logique du cauchemar. L’intrigue et les lieux évoquent bien sûr un univers post-apocalyptique, mais les rencontres se déroulent toutes dans une atmosphère incertaine, qui défie souvent la vraisemblance et qui sert l’expression de fantasmes sexuels de toute nature. Qui plus est, des références croisées se retrouvent à travers tout le roman et renvoient tant à l’Ancien Testament qu’à la mythologie égyptienne. Ainsi, les protagonistes se rencontrent d’abord et reviennent ensuite fréquemment près d’une statue évoquant l’échelle que Jacob, le personnage de la Genèse appelé à assurer une descendance au peuple juif, perçue en rêve et sur laquelle des théories d’anges montaient et descendaient du paradis à la terre. René périra d’ailleurs électrocuté en tentant à son tour d’y monter, comme si, dans la dimension symbolique du récit, toute rédemption lui était interdite. De même cette histoire sordide dévoile les pratiques quasi surréalistes d’un groupuscule ésotérique, Anubis (nom du fils d’Osiris), autour duquel aurait gravité Isis. Ses membres pratiqueraient l’embaumement à la manière égyptienne et un des leurs prélèverait même les rêves à l’aide d’une technique à mi-chemin entre fantastique et science-fiction. René évoque à de nombreuses reprises un rêve très révélateur, qui étoffe justement cette nouvelle référence. En effet, celui-ci raconte comment il a perçu, comme s’il flottait au-dessus de lui-même, son corps démembré. Isis reconstitua ensuite les diverses parties de son anatomie, à l’exception de son sexe. Ce rêve correspond en tout point à la légende égyptienne. En effet, l’Isis légendaire parvint à reconstituer le corps d’Osiris, assassiné et démembré par un rival jaloux, le phallus mis à part. Cette profusion de détails étonnants provient des recherches de l’enquêteur, fasciné par cette histoire délirante, mais également amoureux du jeune homme qui élit provisoirement domicile chez lui. Si ce dernier se révèle le coupable qu’il demande justement au détective de démasquer, ce n’est que pour mieux refermer cette histoire sur elle-même. Ce dédoublement de personnalité, cette perte des fonctions de création et de reproduction se prêtent peut être à une analyse nationale, Lecompte puisant dans les mythes et les thèmes décadents pour créer un roman riche en symboles, qui combine les aspects saillants du genre policier avec des traits dystopiques propres à une certaine veine de la science- fiction. *Justification: porosité générique (fantastique, science fiction, roman policier). Entrecroisement des références (Ancien Testament et mythologie égyptienne). Porosité des savoirs : de profession philosophe, le narrateur se penche vers l’enquête privée; interférences entre les pratiques ésotériques et le savoir philosophique. Au niveau des personnages, ils semblent participer d’une certaine porosité. Isis, allusion à une déesse protectrice, est une prostitute et René, comédien de profession, « mime son suicide ». Le personnage principal, devenu enquêteur, prête une écoute attentive à l’onirique. (René raconte ses rêves à l’enquêteur). D’ailleurs, l’enquêteur participe d’un dédoublement de personnalité (non seulement au niveau de son choix professionnel mais aussi au niveau des préférences sexuelles. D’abord, interessé de retrouver la femme dont il était amoureux, il finit par tomber sur le charme d’un jeune homme qu’il appelle René. Le temps est aussi fluctuant: on parle d’un futur aux contours imprécis. Si bien il est question d’atmosphères post-apocalyptiques, le récit fait référence à la Genèse. • MENY, F.P., White trash Napoleon, Montréal, Le Quartanier (Phacochères), 2005. White Trash Napoléon est constitué d'une série de monologues rapides et allitératifs. Malaxant des matériaux hétérogènes (maximes, ritournelles, aphorismes, micro-récits autobiographiques, associations d'images, lambeaux de publicité, citations non identifiées, phrases trouvées ou entendues dans la rue), ces cinq proses au débit infatigable privilégient le faux raccord. Elles prennent la forme d'un débat interne houleux dont l'objet se déplace à chaque phrase, évoquant des raps schizophrènes où la parole s'invente, se divise et se dissout dans ses rythmes. Une écriture désordonnée, sous pression, colérique, puérile, joueuse, populaire et critique – d'un mauvais goût souvent inspiré. On ne trouvera pas dans White Trash Napoléon de narration suivie ni d'intrigue romanesque, et pas davantage de structures élaborées: plutôt une parole qui circule à tombeau ouvert, de plain-pied avec le trop-plein de signes de la rue et de la vie sociale, dans une prose qui ne hiérarchise pas, mais qui absorbe tout, passe et revient et insiste. *Absence de hiérarchie, caractère frénétique, composite. • SAMSON, Pierre, Arabesques, Montréal, Herbes rouges, 2010, 502 p. (Roman) Une communauté soumise à des traditions étranges vit retranchée dans sa forteresse de briques, recroquevillée autour d’un escalier mystérieux, abreuvée d’histoire, nourrie de légendes et réfractaire au vide du progrès tonitruant. L’irruption d’un intrus rompu aux lois amphigouriques traçant la destinée des habitants menace la sérénité des lieux convoités par des spéculateurs. Arabesques est un texte protéiforme feignant d’épouser les contours du recueil de nouvelles, du témoignage romancé, de l’échappée historique, du suspense politique. Œuvre touffue, voire monstrueuse, composée de digressions et trouée de fuites temporelles et géographiques, elle n’offre ni solutions ni leçon ni pâmoison ni entourloupette morale. *Justification : Porosité générique, temporelle et géographique. • TREMBLAY, Jennifer, La liste, Montréal, La bagnole (Parking), 2008. (Récit) Une femme nous accueille, seule, dans sa cuisine. Sa voisine est morte. Et peut-être par la faute même de celle qui, assise inconfortablement devant nous, nous racontera son histoire. « Je n'ai pas levé la main sur elle », nous dit la femme d’entrée de jeu. Mais a-t-elle seulement levé le doigt pour lui venir en aide ? La Liste n’est rien de moins qu’une nouvelle forme de dramaturgie. Un texte qui se situe au carrefour du soliloque romanesque, du journal intime, du monologue théâtral et de la liste d’épicerie. Un théâtre qui aurait pour scène le monde. Un théâtre de la vie. Où les planches sont celles du plancher de cuisine. Et où les plus grandes tragédies naissent des événements les plus banals du quotidien. *Porosité formelle ? ==== Porosité des savoirs ==== • BOURBAKI, Alexandre, Grande plaine IV, Québec, Alto, 2008. Vérité des vérités, tout est vérité. Amateur d’embrouilles, d’imagination débridée et d’exagérations douteuses, n’ouvre pas ce livre, car tu risques d’être déçu. Tous les événements relatés ici ont été rigoureusement dessinés, documentés et contrevérifiés. Malheureux en amour, incompris par la critique, l’imprévisible Alexandre Bourbaki a fait fi des recommandations du pendule de Tryphon et s’est enfoncé à l’est, toujours plus à l’est. Il a extrait de son étrange périple la matière d’un livre plein de savoureuses considérations sur la solitude, les chaises Solair, les bandes de couleurs, la domestication des chiens, l’aménagement du territoire, une sombre histoire d’attentat artistique et le journal quasi intime de son doppelgänger. *Porosité ou simple cohabitation des savoirs ? • BOURBAKI, Alexandre, Traité de balistique, Québec, Alto, 2006. Imaginez un monde où se côtoient la radio à ondes courtes, la polka soviétique, une arme de jet aborigène, la force gravitationnelle, un monstre babylonien, Petzi, le chemin de fer, le chaos universel, Albert Einstein, les caramels mous et la roulette russe. Bienvenue dans le petit laboratoire d’Alexandre Bourbaki. En dix-neuf récits et quelques images, cet