FICHE DE LECTURE INFORMATIONS PARATEXTUELLES Auteur : Micheline Morisset Titre : Arthur Buies, chevalier errant Lieu : Québec Édition : Nota Bene et Société Radio-Canada Collection : Prose Année : 2000 Pages : 212 p. Cote BANQ : 848.8 B9321m 2000 Désignation générique : Aucune Bibliographie de l’auteur : Principalement des romans : Les mots pour séduire… (1997) ; État de manque (2000) ; Le chant des poissons rouges (2003) ; La musique, exactement (2006) ; etc. Biographé : Arthur Buies Quatrième de couverture : «Il se peut que, sous les emportements d’Arthur Buies, sous sa mélancolie, son romantisme, derrière la pétulance et l’indiscipline du gamin, derrière l’adulte insoumis, radical qui combattit sur tous les fronts, il y ait la trace d’un être qui refusait que l’existence le laisse démuni. Sans doute, dans ce contexte, une vie n’est-elle pas suffisante pour réclamer ce qu’on croit être son dû. Ainsi, l’on revient.» Ainsi, Micheline Morisset lui donne une deuxième vie, en 1995 : «Grâce à la magie de l’écriture de Micheline Morisset, Arthur Buies revient, tel qu’en lui-même il a toujours été, sur les lieux qu’il a chéris au cours de sa vie.» Suivi d’une notice biobibliographique de l’auteur où l’on apprend, entre autres, que ce livre est la version imprimée d’une série de dix émissions composées pour la radio de Radio-Canada. Note : la quatrième est en partie extraite de l’œuvre, p.71. Préface : Aucune. Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Une épigraphe de Don Quichotte qui explique le titre : «[…] ce fut qu’il lui sembla être fort à propos et nécessaire, tant pour l’accroissement de son honneur que pour le service de la république, qu’il se fit chevalier errant […]» LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) : Auteur/narrateur : L’instance narrative a un statut ambigu. De prime abord, tout nous laisse croire qu’il s’agit d’un narrateur fictif parce qu’hétérodiégétique et omniscient. Cependant, au bout d’un certain temps, un JE apparaît, JE qui renvoie significativement à l’auteur et à sa position complexe de biographe : « Bien sûr, son emportement, son exubérance et ce que l’on a nommé ses boutades démesurées l’ont amplement desservi ; toutefois, je préfère entretenir l’idée d’un homme plein d’audace qui, teintant de folie ses idéaux, indiquait les avenues où s’épanouir. » (p.35) On peut donc parler d’un cas de figure moins traditionnel, celui d’une narratrice-auteur qui raconte avec les yeux de la première et s’exprime avec le point de vue de la deuxième. Paradoxalement, cette figure dénonce ainsi l’illusion de la fiction qu’elle crée. NOTE : cela rappelle le narrateur des Morts Imaginaires de Schneider, je crois ? Narrateur/personnage : Il y a deux Buies : le personnage historique et le personnage fictif (l’homme d’outre-tombe qui déambule dans Rimouski). La voix du Buies historique est présente à travers les citations de l’œuvre qui s’entremêlent avec la voix narrative. Quant au personnage fictif, il est l’objet d’une focalisation interne qui nous donne accès à ses pensées. Les deux figures se superposent donc tout en se complétant ; à l’un le geste à l’autre la parole. Toutefois, la narratrice constate parfois l’écart qu’il y a entre elle et son personnage : «Déçu, il a mis fin à son espoir de trouver le cimetière où il fut enterré, le cimetière Belmont. Pourtant, des informations l’attendaient ! Comment aurais-je pu lui révéler que Marie-Joseph-Jules-Arthur – le seul de ses fils qui aient survécu – poursuivit la lignée : sept enfants, dont un qui porta son prénom. J’aurais dû le prendre par la main, l’introduire dans cette maison de la Grande Allée pour rencontrer Arthur junior […] Ce seul moment, il me semble, aurait effacé tous les autres, aurait fait de cette escale à Québec un événement. J’aurais dû provoquer ce