FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Françoise Sagan Titre : Sarah Bernhardt : le rire incassable Lieu : Paris Édition : Robert Laffont Collection : Elle était une fois Année : 1987 Pages : 246p. Cote : UQAM : PN2638B5S34 Désignation générique : aucune

Bibliographie de l’auteur : Une masse de romans (Bonjour tristesse, Un certain sourire, Un peu de soleil dans l’eau froide, le Lit défait, Un sang d’aquarelle, etc.) et de pièces de théâtre (Château en Suède, Bonheur, impair et passe, la Robe mauve de Valentine, Il fait beau jour et nuit, etc.).

Biographé : Sarah Bernhardt

Quatrième de couverture : vierge (volume relié)

Préface : aucune

Rabats : aucun

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Première de couverture : portrait peint de Bernhardt par Georges Clairin, Petit-Palais, dont parle le personnage de Bernhardt dans le livre, disant que c’est le seul qui lui rende un peu justice. (Je tire cette information d’une note de copyright à la fin du volume, la couverture ayant disparu avec la reliure.)

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : L’auteur, Françoise Sagan, est la correspondante de Sarah Bernhardt mais pas vraiment la narratrice. C’est davantage la comédienne qui tient ce rôle, qui narre sa vie, alors que Sagan lui pose des question et relance son récit, jouant ainsi le rôle d’auditrice, de lectrice ou d’interlocutrice.

Narrateur/personnage : Sarah Bernhardt, qui est en quelque sorte narratrice de sa propre vie (qui est autobiographe) est doublement un personnage. D’abord, elle est protagoniste de la fiction mise en place par Sagan et qui fait d’elle une sorte de spectre dont l’âme reste près de son squelette au Père-Lachaise et qui peu néanmoins correspondre avec Sagan. Elle est aussi un personnage de son propre récit de vie au « je », bien entendu. Ainsi, il y a narration homodiégétique au deux niveaux de la diégèse.

Biographe/biographé : La relation entre Sagan et Bernhardt est fort changeante, comme le dit la biographe : « Je suis passée, à votre propos, de l’ignorance – enfin l’indifférence – à la curiosité; de la curiosité à l’indulgence, de l’indulgence à l’intérêt, de l’intérêt à la compréhension, et de la compréhension à l’affection. Et je vogue à présent vers l’admiration. […] Je n’aurais jamais pu écrire longtemps sur quelqu’un que je n’aime pas de quelque manière que ce soit. » (p.209) À cela Bernhardt répond : « Et moi, croyez-vous que je me serais longtemps confiée à une peste ou à un bas-bleu? Non, non, non! J’ai pris mes renseignements. » (p.209) Ainsi, la relation principale est d’ordre admiratif ou amoureux, même si les deux femmes – qui se reconnaissent au demeurant souvent des ressemblances – frôlent la chicane à plusieurs reprises dans leur correspondance. Mais Sagan se garde bien de passer de l’admiration à l’adoration, comme les contemporains de Bernhardt qui ont parlé d’elle « avec la vénération ou l’animosité la plus extrême, c’est-à-dire la plus plate. » (p.9)

