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fq-equipe:cipa_automne_-_autumn_2004_sous_la_direction_de_stephane_dawans

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CIPA Automne - Autumn 2004

(parties importantes copieés-colées depuis la version numérisée de la revue)

Minimalismes - Sous la direction de Stéphane Dawans

Préambule - Stéphane Dawans

Cependant, si celle-ci ne manque ni de précurseurs ni d’œuvres exemplaires ni même de manifestes, elle n’en demeure pas moins problématique : la notion même de minimalisme ne se laisse pas aisément appréhender. Des questions ne manquent pas de surgir. Ce concept permet-il de subsumer des stratégies communes d’un art à l’autre ? Comment éviter l’aporie contenue dans un programme qui soutient que moins est plus ? A partir de quel pôle définit-on le minimum : production ou récep- tion ? Quels sont ses fondements rhétoriques, poétiques et même éthiques ? …Ce sont quelques-unes des questions les plus générales auxquelles ce premier numéro d’Intervalles voudrait répondre, en comptant sur les contributions de treize spécialis- tes de la musique, de la littérature, de l’architecture et des arts plastiques. Elles ne manqueront pas d’en susciter d’autres, beaucoup plus « pointues » : Le minimalisme peut-il échapper à l’« idéologie du blanc » ? Relève-t-il du geste moderne ou postmo- derne ? Peut-il se revendiquer d’une éthique cohérente ?… Questionner les différents champs artistiques à partir de cette problématique, nous permettra d’esquisser la démarche transdisciplinaire qui définit précisément le CIPA et de mettre en lumière les difficultés que soulève un parti poétique que fonde une ambition démesurée : retrouver l’essence même de l’art. (dans le cas du minimalisme littéraire, serait-ce donc la narrativité ? à creuser) On ne s’étonnera donc pas de lire dans ce même numéro que « seul un tenace malentendu, dû aux seuls aléas de la publication, continue à ranger Jean Echenoz parmi l’école minima- liste », quand, dans un autre article, l’on s’efforce précisément de définir l’écriture minimale à partir de Un An. Nous revendiquons cette divergence de vue comme une vraie force : celle du dialogue qui fait progresser la pensée.

Pour en finir avec la poésie dite minimaliste - Jan Baetens

En prose, le minimalisme s’est imposé avec force avec le travail des « jeunes Minuit » (on songe ici à des auteurs comme Deville, Oster, Gailly, Ravey, Toussaint et quelques autres, mais pas à Echenoz, écrivain que seul un tenace malentendu, dû aux seuls aléas de la publication, continue à ranger parmi l’école minimaliste). A sui- vre l’analyse de Sémir Badir1, le minimalisme en question n’est pas « orthodoxe » : en effet, il relève moins d’une tentative de réduction systématique d’une pratique (en l’occurrence le roman) à ses composantes ultimes et essentielles (le temps, l’action, le personnage, par exemple), comme il arrive dans la plupart des courants artistiques qui obtempèrent au credo minimaliste, que d’un effort, souvent pénible et maladroit, de réinventer le récrit romanesque après l’ère du soupçon2, c’est-à-dire après la critique de plus en plus acerbe du récit, puis sa destruction pure et simple dans les vagues successives du Nouveau Roman, du Nouveau Nouveau Roman et de l’« écriture textuelle » de Tel Quel (en admettant que l’on puisse résumer de manière aussi cavalière les différentes vagues de « soupçon » qui se sont abattues sur l’édifice centenaire du roman). Si le public a rapidement suivi ce groupe d’auteurs, dont plu- sieurs se sont vite imposés comme des chefs de file de la littérature française contem- poraine, l’accueil théorique, lui, a été plus mitigé, le trait le plus embarrassant du courant minimaliste étant son impureté même : trop minimaliste pour plaire aux par- tisans de la narration traditionnelle, trop maximaliste pour donner satisfaction aux défenseurs d’une ligne plus dure.

