====== Pierre Bayard (2010), Et si les livres changeaient d’auteur ? ====== **Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 2010, 156 p. Par Mariane Dalpé et Manon Auger** ===== Notes générales ===== __Bayard :__ né en 1954, professeur de littérature française à l’Université Paris 8 et psychanalyste. Qu’est-ce qu’un auteur? Évolution de la figure de l’auteur dans les études littéraires. Importance de la figure de l’auteur dans le travail interprétatif Nietzsche, dans Par-delà le bien et le mal (1886) aura une formule belle et radicale, en avance sur son temps : « C’est l’œuvre, celle de l’artiste ou du philosophe, qui invente après coup celui qui l’a créé, ou qui passe pour l’avoir créée; les grands hommes tels qu’on les honore sont de méchants poèmes composées après coup. » (2011 : 217) L’ouvrage et la démarche revendiquent une filiation avec le « Pierre Ménard, auteur du Quichotte » de Borges. Citation en exergue. ===== RÉSUMÉ ===== ==== Prologue ==== Dans le prologue, l’auteur donne **trois justifications** aux changements d’auteurs qu’il se propose d’effectuer dans son ouvrage. **1/** D’abord, il affirme qu’on ne connaît somme toute que peu les auteurs, que ceux-ci aient vécu à une époque éloignée ou récente : « Chacun sait aujourd’hui, depuis les enseignements de Proust et de Valéry, à quel point le créateur de l’œuvre diffère souvent de la personne réelle que nous pouvons rencontrer dans la vie courante. » (2010 : 11) S’appuie sur les enseignements de Proust et de Valéry : [Antoine Compagnon sur Valéry] Or l’attitude de Valéry est bien dictée par une radicale neutralisation de l’auteur : « Toute œuvre est l’œuvre de bien d’autres choses qu’un “auteur” » (Tel Quel, Œuvres, t. II, p. 629). Si je comprends bien, Valéry c’était le principe de l’impersonnalité tout comme chez Flaubert mais sans doute exprimé différemment. **2/** Il affirme ensuite que l’erreur – volontaire ou non – peut conduire hors des sentiers battus, c’est-à-dire à porter un regard différent sur les textes. Il existerait des formes positives d’erreur (« fonction de découverte de l’erreur » permettant le changement de paradigme – forme d’ouverture d’esprit permettant de voir l’œuvre avec d’autres yeux : 12) **3/** Enfin, les changements d’auteurs constituent une véritable création, un travail fictionnel, de la part de ceux qui les effectuent, mettant l’œuvre en valeur. Bayard écrit que « l’activité imaginaire […] ne constitue nullement une part secondaire de la lecture, mais le cœur même de la relation que nous entretenons avec les œuvres » (2010 : 13). Globalement, il appelle sa démarche une « critique d’amélioration » (Lexique : « Courant critique visant à améliorer la littérature ou la lecture, en transformant soit les textes, soit les auteurs. »), et l’intérêt de la substitution se pose essentiellement en termes de gains esthétiques pour l’œuvre. L’œuvre demeure la même, mais, au même titre qu’un metteur en scène active les potentialités d’une pièce, le changement d’auteur fait émerger les sens cachés. (47) À propos du champ immense des transformations possibles, Bayard évoque celles faites par les écrivains eux-mêmes, soit : * L’usage d’un pseudonyme (changement de nom) * Les mensonges biographiques (changement de personnalité) Pour lui, ces démarches sont des « acte authentique de création » (63). Mais les critiques, eux, sont bcp plus prudents que les écrivains; Bayard attribue cette prudence au fait que « la notion d’auteur fonctionne encore comme un mythe et un tabou » ce qui engendre le « sentiment coupable d’une transgression, sentiment lié à toute une conception rigide de l’histoire littéraire qui a fait son temps et mérite d’être remise en question ». (13-14) Il préconisera, en parlant de Molière, une histoire littéraire moins conformiste et « plus proche de la réalité de la création et de la réception » (52). Il souhaite proposer de « renouveler en profondeur la critique littéraire et artistique » (63). Parti pris théorique (radical) défendu par Bayard : « En finir une fois pour toute avec le lien indissoluble qui est censé unir l’auteur à son œuvre. » (15) Méthode qui a « des avantages considérables pour les œuvres […] auxquelles un tel changement […] ne peut que bénéficier. » (15) Note : On voit ici que Bayard est de son temps et en même temps, un peu « en retard ». En effet, depuis les années structuralistes, la proclamation de la mort de l’auteur par Barthes et la mise en place des théories de la lecture – la tendance est à faire de l’œuvre une entité autonome. On est ici, tout à l’opposé de la doctrine romantique qui plaçait l’auteur au centre de l’édifice littéraire – il est complètement évacué… n’a plus la moindre importance. En même temps, Bayard me semble « en retard » parce que le biographique est revenu depuis les années 