Fiche de lecture

1. Degré d’intérêt général

Bien que ce ne pas à proprement parler un plaisir de lecture (loin de là), ce roman est assez singulier par son amalgame de différents genres et différentes formes qui, résulte ultimement en une enquête assez complète sur les causes et les conséquences d'un certain événement sur une certaine population (voir résumé pour mettre fin à l'intenable suspense).

2. Informations paratextuelles

2.1 Auteur : Bon, François

2.2 Titre : Daewoo

2.3 Lieu d’édition : Paris

2.4 Édition : Fayard

2.5 Collection : -

2.6 (Année [copyright]) : 2004

2.7 Nombre de pages : 294 p.

2.8 Quatrième de couverture:

La Lorraine. Dans le paysage de fer et d'acier ravagé par la crise de la sidérurgie, l'implantation à coups de subventions publiques de trois usines du groupe coréen Daewoo, fours à micro-ondes, téléviseurs.

Entre septembre 2002 et janvier 2003, fermeture brutale des trois usines, dont une sera incendiée. Pourtant, la première fois que j'entre à Fameck dans l'usine vide, vendue aux enchères, aucune trace de cette violence sociale qui a jeté sur le pavé 1200 personnes, des femmes surtout.

Au cours de mes visites, j'en rencontrerai bien sûr. Des voix toutes chargées d'émotion, la violence du travail à la chaîne, et la violence ensuite des luttes. Comment affronter maintenant le quotidien vide, et ce qu'il en est pour les enfants, pour le temps, pour sa propre idée de la vie ?

Ces récits entendus, les transcrire ne suffit pas : il faut raconter, reconstruire, la cellule de reclassement, les appartements où vous êtes reçu et le supermarché. Ce qui est proposé comme nouvelles figures du travail ? Centres d'appels, marché du chien.

Il faut aussi entrer dans les silences. On vous parle d'une qui n'est plus.

Ce n'est pas un livre prémédité : il s'agissait au départ de jouer, ici même, une pièce de théâtre. Et puis, à cause des visages, pour la densité des mots en partage, je décide d'écrire. Si les ouvrières n'ont plus leur place nulle part, que le roman soit mémoire.

F.B.

3. Résumé du roman

Après la fermeture des usines de Daewoo en Lorraine, un auteur se rend dans les communautés qui ont perdu leurs usines pour faire la lumière sur les causes et les conséquences de cet événement. Plutôt que de se lancer dans un description minutieuse de ce qui s'est passé, il raconte les épreuves que différentes femmes ont subies (ou le plus souvent il laisse les femmes les raconter) pendant la succession des plans de restructuration et après les fermetures. Le nom d'une certaine Sylvia, une des meneuses de la contestation qui s'est par la suite suicidée, apparaît souvent dans les témoignages des femmes et dans le récit de l'auteur.

4. Singularité formelle

Le roman contient à la fois des récits du narrateur qui visite la région des usines, des courtes pièces de théâtre, des entretiens avec d'anciennes employées et divers documents administratifs, techniques ou journalistiques.

5. Caractéristiques du récit et de la narration

Daewoo est un roman polyphonique qui insiste sur une prise de parole collective. Le narrateur incorpore à son récit des témoignages d'anciennes employées qu'il a notés sur un calepin ou enregistrés sur un magnétophone. Dans ces moments, il se met parfois en scène en train de recueillir les mots ou bien il précise ce qu'il a changé, ce sur quoi il a insisté, etc.

De façon générale, le narrateur emprunte une posture double d'enquêteur et d'artiste, ce qui explique que le roman contienne à la fois des documents administratifs et techniques, des fragments de discours politiques, des témoignages bruts ou remodelés ainsi que des parties d'une pièce de théâtre. D'ailleurs, à l'origine, le narrateur/auteur souhaitait écrire une pièce de théâtre sur ses événements plutôt qu'un roman.

6. Narrativité (Typologie de Ryan)

Embryonnaire ?

La narrativité est tout de même un peu plus qu'embryonnaire. Toutes les composantes du récit (témoignages, documents, théâtre, etc.) créent un univers fictionnel avec des personnages, des “aventures”, mais en bout de ligne ce patchwork ne met en place une intrigue, même si, bien sûr, tous ces éléments sont liés de près ou de loin à la fermeture des usines. Bref, le roman est un peu comme un dossier d'enquête qui dort au commissariat avant qu'un scénariste débarque pour en faire un épisode d'une série policière.

6.11- Instrumentale

Même si le narrateur affirme “Ne rien présenter que l'enquête” (290), il est évident qu'il prend parti pour les ouvrières licenciées. Il décrit celles-ci avec bienveillance et compassion, tandis que les responsables de la fermeture des usines sont assez clairement campés comme “les méchants”. La citation de François Rabelais en exergue rend d'ailleurs bien compte de l'argument qui sous-tend le projet de Daewoo: “Et là commençay à penser qu'il est bien vray ce que l'on dit, que la moitié du monde ne sçay comment l'aultre vit.”

7. Rapport avec la fiction

Il semble évident que l'auteur a retouché, modifié ou réécrit la plupart de témoignages qu'il présente pour en uniformiser le ton à grands coups de phrases brisées, non-verbales, suspendues.

8. Intertextualité

Nathalie Sarraute, François Rabelais et Jean Echenoz sont mentionnés, mais de manière superficielle.

9. Élément marquant à retenir

Le dossier d'enquête qui ne parvient pas vraiment à organiser d'intrigue (ça n'était d'ailleurs probablement le but, je sais), comme si un seul récit plus “classique” n'aurait pu rendre compte de tous les tenants et les aboutissants de la fermeture des usines, des conséquences graves, multiples et complexes que cet événement a eues sur des centaines de personnes.

Critique éclairante dans Télérama: http://www.tierslivre.net/livres/DW/telerama.html.