FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Paul WEST Titre : Le médecin de Lord Byron [Lord Byron’s doctor] Lieu : Paris Édition : Rivages poche Collection : Bibliothèque étrangère Année : 1991 [1989] Pages : 417 p. Cote : (dispo à la BNQ) Désignation générique : aucune ( ?) Bibliographie de l’auteur : Il est romancier et essayiste/théoricien. Ses romans : L’homme au rat (1987), Les filles de Whitechapel et Jack l'Eventreur (1991), Le pavillon des brumes oranges (1995), Amaryllis ma muse : roman (1999 – roman biographique sur John Milton) , etc. / Ses essais : Byron : A Collection of Critical Essays (1963), The Modern Novel (1967), etc. Biographé : Georges Gordon Byron, bien sûr, mais aussi John William Polidori, personnage principal et narrateur, ainsi que Percy et Mary Shelley. Quatrième de couverture : «Que s’est-il passé à la villa Diodati sur les bords du lac Léman pendant l’été 1816 ? Byron et Shelley, mais aussi Mary Shelley et sa demi-sœur Claire Clairmont s’y étaient installés. Mary Shelley devait y trouver l’inspiration de son Frankenstein. Un témoin obscur entreprend d’observer les frasques de cet entourage romantique. Polidori, le jeune médecin écossais, et compagnon de voyage de Byron, avait en effet reçu une avance de l’éditeur anglais de Byron pour tenir un journal sur les aventures du poète romantique en Europe. À la mort de Polidori, ce journal fut en grande partie censuré et détruit par la sœur du jeune médecin. C’est ce journal que Paul West a imaginé d’écrire.» Notons tout de suite que cette dernière affirmation est partiellement vraie ; il ne s’agit pas d’un roman sous forme de journal, mais bien sous forme de mémoires. Le journal qu’a tenu Polidori est évoqué, mais il est clair que ce n’est pas de lui dont il est question. Préface : Non, mais un court texte qui reprend le résumé de l’intrigue tel que présenté en quatrième de couverture, mais dans une version plus longue. Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Une note, en début d’ouvrage, qui semble seulement servir de mise en contexte, mais peut-être, encore plus, de programmation de lecture : «L’Europe subit un froid inhabituel au cours de l’été de 1816. Au mois de mai, en Allemagne, des puits gelèrent complètement et il neigea en août près de Londres. Suite à l’éruption d’un volcan indonésien, le Tambora, un énorme panache de cendre et de gaz se promenait à travers le monde ; jamais, de mémoire d’homme, l’on n’avait assisté à pareille éruption et nombreux furent ceux dont la vie connut alors, directement ou non, un changement irrévocable.» L’auteur se manifeste très rarement, sauf dans les extraits d’œuvres réels de Polidori donnés en exergue de chaque partie, ce qui nous donne une idée de la valeur de la prose de Polidori et met de l’avant son statut d’écrivain. LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : Le narrateur n’est assurément pas l’auteur puisque nous sommes dans une fiction et, qui plus est, la narration est entièrement assumée par le personnage de Polidori qui livre ici des mémoires de sa relation avec Byron. Le journal qu’il tient pour l’éditeur Murray est évoqué à de très nombreuses reprises, mais c’est toujours pour en souligner le caractère changeant, arbitraire, lacunaire, car il semble entretenir avec cette pratique d’écriture une relation tout aussi ambiguë qu’avec Byron lui-même ; c’est cette relation qui aurait donné une image «troublée» du grand homme puisque le diariste était en proie à des sentiments changeants, allant de l’admiration au dégoût : «J’avais seulement vingt ans : Il faut donc excuser ces accès au cours desquels rien que d’être avec lui, la licorne écossaise de l’Angleterre, j’avais les idées en ébullition, au point de ne plus en avoir qu’une seule en tête […] Au début, j’étais envoûté ; il le savait, mais n’en paraissait point embarrassé.» (p.17) De toute évidence, la vision rétrospective et complète qu’offre les mémoires donne l’impression d’une unité et d’un portrait beaucoup plus «vrai», mais si on considère que Polidori s’est suicidé à l’âge de 26 ans et que son suicide est mis en