dans Bessière (dir.), Littératures d’aujourd’hui : contemporain, innovation, partages culturels, politique, théories littéraires, Paris, Honoré Champion, p. 215-224.
• « Le roman contemporain s’entend comme le roman des trente dernières années, sans que les langues, les cultures, les identités nationales des romans soient spécifiquement privilégiées. Le contemporain même s’identifie doublement : selon un moment d’internationalisation des proximités éditoriales, marchandes et, en conséquence, créatrices, des romans de bien des cultures : selon la temporalité et l’historicité qui font le contemporain : celui-ci est une actualité, définie par son propre présent et par les indices temporels, historiques, avec lesquels il se confond et qui sont de divers moments. Par son moment d’internationalisation, par le présent et par les historicités, qui le définissent, le contemporain est un complexe de sites et de temps. Le constat de ce complexe de sites, de temps, dans le roman, dans la littérature, dans l’historiographie, est caractéristique du contemporain. […] » (218-219)
• Bessière oppose le roman contemporain au roman moderne, moderniste et postmoderne, « soumis à l’antrhopoïesis de l’individualité » (220). Changement de perspective anthropologique, donc, et il explique : « Ce changement est fonctionnel. il permet au roman de répondre de la diversité des cultures auxquelles il fait référence. » (220)
• « Le roman se construit comme un appel pragmatique; il se lit selon une pragmatique : le lecteur du roman contemporain s’identifie, par le roman, comme un agent du monde, dans le monde, sans que cela implique, de sa part, une identification au monde du roman. » (220)
• « Ainsi, le roman contemporain se caractérise-t-il, se lit-il à l’inverse du roman de la tradition moderne, moderniste, postmoderne. Le roman de cette tradition, y compris le postmoderne, reste le roman de l’autorité du roman, celui dont la théorie du roman ne cesse de reconnaître l’autorité lorsqu’elle l’étudie sous l’aspect du type et du cas, du paradigmatique et du singulier, celui que le postmoderne illustre en faisant du roman singulier tantôt une manière d’échantillon et de somme de types de romans, tantôt une manière de somme des temps. Si l’on décide d’encore utiliser, à propos du roman, le terme de fiction, il convient de dire deux types de fictions. Roman de la tradition du roman : la fiction se confond avec des évocations romanesques marquées de vérité ou de fausseté – peu importe, sur le fond –, qui se donnent comme des présentations complètes, capables d’exposer à la fois le singulier et le paradigmatique. Roman contemporain : de ces conditions contemporaines, que se reconnaît le roman, de cette reconnaissance du roman par le lecteur, naît la fiction. Cette fiction est faite de traductions manquées, d’incongruités : le roman manque de dire ses propres objets, comment il entend les dire ; le lecteur manque de lire exactement le roman. La fiction est ainsi davantage capable que bien des choses et bien des pensées, de recueillir idées, concepts, formules, et toutes les abstractions du monde, pour leur donner visages et noms. Par quoi, la fiction initie ou répète le jeu de la problématicité. » (221)
• Par rapport à l’ironie et au roman postmoderne : La vulgate critique voit le roman comme un exercice de totalisation – rappel d’un ordre ultime (celui du roman), fut-il sous le mode de l’ironie. « Bakhtine s’attache à souligner la constance de cette ironie dans l’histoire du genre; le roman postmoderne la revendique sans noter qu’elle appartient entièrement à la tradition du roman et au jeu du singulier et du paradigmatique – l’ironie n’est que le moyen d’identifier et de singulariser les diverses expositions des diverses données paradigmatiques, de noter un rappel de la communauté perdue, en une fidélité, également ignorée, aux thèses de Giorgy Lukacs. Le roman contemporain ne porte pas de figuration d’une communauté : il dessine la diversité des communautés selon la diversité des histoires, des historicités, des ‘’agencies’’. » (221-222)
• « Roman de la tradition du roman – roman réaliste du XIXe siècle, roman moderniste, roman postmoderne – et roman contemporain s’opposent, selon cette perspective [celle de l’ironie] de manière nette. Roman de la tradition : c’est le roman même qui est l’opérateur de l’universalisation – il faut répéter l’importance prêtée à l’ironie; roman contemporain : il n’,est d’universalisation que selon une anthropologie qui ne suppose pas une vision unifiée de l’être humain, mais une vision pragmatique – l’être humain est un être agissant, présenté comme agissant, et qui reconnaît dans les monuments construits par l’homme, éventuellement littéraires, les témoignages de l’action et, en conséquence, les témoignages de diverses pensées de l’action. » (222)