FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Claire Tomalin Titre : Jane Austen ; passions discrètes [Jane Austen, a life] Lieu : Paris Édition : Autrement Collection : «Littératures» Année : 2000 [1997] Pages : 412 p. Cote : PR 4036 T66F (UQTR) Désignation générique : Aucune

Bibliographie de l’auteur : Claire Tomalin est avant tout une biographe, mais se spécialise dans les biographies d’écrivains. Voici sa bibliographie exhaustive : The Life and Death of Mary Wollstonecraft (1974) ; Shelley and His World (1980) ; Parents and Children (1981) ; Katherine Mansfield: A Secret Life (1987) ; The Invisible Woman: The Story of Nelly Ternan and Charles Dickens (1990) ; The Winter Wife (play) (1991) ; Mrs Jordan's Profession (1994) ; Maurice, or the Fisher's Cot by Mary Shelley (1998) ; Several Strangers: Writing from Three Decades (1999) ; Samuel Pepys: The Unequalled Self (2002).

Biographé : Jane Austen et plusieurs membres de sa famille.

Quatrième de couverture : Sorte de dédicace de Claire Tomalin à Jane Austen : «À l’enfant pour qui les livres étaient un refuge…» etc. Cette dédicace résume à grands traits les moments importants de la vie de la biographée.

Préface : Aucune

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : Une carte, au début du volume, intitulée «Carte de Steventon et du voisinage des Austen» et, à la fin du volume, un arbre généalogique comprenant plusieurs branches remontant aux grands-parents de Jane Austen et descendant jusqu’à la mention «descendants vivants». Au bas de la carte, en minuscule, se trouve la mention «Arbre généalogique succinct montrant les membres de la famille de Jane Austen mentionnés dans ce livre ». Ces deux éléments, comme nous le verrons, sont très importants dans la constitution de la biographie.

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Narratrice omnisciente, on peut associer celle-ci à l’auteur. Dans plusieurs chapitres, la narratrice raconte l’histoire à la manière d’une romancière ; dans certains, plus analytiques (par exemple celui portant sur les trois premiers romans d’Austen, «Trois romans»), elle utilise le «je» et émets des hypothèses entièrement personnelles.

Narrateur/personnage : Je dirais ici «narratrice/personnage-s», car il y en a plusieurs et la narratrice entretient avec eux une relation qui ressemble à celle d’un romancier réaliste avec ses personnages. Parfois empreinte de tendresse et de compassion, ou encore de fascination et de curiosité, elle n’en reste pas moins dans les limites du « réalisme », c’est-à-dire que les faits et les personnages sont présentés sans désir de les idéaliser, mais que les portraits qui sont faits sont si denses et si plein de détails, qu’ils en acquièrent un relief qui les rapproche des personnages romanesques.

Biographe/biographé : Bien que, comme dans tout biographe je présume, la relation de la biographe avec la biographée soit empreinte de respect, il n’y a pas ici le rapport complaisant et encenseur que l’on y trouve généralement. Jane Austen se trouve en fait à être un personnage parmi d’autres, car c’est toute la famille Austen et plusieurs de ses membres (oncles, tantes, cousins, cousines, frères, sœurs, nièces, etc.), ainsi même que des gens du voisinage qui sont l’objet de la présente biographie. C’est ainsi que la «carte de Steventon et du voisinage» de même que «l’arbre généalogique» prennent toute leur importance. Jane est certes le personnage pivot de la biographie, mais toute la société qui l’entoure est dépeinte ; dans la première partie de l’ouvrage, par exemple, elle occupe singulièrement peu de place pour la simple raison qu’elle est encore enfant et que ses frères aînés, ainsi qu’une branche de la famille au destin particulier (la tante Philadelphia Leigh, sœur de la mère de Jane Austen, ainsi que sa fille Eliza) monopolisent tout l’intérêt de la biographe. En fait, un paragraphe du dernier chapitre résume assez bien, quoiqu’à mots couverts, l’entreprise biographique de Tomalin : « En dépit de son énergie, de sa diversité et de son esprit d’aventure remarquables, de sa capacité à nous intéresser et à nous amuser, la famille Austen serait pourtant oubliée s’il n’y avait eu Jane. C’est uniquement à cause de ses écrits que ses membres méritent de ne pas s’effacer de nos mémoires, et pourtant, à tous égards ou presque, il est plus difficile d’évoquer Jane que n’importe lequel d’entre eux. Elle n’avait rien revendiqué pour elle-même, ni une chambre à elle, ni sa place parmi les romanciers anglais. On a même du mal à se représenter son apparence avec précision, comme nous l’avons vu. Les membres de sa famille s’avancent vers nous, dans l’éclat de leurs uniformes ou la sobriété de leurs noires tenues ecclésiastiques, entourés de leurs enfants, installés dans de belles maisons et préoccupés de testaments. Elle, elle est aussi insaisissable qu’un nuage dans un ciel de nuit. » (p.387) Peut-être, donc, pouvons-nous croire que Tomalin a voulu atteindre Austen en passant par sa famille et la société qui l’environnait. Si c’est le cas, cette biographie serait plutôt traditionnelle, mais si, à l’inverse, elle utilise la vie de Jane Austen pour recréer l’univers Anglais (qui s’étend en France et jusqu’aux Indes) au tournant du 19e siècle, l’entreprise apparaît beaucoup plus intéressante.

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Le récit suit une ligne chronologique mais s’articule sur beaucoup d’analepses et de prolepses, en autant que cela lui permet de terminer les histoires des différents personnages qui sont mis en scène. Les titres des différents chapitres, pour le moins originaux ou créatifs, dénotent ainsi une volonté de l’auteur de thématiser chacun de ceux-ci et de donner une touche littéraire à l’ensemble (par exemple, «Mauvaise conduite», «Mariages et enterrements», «la poupée et le pique-feu», «systèmes de défense», etc.). La biographie commence avec une mise en scène de l’hiver 1775 où est née Jane Austen et sur sa petite enfance, moment où, selon la biographe, elle aurait subi son premier traumatisme de séparation d’avec sa mère. Mais dès ce premier chapitre, on sent l’importance que vont prendre tous les autres membres de la famille et c’est désormais essentiellement sur eux que se concentrent les chapitres suivants. Je ne résumerai pas ici les diverses intrigues qui sont nouées et dénouées dans le dédale du cousinage de Jane Austen et dans le foisonnement des détails concernant tout un chacun, mais je me contenterai de souligner que la mort de Jane Austen, qui est décrite dans l’avant-dernier chapitre, ne clôt pas l’ouvrage. Au contraire, la biographe a senti, dans le dernier chapitre, le besoin de «boucler la boucle» en racontant jusqu’au bout la vie de tous les personnages dont elle avait entrepris l’histoire. Autre fait intéressant, la biographe entremêle parfois les personnages fictifs créés par Jane Austen et les personnages « réels ». On passe donc du fictif au réel et du réel au fictif sans la moindre transition, comme si les personnages de romans étaient de vraies personnes et comme si les personnes étaient de vrais personnages.

Ancrage référentiel : Pour construire le récit, l’auteur s’est appuyé sur un grand nombre de documents de «première main», dont essentiellement des lettres et des journaux personnels de parents proches, mais le plus souvent de personnes éloignés (par exemple, les deux journaux dans lesquels elle puise beaucoup d’information sont ceux d’Elizabeth Chute, une voisine et amie de la famille Austen, mais non pas de Jane, et celui d’une nièce de Jane Austen, Fanny.) Les divers lieux évoqués constituent un autre point d’ancrage, de même que l’arbre généalogique.

Indices de fiction : On ne puit dire qu’il y a, à proprement parler, des indices de fiction. Ce qui, je trouve, rapproche cette biographie de la fiction est, outre quelques mises en scène somme toute conventionnelles, l’impression générale qui se dégage du livre comme s’il formait une histoire autonome. Je l’ai dit, le foisonnement des détails, des plus officiels aux plus anodins, ne semble faire que le simple portrait d’une famille anglaise et font en sorte que l’on s’interroge sur la part de vérité, de création, mais surtout de (re)création à l’œuvre dans cette biographie.

Rapports vie-œuvre : Le rapport vie-œuvre se présente d’une façon particulière ici. D’abord, l’on note que Jane Austen en tant qu’écrivain n’est pas «l’entité» qui intéresse vraiment la biographe, mais bien plutôt le milieu dans lequel elle vit. On a l’impression tout de fois que la biographe essaie à l’occasion, comme pour justifier sa façon de parler de la vie d’Austen, de rattacher certains éléments à l’œuvre. Mais, dès le milieu de la biographie, elle se voit forcée d’admettre : « Mais elle ne s’inspirait pas de la réalité et ne racontait pas la vie de ses amis et de sa famille. Elle aurait pu, pourtant, écrire des romans palpitants à partir des aventures de sa tante Philadelphia et de sa cousine Eliza, une aubaine, semble-t-il, pour un auteur de fiction. Elle aurait pu encore mettre dans ses romans les travers et les crimes d’une demi-douzaine de familles voisines du Hampshire. Mais, comme nous l’avons vu, le Hampshire est absent de ses romans, où l’on ne reconnaît aucun des voisins d’Austen, exotiques, malfaisants ou simplement amusants. Le monde de son imagination était complètement distinct de celui où elle vivait. » (p.236.)