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : La biographie prend la forme d’un dialogue par correspondance entre Françoise Sagan, écrivaine contemporaine adulée, et la grande Sarah Bernhardt, dont le corps gît au Père-Lachaise, mais dont l’âme survit. Cet élément fantastique est justifié par cette théorie indou dont fait état Sagan et qui veut qu’une fois le corps mort bien calmé, « l’âme peut enfin s’allonger tranquillement à ses côtés, réfléchir sur la vie qu’elle a passée en sa compagnie et s’en distraire. C’est-à-dire qu’on peut passer autant de vie sous la terre que l’on en a passé dessus. Il vous reste donc plus de vingt ans, je crois, pour ces réflexions et je ne sais comment vous remercier de m’en livrer quelques-unes. » (p.34) Il s’agit bien d’un dialogue épistolaire, car les interlocutrice peuvent s’interrompre, se couper la parole, même s’il est bien spécifié en quelques occasion qu’il s’agit d’une correspondance (sans parler des formules « Chère Sarah Bernhardt », « Madame » ou « Ma chère enfant » qui commence les lettres). (Cette invraisemblance – comment en effet interrompre une lettre qui s’écrit ou se lit (on ne sait pas bien)? – n’est toutefois rien par rapport au principe de base de la biographie, soit celui de la survivance de l’âme de Bernhardt.) Ainsi, Sarah Bernhardt raconte sa vie, depuis son plus jeune âge jusqu’à sa mort. Née d’un père qu’elle ne verra jamais et d’une mère courtisane, elle est envoyée chez une nourrice, puis au couvent, d’où elle ne sort qu’à l’âge de quinze ans. Elle revient alors chez sa mère à Paris, au milieu de sa mère et de sa tante, toutes deux courtisanes, de ses deux sœurs cadettes, d’homme pourvoyeurs et de vieillards libidineux. Elle vit alors une adolescence tapageuse, révoltée. Elle avoue qu’elle avit un caractère épouvantable. Heureusement, au dessus de chez elle habite sa « Petite Dame » qui la prend en charge, l’accepte et la suivra jusqu’à ce qu’elle meurt. Un jour, pour lui faire rencontrer un futur fiancé, sa famille l’envoie au théâtre. Elle en revient charmée et sait désormais qu’elle deviendra une grande actrice. Elle passe une audition au Conservatoire et est acceptée, puis un professeur lui permet d’entrer à la Comédie-Française, dont elle claquera la porte, puis reviendra une décennie plus tard. De théâtres en théâtres, de troupes en troupes, Sarah Bernhardt commence à se faire un nom. Elle entreprend parallèlement sa vie de femme volage, courrant d’un homme à l’autre. Après quelques triomphes, elle fait une tournée non moins triomphale en Amérique du Nord, puis en Europe (dont en Russie), puis en Amérique du Sud. Elle rencontrera presque tous les grands hommes de l’époque (dont Sagan veut avoir des portraits) : Proust, Montesquiou, les Guitry, Freud, Jules Renard, etc. Elle aura un fils, Maurice, qui grugera ses économies (elle traînera d’ailleurs des dettes toute sa vie). Amputée d’une jambe, elle continue à jouer au théâtre et écrit des romans. Même le jour de sa mort, son « rire incassable » ne la quitte pas.

Ancrage référentiel : La plupart des événements que raconte Sarah Bernhardt se sont vraiment déroulés. Ses succès, ses échecs, ses amours, ses voyages, sinon dans la manière du moins dans la matière, sont ancrés dans le réel.

Indices de fiction : D’abord, tout le dialogue épistolaire est un fiction : c’est l’âme de la comédienne, allongée à côté de son corps, qui se confie à Françoise Sagan, dans les années 80 (Bernhardt a même une connaissance du monde d’aujourd’hui, qu’elle critique beaucoup – pour son obsession sexuelle typiquement freudienne, par exemple). Ensuite, le récit même que fait Bernhardt est rempli de fiction, aux dires même de celle-ci : « De toute manière, si je pensais que vous étiez une femme qui veuille de moi la vérité, je m’arrêterais là, je poserais mon stylo et vous dirais adieu. Je suis une femme de théâtre, vous le rappelez-vous? Et même si je ne faisait pas de théâtre, je suis une femme ainsi faite que la vérité, pour moi, réside dans le vraisemblable et en certains cas dans le véritable. » (p.42) Il semble que le biographe aussi (comme Sagan qui parle par la bouche de Bernhardt) doive adopter cette conception de la vérité : est vrai dans une vie ce qui est vraisemblable, ce qui est cohérent et qui permet de reconstituer une trajectoire et, à terme, toute une existence. De plus, Sagan « dévoile » des « faits » qui était jusque là inconnus et qui de ce fait ne peuvent qu’être fictifs (car Sagan ne documente nullement le moindre fait) : « Le dernier éclat que j’eus, fait-elle dire à Bernhardt, personne ne le connaît encore : il faut dire qu’il survint le jour même de ma mort. » (p.57) Puis la comédienne raconte cet événements : à son chevet de mourante s’est rendue un enfant louchon et elle a dû se mordre les lèvres pour éviter de pouffer de rire. Ainsi, la fiction gagne tous les niveaux diégétiques de la biographie.

Rapports vie-œuvre : Comme je viens de le mentionner, Bernhardt justifie ses « mensonges » ou ses écarts par rapport à la vérité par son statut de femme de théâtre. C’est que plus que chez quiconque, vie et œuvre sont chez Bernhardt intimement liés, absolument indissociables. Bien sûr, tout acteur est plus près de son œuvre qu’un écrivain (si Bernhardt a été écrivain, cela n’est mentionné qu’à une occasion dans le livre – p.243) : il vie littéralement son œuvre; il lui donne forme avec son corps, avec son souffle. Mais Bernhardt semble encore plus près de son œuvre que tout autre comédien, selon Sagan du moins : « [M]a vie était réellement ce décor insensé et romain, dit Bernhardt, ces lumières factices, ces gens grimés. Ma vie était là! Ma vie naturelle, normale, instinctive et animale était dans ces hardes et dans ces contre-plaqués. C’était là qu’elle se déroulerait. » (p.90) Mais cette coïncidence de la vie et de l’œuvre a pour conséquence que mort, l’artiste ne laisse rien, puisque, justement, il n’est plus. Le personnage de Bernhardt le dit bien d’ailleurs et a tenté la sculpture pour laisser quelque chose sur terre. « Ah! créer! créer! C’est le rêve absurde et déchirant du comédien. » (p.215) Toutefois, comme le dit Sagan, elle a laissé son nom et sa gloire.

Thématisation de l’écriture et de la lecture : À travers Bernhardt, Sagan place le théâtre au dessus de l’écriture : « Vous ne vous êtes jamais sentie haïe ou adorée, dit Bernhardt. Vous n’avez jamais connu que ces petits éclairages dans vos minuscules studios où vous vous entassez à douze pour parler de vos mérites respectifs, dans des émissions telles que celles que j’ai pu voir en quittant ma tombe et en me promenant, comme cela peut m’arriver, dans les rues de Paris. » (p.69) Puis ailleurs, elle ajoute : « Oui, la scène est un art sublime, incroyable, qu’on ne peut pas connaître si l’on reste comme vous à tracer des petits signes cabalistiques avec une plume sur du papier blanc, toute seule dans sa chambrette. »

Thématisation de la biographie : Sagan entend faire une biographie qui soit ni trop laudative, ni trop dépréciative. Au début, elle se demande ceci : « Que retirer des ragots de Marie Colombier ou des hyperboles de Reynaldo Hahn? » (p.9); pour répondre : « Rien. Rien de très humain et pourtant, vous m’apparaissez singulièrement […] comme l’une des plus humaines parmi les femmes célèbres […] » (p.9-10) Le constat que Sagan finit par faire – et qui, de prime abord, est fort étonnant – est le suivant : « En réalité, vous ne l’ignorez pas, je me répète peut-être, mais le seul livre un petit peu désinvolte et un petit peu froid qui ait été écrit à votre propos, c’est celui que vous avez écrit vous-même. Tout le reste est délire, haineux ou flatteur, au point que toute objectivité à votre sujet paraît anormale – sinon anormale, du moins forcée –, aussi forcée dans la mesure que dans l’excès. Faire votre biographie n’est pas un mince travail et je suis bien contente que vous m’y aidiez. » (p.34-35) Paradoxalement, selon Sagan, l’autobiographie (de Bernhardt, du moins) est plus objective que la biographie (idem), car elle ne comprend (normalement) ni haine ni adoration. Par conséquent, Sagan adjoint la forme autobiographique à sa biographie : elle met en scène Bernhardt elle-même qui raconte sa vie. Après tout, une autobiographie reste une biographie de soi-même, comme Sagan le fait remarquer à Bernhardt : « Je vous considère comme la meilleure biographe de vous-même que j’aie connue. » (p.72)