1980, le personnage de l’écrivain fait désormais partie de l’horizon de lecture des œuvres. Mais il adhère à ce mouvement à sa façon en amenant la notion « d’auteur imaginaire ». ==== Partie I – De la difficulté d’attribuer les œuvres ==== Dans la première partie de son ouvrage, Bayard étudie le cas de célèbres attributions incertaines empruntées à l’histoire de la littérature. Il veut montrer ainsi « à quel point la notion d’auteur est incertaine, et combien, de ce fait, il convient d’être prudent avant de parler d’infidélité à son hypothétique identité » (14). === 1. L’Odyssé, par une écrivaine grecque === Il se penche en premier lieu sur l’Odyssée qui, selon l’éminent helléniste britannique du XIXe siècle Samuel Butler, aurait été écrit non pas par Homère, mais bien par une jeune Sicilienne. Samuel Butler est ainsi un précurseur de Bayard car, « en laissant libre cours à son imagination, [il] met l’accent sur un point essentiel, à savoir que l’invention de l’auteur n’est pas simplement le comblement d’un manque historique, il est tout autant un travail de création dont l’ensemble du texte bénéficie. » (24) = Fait ressortir de nouveaux éléments. De toute façon, soutient-il, en ce qui concerne l’Odyssée, l’attribution est tellement incertaine que toutes les hypothèses se valent tant qu’elles permettent de faire signifier le texte. Note perso : Si on admet cette figure fictionnelle d’une jeune femme qui aurait écrit l’Odyssée en s’inspirant de l’Iliade, on est du côté de la réécriture, du palimpseste comme acte créateur. Le cas de l’Odyssée conduit Bayard à réfléchir à proprement parler à la notion d’auteur . Il écrit, à propos de la puissance du nom de l’auteur : « Mais la question de savoir si Butler a ou non raison – l’auteur de l’Odyssée est-il un homme ou une femme ? – et si ses arguments sont historiquement fondés perd beaucoup de son importance si l’on admet que son hypothèse ne relève pas de la science, et n’a donc pas à être soumise au crible de l’érudition, dans la mesure où tout nom d’auteur est une fiction. » (2010 : 27) Bayard montre en effet de quelle manière un nom d’auteur « attire autour de lui toute une série d’images ou de représentations, tant personnelles que collectives, qui viennent interférer avec le texte et en conditionnent la lecture » (2010 : 27). Ainsi, l’auteur est également concerné par le travail imaginaire effectué lors de la lecture du texte, jusqu’à constituer selon Bayard l’un des personnages de son propre texte. C’est ce qu’il décrit comme « l’auteur imaginaire », et qu’il définit en ces termes dans le lexique qui figure à la fin de l’ouvrage : « Représentation que les lecteurs se font de l’auteur d’une œuvre. » (2010 : 155) Pour Bayard, « tout nom d’auteur est un roman » (italiques dans le texte, 27), c’est-à-dire qu’il active un potentiel d’interprétations multiples – il suscite un travail d’imagination chez le lecteur : « Par les sonorités de son nom, par les titres de ses livres, par les anecdotes attachées à sa vie, par ce que nous savons ou pouvons deviner de lui, l’auteur est une machine à mettre en marche l’imagination et à sécréter, sinon un véritable roman, du moins des éléments de fiction, plus ou mois développés et coordonnés selon les lecteurs et la place qu’ils accordent à leur capacité de fantasmer. Autrement dit, la part d’invention que comporte toute activité de lecture ne s’arrête pas à l’œuvre, elle s’étend jusqu’à l’auteur, qui est lui-même pris dans ce mouvement de création. On pourrait de ce fait aller jusqu’à dire que, d’une certaine manière, l’auteur fait lui aussi partie de l’œuvre et en constitue même un personnage, pour être comme elle soumis au travail de réécriture du lecteur. » (28) « [L]a part de fiction mise en jeu dès que nous faisons intervenir un auteur dans la lecture d’une œuvre n’est nullement négligeable, et qu’à nous en tenir à l’idée que nous travaillons sur des auteurs réels, nous risquons à la fois de nous leurrer sur notre capacité à faire revivre l’Histoire et de perdre les bénéfices que peuvent apporter à la lecture la créativité et la rêverie. » (29) === 2. Hamlet, d’Edward de Vere === Le second chapitre est consacré à Hamlet, dont la paternité a souvent été discutée. Bayard, quant à lui, choisit d’étudier la piste privilégiée par Freud, qui soutenait que l’œuvre shakespearienne aurait été écrite par Edward de Vere. Selon Bayard, chaque critique ferait, comme tout lecteur, œuvre de création sans se l’avouer; ici, Freud échangeant « l’auteur réel contre un auteur imaginaire, qui est le produit à la fois de ses rêveries et de son souci de théorisation » (37) Freud s’intéressant à « la force de l’inconscient en activité au cœur même de la création » (37). En ce qui concerne la réflexion sur l’auteur, Bayard explique dans ce chapitre que le nom d’auteur recouvre trois référents distincts : **i.