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Fiche technique
Titre de la revue : Revue L'Inconvénient Adresse / Éditions : Montréal (lien avec les éditions du Boréal et de l'Hexagone) Ligne éditoriale : Réfléchir à la société contemporaine à partir de la littérature (regard pessimiste) Appels de textes : L'Inconvénient publie des essais, des textes de fiction et de poésie, d'une longueur approximative de 5 à 15 feuillets.
Fiche détaillée
Date du premier numéro : mars 2000 (à raison de 4 numéros par an)
Historique : Comité initial : Alain Roy, Isabelle Daunais, Ook Chung, Anne-Marie Fortier, Yannick Roy Comité actuel : Alain Roy, Isabelle Daunais, Mathieu Bélisle, Geneviève Letarte, Yannick Roy
Sections de la revue : Essai (en premier lieu) et fiction, nouvelles et poésie (2è lieu) Section spéciale « Fatalités, bogues, pépins et autres inconvénients » : Textes brefs signés par chacun des membres du comité de rédaction ou plusieurs d'entre eux qui portent sur le thème du numéro de l'ordre de la réflexion, du commentaire.
Auteurs récurrents :
- Isabelle Daunais
- Alain Roy
- Yannick Roy
- François Ricard
- Jean Pierre Lorange
- Geneviève Letarte
- Lakis Proguidis
- Pierre Vadeboncoeur
- Gilles Marcotte
- Réjean Beaudoin
- Serge Bouchard
Filiation avec une maison d'édition : …
Conception de la littérature : *voir ci-bas
Récurrences : …
Présentations matérielle : Esthétique minimaliste : couverture cartonnée d'une couleur (de terre généralement), comprenant parfois des illustrations (une mouche pour un numéro sur les épidémies par exemple)
Remarques : …
Conception de la littérature : Fonction de la littérature : instrument de connaissance à part entière Regard pessimiste sur le monde (flagrant) : « Que d'acharnement à ne pas voir l'inconvénient! » (4è de couverture du premier numéro). Les thèmes de la revue le montrent bien : « La mort de la critique », « Anatomie de l'homme cynique », « Les inconvénients de la vie moderne », « La fin du monde », « Les joies du pessimisme », « Peut-on encore rire? ». Le numéro 3 (novembre 2002) est éloquent à cet effet. Il a pour thème le déplaisir de lire. La quatrième de couverture dit ceci : « Dans la mesure où elle ne s'inscrit pas dans un art de vivre, elle doit plus déranger, ni ébranler, ni révéler l'existence dans ce qu'elle a de risible, de tragique ou de sinistre; elle doit, en un mot, être entièrement positive – donc sans intérêt. »
No 3 (novembre 2002) – « Déplaisir de lire » :On s'oppose clairement à la littérature divertissement qui est considérée comme une littérature vide, sans intérêt. « Dans la mesure où elle s'inscrit dans un art de vivre, elle ne doit plus déranger, ni ébranler, ni révéler l'existence dans ce qu'elle a de risible, de tragique ou de sinistre; elle doit, en un mot, être entièrement positive – donc sans intérêt. » (4e de couverture)
No 15 (novembre 2003) – « Les joies du divertissement » Texte de François Ricard : « Après la littérature. Variation délirante sur une idée de Pierre Nepveu » Constat : nous sommes à l'ère de la littérature post-québécoise État des lieux du présent littéraire au Québec : « plus globalement, l'on est en droit de conclure, me semble-t-il, à l'existence, dans le Québec de 2003, d'un système littéraire extrêmement actif, fécond, sûr de lui-même et débordant d'énergie. Si ces choses étaient vérifiables, je parierais ma chemise qu'il ne se trouve aujourd'hui, dans le monde, aucun autre pays où la littérature soit aussi visible et célébrée dans l'espace public, où elle se pratique avec autant de ténacité et d'éclat, où l'on publie proportionnellement autant de romans et de poèmes et où la vie littéraire se manifeste d'une manière aussi riche, aussi bruyante, aussi euphorique et festive qu'ici. »
« la période qui nous intéresse ici, et que l'on peut qualifier, comme le suggérait Pierre Nepveu, de littérature « post-québécoise », dans la mesure où ne s'y continue pas, ne serait-ce que sur le mode de la « rupture », du « dépassement » ou de la « contestation » […], la littérature québécoise des décennies précédentes, mais où celle-ci, plutôt, est devenue une référence de plus en plus abstraite, un cadre, une étiquette, une matière à bilan, peut-être un simple souvenir ou une caution rassurante. Pour le dire dans une formule un brin provocatrice, la littérature dans le Québec d'après 1980, si l'on suit Nepveu, serait une littérature d'où la littérature québécoise s'est absentée. » (p. 68-69)