Topoï : la célébrité, le rire (incassable), le devenir comédienne, le donjuanisme (féminin), le dialogue d’outre-tombe (ce topos fait penser à Bobok, de Dostoïevski), le spectre (ce topos fait penser à Proust fantôme de Prieur; or ici, c’est un fantôme qui parle), l’échange épistolaire, la vérité, la fiction, la vie théâtrale, l’actualisation (ce topos est articulé par le personnage de Sagan, qui transpose les réflexions de Bernhardt (sur la guerre par exemple) à l’époque actuelle (elle parle ainsi de la bombe atomique – p.132), la querelle biographe/biographé (les des femmes se chicanent quelques fois).

Hybridation : Le bildungsroman (le roman d’éducation) : dans la première partie de la biographie, on apprend comment s’est fait l’apprentissage de la vie par Bernhardt. Par exemple, on sait qui lui a appris les bonnes manières : « Parlez-moi de cette Mademoiselle de Brabender qui vous a appris les bonnes manières […] » (p.35), demande Sagan à la comédienne. On sait aussi qui lui a appris à aimer, à faire l’amour. Qui lui a donné l’idée de devenir comédienne. Qui lui a permis d’entrer à la Comédie-Française la première fois. Comment elle a appris à prononcer les consonnes correctement. Puis comment elle est devenue célèbre. Etc. L’échange épistolaire : telle est la forme principale de cette biographie. Mais comme je l’ai dit, il s’agit surtout d’un improbable dialogue épistolaire (cf. « Synopsis » plus haut). L’autobiographie : même s’il s’agit d’un dialogue, c’est surtout Bernhardt qui raconte sa propre vie, comme dans des mémoires ou une autobiographie (sur ce genre, cf. « Thématisation de la biographie » plus haut) L’essai : au départ, Sagan veut prouver cette thèse avec l’aide de Bernhardt : cette dernière est une exception à la règle de Madame de Staël qui voulait que « la gloire était le deuil éclatant du bonheur » […] (p.11) Vous en êtes une (une de ces exceptions), une des plus folles, des plus baroques et peut-être des plus intéressantes… Voulez-vous m’aider à le prouver? » (p.11), demande Sagan à Bernhardt. Roman policier : comme dans presque toutes les biographies, il y a une part d’enquête qui en fait une sorte de roman policier. Sagan (quoi qu’en dise Bernhardt) cherche la vérité, ou du moins certains faits, ce qui mène la comédienne à dire, excédée : « Savez-vous, chère amie, que, par moments, vous m’insupportez? Soit parce que vous vous trompez, soit parce que vous recherchez la vérité? Quelle enquête! » (p.86)

Différenciation :

Transposition : Cf. « Topoï », sur l’actualisation.

Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture : Dans les premières pages, Sagan suscite deux attentes : primo, que cette biographie soit ni laudative, ni dépréciative, mais plutôt objective; secundo, qu’elle tende à prouver la thèse qui veut que Bernhardt adjoigne la gloire et le bonheur de façon folle, baroque et intéressante (cf. « Hybridation », sur l’essai). Or, de un, cette biographie est en somme fort admirative (pour ne pas dire idolâtre); et de deux, si le lecteur est bien convaincu que le rire de Sarah était incassable, il ne l’est pas autant que la comédienne était toujours heureuse dans sa gloire. Sans parler que nulle part il n’est question de sa folie ou de son baroque.

Attitude de lecture :

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage