Fiche technique

Titre de la revue : Zinc

Éditions : Montréal

Ligne éditoriale :

Une filiation claire avec la maison d'édition le Marchand de feuilles est établie dès la première phrase du liminaire de la revue. On tient tout de même à préciser qu'il s'agit d'un espace indépendant. La revue se veut un « laboratoire pour la littérature de demain ». On compare la revue à un lieu réel de sociabilité, un lieu imprégné de nostalgie : le bistrot parisien des années 30. Le mot « zinc » fait d'ailleurs référence au matériau utilisé dans la confection des comptoirs de bistro. On désigne également le caractère multiple de la composition de la revue, en ayant recours à des termes tels que « pluridisciplinaire », « polyphonie ». L'imaginaire guerrier est aussi convoqué dans le but d'illustrer la nature résistante de la revue : « tranchée », « village gaulois », « champ d'action » (champ de bataille?). De plus, l'exergue du premier numéro de la revue est une citation de Karl Kraus (écrivain allemand s'étant intéressé à la langue, entre autres, telle qu'utilisée dans les médias) : « Au commencement il y avait le service de presse, et quelqu'un le reçut, envoyé par l'éditeur. Puis il écrivit un compte rendu. Puis il écrivit un livre, que l'éditeur accepta et qu'il transmit au service de presse. Le suivant, qui le reçut, fit de même. C'est ainsi que s'est constituée la littérature moderne. » (Dits et contredits).

Cet extrait illustre rapidement la genèse de la littérature moderne qui, nous dit-on, repose sur un système circulaire où les médias occupent une fonction déterminante et auxquels se rattachent différents agents apparentés à l'univers du livre. La presse, l'édition et l'écrivain y sont montrés comme étant finement liés. À première vue, cette citation se veut une valorisation du milieu littéraire moderne qui est essentiellement basé sur une organisation bien huilée de divers actants. Or, cette citation est utilisée hors contexte. L'oeuvre de Karl Kraus s'attaque férocement à la langue des médias qui est, selon lui, vidée de son potentiel et dénuée d'imagination. En fait, il dénonce la corruption faite par la langue qu'on utilise parfois à des fins de propagande, en se basant notamment sur l'exemple du nazisme. La critique littéraire est également visée. Kraus considère que « un poème se suffit à lui-même, il n'a pas besoin de commentaire car commenter, ce serait faire passer les circonstances extérieures avant le langage : autant dire que Kraus n'est pas étranger à la révolution de la critique littéraire au XXe siècle1. » Bref, inaugurer une revue de création, qui s'inscrit donc dans ce grand système que dépeint Kraus, par une citation d'un auteur reconnu pour sa dénonciation des discours secondaires entourant la littérature me semble plutôt ironique. Le propos de Kraus semble récupéré en vue de valoriser la littérature moderne et tout le réseautage qu'il inclut. Or, ce propos est issu d'une pensée qui décrie le détournement de la langue par les médias et par la critique littéraire. Ce détournement amène une certaine confusion, d'autant plus que la pensée de Kraus n'est pas reprise par le texte d'introduction et qu'aucun lien n'est fait avec la ligne éditoriale de la revue. Finalement, cet exergue tombe un peu à plat, même si la typographie criarde amène à croire le contraire (le nom de Karl Kraus et de Dits et contredits apparaissent en très grosses lettres).

Appels de texte : Les premières parutions ne sont pas systématiquement orientées selon un thème. Puis, au fil du temps, à partir du numéro 6 plus exactement, la revue se concentre sur un thème : spécial nouvelles voix féminines de la littérature québécoise, spécial littérature érotique, spécial forêts, spécial naissances, spécial supermarché, etc. Les textes doivent comprendre 2000 mots.

Fiche détaillée

Date du premier numéro : automne 2003

Historique : Rédactrice en chef (depuis le lancement de la revue et jusqu'à ce jour) : Mélanie Vincelette

Sections de la revue : Fait intéressant, les textes ne sont pas répertoriés par genres. Sauf la section « essai », les autres sections sont réparties trois groupes : fiction, érudition, francophonie. Fait encore plus intéressant, la section « fiction » rassemble des textes de fiction certes, mais aussi des poèmes. On semble confondre, ou amalgamer, des régimes d'écriture différents auquel le terme « fiction » n'est pas tellement à même de référer (je pense ici, entre autres, à un poème de Wajdi Mouawad qui n'a rien à voir avec la fiction).

