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CHRONIQUES DE VOIX ET IMAGES - RAPPORT DE RECHERCHE

Par Manon Auger - 13 novembre 2016

I- REMARQUES GÉNÉRALES

L’ensemble du dossier se trouve ici : http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:voix_et_images

D’un point de vue historique et formel, les chroniques trouvent véritablement leur forme (c’est-à-dire celle qu’elles ont toujours aujourd’hui) durant la période 1987-1992. Plus précisément : avant que Pierre Hébert ne devienne chroniqueur officiel en 1987 , plusieurs personnes se partageaient la tâche et les chroniques pouvaient être courtes ou longues, se consacrer à plusieurs œuvres ou à une seule, etc. – on retrouvait également des chroniques art ou cinéma qui ont peu à peu disparus. D’autres chroniques plus ponctuelles (« la revue des revues » par exemple) ont par la suite fait leur apparition pour quelques numéros mais sans perdurer.

Les principaux chroniqueurs (pour lesquels il y a une fiche) sont :

  • • Jacques Michon et al. (1982-1987) – 11 chroniqueurs
  • • Pierre Hébert (1986-1992)
  • • JF Chassay, Michel Biron et Lucie Lequin (1992-1998) – 3 chroniqueurs écrivant tour à tour.
  • • Michel Biron (1998-2008)
  • • Frances Fortier (2003-2008)
  • • Martine-Emmanuelle Lapointe (2007-2014)
  • • Pascal Riendeau (2009-2015)

II- COMMENTAIRES MÉTACRITIQUES :

1) Remarque générale au sujet des chroniques et chroniqueurs à Voix et Images (mais sans doute ailleurs aussi)

Être chroniqueur de l’actualité littéraire est certainement une activité à la fois facile et périlleuse : facile, puisque l’objet de la chronique atterri tous les mois sur le bureau et que l’on parle d’œuvres toutes nouvelles, quasi vierges de regards, ce qui laisse une large part à notre subjectivité de lecteur. Périlleuse, parce qu’ordonner le flot des parutions pour lui donner une forme de cohérence relève d’un jeu d’équilibre qui demande une solide connaissance, et de la littérature qui se fait, et de la littérature antérieure dans le sillon de laquelle elle se positionne, tout autant que de l’œuvre de l’écrivain dont on parle.

Ainsi, un chroniqueur peut présenter, au sein d’une même chronique, plusieurs œuvres tombées au hasard des publications en s’efforçant de trouver des liens entre elles, ne serait-ce que pour donner une unité à sa chronique. Il peut aussi, si une œuvre semble se détacher du lot, s’attarder uniquement à celle-ci, l’analyser en profondeur. S’il a de la chance, il peut finalement méditer à partir de plusieurs œuvres parues récemment et tenter de tracer une cohérence que lui seul, par son expérience et par l’exercice de proximité auquel il s’astreint périodiquement, est capable de faire ressortir. On n’échappe toutefois pas toujours à l’incohérence des parutions et le chroniqueur l’avoue souvent :

  • « On chercherait en vain des points communs entre les trois textes dont il sera question dans cette chronique » (Chassay, 61 – automne 1995, p. 172)
  • « Tout compte fait, seule cette chronique rassemble ces trois ouvrages qui autrement s’opposent, tant par la forme, le style que l’imaginaire. » (Riendeau, 2009#102 : 134)
  • Biron pose une hypothèse quant à la variété des œuvres : « Mais ce qui caractérise surtout ces premiers romans, c’est de n’avoir guère de caractéristiques communes, ni par l’écriture, ni par les thèmes, ni par les références géographiques, sociales ou littéraires. Chaque texte crée son monde, souvent à partir d’une expérience personnelle, donc irréductible à des racines collectives. C’est peut-être un trait de notre époque que d’aborder les choses par le petit bout de la lorgnette, comme si toute perspective générale, tout regard en surplomb, toute ambition totalisante étaient forcément suspects et réducteurs. (2004 #87 : p. 153)

2) Michel Biron et Martine-Emmanuelle Lapointe

Au fil de ma recherche, j’ai réalisé à quel point les chroniques sont en fait le reflet très exact des chroniqueurs… Ce qui les passionne, ce qui les anime, leurs intérêts de recherche ressortent chaque fois de façon explicite et teintent, en un certain sens, leur appréciation de la littérature contemporaine, tout comme les commentaires et traits saillants qu’ils feront ressortir. Certains, comme Pierre Hébert, Frances Fortier ou Pascal Riendeau, sont plus formalistes et analytique, se restreignant aux commentaires d’œuvres, d’autres comme Biron et Lapointe sont plus essayistique et vont placer leurs chroniques sous la lumière de problématiques qui les animent (les récits de filiation, les questions d’engagement chez ME Lapointe, par exemple) en tentant de réfléchir aux enjeux de la littérature contemporaine.

C’est pourquoi ces deux chroniqueurs se démarquent dans la perspective de cette recherche. En effet, par rapport à ses prédécesseurs (mais aussi ceux qui vont venir après, sauf MEL), Biron non seulement emploie le terme « contemporain » pour parler de la production qu’il commente, mais ses chroniques sont aussi plus denses, plus étoffées et plus analytiques que toutes celles des chroniqueurs précédents.

a) Posture critique de Michel Biron

Dans ses premières chroniques, Biron va commencer par l’œuvre qu’il juge la plus forte (sans le dire explicitement) ou la plus intéressante puis, pour la lier à la suite, il propose des hypothèses plus générales sur le roman contemporain. Ses réflexions sur la littérature actuelle vont ainsi d’abord se disséminer dans la chronique. Au fil des chroniques, toutefois, sa parole va prendre l’envergure d’une véritable « chronique du roman québécois contemporain », voire d’un essai plus général tentant de cerner « ce qui se passe », « ce qui se fait ». D’abord porté par les grands poncifs du discours sur le contemporain (éclectisme, pauvreté de la production, roman en perte de vitesse, etc.), il n’en présentera pas moins des œuvres et des courants qu’ils jugent fortes et forts. Ainsi, quelque part au début des années 2000, on sent qu’il se passe quelque chose dans la production romanesque, que les œuvres acquièrent, sinon une certaine maturité, du moins une certaine légitimité aux yeux du chroniqueur qui va souligner beaucoup de « voix fortes » et beaucoup de « tendances » du roman actuel (voir fiche pour plus de précisions).

b) Posture critique de Martine-Emmanuelle Lapointe

Martine-Emmanuelle Lapointe juge les œuvres qu’elle commente à l’aune d’une connaissance soutenue de la littérature contemporaine (ce qu’on peut aisément lui accorder), ce qui la conduit parfois à des formules typiques qui servent à la fois à qualifier les œuvres et à expliquer par la négative les particularités du contemporain. (par exemple : elle qualifie la prose de Louis Gauthier d’« austère et dépouillée, qualités plutôt rares dans la littérature contemporaine » ; 2011 #109 : p.138, je souligne.) Autrement dit, Martine-Emmanuelle Lapointe connaît la littérature contemporaine et situe naturellement les œuvres dont elle parle dans ce contexte. Parallèlement, Pascal Riendeau, qui tient aussi des chroniques roman à la même période, va plutôt situer les œuvres dont il parle dans le cheminement esthétique des auteurs sans évoquer « le contemporain ».

3) La décennie 80 et les autres…

En ce qui concerne l’hypothèse voulant qu’il puisse y avoir une forme de « tournant » avec les années 90 (qui les distingueraient des années 80 et mettraient en place de nouvelles esthétiques, quelque chose de plus typiquement « contemporain »), je relèverai le fait que les chroniqueurs de la décennie 80 soulignent surtout des traits que nous associons toujours aux années 80 et à une certaine mouvance contemporaine :