étonnant bricoleur décompose et reconstruit l’histoire de la science moderne comme un vieux grille-pain, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à un point éloigné dans le temps. Un livre qui vous fera oublier vos leçons de physique. *Porosité ou simple cohabitation des savoirs ? • CANTY, Daniel, Wigrum, roman, Chicoutimi, La Peuplade, 2011. Fin octobre 1944. Sebastian Wigrum s’éclipse de son domicile londonien. Personnage fuyant, voyageur des miroirs et des points de fuite, vivant à la frontière embrouillée de la fiction et des faits, il est une de ces figures d’exception douées du pouvoir de se dissimuler sous nos yeux. Nous savons peu de choses sur lui, sinon qu’il a été curieux du monde entier, peut-être déçu par l’amour. Son héritage, pourtant, est le nôtre : celui pour qui vivre signifia collectionner a laissé dans son sillage une centaine d’objets qui éclairent de leur lumière incertaine l’histoire de notre temps. Ce livre dresse l’inventaire doux-amer de la succession de Wigrum. Roman combinatoire, vertigineux échafaudage d’érudition et d’inconnaissance, Wigrum existe en équilibre instable entre l’univers des récits et celui où se déroule la vie des lecteurs. Ceux qui s’y risqueront véritablement n’obéiront plus qu’à ce mot d’ordre : si je peux croire à toutes les histoires qui me sont contées, vous en êtes aussi capables. *Très intéressant pour le projet. Sans doute plusieurs types de porosités. • DIVRY, Sophie, La cote 400, Montréal, Les Allusifs, 2010. Une bibliothécaire d’une cinquantaine d’années, après vingt-cinq années à faire ce métier, et en bonne partie dans la cave d’une bibliothèque de province, à ranger des livres sagement alignés dans leur rayon respectif, et qui trouve ce métier terrifiant à maîtriser cette vertigineuse production humaine, fruit de deux milles ans de civilisation. Elle qui ne s’accorde d’autre fantaisie que d’installer une plante verte pour rendre les lieux plus agréables, mais qui pulvérise dans l’explosion de son monologue théâtral l’ordre et « la toute puissance de la rationalité », incarnée par le système de classification de Dewey. Dans son sous-sol, on lui balance tout ce qui ne peut être classé : les numismates, les médailles militaires, la généalogie, la psychanalyse, l’occultisme… Et la cote 400 est vacante depuis qu’on a mis les religions avec l’histoire et ça lui donne le vertige d’imaginer quel domaine du savoir prendra cette place. Ici, les livres deviennent des êtres de chair ; les personnages de roman, des interlocuteurs avec qui partager nos expériences ; les écrivains, poussés par des envies, par des souffrances, des hommes et des femmes d’abord et avant tout. Ici, le livre est fait pour dialoguer avec son lecteur. Pas fait pour être rangé derrière une vitrine. Pas fait pour entrer dans un quelconque système. Pas fait pour rester là, muet, sans rien à donner et sans déranger personne. Au contraire. Voilà tout le décor de ce roman de Sophie Divry, monologue essoufflé, boursouflé, cinglant, explosant théâtralement, d’une femme seule parmi les livres. *Justification: juxtaposition des éléments. La bibliothèque devient un microcosmes où ont lieu des échanges entre le réel et la fiction. • PICARD, Mathieu, La foire aux organes, Montréal, Coup de tête, 2013. Simon Beecher Jr n'a vraiment de chance : son père, devenu très riche grâce à de multiples magouilles dans l'industrie pharmaceutique, n'est pas du genre à être étouffé par la morale. Une nuit Simon Jr se crashe en voiture dans le bois de Boulogne à Paris. A ses cotés, une amie qui reste sur le carreau. Jr, lui, n'est plus qu'un tas de chair, mais son cœur bat. Papa organise un juteux trafique d'organes dont son fils sera le cobaye idéal. Mathieu Picard tape dans le dur. On pense bien sur à Johnny got his gun, l'unique et magnifique film de Dalton Trumbo, mais dans ce roman rien