Fiche de lecture / Bertrand Laverdure, Lectodôme

1. Degré d’intérêt général

Ni découverte de l’année ni douloureuse perte de temps. Le roman ne réinvente pas le discours sur la littérature dans la littérature, ni l’intertextualité, ni l’autoréférentialité, mais son usage de ces procédés est digne d’intérêt (je pense).

Comparé par Christian Desmeules à Vila-Matas : « Penseur de circonstance, digressif de haut vol, bavard littéraire intarissable, Laverdure démontre encore une fois sa maîtrise parfaite de la phrase. Ironique et bondissant, son nouveau roman est une leçon de style et un exercice impeccable de littérature du commentaire façon Vila-Matas, rempli d'intuitions excitantes et d'une liberté d'esprit et de ton qui se fait trop rare. » (Le Devoir, LIVRES, samedi 18 octobre 2008, p. f2.)

2. Informations paratextuelles

2.1 Auteur : Bertrand LAVERDURE

2.2 Titre : Lectodôme

2.3 Lieu d’édition : Montréal

2.4 Édition : Le Quartanier

2.5 Collection : QR

2.6 (Année [copyright]) : 2008

2.7 Nombre de pages : 315

2.8 Varia : -

3. Résumé du roman

Ghislain (personnage principal) est lecteur dans une maison d’édition et commis au dépanneur Couche-Tard du métro Joliette à Montréal. Il se voit investi d’une mission, en quelque sorte, lorsque le perroquet Laverdure de Zazie dans le métro fait irruption dans sa vie : il doit diffuser la « bonne » littérature québécoise, c’est-à-dire dans le cas présent Le Grand Khan de Jean Basile, entre autres. Il réfléchit à la littérature, philosophe sur le mensonge avec une amie, va au cinéma, lit beaucoup, réfléchit encore à la littérature, discute de littérature avec des amis, bref sa vie tourne autour de l’art, en quelque sorte, ainsi que le roman, qui n’est l’hôte d’aucun grand rebondissement. D’autres personnages meublent ce roman : un libraire de Chicago qui s’amuse à prédire la littérature à paraître sur Internet, une prostituée qui se suicidera, un architecte blasé, d’autres individus aux occupations diverses qui serviront pour la plupart de supports à différents discours sur la littérature et la vie.

4. Singularité formelle

Formellement, je ne vois pas de grande singularité. L’intérêt de ce roman repose sur son propos, davantage que sur sa forme plutôt traditionnelle (c’est-à-dire : récit à la première personne sauf exceptions, voir point suivant).

5. Caractéristiques du récit et de la narration

Le récit et la narration sont assez « normaux » : narration à la première personne, narrateur « je » (Ghislain), focalisation interne. Sauf exceptions : dans les chapitres VII et IX, narration hétérodiégétique lorsqu’il est question des trois personnages de Chicago. Le récit, quant à lui, est un peu plus intéressant à examiner. Citations, descriptions intertextuelles, personnages transfictionnels, commentaire sur la littérature déguisé en fiction, suggestions de lecture, réflexion sur l’acte de lecture, etc. (Voir points 7 et 8 pour de plus amples exemples.)

6. Narrativité (Typologie de Ryan)

6.1- Simple

6.2- Multiple

6.3- Complexe

6.4- Proliférante

6.5- Tramée

6.6- Diluée

6.7- Embryonnaire

6.8- Implicite

6.9- Figurale

6.10- Anti-narrativité

6.11- Instrumentale

6.12- Suspendue

Justifiez :

- Complexe, tout d’abord, parce qu’il y a un macro-niveau fort (l’histoire de Ghislain) dont les extensions (micro-niveaux, les autres histoires, par exemple celles des personnages vivant à Chicago) ne demeurent que des extensions, des extrapolations, de légères digressions qui se rapportent toutes au récit principal.

- Diluée, parce que l’intrigue est en concurrence avec les commentaires, la réflexion constante sur la littérature et la lecture que le roman sous-tend, les références aux autres œuvres de la littérature, etc. Tellement qu’en fin de compte, après la lecture, on se souvient davantage (ou presque) des vues du personnage sur la littérature que de son histoire personnelle, qui peut même être considérée comme inintéressant ou non importante.

- Instrumentale, finalement, parce qu’il me semble que tous ces commentaires déguisés en fiction sont justement des commentaires déguisés en fiction : le roman n’est un roman que dans la mesure où il raconte une histoire (minimale) ; on aurait pu apposer à ce livre l’étiquette de l’essai en l’épurant un peu. Bien sûr, il s’agit encore d’un roman, et non d’une parabole. La narrativité est donc légèrement instrumentale.

7. Rapport avec la fiction

C’est à mon avis par rapport à cette question qu’il est intéressant d’aborder Lectodôme. Le roman est constamment mis en relation avec la fiction. D’abord avec le reste de la fiction, c’est-à-dire non pas avec son propre caractère fictionnel, mais bien avec la littérature en général. Le personnage principal travaille dans le domaine de l’édition ; le chapitre I instaure donc d’emblée une réflexion sur l’acte de lecture. Les descriptions sont à mon avis largement intertextuelles : par exemple, « Ce matin, je me suis réveillé avec la tête de Robert De Niro dans The Mission. » (p. 65) (Je n’ai noté que cet exemple, même si ce n’est peut-être pas le plus éloquent…) Au fil de l’intrigue, le personnage fait référence à Neige noire, à Hamlet, à Hubert Aquin (beaucoup), etc. Le cinéma est aussi un vaste bassin de descriptions potentielles dans lequel le narrateur va piger. Je l’ai noté plus tôt, le perroquet Laverdure de Zazie dans le métro migre transfictionnellement vers Lectodôme, où il devient un personnage secondaire (et le titre d’un chapitre). Tout au long du roman, des commentaires sur la littérature québécoise sont déguisés en fiction : par exemple, commentaire sur Le Grand Khan de Jean Basile (qui est en quelque sorte le prétexte du roman), commentaire sur Catéchèse de Patrick Brisebois (p. 123), discours direct sur les auteurs à nommer lorsqu’il est question de littérature québécoise (ce discours fait référence au blogue de Michel Vézina qui posait la question à ses lecteurs) (p. 161 à 166). À la fin, Diderot émigre aussi dans le roman et se retrouve au cœur d’un scénario de film se déroulant dans un dépanneur Couche-Tard (chapitre X, page 299 et suivantes). Il y a dans le roman de nombreuses citations, des suggestions de lecture, même (Iphigénie en Haute-Ville de François Blais, par exemple, à la page 199) etc. Il y a même un roman dans le roman ( p. 89-113), et c’est en réalité un faux roman, j’ai vérifié (parce que le paratexte de ce roman dans le roman est assez convaincant, et je suis assez naïf…).

Le plus intéressant, toutefois (à mon avis), c’est lorsque le roman met en scène sa propre fiction. Première manifestation : « Ma vie est un mauvais roman, j’ai eu la décence de ne pas l’écrire. » (page 144) Manifestation assez faible, j’en conviens, c’est la moins forte. Le narrateur est autodiégétique, mais l’acte d’écriture n’est pas mis en scène. Ce n’est pas un gars qui écrit son journal ou quoi que ce soit du genre. Il « parle » plus qu’il n’écrit. Donc, en quelque sorte, il a raison de dire qu’il n’a pas écrit sa vie. Pourtant, on lit ce roman, qui est bien sûr écrit par quelqu’un d’autre. Prochaine manifestation, donc. Ghislain s’imagine un lancement à Montréal d’un livre (imaginaire) du genre best-seller. Le lancement est animé par Oprah ( !) et c’est en quelque sorte un long exercice de name-dropping du milieu littéraire québécois. Puis, on lit ce bout de phrase : « […] sortent des boîtes plusieurs exemplaires d’un livre qui n’existe que dans l’esprit des lecteurs de ce roman. » (p. 259) Ce roman renvoie, je pense, à Lectodôme. Le personnage-narrateur autodiégétique serait donc « au courant », en quelque sorte, de son statut fictionnel de personnage-narrateur du roman Lectodôme, paru en 2008 et écrit par Bertrand Laverdure ( ?) (entre parenthèses, parce que cette phrase est à la fois une question que je pose et une affirmation que je fais). Finalement, on peut lire à la page 259 une lettre que l’auteur réel (Bertrand Laverdure) écrit à Thomas Warton « par roman interposé ». Il est question du roman Logogryphe de Warton (y est-il question de Laverdure ? j’avoue ne pas avoir vérifié…), roman qui existe bel et bien. Qu’est-ce donc que tout cela ?

8. Intertextualité

Je pense avoir répondu à cette question longuement au point 7, je me suis emporté… !

9. Élément marquant à retenir

Il me semble avoir aussi répondu à cette question, en quelque sorte. Relire le point 7.

Fiche complétée par Pierre-Luc Landry / 2 janvier 2009