rendez-vous pour que, tout comme moi, le regard agité par l’attente et l’espérance, il tremble sur le seuil de la porte […]. » (p.151-152) Notons également la présence d’une lettre écrite par le Arthur Buies fictif et qui constitue l’essentiel de la dixième journée. Biographe/biographé : Même si on laisse entendre qu’il s’agit d’une œuvre de commande, il semble évident qu’un lien amoureux et admiratif unit la biographe au biographé, qu’elle voit en lui un héros, le symbole de l’homme en avance sur son siècle : « Et j’aime cet Arthur Buies, celui-là même qu’on a qualifié de démagogue, de révolutionnaire, d’“Alcèse imprudent” et de “pamphlétaire goguenard et libertin”. Bien sûr, les propos de Buies, nourris de rébellion, de fantaisie et d’outrance, lui ont attiré les foudres de la hiérarchie ecclésiastique. Comment aurait-il pu y échapper ? Il dénonça avec tant de fougue l’omnipotence du clergé dans tous les domaines de la vie collective. Bien sûr, son emportement, son exubérance, ses boutades lui ont attiré des soucis ; toutefois, c’est invariablement l’enthousiasme qui séduit, qui donne le goût d’épouser notre belle naissance. Tout ce qui en nous n’a pas encore émergé. » (p.50-51) La relation biographe/biographé se complexifiera d’une réflexion sur l’écriture de la biographie fictive (voir aussi rubrique « thématisation de l’écriture ») : « L’image d’un Buies progressiste, avant-gardiste me plaît. Décidément, il faudrait que j’introduise un personnage, quelqu’un pour affirmer : “Voyez, nous en sommes là”. À moins que Buies pressente ces changements. » (p.58-59) Une des plus belles illustrations à la fois du rapport bio/bio et de son incidence sur l’écriture est la suivante : « J’ai les mots de Buies plein la bouche. Des phrases font leur toilette, me séduisent, nous ne les alignons plus comme ça aujourd’hui, nous décrivons les choses autrement. Mais qui donc l’a décrété ? Je ne deviens plus certaine de rien, peut-être suis-je subjuguée par le personnage, néanmoins, en cette heure, j’aimerais que ma plume se pare de tels accents lyriques ! Écrire de cette façon, avec ce souffle, ces métaphores, ce trop-plein d’adjectifs. Mais nous écrivons avec notre époque… […] » (p.100) Elle continue, plus loin : « En réalité, c’est l’enthousiasme de Buies qui me séduit, sa verve, son côté théâtral, la capacité qu’il a de me provoquer. Il est probable que je ne suis pas unique. » (p.101) En fait, c’est par la figure du Buies « ardent » qu’elle est attirée et non pas par celle du Buies plus résigné de la fin de sa vie : « Il m’arrive de m’ennuyer en lisant ces monographies [sur les régions de colonisation], ce travail d’observation du géographe plus ordonné qui comporte moins d’imprévus, moins de battements du cœur. Les excentricités de sa plume du temps de ses chroniques et de ses pamphlets, ses digressions comme des rêveries, son côté incendiaire me manquent, cette façon qu’il avait de combattre le convenu, la stagnation des esprits, l’hypocrisie et les pouvoirs qui sabordent les univers ! » (p.102-103) Même chose avec ses lettres d’amour qui lui révèlent un Buies différent : « D’où vient cette écriture au je et cette adresse au tu ? Je suis dans l’égarement parce qu’il est embarrassant de lire des lettres d’amour et de ne pas s’y complaire – l’intime appelle l’intime – ou parce qu’au fond, j’aurais rêvé découvrir dans les missives qu’il adressait à sa femme la même fièvre qui se déployait dans ses chroniques. Je feuillette la correspondance de Buies pour tenter de saisir les tremblements d’un cœur et comprendre de quelle manière l’amour se vivait, il y a plus d’un siècle. » (p.135) Mais ce Buies-là, n’est-il pas tout aussi réel que le premier ? N’est-il pas de toute façon la construction de l’auteur ? Il est étonnant qu’elle ne s’interroge pas plus avant sur le sujet. Autres relations : Dans la thématisation de l’écriture bio-fictive que l’auteur se plaît à mettre en scène et en abyme (voir « Relation bio/bio » et « Thématisation de l’écriture »), une figure du narrataire « vous » se dessine : « Il ne fera pas partie de l’histoire, il vous échappera. Une énigme qui décevra votre exigence de sens. Il aura été, l’espace d’un instant, un fantôme qui ne croisera ni ne connaîtra Buies, un fantôme dont la présence évanescente conférera au personnage d’Arthur encore davantage de portée. » (p.88) « Il m’arrive de croire, n’en dévoilez rien, qu’une écriture épurée, nette et lisse témoigne d’une absence de passion ou d’un désir absolu de l’ensevelir, comme si… » (p.100-101, je souligne) L’ORGANISATION TEXTUELLE Synopsis : Fil narratif assez ténu. Le récit est divisé en 10 journées (qui correspondent aux dix émissions de radio) qui se suivent chronologiquement ; la neuvième journée est celle du référendum de 1995. Voici, grossièrement ébauché, le fil conducteur de l’intrigue : 1995. Arthur Buies déambule sur le boulevard Arthur-Buies à Rimouski. En fin de journée, lorsqu’il va s’attabler à un snack-bar, il fait la rencontre de Geneviève, une jeune mère monoparentale. Avec elle, il fera une escapade à Sainte-Luce, passera du temps dans des cafés, feuillettera des livres, aura de longues discussions, assistera à la soirée référendaire de 1995, etc. Le récit se clôt sur une lettre d’Arthur à Geneviève où il célèbre la grandeur des écrivains québécois actuels, mais, surtout, lui révèle qu’il est né 155 ans plus tôt, ce qui lui donne l’occasion d’une envolée lyrique sur la réalité (autre jeu de mise en abyme de l’auteur) (p.183-84). VOIR AUSSI LE RÉSUMÉ DE LA REVUE UNIVERSITY OF TORONTO QUATERLY, À LA FIN DE CETTE FICHE. Ancrage référentiel : Cette biographie fictive semble fonctionner essentiellement sur le principe de l’ancrage référentiel. Je m’explique : alors que la trame narrative de base est fictive, elle est cependant articulée sur un réalisme quasi-documentaire ; les dates, les lieux, les événements politiques et historiques, les éléments biographiques concernant la vie de Buies sont tous vérifiables. De plus, les références des diverses citations de Buies sont données en fin d’ouvrage. Cette façon de faire permet sans doute de marier le plaisir de la fiction au sérieux du documentaire. Indices de fiction : L’indice de fiction le plus probant est très certainement lié au fait que le personnage principal est un homme du passé qui revient dans une nouvelle époque, étant présenté par la narration comme un étrange fantôme : « … lorsqu’on est mort depuis près d’un siècle et que l’on revient, on réalise avec acuité combien la vie se fait complexe et imprévisible. » (p.14) Cela conduit à un phénomène intéressant, soit la présence de phrases qui connotent doublement la fiction : « Buies avait pourtant cru qu’une fois décédé, il démontrerait plus de sagesse et consentirait à disparaître une seconde fois. Mais quelque chose résistait. » (p.147) Un autre phénomène que je rangerais du côté des indices de fiction est celui lié au fait que tous les éléments mis en scène dans le fil narratif – tout comme les différents thèmes abordés – renvoient toujours à des éléments fondamentaux du discours de Buies. En d’autres termes, l’intrigue fictive est prétexte à faire surgir les éléments biographiques. Par exemple, alors que Buies est au Café du moulin à Sainte-Luce, il entend un jeune homme dire : « Ça a full pas rap dans l’dec, j’voulais juste prendre une super bouffe ! » ; ce sera l’occasion de la présentation de la position et du discours de Buies sur l’état de la langue. (Sixième journée, p.107-124) Rapports vie/œuvre : La biographe fusionne assurément les deux. Thématisation de l’écriture et de la lecture : Ici, l’écriture est fortement thématisée ; pas celle de Buies, mais celle de la narratrice-auteur. Contribuant à la fictivité du récit et de sa narration, ces commentaires fonctionnent également comme autant de mise en abyme de l’entreprise biographique créatrice : « Il conviendrait que je fasse ressurgir Geneviève, cette femme avec qui il a conversé, il y a quelques jours, sur un coin en relief du boulevard Arthur-Buies assis par terre, les yeux en direction du fleuve. Ils s’étaient trouvés là par hasard, je note par hasard pour ne pas écrire de toute évidence, car le destin les avait réunis. Il était question de deux êtres, au centre de la ville ; ils cherchaient la couleur du ciel, mais la nuit vint, pareille aux autres nuits, et lorsqu’Arthur se leva le lendemain, les traits de Geneviève s’étaient déjà émoussés. Difficile de retracer ces circonstances. À mon tour, j’essaie de ressaisir les impressions, les marques, pour réinscrire Geneviève au centre du livre. Elle ferait irruption dans la cathédrale Saint-Germain, elle avancerait, croiserait Arthur, lui sourirait, elle pourrait lui lancer : “Quel hasard !” ou s’agenouiller sur un banc de bois, pas très loin, de telle sorte qu’il la voie. Mais nous sommes en 1995 et peu de jeunes filles viennent dans les églises, un samedi matin, jeter leur dévotion aux pieds des statues. Vous alléguerez, avec discernement, qu’un auteur qui fictionne n’a pas à tenir compte jusqu’à l’obsession des réalités historiques. Je pourrais m’amuser, retapisser la pièce d’ocre, revêtir Geneviève de dentelles et de plumes, donner l’impression qu’elle descend des cieux, ou la faire surgir d’un massif de glaïeuls sous forme de langues de feu qui embraseraient l’autel et laisseraient sur place un vieillard éperdu d’horreur. Cependant, je confesse mon béguin pour les histoires réalistes, et de toute évidence, la scène se déroule contre mon gré. » (p.55-56) Thématisation de la biographie : La biographie n’est pas thématisée. Topoï : - Topos de l’homme en avance sur son siècle : « Mes derniers vœux, comme si Arthur Buies possédait nature à se satisfaire de ce que son siècle avait à lui transmettre ! » (p.81) ; - Topos de la double figure du biographé : « Un homme est un être intelligent et raisonnable. Voilà ma croyance. C’était Buies ça, mais Buies c’était aussi quelqu’un d’autre. Une âme, une âme sensible à la fragilité de la vie… » (p.63, souligné dans le texte) / « … il se confiera en des termes qui peuvent étonner mais qui, surtout, nous confrontent une fois de plus à la versatilité de Buies, cet homme de contrastes. » (p.64, je souligne) - Topos de l’homme errant (dans les pays mais aussi dans son propre pays, sa propre conscience), d’où le titre : « Arthur Buies : un chevalier errant, un Canadien errant, un Zadig de Voltaire qui dans ses traverses médite à bâtons rompus sur le monde, les paysages, les gens et remâche chaque fois comment un homme tel que lui n’obtient pas le bonheur qu’il mérite. » (p.96) - Topos du personnage évincé de l’histoire : « Il est curieux de constater que l’histoire n’a précisément retenu que cette séquence, éclipsant ainsi une grande portion de la vie de Buies, portion plus dérangeante sans doute. » (p.111) Thèmes : la rupture avec le père ; l’anticléricalisme de Buies, son exubérance, son avant-gardisme, son amour de la langue ; etc. Hybridation : Entre biographie et fiction. Le fait de mélanger deux époques (donc, d’intégrer la fiction à la biographie) permet de faire ressortir de façon plus dynamique les éléments biographiques. Par exemple, le personnage de Buies est confronté à l’idée des collèges mixtes, des femmes qui fument, etc., ce qui permet à la biographe de faire le portrait de Buies et de son époque. Également, il arrive que le récit emprunte un ton essayistique Différenciation : Volonté nette de se différencier d’avec la biographie traditionnelle. Nous sommes manifestement dans une forme de biographie fictive. Transposition : 1) Transposition évidente de la figure symbolique du biographé. Buies est apprêté à la sauce référendaire et souverainiste. À cet égard, le fait de donner une deuxième vie à Buies précisément en 1995 n’est certainement pas innocent ; il s’agit de faire de Buies une nouvelle icône souverainiste. À cet égard, la neuvième journée est particulièrement parlante. Cette façon de faire est subtilement appuyée par un discours critique autre : « En 1991, Laurent Mailhot, dans un entretien à Radio-Canada, dira de Buies : “Il était en avance sur son temps, absolument, absolument, c’est un homme de la révolution tranquille.” […] il est curieux qu’il n’ait pas prononcé c’était. Il est des êtres que le temps ne touche pas. Certains jours, il n’y a plus d’avant ni d’après, juste la rencontre des esprits.» Et c’est un peu cette rencontre-là (entre son esprit et celui de Buies, mais aussi – soyons juste – entre l’esprit de Buies et l’esprit de l’époque de la romancière) que tente la biographie. Le recours au personnage de Geneviève permet une superposition des points de vue qui rend le tout un peu plus nuancé. Par ricochet, cette transposition de la figure symbolique du biographé est aussi une façon pour l’auteur de critiquer sa propre société. Par exemple : « De tout ce qu’Arthur avait vu depuis son retour ici-bas, la télévision avait été sa plus grande source d’étonnement. Pas tant le mystère des ondes et des satellites que son contenu, ce que nous avions choisi de transmettre comme nourriture aux humains avec un moyen si perfectionné ! » (p.152) 2) Transposition de l’œuvre comme discours : La voix de Buies est très présente non seulement à travers les pensées du personnage fictif, mais, surtout, à travers de grands pans de l’œuvre de Buies qui se trouvent abondamment transposés dans la biographie. Autres remarques : Anne-Marie Clément a fait un compte rendu de ce livre dans la revue Tangence. LA LECTURE Pacte de lecture : Fiction et réalité se départagent assez nettement ici, quoique le jeu consiste précisément en leur savant mélange. L’auteur conclut son récit comme suit : « J’invente le récit, ici, d’un écrivain qui, revenu auprès de nous, aurait accepté de se supprimer pour nous laisser avec ses mots, la couleur de ses mots, la puissance de son œuvre. Je nome la fulgurante présence dans l’absence. Cette source intarissable. Coulée de phrases qui, derrière un homme, à sa suite, remue et laisse dans son sillage une multitude de signes. Le langage qui recommence. La suite des discours. Cette danse qui n’arrête pas et qui, dans l’imprévu, réclame de quoi couvrir la disparition d’un grand écrivain. Parole qui ne recouvre rien, qui retentit. » (p.191) Attitude de lecture : Convient parfaitement au corpus. On dirait même que c’est précisément le genre d’écrits pour lequel le projet a été constitué ! Le jeu entre le référentiel et la fiction, dont ce livre représente un exemple type (utilisation de la fiction au service du biographique, dynamique situations fictives versus appui sur des références) me semble être un filon intéressant pour l’étude du corpus. Lecteur/lectrice : Manon Auger Published in University of Toronto Quarterly - Volume 71, Number 1 Winter 2002- Letters in Canada To see more articles and book reviews from this and other journals visit UTPJOURNALS online at UTPJOURNALS.com. Arthur Buies, chevalier errant Micheline Morisset,Québec, Nota bene et Société Radio-Canada, 208 p., 17,95$ Reviewed in University of Toronto Quarterly by David M. Hayne De tous les auteurs canadiens-français du xixe siècle que le xxe siècle québécois a redécouverts avec plaisir et profit, nul n'est plus original et plus lisible qu'Arthur Buies. Les écrits de ce « moitrinaire » anticlérical - l'emprunt est de Claude-Henri Grignon - furent ramenés à la lumière vers le milieu du xxe siècle par les thèses et les monographies de Léopold Lamontagne et Marcel-Aimé Gagnon, puis remis sous nos yeux dans plusieurs anthologies (Gagnon, Lamontagne, Laurent Mailhot) et réimpressions. Ayant fait l'objet en 1970 d'un numéro spécial de la revue Études françaises, ses écrits ont reçu depuis 1986 la consécration de trois savantes éditions critiques préparées par Francis Parmentier. Bref, exactement cent ans après sa mort, Buies est redevenu un auteur lu et commenté, à tel point que la nouvellière Micheline Morisset lui a consacré, en juillet 1996, une série de dix émissions à la chaîne culturelle de Radio-Canada, série qu'elle vient de réunir dans son volume Arthur Buies, chevalier errant. Né à Montréal le 24 janvier 1840 d'un père écossais et d'une mère porteuse d'un grand nom à particule, Buies fut bientôt abandonné par ses parents, planteurs en Guyane, et fut élevé par ses grand-tantes seigneuresses. Il fit ses études, ses « années d'ignorance », disait-il, aux collèges de Sainte-Anne de la Pocatière et de Nicolet avant de faire un dernier stage au Petit Séminaire de Québec. Par la suite, il voyagea en Guyane, à Dublin, à Paris et en Italie, où il s'enrôla dans l'armée de Garibaldi. Revenu au Canada, il s'adapta difficilement à une vie d'avocat et de journaliste, fondant des journaux éphémères et composant des Chroniques remarquées. Vers 1879, il s'allia au célèbre curé Labelle, « le roi du Nord », et se fit le publiciste de la colonisation canadienne-française. Il décéda à Québec le 26 janvier 1901. Le récit de madame Morisset s'ouvre en 1995 à Rimouski. Arthur Buies, « mort depuis près d'un siècle », arpente le boulevard qui porte son nom et essaie de se reconnaître dans un milieu détruit par l'incendie de 1950 et transformé par la technologie et les mœurs du xxe siècle. Dans un premier temps, il se rappelle la solitude de ses premières années, son attachement à l'abbé Thomas-Étienne Hamel et à son cousin Ulric-Joseph Tessier et ses nombreuses déceptions. Il rencontre une jeune mère, Geneviève, dans un casse-croûte; elle partage son isolement et ils échangent leurs souvenirs. Buies lui raconte ses luttes contre le cléricalisme, contre l'enseignement des collèges classiques, contre la peine de mort, contre l'émigration de ses compatriotes, et les condamnations qu'il avait essuyées de la part du clergé et des bien-pensants. Elle, de son côté, lui fait connaître les problèmes d'une femme seule dans notre société, déplore les lenteurs du progrès social et regrette la déception des référendums. Buies finit par croire que les questions fondamentales de son peuple ne changent guère et que celle de la langue, à laquelle il s'était dévoué, persiste à travers les siècles. La sympathie de l'auteure pour son personnage est évidente et elle cite abondamment les écrits de Buies - « J'ai les mots de Buies plein la bouche », dit-elle - ainsi que les jugements des chercheurs qui les ont étudiés. Bien informée, elle passe en revue toutes les étapes de la vie mouvementée de son sujet : son activité au sein de l'Institut canadien de Montréal, ses séjours à Paris, sa carrière de journaliste, sa fugue en Californie. Son récit fourmille d'allusions aux auteurs canadiens-français et québécois que Buies aurait appréciés : la vie intellectuelle de notre époque lui ressemble davantage que celle de son siècle à lui. Car Buies est incontestablement, comme l'a bien dit Laurent Mailhot, un « précurseur de la révolution tranquille ». L'auteure termine cette agréable introduction à la carrière d'Arthur Buies, entremêlée d'intéressantes réflexions sur l'évolution du Québec moderne, par de nombreuses notes et références et une liste des principales études sur l'écrivain.