scène à la fin du roman, raconté par lui-même. Notons également que le narrateur se désigne souvent à la troisième personne, ce qui augmente la charge ironique de son discours. Narrateur/personnage : En contrôlant le récit, Polidori a l’avantage ; le lecteur prend automatiquement pour lui, d’autant plus que Byron a plus souvent qu’à son tour une conduite ignoble... On se doute que, en prenant le partie du «médiocre», la narration ne peut faire le portrait du «grand homme» en termes flatteurs puisque les deux forces s’opposent et que Polidori ne retiendra pour son portrait que les aspects les plus rébarbatifs de Byron. Dans un style éminemment rabelaisien, Polidori se fait le chantre d’un Byron très – et trop - «humain» : obsédé sexuel forniquant avec n’importe qui dans le but de se «purger», atteint de la «pisse-chaude» et souffrant d’obésité, goujat de la pire espèce avec sa maîtresse Claire qu’il abandonne enceinte, narcissique et méchant… Voilà Byron peint par un homme qui était peut-être tout du fat insupportable… Mais il faut dire qu’ici tout est d’abord affaire de classe et de rapport d’autorité, tout autant que de sentiment ; Polidori doit être subordonné au groupe que Byron forme avec les Shelley, mais son statut de médecin le place entre deux classes, dans une zone d’ombre, ce qui rend les rapports tendus et obscurs : «J’étais en partie son petit chéri – et loin d’être le seul, naturellement -, mais j’étais également son fléau, son bouffon, son fat, à tel point qu’il refusait de trouver rien de bon à ce qui chez moi l’était pourtant. Seuls lui et ses compères avaient le droit d’être jeunes, fous ou fanfarons ; ce bon vieux Polly était là, comme du pain ou le déjeuner : on prenait ce que l’on voulait et le reste se desséchait sur l’assiette.» (p.34) «J’aurais vraiment apprécié qu’on m’annonçât haut et fort à la noble assemblée, comme si j’avais été ne fût-ce qu’un renard, un ver de terre, voire un médecin parfaitement diplômé.» (p.90) Plus loin dans le récit, le narrateur décrira la situation plus crûment : «À l’intérieur, dans la zone réservée, c’était la mêlée, le nœud compacte ; sauf à y naître, aucun espoir d’en être. Tous ceux dont la mère n’avait pas été enculée à la cuiller d’argent – cuiller à soupe – n’existaient pas. Et donc, moi, je n’existais pas. Oh ! Ils me parlaient, ça oui. Ils m’insultaient comme ils l’eussent fait avec un vieil ami, mais uniquement comme s’ils demandaient leur chemin à un parfait inconnu.» (p.360) Polly, comme ils le surnomment, est parfois le souffre-douleur de Byron et de Shelley, tandis que, du même âge que Mary Wollstonecraft et Claire Clairmont (la maîtresse de Byron), il a une relation plus fraternelle avec les deux femmes. Mais on le pressent, il y a comme une sorte de compétition où les joueurs ne sont pas égaux, d’autant plus que Byron éprouve une certaine attirance pour le jeune homme (attirance d’autant plus aiguisée que Polly se révèle parfois, sur le plan de l’esprit, un adversaire intéressant) qui n’est pas partagée de la même façon par le médecin : «Pourquoi n’avait-il pas engagé un homme de trente ans, un médecin chevronné ? Avait-il eu peur de ne le pouvoir dominer ? Mes vingt ans avaient-ils donc constitué ma principale recommandation, alors que j’avais cru tout au long qu’il voulait un échantillon du meilleur d’Edimbourg, un expert en somnambulisme ?» (p.187) La subtilité se trouve ici : si tous et chacun sont aussi insupportables, mesquins et méprisants que le texte le donne à voir, pourquoi ne peuvent-ils s’empêcher d’éprouver de l’amour et de l’intérêt les uns envers les autres ? C’est toujours entre les lignes qu’il faut lire ce roman… Biographe/biographé : Cette relation est bien sûr très intéressante puisqu’elle se présente comme une sorte de mise en abyme : le véritable Polidori était en quelque sorte un biographe de Byron et c’est cette relation qui constitue le thème générateur du récit. On peut, à un autre niveau, tenter de considérer la relation de West à Byron, mais je pense que c’est nier là l’intérêt fondamental du roman, à savoir le rapport de l’homme commun à l’homme de génie, rapport des plus tyrannique entre dominant et dominé où l’on ne sait pas toujours qui joue quel rôle. Byron n’est pas peint sous des couleurs flatteuses, pas plus que Polidori, mais leur profondeur à tous deux demeure palpable ; Byron, à cause de l’auréole qui l’entoure et Polidori à cause du lyrisme de sa prose. Ces écrits ont beau avoir été considérés médiocres, l’écriture de West est grandiloquente… Ce qui crée peut-être une légère invraisemblance. Il importe aussi de se poser la question à savoir qui est le véritable biographe et qui est le véritable biographé… : après tout, Polidori a été aussi écrivain et c’est lui la véritable figure de proue du récit : par le biais d’une «biographie» de Byron, Paul West n’a-t-il pas la chance de faire la biographie de Polidori, écrivain oublié dont les écrits, tout médiocres qu’il soit, nous ramène tout de même à une personnalité fascinante qui en a fasciné une autre, Byron ? Il y a un jeu de miroir évident. Voici quelques extraits sur la relation ambiguë Byron/Polidori. Notons toutefois qu’il y a des étapes à cette relation et que, à partir du moment où les deux hommes seront séparés, Byron ne sera plus, dans l’esprit du jeune homme, qu’une «drogue, à côté de laquelle l’opium n’était que du nectar de gingembre» (p.294) : «Et pourtant je n’éprouvais pour moi-même qu’un dégoût limité, moi qui sentais ce dont il puait si souvent et j’étais persuadé que je commençais de le singer en tout, quand bien même je détestais l’essence même de son style.» (p.43) «Car, sous mes dehors agressifs, je le vénérais – jusqu’à l’argile dont étaient faits ses pieds. Sans défense lors des visites médicales, il avait été le plus vulnérable des hommes.» (p.244) «Il était loin de se douter que ce n’était pas Gaby qui me manquait, mais le sentiment d’être une lune dans le champ de sa planète à lui…» (p.283) «Je n’avais rien appris de Lord B., ce grand éteignoir du cœur humain, cet usurier des sentiments honnête. Mon seul crime avait été d’avoir espéré d’être, je ne dis même pas à la hauteur, mais traité décemment – comme il sied entre jeunes gens.» (p.400) Autres relations : Il est intéressant de s’attarder aux relations qui se tissent entre les divers personnages principaux et qui sont tous, plus ou moins, des personnages marquants de l’Histoire : Byron, Polidori, Percy Shelley, Marie W. Shelley et Claire Clairmont (tous les autres personnages semblent un peu désincarnés à côté de leur présence lumineuse). J’en ai déjà touché un mot, je me contenterai d’un extrait parmi d’autres : «Non, je n’avais pas influencé Lord B., en tout cas pas au niveau littéraire. Pas plus qu’il ne m’avait influencé, contrairement à Mary et à Claire – sur un plan non littéraire. Nous avions tous joué à l’inceste mental. Mais allez savoir ce qui s’était passé – ou n’était pas passé – d’un esprit conjoint à l’autre, au cours de ces soirées hantées à la Diodati, auxquelles présidait le spectre de Milton et où les cris de Shelley, les sévices de Byron et les pleurs de Claire nous mettaient les nerfs à fleur de peau ! C’était curieux, mais j’étais partagé : je pensais au groupe comme à la totalité de nos présences, mais j’y pensais également en termes de paires ou de trios : moi et les deux dames, mettons, ou bien, les bons jours, Byron et moi, appariés et jumeaux.» (p.217) L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Le roman est divisé en 5 parties, chacune d’elles couvrant une période particulière. Le récit (les 2 premières parties) s’ouvre avec le départ de Byron et Polidori pour l’Europe, faisant un portrait général et non chronologique des premières étapes de ce voyage. La troisième partie – la plus substantielle et la plus intéressante – se situe sur les bords du Lac Léman en Suisse et réunit les principaux protagonistes. La quatrième partie est celle des errements européens de Polidori suite à sa séparation d’avec Byron, dans les Alpes et en Italie et la cinquième partie est celle du retour en Angleterre de Polidori, là où il retrouvera pour un temps Claire qui a aussi été sa maîtresse. Tentant maladroitement de se refaire, Polidori finit toutefois par succomber à ses tentations suicidaires et s’empoisonne. Ancrage référentiel : Tout le «vérifiable» paraît vrai ; les personnages, les lieux, les dates, les grands segments d’action, etc. Indices de fiction : La forme des mémoires pourrait donner l’impression d’un récit ancré dans le réel, mais nous sommes sans conteste dans la forme du roman-mémoire où les codes romanesques dominent largement la narration. Les dialogues, les scènes, etc. sont autant d’indices de fiction. Le suprême indice de fiction est sans nul doute le fait que la position d’énonciation de Polidori est ambiguë puisqu’il raconte son propre suicide. Rapports vie/œuvre : Mentionnons ici la «mise en œuvre» du vécu de Polidori à travers son roman Le vampire ; le vampire étant Lord Byron et Aubrey, le jeune homme qui l’accompagne à travers l’Europe où il sera initié à la débauche, rappelle Polidori. (Voir la section transposition) Thématisation de l’écriture et de la lecture : L’écriture est quelque peu thématisée ; tant celle de Byron, de Polidori, de Mary Shelley et même de Claire Clairmont, mais cette thématisation ne me semble pas prendre de couleur particulière. Thématisation de la biographie : On pourrait s’attendre à ce que la biographie soit beaucoup thématisée, d’autant plus que Polidori fait parfois allusion à Boswell et Johnson, dont il sent qu’il reprend le canevas quoique d’une manière moins laudatif puisqu’il n’est pas l’admirateur fidèle et officiel de Byron, mais qu’il tente plutôt de lui ressembler. Les allusions au journal qu’il tient peuvent cependant être mises au crédit de la thématisation de la bio : «Moi, je tirais matière de tous ses propos, de tous ses actes, afin que ces carnets ne dépérissent, faute d’anecdotes croustillantes. Le médecin de Lord Byron ne faillirait pas à son autre tâche : celle de l’espion.» (p.21) «Une fois de plus, et comme toujours ou presque, le journal ne savait pas se tenir. Ni chair ni poisson, ce n’était pas non plus le genre de choses que l’on eût pu lire tout haut […] dans le cadre d’une petite causerie paisible au coin du feu, à la Villa Diodati […]. Si mes pages n’avaient été hors sujet, si je m’étais acquitté de ma mission à la lettre, j’eusse pu m’assurer un certain plaisir narcissique à l’heure où j’eusse chanté les prouesses de Lord B. à son moi insatiable, sans un mot de travers, sans l’ombre d’une critique.» (p.169) L’impossibilité de «tout noter» - et par conséquent de faire un portrait complet – est d’autant plus accentuée que le diariste éprouve des sentiments changeants et que le fait de vivre constamment dans l’intimité de Byron lui fait voir l’homme dans ce qu’il a de plus frustre : «Moi qui entendais tout (et Murray savait qu’il en irait ainsi), j’aurais dû en noter davantage dans mon journal, de façon à gagner mes cinq cents guinées. J’aurais dû être moins fasciné par sa présence, par le miroitement de son cynisme arrogant, mais j’étais bouche bée du matin au soir, en bon subalterne, en vrai novice, car en vérité je m’amusais trop (et souffrais trop) pour être l’honnête secrétaire, sans parler de sa fréquentation intime, à haute dose, qui transformait ma nature, quelles que fussent les inventions de mon esprit en sa présence.» (p.34) On peut même aller jusqu’à dire que le drame de Polidori, c’est d’avoir refusé son rôle de biographe : «J’aurais dû être le chroniqueur inlassable, qui eût noté chacune des syllabes et renoncé à manger, à respirer, afin de capter les apartés d’un mythe vivant. Mais non : j’avais vécu comme si j’avais eu le droit de vivre ainsi, un droit inné, au lieu que j’étais à l’épreuve ou en instance de jugement. Et cette outrecuidance l’avait vexé. J’aurais dû susciter sa verve spirituelle, et non point son courroux ; le presser de sortir dans le monde au lieu de le hérisser ou de le faire entrer dans sa coquille.» (p.290) «J’étais ce chien, pas encore mort, et mon ancien maître était comme mort pour moi. Il ne restait plus qu’à le rejoindre, pour ainsi dire. Je revis, une fois de plus, la scène de cette pièce, où Polidori était le plastron : il demandait des putains en mariage ; il se conduisait en mufle envers les dames de haut parage ; il traitait les grands esprits en égaux, en camarade, au lieu de – de quoi ? – d’être sage. De fléchir le genoux. De faire le chien couchant. De tenir ma langue. De bien me tenir, pour ne pas gâcher mes chances de carrière. » (p.407) Topoï : Relation Byron/ Polidori (dominant/dominé ; génie/médiocre ; etc.), l’amour et l’admiration, les relation entre classes sociales, faire sa place dans le «monde», le corps, etc. Hybridation : Ne s’applique pas. Différenciation : Ne s’applique pas. Transposition : - Transposition du vécu comme structure romanesque : c’est le type de transposition le plus évident ici ; l’auteur reprend les grands segments d’une histoire véritable et la fictionnalise en attribuant la narration de cette vie à un personnage ayant déjà existé ; son regard subjectif permettant un angle d’analyse original. - Transposition de l’œuvre comme recréation du vécu : le récit Le vampire de Polidori reprend largement la dynamique de sa relation avec Byron. Il nous est donc permis de spéculer ici à savoir si, en fin de compte, Paul West n’aurait pas transposé les écrits de Polidori pour recréer son univers et, surtout, sa relation à Byron en établissant un lien entre le Vampire plein d’ascendant et le jeune homme qui est sa victime. - Transposition de l’œuvre (Mary Shelley) : cela s’applique au cas de Mary W. Shelley qui – l’anecdote est célèbre –, trouve l’inspiration pour son Frankenstein alors qu’elle est à la villa Diodati avec Byron et compagnie et que tous, après une discussion, décident d’entreprendre un récit sur le thème du Vampire. Cette anecdote prend une importance considérable dans le roman de West où la gestation et l’écriture de l’œuvre sont mises en scène, incluant les questions philosophiques qui sont à la base de ce roman : «Si la vie avait été créée une fois, comme le prétendait Shelley, ne pourrait-elle l’être derechef ? L’être créé lui-même ne pourrait-il à son tour créer de la vie ? En créer à partir d’un objet mort ?» Etc. (p.122-123) Le narrateur émettra même un rapprochement entre la figure du monstre de Frankenstein et celle de Byron : «Bizarrement, il semblait être sorti de la tête de Mary Shelley : le vampire composé à partir de mille et un déportements, vies ratées, amours sacrifiées, parties atrophiées. C’était un épouvantail de rumeurs qui incitait les gens à s’approcher de plus en plus, au lieu de s’enfuir, comme les oiseaux.» (p.284) Autres remarques : Mise en scène du corps : Par le style rabelaisien, le corps de Byron est éminemment mis en scène, surtout dans la première partie où l’on a droit à des descriptions longues et détaillées de ses ébats sexuels ou de ses fonctions intimes. Cela crée, de toute évidence, une fraction dans la constitution du portrait biographique ; c’est même le plus important facteur de désacralisation. Voici un exemple parmi d’autres : «Étant l’un de nos rufians, il aurait dû être un esclave des ablutions ; mais non ; au contraire, dans ses moments de vulgarité extrême, il se livrait à toutes sortes de turlupinades sur cette odeur de fromage et de poisson qui montait du pantalon de tout homme digne de ce nom. […] Il n’était pas jusqu’au lit de repos dans la berline qui ne puât le Byron et je parias (tout seul) que si nous le mettions en bouteille, nous en vendrions encore plus que sa poésie. Le jour viendrait, je le savais, où j’aurais l’occasion de le convertir à une meilleure hygiène. Pour le moment, le cœur me soulevait à l’idée de ce qu’il infligeait aux victimes de sa violence aveugle, comme s’il avait juré de transformer une partie de lui-même en fongus irréversible.» (p.43) LA LECTURE Pacte de lecture : Ouvertement fictionnel, bien que l’importance de l’ancrage référentiel autorise une certaine crédibilité. Attitude de lecture : Roman passionnant ; admirablement bien écrit et faisant preuve d’érudition. Un peu rebutant dans la première partie (à cause de sa vulgarité), il révèle peu à peu sa saveur. S’applique sans conteste à notre corpus. Lecteur/lectrice : Manon Auger