Hypothèse : « et si ce qui se donne et manifeste si bruyamment comme littérature dans le Québec d'aujourd'hui étant en fait une littérature d'où la littérature elle-même se serait absentée, et où elle ne ferait plus, pour reprendre les mots de Nepveu, que « se survivre à elle-même comme une ombre ou un fantôme »? » (p. 69)
Ce qui a tué la littérature, entre autres : « Nous ne le savions pas, eux-mêmes ne le savaient pas, sans doute, mais les missionnaires de la contre-culture et de la nouvelle écriture, les dénonciateurs du mensonge et de la vanité littéraires qui s'agitaient parmi nous à la fin des années 1970 auront eu raison. Certes, ce n'était pas leur fait, et ils agissaient moins en assassins qu'en embaumeurs, mais leur campagne de destruction et leurs proclamations apocalyptiques ont bel et bien porté fruit : le temps de la littérature était terminé. » (p. 71-72)
Tous les « retours » auxquels on assiste en littérature ne sont qu'une tentative vaine de réveiller un mort, de raviver la littérature que l'on a dénoncée et que l'on pillé de tout (de l'auteur, de l'oeuvre, de la lisibilité, etc.) : « On a assisté, depuis, à diverses tentatives de « retour » au bon sens et à la normale, y compris de la part des anciens révoltés les plus révoltés : retour de la lisibilité, retour du réalisme, retour du lyrisme, retour de l'engagement, et quoi encore, autant de manières d'essayer d'oublier ce qui s'est passé, de le refouler, de faire comme si cela ne s'était pas passé. Or tous ces revivals ont beau être sympathiques, on ne revient pas de la mort. Ou plutôt, on en revient, mais comme un « revenant », justement, c'est-à-dire le spectre d'un être qui n'est plus. » (p. 72)
La littérature a perdu son caractère époustouflant, inquiétant et démesuré qui faisait trembler les jeunes écrivains. Ce n'est plus un édifice imposant que l'on craint et que l'on admire. Elle a perdu « son emprise régulatrice, hiérarchisante et, surtout, inhibitrice. » (p. 73) Elle était jadis perçue « non comme une stimulation, non comme un encouragement, mais au contraire comme un empêchement, comme une résistance, qui frappait d'improbabilité, voire d'impossibilité, l'avènement de toute écriture singulière, si ce n'est à la suite d'un long combat dont bien peu sortaient victorieux. C'est pourquoi, en face de la littérature, disait Virginia Woolf, la plume du débutant ne peut que trembler. Dans la post-littérature, évidemment, les plumes de tremblent plus. » (p. 73-74)
Cette perte du caractère imposant de la littérature entraîne plusieurs conséquences, notamment une hausse de la production littéraire : « Une fois que le milieu littéraire, ou même que la société dans son ensemble, est débarrassé, nettoyé de la présence et du poids de la littérature, une fois que sont tombés les exigences et les interdits par lesquels celle-ci s'était définie, alors les vannes peuvent s'ouvrir toutes grandes, et l'écriture, et les écrivains s'épanouir en toute liberté. D'où une forte augmentation du nombre des auteurs, publiés ou non […]. » (p. 74)
Les causes qui sont responsables de cette augmentation de la production littéraire sont les suivantes : « la démocratisation de l'enseignement, l'aide de l'État, l'ouverture des programmes de création littéraire dans les universités ou la généralisation de l'ordinateur » (p. 75)
Cela ne réduit pas la qualité de la littérature au néant. À tout le moins, il devient plus difficile de départager le bon grain de l'ivraie : « je ne dis pas qu'il n'y a plus de bons écrivains, des écrivains qui poursuivent une véritable aventure littéraire; tout ce que je dis, c'est qu'il devient très difficile, dans les conditions nouvelles où nous sommes, non seulement de les isoler parmi la foule des autres et de les reconnaître pour ce qu'ils sont » (p. 76)
Ricard déclare la fin des mouvements d'écriture, des rassemblements d'écrivains : « Finies les avant-gardes, finies les écoles littéraires, finies les polémiques et les imprécations. » L'écrivain n'est pas un combattant. La littérature est devenue pour lui un lieu de repos : « Hormis les difficultés d'écriture (ou de subsistance) qu'il rencontre parfois, c'est un homme qui dort sur ses deux oreilles et n'empêche nullement ses voisins de faire de même. » (p. 76)
