===== FICHE DE LECTURE COLLECTION « L'UN ET L'AUTRE » ===== === INFORMATIONS PARATEXTUELLES === Auteur : Gisèle Bienne Titre : La Ferme de Navarin Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : « L'un et l'autre » Année : 2008 Pages : 129 Cote : BANQ, niveau 3, 928. 41 C395b 2007 Désignation générique : Aucune Préface : Aucune. Rabats : Deux. Dans le premier, où un extrait de La Ferme... est présenté (2008 : 37), il est question de la quête mémorielle menée à l'arrivée de l'auteur à destination de la ferme de Navarin; Cendrars y a dirigé un régiment durant la première guerre mondiale; Cendrars qui, grâce à sa voix, agit tel un guide dirigeant Bienne sur un lieu qui conserve, tels les écrits du biographé, la mémoire des événements : « Blaise, dit Bienne alors qu'elle circule sur la ferme, me souffle à l'oreille : ``N'aie pas peur de marcher dans les ténèbres ou de glisser dans du sang.`` » Le deuxième rabat présente le programme de la collection. Image de la couverture : D'après une photographie de Blaise Cendrars engagé volontaire en 1914, prise peu avant que le soldat ne perde sa main, puis son bras, droits. Autres : Cette main et ce bras, justement, Bienne aura tôt fait d'en signaler l'importance au moyen de l'un des deux épigraphes qui introduisent le premier chapitre de son livre : « Vous avec votre bras pendant que vous vouliez que j'achève de couper », écrit Robert Delort à Cendrars dans sa lettre du 19 mars 1952, avant de poursuivre : « Je serais très heureux d'apprendre que vous vous rappelez de ces moments »; de fait, le vœu de Delort a été exaucé; la blessure de Cendrars lui rappellera qu'il porte en lui des livres sur la guerre. Le deuxième épigraphe du premier chapitre de La Ferme... témoigne de la volonté du poète de mener « [s]a vie sur le plan mondial »; j'« avais, écrit encore Cendrars, été un des premiers poètes du temps » à prôner le cosmopolitisme : où l'on voit qu'un lien est établi d'emblée entre la vie et l'œuvre du biographé. L'épigraphe placé au début du deuxième chapitre de La Ferme... renvoie à la bataille s'étant déroulée à Navarin. L'épigraphe du troisième chapitre : « La mémoire, quel cimetière ! », signé, cet épigraphe, Cendrars, fait écho à la quête mémorielle accomplie par l'auteur de La Ferme... En somme, la presque totalité des épigraphes dit plus ou moins explicitement l'horreur de la guerre. Bienne ne fait pas autre chose dans son livre. Elle procède toutefois avec sobriété. Nulle trace, ici, d'apitoiement sur les victimes. J'ajoute que La Ferme... présente une bibliographie où sont recensés des ouvrages sur Cendrars et d'autres artistes mobilisés durant la première guerre mondiale. Faut-il s'en étonner ? beaucoup de ces ouvrages établissent, dès leurs titres, un lien entre ces artistes et cet événement. === INFORMATIONS SUR LE BIOGRAPHE : === Pays d'origine : France Professions : Bienne a été professeur, puis peintre, avant de devenir auteur. Bibliographie : Elle a écrit une douzaine de romans. === INFORMATIONS SUR LES BIOGRAPHÉS : === Identification des biographés : La ferme de Navarin, Blaise Cendrars. Brèves biographies des biographés : Près de cette ferme s'est déroulé, durant la première guerre mondiale, une bataille opposant les Français aux Allemands. Quant à ce poète de premier ordre qu'est Cendrars (né en Suisse en 1887, mort en 1961 à Paris), il signe également, parmi plusieurs autres textes, un récit à caractère autobiographique, L'Homme foudroyé (1945); il s'agit là, avancent les auteurs de l'Encyclopédie de la littérature , du « meilleur de son oeuvre » –– ou, à tout le moins, d'un texte honorant la réputation de l'auteur de La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913), connue, cette « prose », comme son grand poème. Autres remarques : Bienne porte, elle aussi, de l'attention aux récits autobiographiques, parmi lesquels figure L'Homme foudroyé, signé par un auteur « au sommet de son art » (2008 : 121-122). Comme Bienne traite du thème de la guerre dans l'œuvre de Cendrars, on conçoit l'importance revêtue dans La Ferme... par ce texte témoignant de l'expérience militaire du poète. === LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : === Auteur/narrateur : Bienne cumule les deux fonctions. Narrateur/personnage : La narratrice est aussi l'héroïne de La Ferme... Le « personnage » de Bienne est plutôt avare de détails concernant son propre passé. On apprend néanmoins qu'il a entrepris des études littéraires et découvert en cette occasion Cendrars. Biographe/biographé : Rapport de « filiation » que celui unissant le biographé à la biographe, encline à procéder à des recoupements entre ce dernier et son grand-père, revenu, tel Cendrars, ébranlé par la guerre (2008 : 48, 123). Comprendre le désarroi de son grand-père équivaut pour Bienne à s'expliquer la détresse de Cendrars. C'est comme si le poète faisait partie des proches de l'écrivaine, étant donné les similitudes entre lui et l'un des membres de la famille de Bienne. Autres relations : Yves Gibeau, l'auteur de livres comme La Guerre, c'est la guerre; Chemin des dames, Gibeau, donc, qui n'est pas un personnage fictif, introduit l'accès, d'une certaine façon, de la ferme de Navarin à la narratrice : « Êtes-vous déjà allée à la ferme de Navarin ? » lui demande-t-il (2008 : 26). Voilà assurément une invitation à partir vers cette destination. === L'ORGANISATION TEXTUELLE === Synopsis : Les trois chapitres composant La Ferme... sont autant de thématiques prépondérantes de ce livre (lesquelles s'entrecroisent et apparaissent, par conséquent, au sein des chapitres où elles ne sont pas désignées au moyen des titres) : « ``Un coin historique`` », « Le Théâtre de la main » et « Partir pour revenir ». Dans l'ensemble, le livre de Bienne fait état de son voyage en train –– clin d'œil à La Prose... ––, voyage entrepris afin de parvenir à la ferme; de l'ignorance dans laquelle est tenu Cendrars par les clients d'un café où elle s'arrête en chemin (2008 : 34) et, enfin, de la désuétude qui caractérise le lieu de Navarin, où ne subsiste qu'à peine quelques traces de ce que fut naguère la ferme –– « comme si, dit l'auteur, je me tenais sur le lieu d'une gare abandonnée [...] c'était, précise Bienne, une ferme qui était ici » (2008 : 71). « Terre d'oubli » que celle où se sont déroulés les événements qu'elle commémore, ajoute-t-elle (2008 : 75). De là le recours aux guillemets de la part de l'auteur afin d'encadrer l'expression un « coin historique ». Qu'en est-il de ce « théâtre de la main » dont traite également Bienne ? Cendrars, explique-t-elle, donne à voir des membres mus par des « volontés » leur étant propres, tel ce « bras droit sectionné au-dessus du coude et dont la main encore vivante fouissait le sol des doigts comme pour y prendre racine », bras vu sur un champ de bataille et décrit par Cendrars (Bienne le cite, 2008 : 96). L'onirique, le cauchemardesque « théâtre de la main » présente aussi les prémonitions que vécurent Féla, l'une des épouses de Cendrars, et la peintre Sophia Delaunay. Chacune prévit ce qui allait survenir quelque temps après les nuits où un Cendrars blessé leur apparut en rêve : la perte de ce qui risquait de provoquer l'interruption de sa carrière d'écrivain : la main droite. Qu'à cela ne tienne, la pratique de l'écriture, que doit réapprendre Cendrars à son retour de la guerre en rééduquant sa main gauche, est salvatrice. Elle lui permet, cette pratique, non seulement de « sauve[r] le souvenir de ses compagnons réinventés », mais également de « sauve[r] sa main » (2008 : 123). Se réinventer, l'auteur de La Prose... n'aura de cesse de le faire de toutes les manières possibles, cela incluant, bien sûr, sa décision de recourir au nom d'emprunt Blaise (pour braises) Cendrars (pour cendres), ou encore son désir de voyager, comme l'écrit Bienne dans le dernier chapitre de La Ferme..., « Partir pour revenir ». Revenir où ? « [D]ans son ``taudis d'Aix`` », où le poète « se tient ``prisonnier volontaire`` » lors de la conception d'une partie de son oeuvre (2008 : 121, avec des citations de Cendrars faites par Bienne). En règle générale, le récit biographique contenu dans La Ferme... tend