** D’abord, l’auteur réel, c’est-à-dire la personne physique, l’auteur réel et historique. L’homme. **ii.** Ensuite, le moi intime, profond : l’auteur intérieur que la critique moderne distingue maintenant suivant Proust et Valéry. Le créateur. * Ces deux premiers types d’auteurs ne nous sont pas directement accessibles « puisqu’ils sont largement produits par le lecteur et l’époque à laquelle il appartient, ses préoccupations, ses modèles de pensée. » (38) **iii.** Enfin, l’auteur imaginaire. L’image construite que nous ne faisons aujourd’hui des deux premières. Selon Bayard, c’est cette vision imaginaire et fantasmée produite par le lecteur qui l’empêche d’avoir véritablement accès à l’œuvre : « Si le nom d’auteur fige, c’est qu’il interdit de voir, ou contribue à faire oublier, que nous avons affaire en réalité, en lisant les auteur et en parlant d’eux, à une série mouvante de représentations, où interfèrent des éléments venus de notre scolarité, les autres œuvres du même auteur dont nous avons eu connaissance, les rêveries que nous développons autour de leur nom. Or ces images dont la réunion constitue la figure de l’auteur imaginaire ne sont nullement neutres dans notre accès au texte. Elles interfèrent en permanence avec le processus de lecture parce qu’elles se mêlent intimement à l’œuvre dont elles deviennent partie prenante. Et il suffit, de ce fait, d’entreprendre de les modifier pour modifier le texte lui-même et lui insuffler une vie nouvelle. » (2010 : 39-40) Toutes ces images, donc, influencent notre accès au texte, et Bayard souhaite « desserrer l’étau du nom d’auteur » pour permettre une lecture renouvelée des grandes œuvres. Cela est possible, dit-il, si on prend conscience que le « remplacement d’un auteur par un autre ne consiste pas à substituer un auteur imaginaire à un auteur réel, mais à remplacer un auteur imaginaire par un autre auteur imaginaire » de manière à intervenir « sur cette part mouvante de rêverie qui accompagne la lecture et qui s’appelle l’auteur » (40) Qui plus est, selon Bayard, l’invention d’Émile Ajar par Romain Gary (II-chap. 1) illustre parfaitement la figure de l’auteur imaginaire dont il parle (58) et qu’il s’agit d’une « composante majeure de la création des œuvres comme de leur réception, puisqu’elle intervient à tout moment dans leur rencontre avec le lecteur par les jeux de séduction et de miroir qu’elle tend à susciter afin de le rendre captif. » (60) === 3. Dom juan de Pierre Corneille === Le dernier chapitre se penche sur l’attribution à Corneille des toutes les pièces importantes de Molière, en particulier Dom Juan. À ce sujet, Bayard fait ressortir l’importance du mythe qu’est Molière dans l’histoire littéraire et comment le fait de remettre en question sa « paternité » littéraire peut troubler les bonnes consciences (49). Ainsi, l’enjeu me semble différent lorsqu’il s’agit de « jouer » à changer l’auteur comme le fera Bayard dans la troisième partie – en sachant que c’est un jeu – ou lorsqu’il s’agit de véritablement remettre en question la paternité d’une œuvre écrite à une époque où la notion d’auteur était différente . Quoi qu’il en soit, il est vrai que certains auteurs viennent avec un bagage scolaire non négligeable (mais qui ne nous les ferait certainement pas lire autrement!)… Bayard prône ainsi une « histoire littéraire rénovée » qui se détacherait des « figures individuelles, qui pèsent excessivement sur la lecture des textes » afin de plutôt mettre en valeur, « comme y incitait Valéry, des courants créatifs plus profonds, dont les auteurs ne sont que des porte0-parole transitoires, lesquels auraient pu tout aussi bien, dans d’autres configurations du monde qui n’ont finalement pas été retenues, habiter une autre période » (51) [note : on est encore ici dans l’antithèse de la pensée de Woolf] Par ailleurs, Bayard montre comment le fait d’attribuer les pièces de Molière à Corneille permet d’une part de mettre de l’avant certains éléments de ces pièces qu’on passe généralement sous silence, et d’autre part de modifier notre perception des autres pièces de Corneille. Il s’agit selon Bayard de passer de la simple comparaison à la métaphore, donc au lieu de dire que Dom Juan de Molière fait penser à Corneille, d’affirmer que Dom Juan est de Corneille. C’est qu’il appelle une métaphore active : [lexique :] « Comparaison entre deux auteurs menée à son terme, et conduisant à la substitution de l’un à l’autre. » (2010 : 156) En marge de ces métaphores actives collectives, qui conduisent à substituer deux auteurs qui peuvent être associés aisément, Bayard propose de valoriser les métaphores actives individuelles, c’est-à-dire les substitutions effectuées par le lecteur lui-même, selon les ressemblances qui relèvent de sa