En fait, tout ce potentiel romanesque, c’est Tomalin qui l’a vu et le « roman palpitant », c’est la biographie qu’elle en a faite. Il faut préciser, de plus, que le problème auquel se heurtent presque tous les biographes et commentateurs d’Austen, c’est qu’il est à peu près impossible de trouver dans son œuvre des éléments biographique. Par exemple, la biographe constate qu’au moment de la rédaction de Pride and Prejudice, roman le plus joyeux de toute la production austenienne, l’auteur et sa famille vivaient une période très sombre. Mettant les deux situations en parallèle, Tomalin conclut : « On voit bien que le livre a peu de liens avec sa situation personnelle » (p.225).

Thématisation de l’écriture et de la lecture : L’intérêt de la biographe porte davantage sur la personnalité de Jane Austen que sur son talent d’écrivain. Elle insiste assez peu sur les lectures qu’elle a pu faire et place l’écriture de ses romans sur le même pied d’égalité que les autres éléments qui lui sont contextuels (un voyage, par exemple). Elle accorde toutefois une place importante dans l’intrigue aux écrits du frère aîné, James Austen, qui s’amusait à écrire des pièces de théâtre et à les monter avec tous les membres de la famille.

Thématisation de la biographie : L’auteur, brisant ainsi le rythme du récit, fait parfois référence au travail du biographe : « Les biographes apprennent vite que rien n’est moins fiable qu’une description ou un portrait… » (p.153.) / « Elle a sa manière d’éconduire les biographes en leur donnant l’impression qu’elle reste, comme l’a dit lord David Cecil, “ce qu’elle aurait certainement souhaité – une relation et non pas une intime”. À cause de son esprit acéré et de son refus de supporter les imbéciles, on a peur d’être importun, de mal interpréter, de se tromper grossièrement sur ce qui saute aux yeux. » (p.387.)

Topoï : La société anglaise au tournant du XIXe siècle et sa façon de gérer ses drames (naissances, morts, mariages, professions, argent, etc.), les obligations et la solidarité familiales, l’importance du mariage, la situation difficile des femmes (mariés qui pour la plupart mourraient en couches - ou célibataires qui jouissaient d’une certaine liberté mais devaient sans cesse compter sur la générosité financière de leurs proches pour vivre), la personnalité difficilement saisissable de Jane Austen, etc.

Hybridation : Entre biographie et saga familiale, entre biographie et peinture d’une société à travers une de ses familles.

Transposition : 1) Transposition de l’œuvre du biographé : Il est intéressant de constater que, en dépit du fait que l’écriture de Tomalin ne s’apparente en rien à celle d’Austen, on a l’impression de retrouver dans cette biographie la vision romanesque d’Austen qui concevait que « trois ou quatre familles dans un village à la campagne est tout ce qu’il faut pour travailler » (cité p.336). De plus, Austen s’intéressait à l’ordinaire, aux détails qui finissent par rendre signifiant l’ensemble et par donner de l’intérêt à ce qui, en apparence, est insignifiant. Ses personnages étaient extrêmement représentatifs du milieu dans lequel elle vivait et elle s’amusait à peindre la société avec une touche d’ironie. Ce sont exactement ces procédés auxquels recourt la biographe.

LA LECTURE

Pacte de lecture : Cette biographie présuppose que nous tenions pour vraies les affirmations qui y sont faites, bien que celles-ci semblent parfois difficilement justifiables. Il y a certains moments où la biographe doit se contenter d’émettre des hypothèses parce qu’elle ne pas les matériau pour prouver ses dires (bien qu’elle ne prouve pas toujours ce qu’elle avance), ce qui vient renforcer l’illusion du « vrai ». Le pacte de lecture de cette biographie est donc assez conventionnel.

Attitude de lecture : Cette lecture m’a passionné, non pas tant par le sujet que par la façon dont celui-ci était abordé. J’avais véritablement l’impression de suivre une saga familiale dont les différentes ramifications m’échappaient parfois tant le foisonnement des personnages et des divers détails étaient complexes et semblaient malgré tout peu justifié. Je me permettrai une métaphore : j’avais l’impression d’observer une mosaïque qui une fois mise à distance permet de voir se détacher un portrait de Jane Austen – pour une fois bien ancrée dans son milieu familial et social et non pas désincarnée.

Lecteur/lectrice : Manon Auger