FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Raymond Jean Titre : La dernière nuit d’André Chénier Lieu : Paris Édition : Albin Michel Collection : L’Homme et l’événement » Année : 1989 Pages : 220p. Cote : UQAM : PQ1965J43 Désignation générique : aucune
Bibliographie de l’auteur : Plusieurs romans et récits, dont les Ruines de New York (1959), l’Or et la soie (1883), la Lectrice (1986). Plusieurs essais, dont la Littérature et le réel (1965), Pratique de la littérature (1978), le Poétique du désir (1975).
Biographé : André Chénier
Quatrième de couverture : André Chénier a été taxé de contre-révolutionnaire autant par les exécutants de la Terreur (qui l’ont guillotiné) que par les manuels scolaires d’histoire littéraire. En fait, ce serait un « Homme de nuance et de passion », un « écrivain politique dont on ne peut nier la lucidité ». Avec Raymond Jean, qui redonne à Chénier l’importance qui lui est due, nous revivons la dernière nuit du poète.
Préface : Avant-propos : Jean s’appuie sur une thèse pour sa biographie : André Chénier n’était pas le contre-révolutionnaire qu’on a fait de lui, mais bien « un des esprit de son temps les plus lucides et les plus courageux quand à la perception des risques de dégénérescence bureaucratique et policière que court toute révolution. » (p.7) Sans s’opposer à la Révolution, il n’a cessé d’appeler à la prudence et au respect des lois. Or on l’a guillotiné deux fois : une fois en lui coupant littéralement la tête, et une autre fois en gardant, dans les manuels d’histoire, l’image d’un simple contre-révolutionnaire qu’il n’était même pas. « C’est pourquoi j’ai choisi d’écrire sur ses derniers jours et, plus exactement encore, sur sa dernière nuit, comme si se résumait dans l’angoisse, le rêve, le souvenir, la fiction peut-être, le tout d’une double aventure poétique et politique, tragiquement conclue. » (p.8) Jean explique ensuite comment on a occulté (et on occulte encore) les questions soulevées par Chénier et qu’il est temps, deux siècles après sa mort, d’apprendre de sa réflexion. L’auteur insiste pour dire qu’il s’agit d’abord ici d’« une relation de faits, un récit. Mais il est tout de même un terrain sur lequel j’ai un certain plaisir à défendre André Chénier dans le cadre d’une compétence un peu précise : c’est celui de la poésie. » (p.12) (Le terme « défendre » fait penser au biographe-avocat que l’on retrouve, par exemple, chez Barnes, dans le Perroquet de Flaubert) Selon Jean, on a aussi sous-estimé la valeur des écrits poétiques de Chénier (de cela, cependant, il n’a pas réussi à me convaincre : les extraits qu’il cite, quoi qu’il en dise, me paraissent plutôt mièvres et bucoliques). Jean dit plus loin qu’il y a « un drame Chénier » : d’abord parce qu’il s’agit d’un modéré qui s’est fait tranché la tête à cause de cette sagacité; mais aussi parce qu’il y a « une “théâtralité” des derniers jours d’André Chénier. » (p.15) Jean termine son avant-propos en disant que son ouvrage s’appuie sur des « documents précis », même si ces documents sont agencés en un récit « à plusieurs tons, à plusieurs voix. » (p.17)
Rabats : aucun
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Le narrateur, qui use de quelques « je », semble bien être l’auteur, Raymond Jean. Cela est encore plus évident dans l’avant-propos, ou le narrateur-auteur explique comment il a découvert Chénier et comment il admire quand même la Révolution.
Narrateur/personnage : Le narrateur est omniscient, hétérodiégétique.
Biographe/biographé : Il s’agit un peu d’une relation avocat/client. Jean entend défendre l’honneur politique et poétique de Chénier. Il veut l’introniser, redorer son blason. Une chose est sûre : Jean admire Chénier.
Autres relations :
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : « Passy, la nuit. Le 17 ventôse an II (7 mars 1794). » (p.19) André Chénier se fait arrêter et subit un interrogatoire malhonnête par l’agent Guénot. « On peut imaginer André Chénier dans sa cellule, peut-être sa chambre, de Saint-Lazare, se remémorant sa vie. » (p.31) Ainsi, Jean relate, par l’entremise de la mémoire de Chénier, la vie de ce dernier, de son enfance à Constantinople jusqu’à Paris; de sa formation classique au Collège de Navarre; de sa formation amoureuse (lui qui a beaucoup joui des femmes). Il se souvient aussi de son séjour en Angleterre, de ses premiers poèmes, etc. Jean analyse aussi la poésie de Chénier, voulant redorer son blason. Puis il décortique son activité politique, fort importante. Chénier, en résumé, adoptait une position modérée face à la Révolution et exprimait ses idées dans des articles polémiques. Ensuite, le biographe raconte la vie de Chénier en prison et son attitude d’alors, solitaire et mélancolique. Puis vient la dernière nuit de Chénier, au temps présent, où le poète fait un peu le bilan de sa vie et de son œuvre, avant d’être guillotiné haut et court. En annexe, Jean transcrit des parties de Stello, de Vigny, et insère quelques courtes analyses. Ce chapitre se nomme « un éclairage romantique des derniers jours d’André Chénier » et constitue « un supplément fictionnel » (p.189) Les passages transcrits racontent comment le père Chénier tente, auprès d’un médecin et de Robespierre lui-même, de faire gracier son fils, sans succès bien sûr.
Ancrage référentiel : Comme le dit Jean dans son avant-propos, cette biographie s’appuie sur des « documents précis ». Soucieux de cette documentation, Jean va même jusqu’à dévoiler toutes ses sources, chapitre par chapitre, à la toute fin du volume. Ce dispositif paratextuel montre bien l’importance qu’accorde Jean à l’ancrage référentiel. Bien entendu, Jean sait que si le lecteur croit qu’il s’agit d’une fiction, il peut bien ne pas croire que Chénier était cet être moral, modéré et génial que « décrit » Jean.
Indices de fiction : Mais Jean dit à deux reprises, dans son avant-propos, qu’il s’agit ici d’un « récit ». Pas une fiction; un récit, c’est-à-dire une organisation (on une transposition) des événements en actions, des faits en éléments narratifs. Ce n’est qu’en annexe qu’il condescende à la fiction, non sans quelque pudeur : « Encore que la fiction, j’en suis bien conscient, ne soit pas tout à fait de mise, ne soit pas « décente », même, pour tout dire, dans une étude qui s’appuie sur des textes, des écrits et des documents historiques. » (p.189) Malgré ce qu’il en dit, l’aspect narratif de sa biographie amène Jean à créer, à inventer, à imaginer un peu. La narration est omnisciente et les pensée et les désirs de Chénier sont imaginés : « André a envie de ne plus entendre, de ne plus regarder. Se jeter sur le lit, peut-être, s’enfouir dans les misérables couvertures, écraser l’oreiller sur sa tête. » (p.168)
Rapports vie-œuvre : L’œuvre est souvent utilisée pour montrer l’état d’esprit de Chénier face à la vie, pour « connaître ses pensées ». Les poèmes d’amour (l’essentiel de la production poétique de Chénier) sont attribués à des rencontres féminines : tel poème a été écrit pour telle femme ou d’après telle femme et montre bien comment il était fasciné ou envoûté par elle; tel poème a été écrit avant de mourir et montre bien l’état d’esprit du poète face à sa mort prochaine et certaine, etc. Par ailleurs, il somme le lecteur de ne pas confondre la vie et l’œuvre, la première pouvant être très dure alors que la seconde n’est toujours bien que des mots. Ce serait maladroit, dit-il, de « retenir à la charge du poète une violence verbale et “fictionnelle”, alors qu’il en subissait , lui, une parfaitement réelle, historique et physique, devant le conduire jusqu’à la mort. Il y a des confusions qu’il ne faut pas faire. (p.163)
Thématisation de l’écriture et de la lecture : Jean nous présente un homme qui éatit un véritable écrivain (au sens moderne du terme) à la fois poète et polémiste. Chénier était reconnu pour sa poésie comme pour ses articles d’ordre politique. Il méprisait ceux qu’il appelait les « écrivains » (l’équivalent, dit Jean, des « écrivants » de Barthes) et qui faisaient de la propagande, qui rédigeaient des canulars, qui écrivaient n’importe quoi dans les journaux et ailleurs, etc.
Thématisation de la biographie : Jean ne parle à peu près pas de la biographie. Mais implicitement, il semble avoir une certaine vision de la biographie, laquelle doit être très documentée et narrativisée à la fois. Par ailleurs, à un endroit il parle d’une étrange forme de biographie fictive : l’acte d’accusation de Chénier, qui décrit de fausses activités, de faux épisodes de la vie du poète. « Le roman. La fiction. » (p.174), écrit Jean à ce propos. Aussi, en annexe, Jean introduit le texte de Vigny en disant qu’il s’agit d’une véritable biographie fictive d’écrivain. D’abord, il dit que c’est un « Témoignage de poète sur un poète ». Puis il ajoute ceci : « Dans le cas de l’affaire Chénier, Stello fait entendre une voix qui nous apporte le message d’une reconstitution historique composée comme un rêve de l’imaginaire. J’ai déjà dit que ce message était un témoignage. Une certaine manière d’éclairer les choses en les supposant. Écoutons-le. » (p.190)
Topoï : La dernière nuit de… (effet de série parent des « Derniers jours de…), le poétique et le politique, le procès (l’accusation et la défense biographique), la Révolution, l’arrestation, la nostalgie, la prison, le bilan, la rétrospection, l’écrivain et l’écrivant.
Hybridation : Roman : pour la narration omnisciente et la construction du récit, cette biographie emprunte au roman. Chronique : le souci de la documentation montre que Jean veut avant tout raconter l’histoire vraie d’André Chénier. Plaidoyer : Jean tient un discours qui vise à défendre Chénier, accusé d’être un simple contre-révolutionnaire et un mauvais poète. Critique : dans le chapitre « Poésie », Jean développe une critique admirative de l’œuvre de Chénier. Il fait un peu de même avec l’œuvre de Vigny qu’il transcrit en partie en annexe : il insère de courtes critiques. Essai : dans l’ensemble, Jean veut surtout prouver cette thèse, en convaincre son lecteur : Chénier était un poète génial, un penseur lucide et un « politicien » modéré.
Différenciation :
Transposition : Cf. « Indices de fiction »
Autres remarques : Cette biographie peut être utile pour étudier les effets de série. Je pense aux séries « La dernière nuit de… » et « Plaidoyer ».
LA LECTURE
Pacte de lecture : La thèse annoncée dans l’avant-propos est en effet appuyée par des arguments d’ordres logique et factuel tout au long de la biographie.
Attitude de lecture : Lecture à la fois agréable, instructive, et agacée par la visée conative du texte.
Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage