FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Pierre Silvain Titre : Le brasier, le fleuve. Georg Büchner Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : L’un et l’autre Année : 2000 Pages : 142 pages Cote : ———- Désignation générique : Aucune
Bibliographie de l’auteur : L’œuvre de Pierre Silvain se compose principalement de romans, de quelques récits et nouvelles, ainsi que d’une pièce de théâtre.
Biographé : Georg Büchner
Quatrième de couverture : rien
Préface : L’auteur raconte de quelle manière il en est venu à s’intéresser à Büchner. Regardant le portrait de l’écrivain, le biographe s’est senti «incit[é] à [s]’obstiner dans la poursuite d’une réalité à la fois fuyante et proche» (14). Poursuivant l’interrogation d’un éditeur allemand, qui demandait en 1835 « Qui est donc ce Büchner ? », Pierre Silvain désire savoir « [q]uel est cet homme que sa gloire encombre et ne finit pas d’obscurcir ? Comment a-t-il vécu, comment a-t-il traversé son temps avant de nous rejoindre dans le nôtre ? Quel est-il, cet irremplaçable contemporain ? » (18).
Rabats : Extrait de la préface sur le premier rabat ; mot d’ordre de la collection «L’un et l’autre» sur le second.
Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : À la toute fin, une section « Source » vient nous apprendre où l’auteur a puisé la matière de son récit.
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Présence d’un narrateur écrivain que l’on assimile aisément à la personne de l’auteur.
Narrateur/personnage : Narration transparente : les intrusions du narrateur dans le récit sont très rares ; narration omnisciente : le narrateur anticipe sur l’action du personnage, accède à ses pensées et à ses sensations ( « Il avance, comme Lenz dont il racontera bientôt la folie, dans le paysage obscur et menaçant, et il ne cesse d’éprouver “une pression dans la poitrine” qui n’est pas celle du héros romantique, mais de la peur viscérale, tenaillante, d’être pris », 68).
Biographe/biographé : En maints endroits du texte, le biographe se montre fasciné par la figure de Büchner, tant par le mystère qui entoure son existence que par ses réalisations : « Ce qu’il a réalisé dans l’espace de trente mois me stupéfie » (52).
Autres relations : ———-
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : Le temps est suspendu pour le jeune Büchner qui, en cette journée d’hiver de l’an 1837, attend calmement la mort. Il est atteint du typhus. Toute sa vie n’a-t-elle pas été organisée en fonction de sa fin si proche ? Des textes qui ont été conservés – car on sait aujourd’hui qu’il a noirci des centaines pages qui ont été perdues (ou éliminées ?) – on peut tâcher de déduire quelles ont pu être les motivations de Büchner, quel fut le rythme de son existence si brève, quelles furent ses amours et ses hantises. C’est bien cette vie, qui fut d’une intensité sans égal, que Pierre Silvain tente ici de reconstituer.
Ancrage référentiel : Solide. Les lieux que Büchner a effectivement fréquentés (université de Zurich, Strasbourg, Darmstadt, etc.) ; les personnes qui ont constitué son entourage (Wilhelmine Jaeglé, Karl Ernst Büchner, Minnigerode, etc.) ; les travaux qu’il a réalisés (La mort de Danton, Lenz, Mémoire sur le système nerveux du barbeau, Léonce et léna, etc.) ; les événements marquants de la seconde moitié du XIXe siècle, les journaux qui circulent à l’époque (Le Messager hessois), l’évocation de personnalités historiques – contemporaines ou non de l’action – ( Plutarque, Buonarroti, Marx), tout cela fait partir du décor.
Indices de fiction : La fictionnalité ressortit moins à l’invention de certains faits qu’au style (ton, rythme, champ lexical, ruptures syntaxiques sur un mode ludique, etc) et à un certain rapport au savoir. Il y a ici un important travail d’écriture, qui constitue d’ailleurs un enjeu central à l’intérieur du récit. Tantôt le lecteur se trouve face à un discours descriptif ou explicatif (généalogie : histoire du père ; critique : commentaire sur l’oeuvre), tantôt face à une écriture relâchée, imagée, un propos qui ne saurait faire l’objet d’une biographie (attachement au détail, à ces choses que ne retiennent jamais les documents officiels). Ce texte nous met également en présence d’une réflexion sur l’écriture biographique, sur le travail de reconstitution, d’élaboration et, surtout, de construction qui accompagne non seulement le geste biographique, mais également la façon dont on gère la mémoire de l’autre. Au sujet du « grand nettoyage » qui a suivi la mort de Büchner, le narrateur se questionne quant à la gestion des documents le concernant : « Que découvre-t-on que l’on juge, par scrupule, par amour, par morale, par calcul, par pusillanimité, n’avoir pas droit de survie? Qui puisse porter atteinte à l’image exemplaire du disparu que déjà on se dispose à fixer pour l’éternité ? » (27). L’idée d’une indétermination du vécu est mise de l’avant par certains marqueurs d’incertitude qui parsèment le récit. Par exemple : « pourquoi ne pas me l’imaginer récitant » (29).
Rapports vie-œuvre : Les rapports vie/œuvre sont noués très solidement ici, l’auteur situant fréquemment Büchner dans le contexte qui permet de comprendre telle ou telle de ses œuvres («Il faut se reporter à son état d’esprit au moment où, rentré chez lui, à Darmstadt, il entreprend d’écrire son drame », 53) ou cherchant dans l’œuvre de Büchner une explication ou de traces de son existence (« L’angoisse qui le tenaille et le tient en état de continuelle alerte est omniprésente dans son drame, enfoncée dans les esprits, dans le corps », 58). Parfois, l’auteur effectue de simples comparaisons entre la vie de Büchner et son œuvre ( « […] il va, au milieu de ses hantises, s’identifier sur sa scène intérieure à une créature de désastre, Lenz », 76).
Thématisation de l’écriture et de la lecture : Importante. Le thème de l’écriture est omniprésent dans ce récit. Il ne faut pas perdre de vue que ce qui fascine Pierre Silvain par dessus tout, c’est le nombre incroyable de réalisations au curriculum de cet écrivain mort à l’âge de 23 ans. Les ouvrages de Büchner sont largement commentés, tant du point de vue des circonstances entourant leur réalisation que du point de vue des idées qu’ils développent, de leur écriture. Des chapitres entiers sont consacrés aux travaux du biographé.
Thématisation de la biographie : La biographie se trouve thématisée sur deux plans : au plan de la narration (bien que très peu de choses en soit dite explicitement) et à l’intérieur du récit – Büchner ayant lui-même écrit une biographie. Le narrateur ne parle que très peu de son entreprise biographique personnelle, mais se permet de commenter celle de Büchner. Voir ce passage fort intéressant où il comble en quelque sorte les lacunes du Lenz : « Le vrai Lenz (Jakob Michael Reinhold, 1751-1792), on le retrouve mort, déchu et misérable, dans une rue de Moscou, une nuit de juin, par suite, semble-t-il, d’une crise éthylique » (77).
Topoï : brièveté de la vie, errance, science, littérature, amour, amitié, famille, mort.
Hybridation : Ce texte se donne à lire comme un mixte de biographie, de roman, de critique littéraire.
Différenciation : C’est surtout par les stratégies discursives qu’elle déploie que cette biographie se démarque de la biographie traditionnelle : chapitres souvent très courts et relatant des faits qui trouveraient difficilement leur place dans une biographie « ordinaire » ; lyrisme et vocabulaire imagé inappropriés à « l’énonciation biographique » traditionnelle et savante ; éclatement de la structure temporelle (le récit se donne à voir comme une suite discontinue de tableaux) ; etc.
Transposition : - Transposition, recréation d’une individualité à partir de son œuvre et de sa correspondance ; - Transposition du discours de la critique : ex. « Ici, comme plus tard dans Woyzeck, l’obscénité a pour fonction de masquer, de conjurer la mort, de renchérir sur l’obscénité même de la privation de la vie, de la défier d’une volte […] » (61) ; - Transposition de l’œuvre de Büchner - Transposition de registres (registres comique et sérieux à la fois)
LA LECTURE
Pacte de lecture : Ce que l’auteur a en vue ici, c’est de percer le mystère d’une existence peu connue, qui a eu une importance considérable. Attitude de lecture : Très beau texte, sérieux et amusant à la fois, qui convient à merveille à notre corpus. Lecteur/lectrice : Marina Girardin