à respecter la chronologie de la vie de Cendrars, même si Bienne écrit une biographie foncièrement hétérodoxe. Ancrage référentiel : Le référent, c'est ici la ferme de Navarin. Et c'est l'acte d'arpenter le lieu qui fait naître des souvenirs dans l'esprit du biographe. Au déictique spatial se greffent ainsi des repères temporels. Bienne fait de la ferme de Navarin le lieu autour duquel se cristallisent les épisodes de la vie de son auteur. Elle embraie de plus son commentaire de l'œuvre sur ce lieu. Au final, elle accorde une attention particulière à tout ce qui, tant dans l'existence que dans l'œuvre de Cendrars, se rapporte de près ou de loin à la ferme de Navarin. Indices de fiction : Bienne raconte l'histoire de La Ferme... sous un mode réaliste. On présume donc que son récit est véridique. On doute, finalement, que la fiction en soit une modalité. Indices autobiographiques : Bienne ne prétend pas livrer dans son intégralité le récit de son existence, ni en suggérer les orientations maîtresses, et encore moins en brosser un tableau d'ensemble. Mis à part les notations se rapportant à sa découverte de Cendrars, seul son périple en direction de la ferme de Navarin sollicite vraiment son attention. Ce à quoi j'ajoute : l'autobiographie de l'écrivaine sert surtout à relancer l'écriture du récit biographique. Rapports vie-œuvre : Cendrars a-t-il pris le Transsibérien ? À un journaliste lui ayant posé cette question, « souvent revenue sur le tapis », aux dires de Bienne (2008 : 110), Cendrars répond : « Qu'est-ce que ça peut te faire puisque je vous l'ai fait prendre à tous (cité par Bienne, 2008 : 110) ! » Problématiques, les rapports entre la vie et l'œuvre, aux yeux de l'auteur de La Ferme... ? Pas vraiment. Jugez-en par les emprunts de Bienne : « Dans l'importante biographie qu'elle a consacré à son père, [...] Miriam Cendrars montre justement comment chez lui, vie et oeuvre s'entremêlent » (2008 : 100). Plus explicitement : « [Cendrars] travaille la matière de sa vie, il y trempe sa plume » (2008 : 121). Il détaille le déroulement de la guerre, etc., etc. Thématisation de l'œuvre du biographé : Bienne en souligne les grands thèmes (le voyage, la guerre), les images récurrentes (celle de la main, surtout) et réfère le lecteur aux épisodes marquants de l'Histoire et de la vie de l'auteur auxquels les livres de ce dernier se rattachent. Thématisation de l'œuvre elle-même : Ne s'applique pas. Rapport entre le texte et le programme de la collection : Un « lien fort » unit la biographe au biographé, pour reprendre les termes du descriptif du programme. La même remarque s'impose au sujet du lien, viscéral, unissant l'écrivaine à la ferme de Navarin, théâtre de l'apparition des morts tombés au combat : « Je voudrais les voir sortir du camp des Suippes et des chemins ensemencés, dit Bienne à propos de ceux-ci [...]. Je les imagine se redressant [...] » (2008 : 98). Topoï : Le déroulement de la commémoration facilitée par l'arrivée à destination du lieu de mémoire (et d'oubli). La guerre –– les traumatismes psychiques et physiques lui étant associés. Hybridation : La Ferme... est un récit (auto)biographique incluant un commentaire critique. Autres remarques : Cendrars a noué une amitié avec Guillaume Apollinaire. Bienne en parle. === LA LECTURE : === Pacte de lecture : La Ferme... respire la liberté et ne s'embarrasse d'aucun protocole critique. Que le lecteur ne s'attende pas à s'appesantir sur l'œuvre de Cendrars. Remarques générales sur la collection : Bienne établit maints recoupements entre Cendrars et Apollinaire, deux blessés de guerre, dont l'un (Apollinaire) est représenté par Yves Gibeau (voir « Les Relations ») au moyen d'une genre de sculpture, et l'autre, à l'aide du livre de Bienne. Deux « monuments », donc, sont érigés côte à côte à la mémoire des poètes. Comme si l'auteur de La Ferme... avait besoin de passer par l'Autre –– Gibeau, Apollinaire, ou encore son grand-père –– pour rencontrer Cendrars. Plusieurs auteurs de la collection procèdent de même. Lecteur/lectrice : Charles-Philippe Casgrain.