Un An de Jean Echenoz : d’une retraite minimaliste vers un espace poétique - Sophie Deramond

Dans la littérature française contemporaine, une certaine confusion demeure : le qualificatif de « minimaliste » se trouvant appliqué tantôt à Philippe Delerm et à cer- tains de ces écrivains du quotidien que Pierre Jourde dénonce dans La Littérature sans estomac, tantôt à une nébuleuse d’écrivains aussi divers que Hervé Guibert, Annie Ernaux, Leslie Kaplan, Pierre Michon, Jean-Philippe Toussaint, Jean Echenoz, An- toine Volodine, etc6… Une autre vision plus ou moins admise par la critique et le mi- lieu universitaire7 considère le groupe plus restreint des jeunes auteurs des Editions de Minuit8 comme les seuls représentants sûrs d’une école minimaliste française. Pour Warren Motte, les signes distinctifs de l’oeuvre d’art minimaliste sont les suivants : la notion de « petit » (bref, court), et son corollaire le « moins » envisagés dans le sens d’une concentration de signifiant comme le sculpteur Carl Andre l’en- tend dans cette citation : « une plus grande économie [de moyens] pour atteindre une plus grande fin »9. Le rejet de l’art basé sur un système cosmologique de compréhen- sion de la nature, c’est à dire, dans les arts visuels, « l’opposition […] contre la pré- éminence d’une certaine peinture expressionniste caractérisée par une vision émotionnelle et subjective du monde »10 ; et une quête menée au niveau de la forme dans le but d’une expérience immédiate, par le moyen de compositions basées sur la répétition et la symétrie. Pour Fieke Schoots, il s’agit de relever les règles qui selon elle caractérisent l’écriture des jeunes écrivains de Minuit : – le jeu citationnel comme moyen de bouleverser les limites fixées entre réalité et fiction en faisant intervenir le questionnement sur l’écriture. – le retour au plaisir du récit dans l’élaboration d’oeuvres apparemment frag- mentaires, mais que des règles arbitraires rendent cependant unitaires notamment par la prédominance de structures itératives. – l’importance, au niveau diégétique, de l’espace et du circonstanciel. Au cours du colloque de Cerisy, une piste supplémentaire a été évoquée : la fréquente parenté avec le classique (époque, style, auteurs) dans certains ouvrages dits « minimalistes », et notamment chez Toussaint, Oster ou Gailly, à la fois dans les références (Pascal revient fréquemment) et dans l’esthétique qui en découle. Ce thème fut traité lors de l’intervention de Ulrich Langer dans une analyse de « l’esthétique de la gêne » appliquée aux oeuvres des auteurs pré-cités.

un parallèle avec la morale classique qui s’illustre en premier lieu par une faute ou un accident initial comme nous venons de le voir, et qui va soumettre le per- sonnage principal à une épreuve : punition, chemin de croix ou jugement et placer l’intrigue sous le signe de la disparition et de la mort. Bien entendu, modernisme et post-modernisme étant passés par là, les personnages contemporains d’Echenoz ne sont plus en proie au doute ou au remords, ce qui allège l’apparente lourdeur de ce premier postulat : résignés, ils acceptent toute épreuve et se laissent porter à la dé- rive une recherche de l’économie du style qui tend à insérer souvent le « rien de trop » une signification particulière donnée aux bâtiments, aux lieux et aux noms de lieux comme concentrés historiques, métaphoriques ou poétiques, permettant d’en dire peu en faisant voir beaucoup. Ce caractère « visuel » de l’écriture écheno- zienne étant à rapprocher des prises de position des artistes minimalistes pour qui l’espace et la vue son immédiateté. Nous espérons ainsi avoir permis l’éclaircissement de ce que l’on entend par écriture minimaliste. Chez un écrivain comme Jean Echenoz que certains considèrent comme chef de file de cette « école » (rappelons qu’aucune des personnes concernées n’en revendique l’appartenance…), et bien que ces critères soient difficilement appli- cables à toute son oeuvre, on décèle donc un rapport avec l’écriture dite classique, prenant l’aspect d’un conte moraliste parsemé de maximes, ainsi qu’une mise en forme textuelle en succession d’échos qui fournit un rythme poétique à l’espace du récit. Si ces conclusions recoupent en partie les analyses de Schoots et Motte, elles ne permettent cependant pas d’envisager toute la complexité d’une oeuvre comme celle d’Echenoz, sous le seul angle du minimalisme : l’humour, l’ironie, la mise en jeu cri- tique d’espaces contemporains comme moteurs de fiction entrent difficilement dans la généralisation d’un terme qui regroupe autant de personnalités et d’écrits singu- liers.