propre perception. [Lecteur/auteur imaginaire] Ces substitutions « témoignent […] que nous ne sommes pas seulement les habitants d’une bibliothèque collective anonyme où peuvent être comparés des auteurs objectivement proches selon des critères historiques, mais aussi de cette bibliothèque individuelle que nous habitons en secret, où voisinent des livres apparemment disparates, venus de tous les lieux et de tous les temps, dont la rencontre heureuse nous constitue comme sujets » (2010 : 52). ==== Partie II – Des changements partiels d’auteurs ==== Cette deuxième partie porte sur « les changements partiels qu’il est possible de faire subir aux écrivains – changements auxquels ils se sont eux-mêmes volontairement livrés – en jouant sur différentes composantes de leur identité, afin de tenter de donner un surcroît de dynamisme à leur personnalité et à leur œuvre. » (14) Dans cette deuxième partie, l’auteur introduit la notion de mise en perspective, qu’il décline à travers chaque chapitre (voir chacun d’eux pour le détail). === 1. Gros-Câlin d’Émile Ajar === Ce chapitre se penche sur Gros-Câlin d’Émile Ajar/Romain Gary, en insistant sur le fait que le changement d’attribution imaginé par l’auteur lui-même a permis de faire découvrir son œuvre à de nombreux lecteurs qui auraient été rebutés par l’image de l’écrivain résistant : « Avant même d’ouvrir un de ses livres, les lecteurs lisaient un livre de Romain Gary, et la réputation que s’était acquise l’écrivain venait définitivement perturber, voir interdire la relation au texte, qui était devenu impossible d’isoler du contexte de sa création. » (59) Notion de mise en perspective : pseudonyme et autre personne physique - nominale Le changement d’auteur opéré par Gary est, selon Bayard, un exemple d’erreur créatrice, car au lieu de couper le lecteur de la réalité, l’erreur lui permet au contraire de percevoir l’œuvre de manière plus juste que si sa lecture avait été biaisée par la réputation de l’auteur. C’est ce que Bayard nomme la mise en perspective : « Remettre en perspective, et donc pour ce faire fausser délibérément la perspective, c’est ainsi se donner les moyens de faire lire un texte sans que l’image de l’auteur ne vienne en perturber la réception. Et si ce rétablissement de perspective peut impliquer de ne pas tenir compte de l’auteur, il peut aussi impliquer parfois de se résoudre à lui en substituer un autre, comme l’ont bien compris les écrivains qui recourent à des pseudonymes, décidés à restituer à leur texte, contre tous les écrans biographiques, un peu de sa nouveauté perdue. » (2010 : 61) La mise en perspective peut ainsi prendre la forme, chez les auteurs eux-mêmes, du choix d’un pseudonyme, voire de l’invention d’une identité alternative ou d’une incarnation physique – ou encore les transformations d’éléments de sa biographie pour la rendre « plus cohérente avec la représentation qu’il souhaite laisser de lui-même et les lectures de son œuvre qu’il entend promouvoir. » (62) Il ajoute que « les écrivains n’ont pas le monopole de cette mise en perspective », c’est-à-dire que chacun de nous tente de modifier ces perspectives que les autres ont sur nous. L’erreur créatrice serait une des composantes de notre rapport aux autres (62). Dans le cas Gary-Ajar, la « mise en perspective » était voulu par l’auteur lui-même, las de l’image qu’on lui accole. En effet, dans un texte posthume révélant la supercherie, Romain Gary s’en explique ainsi : « J’étais las de n’être que moi-même. J’étais las de l’image Romain Gary qu’on m’avait collée sur le dos une fois pour toutes depuis trente ans » (p. 58). Comme quoi, l’auteur réel peut se trouver en désaccord profond avec l’auteur imaginaire que le public voit en lui. === 2. J’irai cracher sur vos tombes de Vernon Sullivan === Le cas de J’irai cracher sur vos tombes de Boris Vian, d’abord publié sous le pseudonyme de Vernon Sullivan et dont Vian clamait n’être que le traducteur, a la particularité d’effectuer un déplacement culturel radical en faisant de son auteur un afro-américain, légitimé de produire un roman aussi violent et dénonciateur. Notion de mise en perspective : culturelle et géographique - spatiale La mise en perspective effectuée par Boris Vian est plus radicale encore que celle de Gary, puisqu’il s’agit dans ce cas d’un changement radical de culture. Bayard explique que, plus encore que la volonté de ne pas assumer directement la paternité de ce texte choquant, c’est le désir de faire authentique qui motivait Vian à publier ce texte sous un pseudonyme. En effet, il s’agit de placer le lecteur dans les dispositions qui lui permettront d’apprécier pleinement l’œuvre, ce qui n’est pas possible dans le cas de J’irai cracher sur vos tombes si on croit que le roman a été écrit par un auteur français. Par ailleurs, souligne