Auteurs récurrents : Les auteurs qui reviennent souvent (deux fois et plus) sont les suivants :

Filiation avec une maison d'édition : Le marchand de feuilles

Conception de la littérature :

Concernant le « spécial nouvelles voix féminines de la littérature québécoise » versus le « spécial nouvelles voix masculines de la littérature québécoise »:

Les deux numéros comportent des différences flagrantes. D'abord, l'un, celui des auteurs masculins, est en réponse à celui sur les voix féminines qui, semble-t-il, a semé l'émoi sur les blogues (je n'ai pas trouvé de traces de cet émoi malheureusement). Le liminaire présentant les voix féminines est beaucoup plus long (une page et demi comparé à une demie page pour celui des hommes), comme si la cause commandait un plus long préambule. Le numéro se veut une anthologie, rien de moins, chose qui n'est pas mise de l'avant pour ce qui est du numéro sur les voix masculines. De plus, pour les femmes, on a cru bon donner une orientation à l'ensemble en donnant un thème d'écriture : le désir. Le thème, on en conviendra, est pour le moins cliché et l'utilisation qui en est faite aussi. On aurait pu sortir des univers amoureux, intimes, familiaux, etc. Mais non. La plupart des textes reprennent le thème du désir dans son assertion la plus convenue. Par opposition, le numéro sur les voix masculines n'est pas orienté autour d'un thème, amenant certainement une certaine liberté dans les propositions et permettant de dresser un portrait plus vaste de l'écriture actuelle. Les auteurs sont présentés comme des jeunes voyous, des bums de la littérature : « Ce sont tous des mauvais garçons insolents par leur art. Sans compromis » (p.5). Les femmes, quant à elle, sont dépeintes comme des désillusionnées : « Ces femmes de la nouvelle génération sont ancrées dans leur époque et la racontent sans la passer au moulin des grandes illusions. Lisez ces femmes résolument lasses d'utopies, libérées des pièges des anciens et prêtes à rebâtir avec leurs cendres un monde nouveau, un monde lucide. » (p.4) Cette présentation axée sur l'acuité des auteures est à juxtaposer à l'imagerie de la couverture sur laquelle on retrouve un crocodile en plastique avec, dans sa gueule, le corps d'une poupée Barbie. La tête de celle-ci, barbouillée de sang (de peinture brunâtre peu crédible), repose à côté de l'animal. L'ensemble donne une allure plutôt trash au numéro, même si le reste de l'espace reprend les couleurs classiquement féminines du rose et du mauve. L'imagerie du numéro masculin est dans les teintes de bleu et de vert. Apparaît également la photo d'une femme couchée sous un filet qui ressemble à un but de hockey renversé. Bref, même si à priori, le numéro sur les nouvelles voix féminines se veut féministe et souhaite promouvoir les écrits de femmes, on demeure dans les stéréotypes. Et cela est accentué par le numéro sur les voix masculines, qui se veut un répondant (au final, bien pâle).

À propos de la littérature contemporaine : Dans un numéro consacré à la science-fiction, on en vient à un constat assez réducteur de la littérature contemporaine. Le but est de valoriser la science-fiction, mais ici, on le fait au détriment des autres types de récit qui sont entièrement amalgamés sous l'étiquette auto-fiction. C'est de cette dernière que découlerait l'entièreté de la littérature contemporaine (constat assez rapide!) : « La littérature contemporaine née de l'auto-fiction offre toujours la même maquette et ne nous apprend rien de neuf sur l'humanité : elle présente le même couple d'ivrognes vivant en ville, léchant les mêmes plaies, entretenant les mêmes maîtresses, allant au théâtre et voyageant en des lieux exotiques tout en refusant de vieillir. Toutes les facettes ont été explorées. Reste la science-fiction qui ose nous poser des questions ». (p.9-10) Selon cette idée, la science-fiction est donc le remède contre le narcissisme et les stéréotypes qu'entretient inlassamblement la littérature contemporaine.

Récurrences :

Présentation matérielle de la revue : aucun changement notoire esthétique plutôt graphique, parfois de l'ordre du collage, souvent ludique, très coloré

Remarques : La notion de « relève » : Cette notion n'est pas explicitée, si ce n'est que l'on veut donner une voix aux « auteurs de demain », ceux qui représentent l'avenir. Plusieurs des auteurs publiés ont déjà une certaine reconnaissance, du moins ils comptent déjà une ou plusieurs publications. On remarque aussi que généralement, on met de l'avant les nom des auteurs déjà connus en couverture (probablement pour attirer les lecteurs).

(Fiche réalisée par Geneviève Dufour)