Michel Biron, "Le fils de personne"

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Michel BIRON Titre : « Le fils de personne » Revue : Voix et images Édition : volume 27, no3 (81) Année : 2002 Pages : 566-571

RÉSUMÉ

L’auteur souligne d’emblée que le malaise entourant la filiation est une caractéristique propre à la pensée de notre époque. « Le roman contemporain porte, lui aussi, la marque de cette thématique obligée. Bien qu’on le présente généralement comme trop diversifié pour être catégorisable, le roman des dix ou vingt dernières années ne cesse de raconter les mêmes histoires de filiation. » (2002 : 567)

« Ces questions [sur la filiation], on se les pose sans doute un peu partout aujourd’hui, aux États-Unis, en France ou ailleurs. Il me semble qu’elles prennent toutefois un sens particulièrement fort au Québec. Il serait ridicule de prétendre expliquer pourquoi en quelques mots, mais je ne peux m’empêcher de penser que la situation actuelle n’a pas le même caractère de nouveauté, vue d’ici. Haïr la famille, le père ou le bourgeois, ce ne fut jamais la grande affaire du roman québécois. Le désarroi des personnages contemporains, nous le connaissons depuis toujours pour ainsi dire. Le roman québécois s’est élaboré loin du déterminisme familial à la Zola et plus loin encore du rejet du personnage traditionnel décrété par le Nouveau Roman. Ces formes-là ont non seulement marqué ailleurs (en France surtout) l’évolution du genre, mais elles reposaient aussi sur une logique oppositionnelle qui définissait à jamais le lien unissant l’individu à sa famille, à sa classe, à sa société. Rien de tel au Québec : nous entrons dans le roman contemporain comme si nous y avions toujours été, comme si l’individu désorienté d’aujourd’hui ressemblait, tel un frère, à celui d’hier. » (2002 : 567)

L’auteur écrit, à propos de la forme du roman Le fils de Jimi, de Germaine Dionne, que le héros, fils d’une mère hippie et d’un père qu’il n’a jamais connu, renonce à livrer et à célébrer à son tour le combat pour l’éternelle jeunesse qui était celui de ses parents. Dans ce récit constitué d’une dizaine de tableaux, la fragmentation « épouse le morcellement de chacune des vies sans rompre la chronologie, refusant simplement d’imaginer des liens de causalité là où il n’y a que des temps morts. » (569) Biron poursuit : « [L]es ellipses narratives ne prétendent pas plus produire un effet d’étrangeté que briser les conventions de la représentation romanesque. Certains seront même tentés d’y voir un recul par rapport aux expériences formelles de naguère. Mais ce serait oublier que la fiction contemporaine, elle aussi, est la fille de personne. Ses parents sont morts ou disparus et ils lui ont laissé un héritage confus, fait de bric et de broc. » (2002 : 569) (Je souligne.)

Remarque sur le récit de filiation (associée au roman de Ying Chen, Le champ dans la mer) : « Au fond, le récit de filiation consiste moins à résumer les événements d’une vie qu’à faire le bilan des disparus et des morts qui nous hantent. Comme un testament inversé, ce récit consiste à offrir aux morts une partie de soi-même, retournant aux morts le peu qui nous reste une fois acquittées les dettes que nous avons contractées en leur nom. » (2002 : 570)

« Sous l’apparente simplicité des phrases, la prose de Ying Chen conduit ainsi à repenser, à réécrire le roman familial comme une entreprise infiniment complexe. Loin des métaphores de l’enracinement ou du déracinement, elle invite à une sorte de va-et-vient permanent entre hier et aujourd’hui, entre les morts qu’on voudrait oublier et les vivants qui font semblant d’exister. » (2002 : 570)

Lectrice : Mariane Dalpé