Bayard, ce mensonge mène à une vérité, car Vian ne fait pas que situer l’action de son roman aux États-Unis, il cultive aussi activement son américanité, notamment par sa passion pour le jazz. Des mises en perspectives comme celles de Gary et de Vian permettent donc aux auteurs de montrer une partie de leur personnalité qui sans cela serait occultée par les attentes du lecteur. Car l’inconvénient du nom d’auteur « est de geler l’identité, en la restreignant à une partie d’elle-même, et en immobilisant les images extérieures qui en sont données. » (2010 : 70) « Le recours à un nom d’emprunt, ajoute Bayard, permet au contraire d’accroître la polysémie du texte, non pas en le transformant – il reste identique à lui-même –, mais en multipliant les significations virtuelles dont il est porteur. » (2010 : 70) Bayard donne donc ici une forte légitimité au canular et à la supercherie littéraire : « En se transformant en auteur américain, Boris Vian, comme Roman Gary, met son œuvre en perspective et la donne à lire autrement qu’elle risquerait de l’être si elle était communiquée telle quelle au public, sans le bénéfice de cette correction volontaire de focale, chargée, là encore, de placer les lecteurs dans les meilleures dispositions possibles pour apprécier l’œuvre. » (68-69) Il avancera finalement, pour justifier le cas Vian, qu’un grand écrivain « a toujours une personnalité multiple. Il est plusieurs écrivains en même temps et c’est cette pluralité de son être qui lui permet de réinventer la langue. Il n’est pas seulement ce à quoi le réduit son nom en le simplifiant, mais aussi beaucoup plus que cela. Pour cette raison, l’identité d’état civil qui les est imposée, si elle permet d’assurer une stabilité commerciale à son œuvre, le fige et le dessert. » (69-70, souligné dans le texte) Je suis, disons, un peu embêtée par cet argumentaire – dans la mesure où Bayard invite à une forme de disqualification de l’auteur réel dans la lecture. Pourquoi cette réhabilitation? === 3. Alice au pays des merveilles par un écrivain surréaliste === Enfin, Bayard s’intéresse à Alice au pays des merveilles, en déplaçant Lewis Carroll dans le temps afin d’en faire un écrivain surréaliste. Notion de mise en perspective : temporelle Le chapitre consacré à Alice au pays des merveilles est différent des deux précédents, puisque la mise en perspective a été ici effectuée par Bayard et non par les auteurs eux-mêmes. Cette mise en perspective – dite temporelle (74) – permet de faire apparaître des convergences entre le livre de Lewis Carroll et le courant surréaliste (logique en rupture, imagerie, jeu sur le langage, intérêt pour la psychanalyse et pour le rêve). Ainsi, l’œuvre de Carroll, généralement considérée extérieure à tout courant littéraire, aurait très bien pu être produite à une autre époque. À l’inverse de Virginia Woolf, qui propose que chaque œuvre ne peut être écrite qu’à une période et dans un contexte précis (historique, éducationnel et matériel), Bayard oppose un éclatement de la notion d’auteur qui prend ici la forme d’une dissémination : « plusieurs noms d’auteurs peuvent être attribués au même texte » (77-78)- Cela mettrait fin au rêve narcissique des auteurs qui se croient profondément uniques, car ils ne deviennent que « les porte-parole transitoire d’une communauté intemporelle d’esprits » (78) – ce sont les « hasards de la création » qui font naître les œuvres à une période ou une autre. [note perso : visions différentes hommes/femmes ressort encore ici – comme le dit Huston, la création est associée aux anges, aux purs esprits – il parlera même plus loin d’une sorte de « texte unique » qui nous précède et du fait que nous ne serions que « des écrivains de passage » (114)] Sur le modèle de l’intertextualité, Bayard propose la notion d’intercréativité, qu’il définit de la manière suivante : « Travail de création effectué en commun par des auteurs appartenant à des périodes différentes. » (2010 : 156) Ici, c’est la figure même de l’auteur, membre d’une communauté intemporelle, qui se dissipe, puisqu’il se retrouve en compagnie d’autres auteurs qui l’ont précédé ou qu’il anticipe, et qui auraient pu tout aussi bien créer le même texte. » (78) L’intercréativité, explique-t-il, « a nécessairement une dimension subjective, au sens où il faut un lecteur particulier avec sa culture et sa sensibilité propres pour percevoir les autres auteurs virtuels qu’un texte aurait pu connaître dans une autre version du monde et dont il porte à son insu les inscriptions discrètes. » (2010 : 78) Bayard conclut donc la deuxième partie de son ouvrage en insistant sur l’importance du lecteur dans le processus de réattribution des œuvres. ==== Partie III – Des changements complets d’auteurs ==== Changements beaucoup plus radicaux « en brisant définitivement le tabou qui voudrait qu’une œuvre ait un seul créateur » - substitution intégrale (14) Dans la troisième partie de son ouvrage, Bayard va plus loin en effectuant lui-même la réattribution des œuvres. Il attribue L’Étranger d’Albert Camus à Franz Kafka, Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell à Léon Tolstoï et intervertit les auteurs des Sept piliers de la sagesse et de L’amant de Lady Chatterley, T.E. Lawrence et D.H. Lawrence. [Mariane :] Bien que l’exercice auquel se livre Bayard soit fascinant, je ne m’arrêterai pas longuement à rendre compte de cette partie, puisque l’auteur, ayant déjà mis en place dans les parties précédentes la réflexion sur laquelle il fonde sa démarche, se contente ici de la mettre en application. Son analyse, comme il l’évoquait dans le chapitre sur Dom Juan, bénéficie autant aux œuvres qu’aux écrivains à qui elles sont attribuées, puisque ce nouveau regard porté sur les textes et sur les écrivains met en évidence des caractéristiques réelles, mais auxquelles on porte généralement peu d’attention. Par exemple, l’attribution de L’Étranger à Kafka met en évidence la thématique judiciaire et la culpabilité du personnage principal, qui, bien que présentes dans le texte de Camus, sont délaissées au profit du thème de l’absurdité. [Manon :] Sur la critique biographique : Il est intéressant de souligner toutefois que, pour rendre sa démarche opérationnelle, Bayard, qui nie en quelque sorte l’auteur réel et donc rejette la critique biographique, fait appel à elle dans plusieurs analyses pour leur donner de la pertinence. Par exemple, il évoque l’enfance de Tolstoï et sa vie pour expliquer les enjeux d’Autant en emporte le vent. Même chose au chapitre sur les deux Lawrence ou dans celui sur Schumann qui aurait à peine transposé dans sa toile Le cri des éléments de sa vie et de son œuvre… (sa folie déclarée, par exemple. 139) Au point où on pourrait faire une « psychobiographie » mais ce serait trop réducteur – Le Cri vient plutôt exprimer ce que la musique de Schumann ne peut dire (140)… Mais ce « jeu » du changement d’auteur [l’expression est de moi car on ne sait jamais à quel point Bayard voit cela comme un jeu ou comme quelque chose de sérieux] permettrait à la fois de valoriser l’œuvre et l’auteur (le nouvel auteur auquel on attribue l’œuvre) (92). Par ailleurs, dans le chapitre consacré aux Lawrence(s), il recourt à la logique freudienne pour expliquer comment un personnage aussi puritain que T.E. Lawrence ait pu écrire un roman aussi érotique que L’Amant de Lady Chatterley… Ce serait le retour du refoulé qui permettrait la lecture biographique à rebours (106-107). Ainsi, le biographique demeure à l’honneur : « Ce sont dans les deux cas les éléments liés à l’auteur et au reste de son œuvre qui permettent d’écouter chaque texte avec justesse et de ne pas se laisser leurrer par son apparence transitoire. La connaissance des auteurs, que ceux-ci correspondent à des personnes réelles ou à des instances psychiques, permet de comprendre le projet de ces œuvres et de voir combien, tout en partant de points de départ différents, elles finissent, tant sur un plan psychanalytique que sur celui d’une histoire littéraire anonyme, par se ressembler et se confondre en ce texte unique qui nous précède tous, et dont nous ne sommes peut-être après tout, pris dans des fantasmes de toute puissance illusoires, que des écrivains de passage. » (114) Dans le chapitre consacré à Hitchcock, Bayard revient sur le biais que constitue une lecture biographique trop assurée, teintée qu’elle serait de préjugés idéologiques : « On mesure l’intérêt, dans la lecture d’une œuvre, de ne pas l’aborder avec des préjugés idéologiques, mais de la lire comme une production autonome, en s’efforçant d’oublier le plus possible toutes les informations trop convenues sur l’auteur, pour éviter que le regard ne soit déformé par des excès de connaissances biographiques ou par des préjugés intellectuels . C’est à ce prix que l’on peut espérer faire valoir ce que l’œuvre comporte de singulier par rapport aux conditions contingentes qui ont vu sa naissance et auxquelles elle est tout à fait en mesure d’échapper pour trouver une vie nouvelle. Et espérer ainsi, en augmentant sa portée, la faire accéder, au titre d’expérience universelle, à des publics de tous les milieux et de toutes les époques. » (135-136) === 1. L’Étranger de Franz Kafka === En conclusion : « Tout se passe ainsi comme si la rencontre de Kafka et de L’Étranger produisait un enrichissement mutuel. Rattaché à l’auteur du Procès, L’Étranger se leste d’une dimension de critique sociale et politique qui s’y trouvait certes, mais à bas bruit. Confirmé comme auteur de L’Étranger, Kafka voit sa dénonciation de l’absurde légitimée parce que étendue à d’autres contextes plus larges que les sociétés fermées qui ont initialement servi à sa démonstration. » (92) === 2. Autant en emporte le vent de Léon Tolstoï === Si attribuer un livre « de femme » (hum hum) au grand écrivain russe relève certainement du sacrilège j’avoue pour ma part que c’est le chapitre qui me séduit le plus justement parce qu’il est subversif, justement parce que le jeu y est plus fort et la créativité de Bayard à son meilleur. Il fait une forme de « critique fiction » - de la fausse analyse appuyée sur une très forte érudition (celle-ci se manifeste dans tout le livre). J’aime bien, par exemple, lorsqu’il dit qu’Autant en emporte le vent est un livre sur un thème qui traverse toute l’œuvre de Tolstoï, que l’on pourrait appeler celui de la disparition. Ce thème, présent dans l’œuvre, ne peut se manifester si clairement lorsqu’on est face à un écrivain qui n’a écrit qu’une seule œuvre, comme Margaret Mitchell. Réflexions sur la création – la question de la transposition : « En effectuant cette double transposition géographique et historique, [Tolstoï] accomplit ce geste littéraire par excellence qu’est l’invention d’un monde nouveau à partir de fragments disjoints du monde existant. À ce titre, son livre est emblématique de ce déplacement fécond que nécessite toute création – déplacement qui n’est pas sans évoquer celui d’une psychanalyse – pour permettre à l’auteur, en apprenant à parler aux autres, de commencer à parler de lui. » (102) Dans le chapitre suivant, il évoque encore cette idée de transposition : « En littérature comme en art, l’écart assumé avec ce que l’on est ou ce que l’on pense est souvent un moyen de vivre à distance des expériences qu’il serait trop violent d’expérimenter directement et de mettre la fiction au service d’un travail de la pensée. » (108) === 3. Les Sept piliers de la sagesse de D.H. Lawrence et de L’amant de Lady Chatterley de T.E. Lawrence. === Les deux œuvres, en apparence si antithétiques, mettraient pourtant de l’avant deux thèmes communs : l’angoisse devant la sexualité et l’angoisse devant le féminin (112). Remarque sur la création : écriture et sexualité; « la manière dont la sexualité vient s’inscrire – ou, au contraire, ne parvient pas à s’inscrire – dans les profondeurs de l’écriture. » (104) ==== Partie IV – De la réattribution dans les autres arts ==== Dans la dernière partie de son ouvrage, Bayard effectue des réattributions ailleurs que dans la littérature. Autres disciplines comme la philosophe, la psychanalyse, le cinéma la peinture ou la musique.  Le premier chapitre attribue L’Éthique de Spinoza à Sigmund Freud,  le deuxième chapitre soutient que Le cuirassé Potemkine de Sergei Eisenstein est un film d’Alfred Hitchcock  et, enfin, le dernier chapitre traite du Cri d’Edvard Munch, attribué au musicien Robert Schumann. C’est ce dernier chapitre qui se révèle le plus intéressant, puisque Bayard y traite de la correspondance entre les arts. Le fait de convoquer différents arts, comme la peinture et la musique ici, enrichirait la pensée et l’analyse possible de la toile. « Cette correspondance entre les arts à laquelle Schumann nous invite est essentielle, car elle tend, elle aussi, à réduire la place de l’auteur, en tout cas sous sa forme habituelle. Dans la perspective ainsi ouverte, tel écrivain aurait pu, dans un monde différent, être peintre ou musicien, et son œuvre, en certains moments qu’il faut apprendre à percevoir dans leur fugacité, persiste à porter les traces de ce destin inachevé. » (2010 : 145-146) Bayard parle alors d’auteurs virtuels : « C’est à ces auteurs virtuels, dissimulés dans l’auteur que nous connaissons et qui n’ont pas eu la chance de faire une œuvre, que la critique doit apprendre à être sensible. Car c’est aussi rendre homme à la richesse d’un artiste que de savoir percevoir toutes les potentialités dont il est porteur et qu’il aurait sans doute, dans une autre existence ou sous une identité différente, été en mesure de développer. » (146) La nécessité de la correspondance entre les arts viendrait de la recherche, chez Schumann de chercher le meilleur moyen esthétique d’exprimer sa souffrance (143). En ce sens, l’art ne serait qu’un « moyen » pour communiquer mais de façon esthétique – ce avec quoi on peut être plus ou moins d’accord. ==== Épilogue ==== En conclusion, Bayard avance que ces propositions ne sont qu’une partie infime des possibilités offertes à la création si on venait à bout de « cet interdit implicite – qui a tant nui aux études littéraires et artistiques – de ne pas modifier l’auteur » (149) Il fait également le point sur les avantages qui découlent des changements d’auteurs. - 1/ En premier lieu, mettre en valeur une problématique délaissée (par exemple L’Étranger et Kafka) - 2/ Ensuite, montrer la modernité d’une œuvre (par exemple, la modernité de L’Éthique de Spinoza). - 3/ Le changement d’auteur permet également de modifier le regard qu’on porte sur une œuvre, en libérant l’œuvre des images ou des significations figées qui s’attachent à elle, ou encore de relire des écrivain(e)s négligé(e)s comme Mitchell. - 4/ Enfin, permettre un dialogue entre les différents arts : / « comment les frontières entre les diverses pratiques artistiques ne sont pas fermées, et comment chaque œuvre se trouve secrètement traversée par le rêve de ce qu’un art différent aurait pu lui apporter » (149) En somme, les changements d’auteurs et la construction de nouveaux « auteurs imaginaires » permettent de préserver le dynamisme des œuvres  en inventant de nouveaux objets de travail – particulièrement auprès d’œuvres dont les recherches semblent épuisées ou répétitives  en permettant de réfléchir à la manière dont les œuvres sont reçues au fil des époques et des pays (relativisme de la réception, faite en fonction de l’identité de fortune prêtée à l’auteur)  en permettant de penser la façon dont chacun reçoit les œuvres à partir de sa sensibilité propre (lecture) : « Car si l’auteur imaginaire garde les traits d’une époque et d’un lieu, il porte aussi en lui les marques de la personnalité de chaque lecteur, lequel invente une image de l’autre qui est d’abord, directe ou inversée, la sienne propre. De la sorte, la pratique du changement d’auteur incite à réfléchir sur notre présence subjective au cœur des œuvres que nous rencontrons. » (150)  l’étude de chaque littérature se trouve dynamisée ainsi que des disciplines entières, comme la littérature comparée grâce aux confrontations entre les œuvres des différentes cultures. (150) *Bayard ne doute cependant pas de la frilosité avec laquelle sera reçu sa proposition – la « révolution prônée par ce livre » ne se retrouvera pas dans les classes, dit-il (151). Certainement, aurais-je envie de lui dire, cela est dû au fait qu’il faut d’abord bien maitriser les connaissances de base avant de s’adonner à un tel jeu, ce qui ne peut être le fait que de quelques érudits – et encore il faut que les œuvres soient suffisamment saturées d’interprétations pour qu’on ait besoin de ce « regard renouvelé ». En terminant, Bayard met cependant ses lecteurs en garde :  il faut éviter que les changements d’auteurs mènent à une nouvelle forme de fixité ;  il vaut également mieux ne pas faire les changements d’auteurs au profit d’écrivains à qui il est facile d’attribuer l’œuvre, car ce changement n’apporterait aucune nouveauté. Bayard conclut : « Préserver le dynamisme du texte et l’intérêt de la lecture en prônant le recours systématique à l’attribution mobile, c’est donc prendre la mesure de tous les mondes possibles qui se rencontrent en chaque œuvre et de tous les auteurs qui auraient pu l’écrire, et, loin de s’arrêter à une telle filiation définitive, nouer sans cesse, entre les écrivains et les textes, de nouvelles unions. » (2010 : 151-152) ==== Lexique ==== L’ouvrage se termine par un court lexique de deux pages reprenant les différentes notions vues dans l’ouvrage. ==== NOTES TIRÉES DE L’INTRODUCTION AU COLLECTIF VIE/ŒUVRE ==== Les rapports qu’entretient un auteur avec son oeuvre constituent une des interrogations les plus importantes au sein de l’histoire des études littéraires. En ouverture du chapitre qu’il consacre au statut de l’auteur dans Le démon de la théorie, Antoine Compagnon va même jusqu’à suggérer que « le point le plus controversé dans les études littéraires, c’est la place qui revient à l’auteur » (1998 : 51). En effet, il semble que l’évolution des études littéraires procéderait d’un déplacement herméneutique1 constant de la frontière entre l’auteur et l’oeuvre. Cette frontière à poser entre un auteur et son œuvre est centrale au sein des débats qui ont animés les études littéraires depuis le 19e siècle – elle conditionne aussi la façon dont on conçoit le « savoir littéraire » VIE/OEUVRE UNE NOUVELLE DONNÉES DANS L’ÉQUATION : LE LECTEUR L’intégration de la figure du lecteur donne lieu à une série de réflexions qui font surgir de toutes nouvelles conceptions de l’auteur. VALÉRY « Lorsque l'ouvrage est paru, son interprétation par son auteur n'a pas plus d'autorité que toute interprétation de qui que ce soit. […] Mon intention n'est que mon intention, et l'œuvre est l'œuvre » (t. II, p. 1191). Ici, Valéry semble se déclarer pour la liberté de l'interprète contre l'autorité de l'auteur, ou pour l'autonomie de l'œuvre par rapport à l'intention. Cette attitude est conforme à son hostilité habituelle à l'histoire littéraire, et elle semble annoncer la Nouvelle Critique, qui s'en prendra dans les mêmes termes à l'auteur. L'auteur n'est qu'un interprète comme les autres, sans privilège herméneutique par rapport aux autres lecteurs.