n'est dû au hasard. *Justification : éléments de physiologie humaine ; références filmiques (Johnny got his gun de Dalton Trumbo). En lisant un extrait du roman, on constate l’éclatement, les voix narratives s’entremêlent. Apparition répétées du mot «tranfusion ». Selon le dictionnaire, ce terme se définit par le « fait de transmettre, de communiquer quelque chose d'une personne à une autre, d'une chose à une autre. » (source : http://www.cnrtl.fr/definition/transfusion) pourrait-on y voir un type de porosité? • PLAMONDON, Eric, Hongrie-Hollywood express, Montréal, Le Quartanier (Collection QR), 2011. Quand Gabriel Rivages raconte la vie de Johnny Weissmuller (1904–1984), c’est tout le patchwork américain qui s’anime, des exploits sportifs à l’underground littéraire, de la gloire cinématographique aux déclins obscurs. Burroughs vend des taille-crayons, Einstein croise un chasseur d’écureuils, on joue au golf à Cuba, JFK est devenu un aéroport, le record du monde du 100 mètres nage libre est brisé, Tarzan sauve Jane, un comptable véreux s’enfuit avec la caisse, la Seconde Guerre mondiale fait des vagues sur le lac Michigan et un mythe vivant finit placier dans un restaurant de Las Vegas. *Porosité où simple fourre-tout événementiel ? • SJÖBERG, Fredrik, Piège à mouches, Traduit du suédois par Elena Balzamo, Montréal, Les Allusifs, 2011. Le narrateur, un entomologiste commence à s’intéresser au destin d’un de ses prédécesseurs, René Malaise, inventeur du «piège à mouches», instrument efficace de collecte des mouches, passion pour laquelle il a exploré des terres lointaines et exotiques telles que le Kamchatka ou la Birmanie. La «chasse» à Malaise, nominalement le personnage principal du livre, lui donne sa trame narrative ; mais parallèlement le narrateur raconte sa propre vie : sa passion de collectionneur (d’insectes et de destins énigmatiques), son rapport à son métier – plus exactement à ses métiers : biologiste et écrivain, ses méditations sur la nature de la recherche scientifique et sur celle de la quête littéraire, sur la collecte et les collectionneurs, l’art et la science, l’espace et le temps… Ces interrogations nous apportent une nouvelle acuité sur notre propre continuité à travers le temps. Tout cela n’a rien de spéculations abstraites, il ne s’agit pas de bâtir un système ; ce sont des histoires drôles, des anecdotes, des saynètes qui constituent la matière première de cette prose – à la fois légère et profonde, multidimensionnelle et parfaitement claire, de cette pensée qui vagabonde sans jamais s’égarer. Un livre qui touche des sujets aussi divers que la philosophie, l’environnement, la science, l’art, etc. et suscite des émotions. Des rêveries – jamais de «discours» ! – d’un «promeneur solitaire», mettant en scène une foule de personnages, et dont le Piège à mouches a déjà attrapé un bel essaim de lecteurs, aussi bien en Suède qu’en Allemagne. Fredrik Sjöberg ne raconte pas seulement de petits insectes et de grandes passions, mais aussi d’étranges rencontres sur la vie, l’amour et la mort. *Insistance sur le caractère multidimensionnel, protéiforme de l’œuvre. ==== 5- Porosité virtuel/réel/ontologique ==== • CHABIN, Laurent, Écran total, Triptyque, 2006 Avec Écran total, Laurent Chabin nous présente le récit délirant d’un hurluberlu de Calgary, qui perd un peu trop son temps à regarder des âneries télévisuelles, dont ces émissions de mendicité tiers-mondiste, qui usent à bon escient de l’archet du sentimentalisme le plus primal. *Porosité entre le télévisuel et le réel. La critique a noté avec quelle finesse le narrateur-télespectateur bascule dans l’écran et s’y fond de plus en plus. • CLARK, Mary, Mémoires d’outre-web, Montréal, Hurtubise HMH, 2011. Benjamin est un adolescent qui, comme bien des jeunes de son âge, entretient une passion dévorante pour les jeux vidéo. Cette passion l’amène à penser que ce qu’il vit virtuellement se transpose parfois dans la réalité : sa vie réelle, pleine de difficultés, et son existence virtuelle, où il est un héros pour une large communauté de gamers, ne font qu’un. Quand meurt sa meilleure amie, Raph, dans des circonstances troublantes, Benjamin, à la recherche de réponses, suit ses traces et s’embarque dans un périple à travers les rues de Montréal et sa faune particulière, qui fourmille de bons et de méchants personnages. Ce parcours représentera pour lui une véritable quête, aussi trépidante, certes, mais bien plus importante que celles qu’il mène dans son univers virtuel… *Le réel et le virtuel se confondent. • DROLET, Patrick, Steve ADAMS (illustrations), Un souvenir ainsi qu’un corps solide ont plusieurs tons de noirceur, Montréal, Éditions 400 coups, 2008. À mi-chemin entre poésie et souvenirs, un homme raconte ses racines, son cheminement, sa douleur de vivre. Au cours de nuits d'insomnie, il se confronte à lui-même et rêve... éveillé. Des nuits d'art oratoire avec un cadavre, le corps solide. *Porosité rêve/éveil • HUTZULAK, Clint, Point mort, Québec, Alto, 2005. Stace, un truand de bas étage, revient en ville après un an et demi d’absence. Il a des comptes à régler, surtout avec sa femme, Lillis Rae. Avant de pouvoir mettre ses plans à exécution, il est toutefois victime d’une overdose qui le fait basculer dans l’antichambre de la mort. Ce dernier se retrouve alors dans un ancien pavillon de chasse devenu le lieu surréaliste et tragicomique où les disparus doivent mettre leurs affaires en ordre avant de trouver le repos. C’est là, dans cet espace clair-obscur où se frôlent de tout près le monde des vivants et celui des morts, qu’il devra chercher à faire la paix avec son passé. Point mort est un roman noir singulier, cru, dérangeant et étrangement beau à la fois. Un livre finement assemblé, comme un élégant casse-tête existentiel où le terre-à-terre et le sordide côtoient l’essentiel. *Porosité vie/non-vie • MEUNIER, Sylvain, La nuit des infirmières psychédéliques, Montréal, La courte échelle (Collection Adultes), 2010. Sylvain Meunier, un auteur sans histoire, s’inquiète pour son vieux père malade… Mais quand les visions du vieillard se manifestent devant lui, tous ses repères s’effondrent. La frontière entre la réalité et le rêve se brouille et l’auteur se retrouve à enquêter sur l’étrange cérémonie dont il a été témoin. Au péril de sa vie, ses recherches le guident jusqu’aux tréfonds du tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine, où se trame un complot fantastique. Mais au fond, que fait-il dans cette histoire de conspiration ? Se prend-il pour un de ses personnages ou est-ce la fiction qui s’empare de sa vie ? Plein d’humour, d’action et de tendresse, ce récit délicieusement déroutant déjoue avec justesse les limites du réel. *Porosité fiction/réel, rêve/réalité • MICHAUD, Andrée A. Mirror Lake, Montréal, Québec-Amérique, 2006. Robert Moreau ne pouvait se douter, le jour où il a débarqué à Mirror Lake, que les forces du destin s'étaient mises en branle pour transformer son rêve en cauchemar et lui faire perdre ses dernières illusions quant à la possibilité de trouver un havre de paix sur cette planète surpeuplée. N'aspirant qu'à reprendre contact avec la virginité de la nature, Moreau apprendra rapidement, avec l'aide de Bob Winslow, son voisin d'en face, que la virginité est une notion d'un autre siècle. Traversé par le thème du double, ce roman ne pouvait se passer ailleurs que sur les rives de Mirror Lake, lieu enchanteur où Robert Moreau, le narrateur de cette fable tragi-comique, n'a d'autre choix que de regarder droit dans les yeux celui qu'il est devenu, puis de voir, à travers les miroitements de l'eau claire, celui qu'il aurait pu être. *thème du double, du miroitement. Porosité identitaire ?