Table des matières

CHRONIQUES DE VOIX ET IMAGES - RAPPORT DE RECHERCHE

Par Manon Auger - 13 novembre 2016

I- REMARQUES GÉNÉRALES

L’ensemble du dossier se trouve ici : http://contemporain.info/wiki2/doku.php/fq-equipe:voix_et_images

D’un point de vue historique et formel, les chroniques trouvent véritablement leur forme (c’est-à-dire celle qu’elles ont toujours aujourd’hui) durant la période 1987-1992. Plus précisément : avant que Pierre Hébert ne devienne chroniqueur officiel en 1987 , plusieurs personnes se partageaient la tâche et les chroniques pouvaient être courtes ou longues, se consacrer à plusieurs œuvres ou à une seule, etc. – on retrouvait également des chroniques art ou cinéma qui ont peu à peu disparus. D’autres chroniques plus ponctuelles (« la revue des revues » par exemple) ont par la suite fait leur apparition pour quelques numéros mais sans perdurer.

Les principaux chroniqueurs (pour lesquels il y a une fiche) sont :

II- COMMENTAIRES MÉTACRITIQUES :

1) Remarque générale au sujet des chroniques et chroniqueurs à Voix et Images (mais sans doute ailleurs aussi)

Être chroniqueur de l’actualité littéraire est certainement une activité à la fois facile et périlleuse : facile, puisque l’objet de la chronique atterri tous les mois sur le bureau et que l’on parle d’œuvres toutes nouvelles, quasi vierges de regards, ce qui laisse une large part à notre subjectivité de lecteur. Périlleuse, parce qu’ordonner le flot des parutions pour lui donner une forme de cohérence relève d’un jeu d’équilibre qui demande une solide connaissance, et de la littérature qui se fait, et de la littérature antérieure dans le sillon de laquelle elle se positionne, tout autant que de l’œuvre de l’écrivain dont on parle.

Ainsi, un chroniqueur peut présenter, au sein d’une même chronique, plusieurs œuvres tombées au hasard des publications en s’efforçant de trouver des liens entre elles, ne serait-ce que pour donner une unité à sa chronique. Il peut aussi, si une œuvre semble se détacher du lot, s’attarder uniquement à celle-ci, l’analyser en profondeur. S’il a de la chance, il peut finalement méditer à partir de plusieurs œuvres parues récemment et tenter de tracer une cohérence que lui seul, par son expérience et par l’exercice de proximité auquel il s’astreint périodiquement, est capable de faire ressortir. On n’échappe toutefois pas toujours à l’incohérence des parutions et le chroniqueur l’avoue souvent :

2) Michel Biron et Martine-Emmanuelle Lapointe

Au fil de ma recherche, j’ai réalisé à quel point les chroniques sont en fait le reflet très exact des chroniqueurs… Ce qui les passionne, ce qui les anime, leurs intérêts de recherche ressortent chaque fois de façon explicite et teintent, en un certain sens, leur appréciation de la littérature contemporaine, tout comme les commentaires et traits saillants qu’ils feront ressortir. Certains, comme Pierre Hébert, Frances Fortier ou Pascal Riendeau, sont plus formalistes et analytique, se restreignant aux commentaires d’œuvres, d’autres comme Biron et Lapointe sont plus essayistique et vont placer leurs chroniques sous la lumière de problématiques qui les animent (les récits de filiation, les questions d’engagement chez ME Lapointe, par exemple) en tentant de réfléchir aux enjeux de la littérature contemporaine.

C’est pourquoi ces deux chroniqueurs se démarquent dans la perspective de cette recherche. En effet, par rapport à ses prédécesseurs (mais aussi ceux qui vont venir après, sauf MEL), Biron non seulement emploie le terme « contemporain » pour parler de la production qu’il commente, mais ses chroniques sont aussi plus denses, plus étoffées et plus analytiques que toutes celles des chroniqueurs précédents.

a) Posture critique de Michel Biron

Dans ses premières chroniques, Biron va commencer par l’œuvre qu’il juge la plus forte (sans le dire explicitement) ou la plus intéressante puis, pour la lier à la suite, il propose des hypothèses plus générales sur le roman contemporain. Ses réflexions sur la littérature actuelle vont ainsi d’abord se disséminer dans la chronique. Au fil des chroniques, toutefois, sa parole va prendre l’envergure d’une véritable « chronique du roman québécois contemporain », voire d’un essai plus général tentant de cerner « ce qui se passe », « ce qui se fait ». D’abord porté par les grands poncifs du discours sur le contemporain (éclectisme, pauvreté de la production, roman en perte de vitesse, etc.), il n’en présentera pas moins des œuvres et des courants qu’ils jugent fortes et forts. Ainsi, quelque part au début des années 2000, on sent qu’il se passe quelque chose dans la production romanesque, que les œuvres acquièrent, sinon une certaine maturité, du moins une certaine légitimité aux yeux du chroniqueur qui va souligner beaucoup de « voix fortes » et beaucoup de « tendances » du roman actuel (voir fiche pour plus de précisions).

b) Posture critique de Martine-Emmanuelle Lapointe

Martine-Emmanuelle Lapointe juge les œuvres qu’elle commente à l’aune d’une connaissance soutenue de la littérature contemporaine (ce qu’on peut aisément lui accorder), ce qui la conduit parfois à des formules typiques qui servent à la fois à qualifier les œuvres et à expliquer par la négative les particularités du contemporain. (par exemple : elle qualifie la prose de Louis Gauthier d’« austère et dépouillée, qualités plutôt rares dans la littérature contemporaine » ; 2011 #109 : p.138, je souligne.) Autrement dit, Martine-Emmanuelle Lapointe connaît la littérature contemporaine et situe naturellement les œuvres dont elle parle dans ce contexte. Parallèlement, Pascal Riendeau, qui tient aussi des chroniques roman à la même période, va plutôt situer les œuvres dont il parle dans le cheminement esthétique des auteurs sans évoquer « le contemporain ».

3) La décennie 80 et les autres…

En ce qui concerne l’hypothèse voulant qu’il puisse y avoir une forme de « tournant » avec les années 90 (qui les distingueraient des années 80 et mettraient en place de nouvelles esthétiques, quelque chose de plus typiquement « contemporain »), je relèverai le fait que les chroniqueurs de la décennie 80 soulignent surtout des traits que nous associons toujours aux années 80 et à une certaine mouvance contemporaine :

Par la suite, toutefois, ce consensus est beaucoup plus ténu, et il faudra attendre Martine-Emmanuelle Lapointe (soit la période 2007-2014) pour que les discours généraux sur le contemporain soient à nouveau évoqués. Bien sûr, ce ne sera plus tout à fait les mêmes. Lapointe parlera, par exemple :

Quant à Biron, il évoque lui aussi certains poncifs, même si, je crois, il assure une forme de transition entre les années 80 et les années 2000, un peu comme s’il était le seul à réfléchir de manière générale à la question à l’époque (ce qui n’est pas faux). Quelques exemples :

Par ailleurs, certains thèmes (comme celui de la filiation) que l’on voit apparaître dans le discours critique des années 2000 sont présents chez Biron :

4) Remarques plus ponctuelles sur la littérature contemporaine (toutes périodes confondues) :

5) Autres remarques

• En 1987, Pierre Hébert parle de l’aspect éclectique du roman québécois actuel comme d’un lieu commun de la critique : « L’aspect diversifié, éclaté du roman québécois actuel a été suffisamment mis en relief pour qu’un lecteur tant soit peu avisé évite de réduire les textes à deux ou trois tendances présumément dominantes. » (1987 #37 : p. 192)

• Conceptions de la littérature : pointe parfois, en filigrane, les goûts de chacun des chroniqueurs, leur définition du roman idéal, leurs conceptions de la littérature. J’ai mis ces remarques dans « valeurs défendues ».

• POROSITÉ : Dans une chronique consacrée à l’imaginaire de l’Amérique chez Catherine Mavrikakis, ME Lapointe présente son esthétique comme une esthétique de la porosité (le terme est de moi, bien sûr), au sens où nous l’entendons : « Catherine Mavrikakis aime s’approprier les œuvres d’autrui, jouer des contrastes entre cultures populaire et savante, entre réalisme et fantastique, entre tragédie et farce. Sa mémoire est polymorphe ; ses œuvres se construisent à la manière de palimpsestes, voire d’agrégats, elles laissent affleurer des trames anciennes, elles sont bricolées avec des matériaux disjoints qui en viennent néanmoins à constituer des ensembles cohérents. » (2014 #118 : p. 174)