  • • Intérêt prégnant pour le genre de la nouvelle
  • • Apparition des best-sellers – romans populaires
  • • Individualisation (des thèmes et des personnages); personnages en crise (sorte de poétique du « décrochage », de la haine de son propre embourgeoisement et de la désillusion- sentiment de dépossession)
  • • Retour au récit – et fin du formalisme
  • • Désengagement des écrivains et professionnalisation
  • • Renouveau populaire du roman historique
  • • Arrivée d’une certaine relève (Hamelin, Soucy, entre autres)
  • • Les questions de l’ailleurs – Chassay aborde la question « transculturelle » (1993#53)

Par la suite, toutefois, ce consensus est beaucoup plus ténu, et il faudra attendre Martine-Emmanuelle Lapointe (soit la période 2007-2014) pour que les discours généraux sur le contemporain soient à nouveau évoqués. Bien sûr, ce ne sera plus tout à fait les mêmes. Lapointe parlera, par exemple :

  • • Du syndrome ou de l’imaginaire de la fin (2008 #98)
  • • D’un épuisement contemporain : « Si l’on a souvent dit de la littérature contemporaine qu’elle s’écrivait sous le signe de la lassitude et de l’épuisement, témoin de cette fameuse ère du vide dont on ne cesse d’évoquer les ravages… » (2008 #99 : p. 116)
  • • Du thème de la filiation : « Tropisme d’époque sans doute… Méditant sur son histoire intime, le personnage du roman contemporain n’en finit plus de retracer ses origines et de recomposer sa généalogie familiale, comme s’il lui fallait tenter de s’enraciner quelque part. Mais le sol se dérobe, l’arbre généalogique se défait et l’histoire ne cesse d’échapper à celui qui espérait en rapailler les épisodes épars. » (2010 #104, p. 120)

Quant à Biron, il évoque lui aussi certains poncifs, même si, je crois, il assure une forme de transition entre les années 80 et les années 2000, un peu comme s’il était le seul à réfléchir de manière générale à la question à l’époque (ce qui n’est pas faux). Quelques exemples :

  • • « Pas de «grantécrivain», pas de conflit de génération, pas de Père à tuer : le romancier d'aujourd'hui ne connaît d'autre école du roman que l'École elle-même, où il a étudié la création littéraire, où il enseigne peut-être la création littéraire. » – 2000#75 : p. 583)
  • • Évoque les écritures migrantes dans le même article

Par ailleurs, certains thèmes (comme celui de la filiation) que l’on voit apparaître dans le discours critique des années 2000 sont présents chez Biron :

  • • « Comment écrire si l'on n'écrit pas contre son père ou ses maîtres? Comment l'écrivain peut-il identifier ses loyaux adversaires si le mot d'ordre de la littérature contemporaine est l'éclectisme ? Le roman contemporain porte, lui aussi, la marque de cette thématique obligée. Bien qu'on le présente généralement comme trop diversifié pour être catégorisable, le roman des dix ou vingt dernières années ne cesse de raconter les mêmes histoires de filiation. » (2006#81 : p. 566)
  • • Intérêt pour les personnages « minuscules » plutôt que pour les grandes fresques romanesques : « L’écrivain contemporain aime les « vies minuscules » (Pierre Michon) plus que les vies de héros. Il s’intéresse à cette part de l’humain qui traîne à nos pieds sans qu’on s’en rende compte. » - ces romans relèveraient plutôt de l’ordre du poème plutôt que du romanesque (2003 #84 : 151).

4) Remarques plus ponctuelles sur la littérature contemporaine (toutes périodes confondues) :

  • • Apparition de la figure du professeur-écrivain (avant c’était plutôt le journaliste) (Vanasse); puis d’autodidacte à professeur « l’écrivain académique » (Michon) – qui sont des personnages désabusés, entre autres parce qu’ils ont une culture légitime mais qui se révèle vide.
  • • Apparition des romans du voyage (Michon)
  • • Dans son article « Mourir. En attendant, dire ‘Bof’… » , Pierre Hébert présente des romans sur la mort et propose une nouvelle catégorie de roman qu’il appelle les « romans-bof », du titre Bof génération de Jean-Yves Dupuis. La note de passage de François Gravel, Encore une partie pour Berri de Pauline Harvey et Loft story de Jean-Robert Sanfaçon sont d’autres exemples. Il explique : « Le héros-type de ce genre de roman est bien sûr désabusé, cynique, délibérément sans idées. Son ennemi numéro un: l'idéologie, qui n'existe que pour servir celui qui prétend s'en servir. Fils ou filles d'Hervé Jodoin? Pas tout à fait, car une nouvelle caractéristique les distingue: ces personnages sont jeunes, la plupart du temps. » (1988 #38 : p. 343) MA : La question que je pose : peut-on lier ce phénomène aux impassibles de Minuit ?
  • • Biron voit s’opérer une transformation du roman qui, plutôt que de toujours « raconter », vient plutôt « témoigner », ce qui réduit le romanesque (1999#72).
  • • Biron propose l’expression « Symbolisme soft » pour décrire des univers romanesque minimaliste, surtout symbolique, axés sur l’expérience intérieure du monde (2003 #83).
  • • Sur la question de l’engagement contemporain, Martine-Emmanuelle Lapointe en vient à proposer l’hypothèse suivante : « On ne témoigne que de soi, qu’à partir de soi, semblent soutenir plusieurs des fictions de Printemps spécial. Aurions-nous sans le savoir inversé la logique de la parole engagée des auteurs de 1965 qui écrivaient en chœur, en résonance avec les discours sociaux de leur époque, pour reprendre l’idée de Michel Biron ? Au sein d’une foule constituée d’individus aux allégeances aussi nombreuses que diverses, le sujet vivrait une transfiguration. Son lyrisme personnel trahirait ainsi le type de rapport qu’entretiennent certains des auteurs — et leurs personnages — avec le politique : leurs discours n’est pas celui d’un « JE collectif » au sens où l’entendait Paul Chamberland en 1965, mais plutôt celui d’un NOUS atrophié ou d’un JE hyperbolique qui ne parviendrait jamais réellement à faire abstraction de son individualité, de sa singularité, de son appartenance à divers sous-groupes. Loin de moi l’intention de condamner cette conception des rapports entre l’individu et le collectif. Le « JE collectif », ne l’oublions pas, n’a fait qu’un temps, et n’a pas toujours donné lieu à des textes littéraires achevés. Il importe néanmoins de marquer l’écart entre le modèle de l’engagement littéraire hérité de la Révolution tranquille et ses avatars contemporains. L’unité du discours, de la parole, qui a toujours été une sorte de leurre commode, et parfois bon enfant, avouons-le, ne peut désormais constituer l’horizon de la pensée politique. » (2014 #116, p. 141)

5) Autres remarques

• En 1987, Pierre Hébert parle de l’aspect éclectique du roman québécois actuel comme d’un lieu commun de la critique : « L’aspect diversifié, éclaté du roman québécois actuel a été suffisamment mis en relief pour qu’un lecteur tant soit peu avisé évite de réduire les textes à deux ou trois tendances présumément dominantes. » (1987 #37 : p. 192)

• Conceptions de la littérature : pointe parfois, en filigrane, les goûts de chacun des chroniqueurs, leur définition du roman idéal, leurs conceptions de la littérature. J’ai mis ces remarques dans « valeurs défendues ».

• POROSITÉ : Dans une chronique consacrée à l’imaginaire de l’Amérique chez Catherine Mavrikakis, ME Lapointe présente son esthétique comme une esthétique de la porosité (le terme est de moi, bien sûr), au sens où nous l’entendons : « Catherine Mavrikakis aime s’approprier les œuvres d’autrui, jouer des contrastes entre cultures populaire et savante, entre réalisme et fantastique, entre tragédie et farce. Sa mémoire est polymorphe ; ses œuvres se construisent à la manière de palimpsestes, voire d’agrégats, elles laissent affleurer des trames anciennes, elles sont bricolées avec des matériaux disjoints qui en viennent néanmoins à constituer des ensembles cohérents. » (2014 #118 : p. 174)

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