(côté onirique? la narration semble suivre une structure de rêve – fragments, hasard, prédominance de la vue, absurde, lumières bizarres…)

Minimalisme et musicalisme : le cas de Christian Gailly - Isabelle Dangy

Par minimalisme, nous entendrons, à la suite de Fieke Schoots2, non pas une li- gne théorique rigoureusement définie mais un ensemble un peu flottant de traits lit- téraires partagés par un certain nombre dʹécrivains contemporains : esthétique de la brièveté, ambiguïté énonciative, écriture fragmentaire, retour à la narrativité non dé- nuée dʹun regard ironique porté sur les codes romanesques, structures itératives… Ces choix formels se retrouvent tous, plus ou moins affirmés, chez Gailly. Il en va de même pour certains contenus thématiques tels que la description de la banalité, mais il est loin dʹêtre évident en revanche que lʹexhibition de la futilité, de la superficialité ou de lʹimpassibilité relevée parfois chez Redonnet, Toussaint, Echenoz ou Deville soit ici concernée. La voie littéraire empruntée par Gailly ne saurait constituer quʹun cheminement parmi dʹautres, sensiblement différents, au sein de la constellation mi- nimaliste.

« Il avait loué pour une semaine. Une vendéenne avec des volets bleus. Quʹil ouvrait chaque matin.7 » Séquence qui se pourrait tout aussi bien lire dans un contexte plus classique : il avait loué pour une semaine une vendéenne aux volets bleus quʹil ouvrait chaque matin. Le débitage en trois morceaux correspond-il à la volonté de mimer le surgissement de la pensée par saccades, de suggérer un rythme mental interne et heurté, imputable dans ce cas précis au personnage de Martin Fissel-Brandt mais généralisable, dans la mesure où lʹexpérience des autres protagonistes est, elle aussi, retranscrite par des procédés analogues ? La forme du récit tend-elle à rétablir ce « temps interne »8 que le texte semble chercher et que le personnage prête à lʹoiseau lui-même, dont nul ne peut prédire à quel moment il trouvera la force de sʹenvoler et lʹissue vers le jardin ? Ou doit-on au contraire déduire que cette fragmentation intervient a posteriori, pour émietter un texte déjà constitué, selon un protocole qui viserait à ériger la cellule mi- nimale en objet dʹart et à lʹélire en tant que vecteur privilégié de lʹéchange qui se pro- duit dans la lecture ?

Un compromis doit être trouvé par lʹécrivain, phrase après phrase, entre lʹaspi- ration à éliminer le superflu, à délester le langage écrit de ses articulations pesantes ou de ses redondances communes, et le désir ou la nécessité de demeurer intelligible. (le désir du minimal ne touche pas à l’intégrité des mots, même si la phrase subit des coupures violentes)

« Il ne dormait pas. Peu. Mal. Deux ou trois heures par nuit.11 » Ou, plus exactement, puisque ni le narrateur ni ses person- nages ne parviennent du premier coup à une formulation satisfaisante, puisquʹil leur faut des essais, des retouches, le texte prend en charge ce tâtonnement et, loin de le dissimuler, le transforme en projet esthétique. Chacun des mots ou groupes de mot apparaît sur la scène, sʹy attarde, entre deux signes de ponctuation, à la manière dʹun instrument quʹon accorde jusquʹà ce quʹenfin résonne la note juste, ou du moins sa meilleure approximation.

En ce passage le procédé énumératif sert un lyrisme étouffé suggérant la para- lysie, la peur, lʹabandon, la mort. Ailleurs la crainte de brutaliser, de violenter, de tuer, sourd des interstices du texte, mêlée à la description dʹune angoisse liée à lʹim- possibilité de se faire comprendre, à la solitude, au retour de pensées obsédantes qui imposent à la fois leur nécessité et leur déroulement sans issue. Sujets brûlants qui révèlent bien la coexistence chez Gailly dʹune écriture de lʹinfime et dʹune passion de la démesure. Cʹest pourquoi lʹembrigader sous la bannière du minimalisme ne sau- rait avoir de sens que si lʹon inclut dans le réseau de significations associé à ce terme la quête dʹune expression de lʹextrême.

fq-equipe/cipa_automne_-_autumn_2004_sous_la_direction_de_stephane_dawans.1251843681.txt.gz · Dernière modification : 2018/02/15 13:56 (modification externe)

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