Cette vision de la littérature est également partagée par Isabelle Daunais, Michel Biron et Réjean Beaudoin qui ont signé des textes qui reprennent des idées semblables, notamment en ce qui a trait à la littérature pacifiée et inoffensive. Le constat premier est le suivant : la littérature québécoise est beaucoup trop habitée par une vision romantique pour être solide. La quatrième de couverture du numéro 30 de la revue dresse un portrait assez éloquent ce constat : « Née en plein romantisme, au dix-neuvième siècle, la littérature québécoise semble n'avoir jamais abandonné les valeurs attachés à ce mouvement. Aucune grande esthétique, aucune grande question n'est parvenue à redéfinir cette littérature des souffrances intimes, de l'intériorité, de l'appel, de l'attente – incluant l'attente de la grande œuvre, si longtemps entretenue et jamais vraiment disparue – qui est la nôtre. D'où vient cet attachement profond, presque consubstantiel, de la littérature québécoise au romantisme et à son univers d'innocence et de désir, ou peut-être faudrait-il dire plutôt : d'où vient son incapacité à s'en détacher? Manque-t-il à nos œuvres l'héritage et la mémoire d'oeuvres plus « viriles »? Ou se pourrait-il qu'au Québec nous soyons trop éloignés, trop protégés des réels combats du monde pour faire autre chose que de les rêver? » La quatrième de couverture est sans grandes nuances (ce qui donne à penser qu'elle sert à susciter l'attention du lecteur), ce que tend à résoudre les textes de la revue qui sont, quant à eux, plus précis et plus fouillés.
Isabelle Daunais, dans le numéro 32 (février 2008), écrit ceci : « issue de toutes les fins qu'ont prononcés les trente dernières années – fin de l'histoire, fin de la nation, fin des avant-gardes, fin de la littérature elle-même – la littérature d'aujourd'hui n'est pas ou n'est plus seulement l'ombre ou le fantôme de la littérature d'hier; elle est aussi une manière pleinement contemporaine d'être au monde, une manière qui consiste à habiter ce monde ou à rêver de l'habiter sans y laisser quoi que ce soit qui ne s'efface ou ne se dissipe. Si ce rêve est irréalisable dans la vie concrète, la littérature offre aujourd'hui, à qui se donne la peine légère de prendre la plume, en moyen de se racheter […], c'est-à-dire un moyen d'être là, mais sans rien déranger; de créer, mais sans rien transformer; de faire œuvre mais sans les défauts ou les menaces de l'oeuvre, qui ont toujours été qu'elle pouvait entailler le monde. » (p. 76)
La littérature actuelle se caractérise par sa normalisation : « Sa normalisation, par quoi elle se définit non seulement aujourd'hui mais en soi, en fait possiblement l'une des plus éloignées de toute idée de résistance ou de réplique. » (p. 77)
Dans le numéro 30 (août 2007), Michel Biron, pour sa part, explique que les origines de la littérature québécoise, essentiellement romantiques, donnent sa couleur à la littérature actuelle et que cette dernière n'a jamais outrepassé ses origines. La littérature québécoise demeure résolument romantique. Pour ce faire, il explique qu'un écrivain comme Mallarmé ne pourrait jamais voir le jour au Québec : « Mallarmé déplore l'excès de subjectivité, ne croit pas à l'inspiration et impersonnalise la poésie en l'élevant à la hauteur de l'abstraction. Ce faisant, il n'est jamais tout à fait quitte avec le romantisme qu'il combat, mais il l'arrache à la sensiblerie et aux enchantements factices. » (p. 32)
La poésie fait des tentatives pour parvenir à se déromantiser, mais c'est au profit de la poésie elle-même car la stratégie utilisée passe par une écriture plus proche de la prose : « Il est assez significatif que Marie Uguay, comme tant d'autres poètes québécois depuis Saint-Denys Garneau, déromantise la poésie en la débarrassant de ses ornements, de son lyrisme facile, de ses enthousiasmes juvéniles, de ses coquetteries esthétisantes, bref, en la rapprochant de la prose. Le contraire de Mallarmé qui voulait plutôt « donner un sens plus pur aux mots de la tribu » et qui creusait la distance entre les mots et les choses, entre le moi et le monde. Ici, c'est comme si les choses et le monde étaient déjà trop à distance, trop peu réels. Le langage poétique court toujours le risque d'aggraver ce sentiment d'inadéquation et ne cesse de lutter contre lui-même, comme pour racheter sa faute et ramener le poète à sa condition élémentaire, à sa pauvreté première. » (p. 33)
(Fiche réalisée par Geneviève Dufour)